Jurisprudence : CA Lyon, 06-06-2023, n° 21/06004, Confirmation


N° RG 21/06004 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NYJR


Décision du

TJ hors JAF, JEX, JLD, Aa A, JCP de LYON

Au fond

du 27 mai 2021


RG : 20/00542

ch n°1 cab 01 A


[Y]

[Y]


C/


[Y]


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


COUR D'APPEL DE LYON


1ère chambre civile B


ARRET DU 06 Juin 2023



APPELANTS :


M. [Ab] [Y]

né le … … … à [… …] (…)

[Adresse 3]

[Localité 5]


Représenté par Me Patrick LEVY, avocat au barreau de LYON, toque : 713


M. [Ac] [Y]

né le … … … à [Localité 4] (Maroc)

[Adresse 3]

[Localité 5]


Représenté par Me Patrick LEVY, avocat au barreau de LYON, toque : 713


INTIME :


M. [H] [Y]

né le … … … à [Localité 7]

[Adresse 1]

[Localité 2]


Représenté par Me Nathalie MARTIN-HUMBERT, avocat au barreau de LYON, toque : 944


* * * * * *


Date de clôture de l'instruction : 19 Janvier 2023


Date des plaidoiries tenues en audience publique : 07 Mars 2023


Date de mise à disposition : 06 Juin 2023


Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Olivier GOURSAUD, président

- Stéphanie LEMOINE, conseiller

- Bénédicte LECHARNY, conseiller


assistés pendant les débats de Elsa SANCHEZ, greffier


A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile🏛.


Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile🏛,


Signé par Olivier GOURSAUD, président, et par Elsa SANCHEZ, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.


* * * *



EXPOSE DU LITIGE


[F] [N], épouse [Y], est décédée le 22 mai 2018. Elle laisse, pour recueillir sa succession, ses trois enfants, [Ab], [Ac] et [H].


Me [P], notaire à [Localité 5], est intervenue dans la phase amiable de la liquidation de la succession.


La succession d'[F] [N] présente un actif de 30.735,42 euros, pour le surplus, d'éventuelles créances de rapport, cause de différends entre les parties.



Par acte d'huissier de justice du 13 décembre 2019, M [H] [Y] a fait assigner MM [Ab] et [Ac] [Y] devant le tribunal de grande instance de Lyon, devenu tribunal judiciaire, en partage judiciaire de la succession de leur mère.


Par jugement du 27 mai 2021, le tribunal judiciaire de Lyon a, notamment:

- déclaré valable l'assignation de M [H] [Y] du 13 décembre 2021,

- ordonné l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession d'[F] [N], décédée le 22, mai 2018, en application de l'article 1361 du code de procédure civile🏛,

- ordonné le rapport à la succession de la somme de 100.000 euros par M [Ab] [Y],

- ordonné le rapport à la succession de la somme de 100.000 euros par M [Ac] [Y],

- débouté M [H] [Y] de sa demande de sanction pour recel successoral,

- rejeté la demande de créances formulée par MM [Ab] et [Ac] [Y] à l'encontre de la succession, sur le fondement de l'enrichissement injustifié,

- renvoyé les parties devant Me [U], notaire à [Adresse 10], désigné en qualité de notaire liquidateur, pour l'établissement de l'acte définitif de partage de la succession d'[F] [N] en application du présent jugement,

- rejeté la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par MM [Ab] et [Ac] [Y].



Par déclaration du 19 juillet 2021, MM [Ab] et [Ac] [Y] ont relevé appel du jugement.


Par conclusions notifiées le 8 décembre 2022, MM [Ab] et [Ac] [Y] demandent de:


-réformer partiellement le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Lyon du 27 mai 2021,

- confirmer le jugement en ce qu'il a:

- ordonné l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession d'[F] [N], en application de l'article 1361 du code de procédure civile,

- désigné Maître [U], notaire à [Localité 9], en qualité de notaire liquidateur pour l'établissement de l'acte définitif de partage de la succession d'[F] [N],

- débouté M [H] [Y] de sa demande de sanction pour recel successoral,

- ordonné le rapport à la succession de la somme de 100 000 € par M. [Ab] [Y], d'une part, et M [Ac] [Y], d'autre part,


En revanche, pour le surplus,


- Réformer le jugement,

- Dire que l'indivision successorale devra verser 100 000 € à M. [Ab] [Y] et 100 000 € à M. [Ac] [Y], compte-tenu du dévouement exceptionnel dont ils ont fait preuve vis-à-vis de leurs parents, et notamment de leur mère, dévouement excédant largement les exigences de la piété filiale, les prestations fournies ayant permis de les appauvrir et enrichir corrélativement leurs parents, et notamment leur mère,

Vu la procédure totalement abusive, voire vexatoire engagée par M [H] [Y],

- Condamner M; [H] [Y] à leur verser les sommes suivantes :

- 2 000 € à titre de dommages et intérêts,

- 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛,

- Condamner M. [H] [Y] aux entiers dépens de l'instance distraits au profit de Maître Levy, avocat sur son affirmation de droit.


Par conclusions notifiées le 17 octobre 2022, M. [H] [Y] demande de :


Confirmer le jugement du 27 mai 2021 en ce qu'il a :

- Rejeté la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par MM [Ab] et [Ac] [Y],

- Rejeté la demande de créances formulée par MM [Ab] et [Ac] [Y] à l'encontre de la succession sur le fondement de l'enrichissement injustifié,


Infirmer le jugement en date du 27 mai 2021 en ce qu'il a :

- Rejeté les demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,


Statuant à nouveau:

Rejeter toutes demandes, fins et conclusions contraires

Condamner solidairement MM [Ab] et [Ac] [Y] à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamner ces derniers aux entiers dépens d'appel.


La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 19 janvier 2023.


Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux conclusions précitées en application de l'article 455 du code de procédure civile🏛.



MOTIFS DE LA DECISION


A titre liminaire, il convient d'observer qu'aucune des parties ne critique les dispositions du jugement ayant ordonné le rapport à la succession de la somme de 100 000 euros tant par M. [Ab] [Y], que par M. [Ac] [Y] et débouté M. [H] [Y] de sa demande de sanction pour recel successoral, de sorte qu'elles sont irrévocables.


1. Sur l'attribution de la somme de 100 000 euros à MM [Ac] et [Ab] [Y]


MM [Ac] et [Ab] [Y] soutiennent qu' ils ont agi pour leurs parents au-delà de leurs obligations naturelles, du devoir moral qui fondent le droit à récompense. Ils expliquent qu'il est admis par la jurisprudence, sur le fondement de l'enrichissement sans cause, qu'ils soient indemnisés à hauteur de leur appauvrissement, qu'ils évaluent à la somme de 100 000 euros, chacun. Selon eux, leur assistance a excédé « les exigences de la piété filiale» et leur dévouement a évité à leurs parents des dépenses, telles une aide à domicile permanente ou une maison de retraite médicalisé, ce qui a enrichi le patrimoine successoral.


Ils ajoutent que leur appauvrissement est manifeste puisqu'ils ont dû cesser leur activité professionnelle, subir une minoration de leur retraite, payer les factures de leur mère (loyer, charges de copropriété, taxes d'habitation, assurances, chauffage...) compte tenu de ses revenus insuffisants. Ils précisent qu'ils avaient acquis un bien immobilier à [Localité 5] qui devait leur rapporter des revenus locatifs, mais qui a été utilisé pour loger leurs parents durant 11 années.


Enfin, selon eux, [F] [Y] a souhaité les récompenser en leur rendant une partie de l'argent qu'elle avait économisé grâce à eux, en leur remettant la somme de 100 000 €, qui correspond à leur appauvrissement.


M. [H] [Y] explique qu'il a été écarté de toute relation et décision familiale et que l'assistance qui a été prodiguée par MM [Ac] et [Ab] [Y] n'excède en rien la piété familiale et relève du devoir d'assistance normal des enfants envers leurs parents.


Selon lui, ils ont dû héberger leurs parents dans des biens leur appartenant, à [Localité 5] puis à [Localité 6], parce qu'ils sont eux-mêmes responsables de la perte de leur résidence principale, dans laquelle ils habitaient eux aussi, en raison de leurs mauvais placements financiers, qui ont conduit à la saisie puis à la vente de la maison.


Il fait valoir que leurs parents bénéficiaient d'une certaine autonomie financière et surtout d'aides à domiciles, ce qui résulte des justificatifs du compte courant d'[F] [Y] produits aux débats, qui permettent de constater qu'elle réglait ses dépenses de logement, d'électricité, de chauffage, d'assurance, d'eau, de taxe d'habitation, d'abonnement téléphonique.


Il ajoute que les arrêts complets d'activité par MM [Ac] et [Ab] [Y] sont sans lien avec une prise en charge de leurs parents et qu'ils n'expliquent pas comment ils pouvaient subvenir à leurs besoins ou acquérir un bien immobilier à [Localité 5] en ayant arrêté toute activité professionnelle.


Selon lui, les appelants ne démontrent pas s'être appauvris.


Réponse de la cour


Il résulte de l'article 1303 du code civil🏛 que le devoir moral d'un enfant envers ses parents n'exclut pas qu'il puisse obtenir une indemnité pour l'aide et l'assistance apportées dans la mesure où, ayant excédé les exigences de la piété filiale, les prestations librement fournies ont réalisé à la fois un appauvrissement pour l'enfant et un enrichissement corrélatif des parents.


En l'espèce, il est constant qu'[F] [Y] a été hébergée pendant les 7 années précédent son décès par MM [Ac] et [Ab] [Y], dans leurs propriétés à [Localité 5] ou à [Localité 6].


S'il est établi par ses relevés de compte qu'elle ne participait que partiellement aux dépenses courantes (dépenses Carrefour et EDF en particulier), et qu'en raison de ses problèmes de santé, elle n'était pas en mesure de vivre sans aide, MM [Ac] et [Ab] [Y] ne contestent pas qu'ils étaient précédemment hébergés chez leur mère dans la maison dont elle était propriétaire à [Localité 11], qui a été saisie et vendue en raison de leurs 'mauvais placements financiers', ce qui représente un indéniable appauvrissement pour elle.


En outre, ils ne produisent aucune facture de leurs dépenses quotidiennes réelles ni des relevés de leurs comptes personnels, afin de justifier des dépenses qu'ils se bornent à énumérer dans des tableaux qu'ils ont eux-même renseignés. Il est précisé à cet égard que l'attestation établie par M. [T], expert comptable, qui n'est corroborée par aucune preuve autre que les relevés de compte d'[F] [Y], ne permet pas à elle seule, de justifier qu'elle a bénéficié d'un enrichissement personnel de 67 767,67 euros du 1er mars 2011 au 30 juin 2018 et que MM [Ac] et [Ab] [Y] se sont corrélativement appauvris de la même somme.


Par ailleurs, s'il est établi par les certificats médicaux des Dr [I] et [A] qu'il était nécessaire d'apporter une aide quotidienne à [F] [Y] en raison de ses problèmes de santé, il ressort de ses déclarations d'impôts sur le revenu qu'elle bénéficiait d'une aide à domicile, sans que MM [Ac] et [Ab] [Y] n'apportent aucune explication à la cour sur ce point, de sorte qu'il n'est pas démontré par ces derniers que leur cessation, à tous les deux, de toute activité professionnelle à compter de 2007 pour le second et de 2012, pour le premier, soit liée à la nécessité de s'occuper de leur mère. En tout état de cause, ils n'établissent pas qu'il était nécessaire qu'ils cessent tous les deux, toute activité professionnelle.


Au total, bien qu'il ressorte des attestations produites par MM [Ac] et [Ab] [Y] qu'ils se sont toujours occupés avec beaucoup de bienveillance de leurs parents jusqu'à leur décès, ils ne démontrent ni que cette aide et cette assistance ont excédé les exigences de la piété filiale, ni que les prestations qu'ils ont fournies ont entraîné à la fois un appauvrissement pour eux et un enrichissement corrélatif pour leurs parents.


En conséquence, le jugement est confirmé.


2. Sur les autres demandes


Compte tenu de ce qui vient d'être décidé, qui démontre que c'est à bon droit que M. [H] [Y] a assigné ses frères en partage et défendu aux demandes qui lui étaient opposées, il convient, par confirmation du jugement, de débouter MM [Ac] et [Ab] [Y] de leur demande de dommages-intérêts pour procédure abusive.


Le jugement est confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.


L'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de M. [H] [Y], en appel. MM [Ac] et [Ab] [Y] sont condamnés in solidum à lui payer à ce titre la somme globale de 2.000 €.


Les dépens d'appel sont à la charge de MM [Ac] et [Ab] [Y], qui succombent en leur tentative de remise en cause du jugement.



PAR CES MOTIFS


LA COUR,


Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,


statuant à nouveau et y ajoutant,


Condamne in solidum MM [Ac] et [Ab] [Y] à payer à M. [H] [Y], la somme globale de 2.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, en cause d'appel,


Déboute les parties de toutes leurs autres demandes.


Condamne MM [Ac] et [Ab] [Y] aux dépens de la procédure d'appel, et accorde aux avocats qui en ont fait la demande le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile🏛.


La greffière, Le Président,

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