COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme Chantal MANTION en a rendu compte à la Cour composée en outre de:
Mme Jocelyne RUBANTEL, Président,
Mme Chantal MANTION, Président,
et Mme Véronique CORNILLE, Conseiller,
qui en ont délibéré conformément à la loi.
PRONONCE :
Le 16 Mai 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'
article 450 du code de procédure civile🏛, Mme Jocelyne RUBANTEL, Président a signé la minute avec Mme Marie-Estelle CHAPON, Greffier.
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DECISION
Vu le jugement rendu le 14 décembre 2021 par le tribunal judiciaire (pôle social) de Lille qui a :
- dit que la date de guérison dans les rapports entre la caisse et la société [5], de l'accident du travail de M. [Ab] [C] survenu le 19 janvier 2016, doit être fixée au 18 avril 2016,
- dit que les soins et arrêts de travail délivrés à M. [Ab] [C] à compter du 19 avril 2016 sont inopposables à la société [5],
- dit que la caisse devra communiquer à la [3] compétente l'ensemble des informations nécessaires à la rectification des taux de cotisation AT/MP de la société [5],
- condamné la caisse aux dépens qui comprendront le coût de l'expertise médicale judiciaire.
Vu l'appel formé le 31 décembre 2021 par la caisse primaire d'assurance maladie des Flandres (ci-après la CPAM) à l'encontre du jugement qui lui a été notifié le 15 décembre 2021 ;
Vu la convocation des parties et leur comparution à l'audience du 14 février 2023 ;
Par conclusions, préalablement communiquées et soutenues oralement à l'audience, la CPAM des Flandres demande à la cour de :
- dire et juger que la présomption d'imputabilité des soins et arrêts de travail à l'accident du travail du 19 janvier 2016 est acquise,
En conséquence,
- infirmer le jugement rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de Lille,
- dire et juger opposable à la société [5] la prise en charge des soins et arrêts de travail dont a bénéficié M. [C] au titre de l'accident du travail du 19 janvier 2016,
- débouter la société [5] de l'ensemble de ses demandes,
- condamner la société [5] aux entiers dépens de l'instance,
- condamner la société [5] au paiement des frais d'expertise, si la cour venait à y faire droit.
Par conclusions, préalablement communiquées et soutenues oralement à l'audience, la société [5] demande à la cour de :
- la déclarer recevable et bien-fondée en ses écritures,
- confirmer le jugement entrepris,
A titre principal,
- constater que les conclusions du docteur [D] sont claires, précises et sans ambiguïté,
- entériner le rapport du docteur [D],
- ce faisant, admettre l'existence d'un état antérieur évoluant pour son propre compte, indépendant de l'accident du 19 janvier 2016,
- fixer au 18 avril 2016, la date de consolidation de l'état de santé de M. [C] suite à l'accident du travail dont il a été victime le 19 janvier 2016,
- juger que les arrêts de travail prescrits à compter du 19 avril 2019 sont sans rapport avec l'accident dont a été victime M. [C] le 19 janvier 2016,
- ce faisant, lui déclarer inopposable la décision de prise en charge, au titre de la législation professionnelle, des soins et arrêts de travail prescrits à M. [C] à compter du 19 avril 2016, avec toutes suites et conséquences de droit,
A titre subsidiaire,
- constater qu'il existe un différend d'ordre médical portant sur la réelle imputabilité des soins et arrêts de travail indemnisés au titre de l'accident du 19 janvier 2016 déclaré par M. [C],
- ce faisant, ordonner une mesure d'instruction afin de vérifier l'imputabilité des soins et arrêts de travail pris en charge par la caisse au titre de l'accident du 19 janvier 2016.
Conformément à l'
article 455 du code de procédure civile🏛, il est renvoyé aux écritures des parties s'agissant de la présentation plus complète de leurs demandes et des moyens qui les fondent.
Motifs :
M. [Ab] [C], salarié de la société [5], a été victime d'un accident du travail le 19 janvier 2016 caractérisé, selon le certificat médical initial de la même date par une « luxation épaule gauche spontanément résolutive, bilan radio normal », pour lequel l'employeur a rempli une déclaration d'accident du travail, le 20 janvier 2016 indiquant que l'accident s'est réalisé dans les circonstances suivantes : « le salarié aurait ressenti une douleur à l'épaule gauche en visant une poubelle haute ».
Par décision du 25 mai 2015, la CPAM des Flandres a pris en charge l'accident du 19 janvier 2016 au titre de la législation professionnelle.
M. [C] a bénéficié de soins et arrêts de travail jusqu'au 28 février 2017, date de guérison de son état de santé.
Contestant la décision de prise en charge, la société [5] a saisi la commission de recours amiable, laquelle a implicitement rejeté sa demande, puis la juridiction de la sécurité sociale, laquelle a statué comme indiqué précédemment.
Par jugement du 2 mars 2021 le tribunal a, avant dire droit sur la demande d'inopposabilité de prise en charge des arrêts de travail et soins prescrits postérieurement au 19 janvier 2016, ordonné la mise en œuvre d'une expertise médicale judiciaire, laquelle a été confiée au docteur [D].
La CPAM des Flandres soutient que l'ensemble des soins et arrêts de travail prescrits jusqu'au 28 février 2017 bénéficient de la présomption d'imputabilité, qu'elle justifie d'une continuité d'arrêts et de soins, que tous les certificats médicaux de prolongation font état d'une luxation de l'épaule gauche, que l'employeur n'a jamais mandaté un médecin afin qu'il contrôle la justification de l'arrêt de travail, que l'argumentaire du docteur [D] démontre que la lésion n'a pas pour origine exclusive l'état antérieur et que dès lors la présomption d'imputabilité n'est pas renversée.
La société [5] fait essentiellement valoir que le certificat médical initial fait état d'un arrêt de travail de seulement quatre jours, que selon le référentiel de la Haute Autorité de Santé une tendinopathie de la coiffe des rotateurs peut entraîner un arrêt de travail de 90 jours maximum, et que son médecin-conseil, le docteur [N] a retenu une date de consolidation au 18 avril 2016, veille d'un geste chirurgical réalisé pour des raisons sans rapport avec l'accident en cause.
* Sur la demande d'inopposabilité des soins et arrêts de travail
Selon l'
article L. 411-1 du code de la sécurité sociale🏛 est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait où à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise.
Il résulte de ce texte que la présomption d'imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d'un accident du travail, dès lors qu'un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial est assorti d'un arrêt de travail, s'étend à toute la durée d'incapacité de travail précédant soit la guérison complète, soit la consolidation de l'état de la victime.
La présomption d'imputabilité ne peut jouer que si la caisse rapporte la preuve d'une continuité des symptômes, arrêts et soins postérieurement à l'arrêt de travail initial.
L'employeur peut alors remettre en cause la présomption d'imputabilité en établissant l'origine totalement étrangère au travail de la lésion prise en charge ou l'existence d'un état pathologique préexistant au travail.
En outre, selon l'
article R. 142-17-1 du code de la sécurité sociale🏛, lorsque le litige fait apparaître en cours d'instance une difficulté d'ordre médical relative à l'état de santé de l'assuré, du bénéficiaire ou de la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, notamment relatif à la date de consolidation ou de la guérison, la juridiction ne peut statuer qu'après mise en œuvre de la procédure d'expertise médicale prévue par l'
article L. 141-1 du même code🏛.
En l'espèce, le docteur [N], médecin conseil de l'employeur, avait indiqué, aux termes de son rapport du 29 octobre 2020 que : « Le caractère récidivant, en relation avec une dysplasie scapulo-humérale gauche constitutionnelle, était parfaitement connu antérieurement à l'accident du 19 janvier 2016 et décrit sans ambiguïté au titre des motivations de la prolongation d'arrêt de travail délivrée le 29 décembre 2016 par le docteur [B] [X].
C'est exclusivement l'état antérieur dysplasique scapulaire qui a été traité par le geste chirurgical du 19 avril 2016 en toute indépendance des conséquences de l'accident du travail du 19 janvier 2016 qui a été uniquement responsable de la prescription d'un court arrêt de travail et qui n'a pas entraîné l'attribution d'un taux d'incapacité permanente (guérison sans séquelles).
La nature du geste chirurgical réalisé (intervention de Latarjet) confirme l'antériorité de l'état antérieur à l'accident de la dysplasie traitée (') ».
Comme l'ont indiqué les premiers juges, la CPAM des Flandres a produit le rapport de son médecin-conseil, le docteur [L], lequel a été transmis et pris en compte par le docteur [D] en ce qu'il a indiqué, en réponse aux argumentations du médecin de la caisse au titre de l'état antérieur, ce qui suit : « Si le praticien conseil de l'assurance maladie indique que l'employeur ne démontre pas que c'est l'état antérieur qui a motivé le geste chirurgical, il ne peut pas occulter que l'intervention chirurgicale de LATARJET n'est jamais proposée en thérapeutique chirurgicale d'un premier épisode de luxation de l'épaule. Cette intervention chirurgicale est le traitement de l'instabilité acquise de l'épaule. L'AT, au corollaire du mécanisme de mouvement du membre supérieur a eu pour conséquence une récidive de luxation de l'épaule. Les soins et arrêts lui sont imputables jusqu'au 18 avril 2016, à la veille de l'intervention chirurgicale qui a traité un état clinique non imputable ».
Ainsi, le docteur [D] a conclu de la sorte : « Après avoir convoquée la Caisse Primaire d'Assurance Maladie des FLANDRES et le médecin désigné par la société [5].
Après avoir eu communication de l'entier dossier médical de Mr [Ab] [C] détenu par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie et/ou par le service médical afférent aux prestations prises en charge par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie du chef de l'Accident du Travail de Mr [Ab] [C] en date du 19 janvier 2016.
Il est possible de :
Dire que l'arrêt de travail et les soins directement causés par l'Accident du Travail du 19 janvier 2016 étaient médicalement justifiés jusqu'au 18 avril 2016,
Dire que les arrêts de travail prescrits postérieurement au certificat médical initial sont directement et exclusivement imputables à l'Accident du Travail du 19 janvier 2016. Au-delà, ils sont totalement rattachables à une pathologie antérieure,
Déterminer qu'à partir du 19 avril 2016, les arrêts de travail ont une cause étrangère à l'Accident du Travail,
Fixer au 18 avril la date de guérison de Monsieur [Ab] [C] suite à son Accident du Travail du 19 janvier 2016. »
Eu égard à ces éléments, il est constaté que le rapport du docteur [D], lequel est complet et circonstancié, n'est pas utilement remis en cause par la caisse, et force est de constater que les éléments apportés par le médecin expert sont suffisants, sans qu'il soit nécessaire de recourir à une nouvelle mesure d'expertise judiciaire.
Dès lors, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la date de guérison de l'état de santé de M. [C] était fixée au 18 avril 2016 et qu'en conséquence, l'ensemble des soins et arrêts délivrés à compter du lendemain, soit le 19 avril 2016 doivent être déclarés inopposable à l'employeur.
* Sur les dépens
Conformément à l'
article 696 du code de procédure civile🏛, la CPAM des Flandres, partie succombante, sera condamné aux dépens de l'instance, en ce compris les frais de l'expertise médicale judiciaire.