Jurisprudence : CA Bordeaux, 10-05-2023, n° 20/02093, Confirmation


COUR D'APPEL DE BORDEAUX


TROISIÈME CHAMBRE CIVILE


--------------------------


ARRÊT DU : 10 MAI 2023


N° RG 20/02093 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-LSJX


[P] [AaAa épouseAb[X]

[W] [U]


c/


[N] [Ac] épouse [M]


Nature de la décision : AU FOND


28A


Grosse délivrée le :


aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 09 juin 2020 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de BORDEAUX (RG n° 17/08570) suivant déclaration d'appel du 22 juin 2020



APPELANTS :


[P] [Aa] épouAde [X]

née le … … … à … (…)

… … …

… […e …]

[W] [U]

né le … … … à … (…)

… … …

… [… …]


Représentés par Me Laeticia CADY de la SELAS GAUTHIER DELMAS, avocat au barreau de BORDEAUX


INTIMÉEAb:


[N] [Ac] épouAee [M]

née le … … … à … (…)

… … …

… [… …]


Représentée par Me Benoît DUCOS-ADER de la SELARL DUCOS-ADER / OLHAGARAY & ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX et à l'audience par Me Mathilde BOCHE



COMPOSITION DE LA COUR :


L'affaire a été débattue le 14 mars 2023 en audience publique, devant la Cour composée de :


Président : Hélène MORNET

Conseiller: Danièle PUYDEBAT

Conseiller : Af A


qui en ont délibéré.


Greffier lors des débats : Véronique DUPHIL


ARRÊT :


- contradictoire


- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 al. 2 du code de procédure civile🏛.



EXPOSE DU LITIGE


M. [C] [K] [Aa] né le … … … à … (…), est décédé le 22 mars 2003 à Puybarban (33190), laissant pour lui succéder ses enfants issus de son union avec Mme [Ag] [T] dont il était divorcé, à savoir Mme [P] [Aa] épouse [X] et M. [W] [Aa], ainsi que son conjoint survivant Mme [B] [H] avec laquelle il s'était marié le 8 août 1962, sous l'ancien régime légal de la communauté de biens meubles et acquêts, à défaut de contrat de mariage préalable.


M. [C] [Aa] avait consenti à Mme [H] une donation au dernier vivant le 10 mai 1967.


Le partage de la communauté ayant existé entre les époux [Aa] [H] et celui de la succession de M. [C] [Aa] ne sont jamais intervenus.


Mme [Ah] est décédée le 16 juillet 2015, laissant pour lui succéder sa fille issue de son premier mariage, Mme [Ab] [Ac] épouse [M], laquelle revendique sa qualité d'héritière de M. [C] [Aa] pour être l'ayant-droit de sa mère, veuve et donataire du défunt.


La succession de M. [C] [Aa] se compose des biens suivants :

- la moitié indivise (indivision avec sa soeur suivant acte de donation-partage du 6 mars 1984) d'une ancienne boulangerie située [Adresse 2], estimée en 2008 à une valeur vénale d'environ 135.000 euros,

- diverses liquidités.


Par ordonnance sur requête en date du 22 janvier 2018, Me [Y] a été désigné en qualité de mandataire successoral aux fins de procéder à la vente du bien immobilier sis à [Localité 4] et percevoir la quote-part du prix de vente revenant à la succession de M. [C] [Aa] qui sera déposée sur le compte séquestre de Me [Z] [F], notaire à [Localité 6], dans l'attente de la décision sur le principal.


Soutenant que Mme [Ab] [Ac] épouse [M] ne peut se prévaloir d'aucun droit dans la succession de leur père, M. [W] [Aa] et Mme [P] [Aa] épouse [X] l'ont assignée devant le tribunal de grande instance de Bordeaux, par acte en date du 5 septembre 2017.


A la demande conjointe des parties et de Mme [Aa] épouse [V], soeur de feu M. [C] [Aa] et co propriétaire indivise avec lui de l'immeuble sis à [Localité 4], un mandataire successoral a été désigné par le Président du tribunal de grande instance aux fins de vente de ce bien.


Un compromis de vente a été régularisé le 28 janvier 2019 au prix de 560.000 € sous condition suspensive d'obtention d'un permis de construire et du récépissé de son dépôt.


Le bien a été vendu et la quote-part du prix de vente revenant à la succession, a été séquestrée en l'étude de Me [Z] [F], Notaire à [Localité 6] dans l'attente de l'issue de la présente procédure.


Par jugement en date du 9 juin 2020, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :

- dit que Mme [Ai] [H] veuve [Aa] n'avait pas à exercer d'option au titre de la donation au dernier vivant du 10 mai 1967 en l'absence de demande de réduction,

- dit que la demande au titre de l'indemnité de réduction est prescrite,

- déboute Mme [P] [Aa] épouse [X] et M. [W] [Aa] de leurs demandes tendant à voir dire que Mme [Ab] [Ac] épouse [M] ne peut se prévaloir d'aucun droit dans la succession de [Aa] [U],

- dit que Mme [Ab] [Ac] épouse [M] bénéficie de la libéralité du 10 mai 1967 pour la totalité de la succession de [C] [Aa] en pleine propriété,

- ordonné l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la communauté ayant existé entre les époux [Aa]-[H] et de la succession de M. [Aa] [U],

- désigné pour y procéder le président de la Chambre des notaires de la Gironde avec faculté de délégation à tout notaire de cette chambre, à l'exception de Me [O], Me [A] et de Me Galhaud ou tout membres de leurs études,

- désigné pour surveiller les opérations le juge de la mise en état de la première chambre civile du tribunal judiciaire de Bordeaux en qualité de juge commis,

- dit qu'il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile🏛,

- dit que les dépens seront frais privilégiés de liquidation et partage de la succession.


Procédure d'appel :



Par déclaration du 18 juin 2020, Mme [P] [Aa] épouse [X] et M. [W] [Aa] ont relevé appel de l'ensemble des dispositions du jugement, excepté les dispositions relatives à l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la communauté ayant existé entre les époux [Aa]-[H] et de la succession de M. [C] [Aa], et la désignation du président de la Chambre des notaires de la Gironde avec faculté de délégation à tout notaire de cette chambre, à l'exception de Me [O], Me [A] et de Me Galhaud ou tout membres de leurs études.


Par ordonnance en date du 17 février 2022, le conseiller de la mise en état de la troisième chambre civile de la cour d'appel de Bordeaux a enjoint les parties de rencontrer un médiateur et désigné à cet effet Bordeaux Médiation.



Selon dernières conclusions en date du 18 mars 2022, Mme [P] [Aa] épouse [X] et M. [W] [Aa] demandent à la cour de :

- dire et juger Mme [P] [Aa] épouse [X] et M. [W] [Aa] recevables et bien-fondés en leur appel à l'encontre du jugement du 20 juin 2020,

- débouter Mme [Ab] [Ac] épouse [M] de toute demande contraire,

Statuant à nouveau sur les chefs du jugement attaqués,

A titre principal, sur les droits du conjoint survivant issus de la donation au dernier vivant,

- infirmer le jugement attaqué en ce qu'il a jugé que Mme [Ai] [H] n'avait pas à exercer d'option au titre de la donation au dernier vivant du 10 mai 1967 en l'absence de demande de réduction,

- dire et juger qu'il résulte de l'aveu extra-judiciaire de Me [J] que Mme [Ai] [H] a accepté le bénéfice de la donation au dernier vivant consentie par son époux le 10 mai 1967 et cantonné ses droits à l'universalité de l'usufruit de la succession,

- dire et juger que cette option est opposable à sa succession,

- dire et juger que Mme [Ab] [Ac], es qualité d'unique héritière de Mme [H], ne peut se prévaloir d'aucun droit dans la succession de M. [Aa] [U],

A titre subsidiaire, sur la recevabilité de la demande de réduction et l'ouverture des opérations liquidatives,

- infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a jugé que la demande de réduction de la donation au dernier vivant du 10 mai 1967 formée par Mme [P] [Aa] et M. [W] [Aa] était prescrite,

- dire et juger que Mme [P] [Aa] et M. [W] [Aa] n'ont eu connaissance de l'acte de donation au dernier vivant que de façon tardive, le 26 janvier 2017,

- dire et juger que l'action en réduction formée par Mme [P] [Aa] et M. [W] [Aa] est recevable et bien-fondée,

- dire et juger que la donation au dernier vivant consentie à Mme [B] [H] par acte notarié du 10 mai 1967 est réductible à la mesure de la quotité disponible spéciale entre époux choisie, soit un quart en pleine propriété et trois quarts en usufruit,

- dire et juger qu'en raison du décès de Mme [B] [H], ses droits en usufruit se sont éteints, de sorte que Mme [Ab] [Ac] a vocation à recueillir un quart en pleine propriété de l'actif de la succession,

- confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a ordonné l'ouverture des opérations de liquidation de la communauté des époux [Aa]-[H] et de la succession de Aa. [U],

A titre infiniment subsidiaire, sur l'application des peines du recel successoral,

Si par impossible la cour devait estimer que l'action en réduction ouverte aux héritiers [Aa] est prescrite,

- dire et juger que Mme [H] a recelé les droits des héritiers réservataires dans la succession de son époux,

- ordonner que soient appliquées à Mme [Ah] les peines du recel successoral,

- dire et juger que Mme [Ac] épouse [M], devra en sa qualité de seule héritière de sa mère restituer à la succession de M. [Aa] les trois quarts en pleine propriété de l'actif successoral et qu'elle ne pourra prétendre à aucune part sur cette partie de l'actif,

En toute hypothèse,

- condamner Mme [Ac] épouse [M] au paiement de la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [Ac] épouse [M] aux entiers dépens de l'instance.


Selon dernières conclusions en date du 12 novembre 2020, Mme [Ab] [Ac] demande à la cour de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement prononcé le 9 juin 2020,

En conséquence,

- dire et juger que M. [C] [Aa] a entendu gratifier Mme [B] [H] de l'universalité de la succession dans le cadre de la donation au dernier vivant suivant acte en date du 10 mai 1967 passé devant Me [E] [R], Notaire à [Localité 7],

- dire et juger que Mme [N] [M], en tant qu'ayant droit de Mme [H], peut concourir au partage de la succession de M. [Aa] [U],

- dire et juger que Mme [B] [H] n'avait pas à exercer d'option au titre de la donation du 10 mai 1967 en l'absence de demande de réduction,

- constater que les consorts [Aa] sont prescrits dans leur action en réduction facultative de la donation susvisée,

- dire et juger en conséquence que Mme [M], en sa qualité d'ayant droit de Mme [H] bénéficie de la libéralité pour la totalité de la succession de Aa. [U] en pleine propriété,

- ordonner l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la communauté ayant existé entre les époux [Aa]-[H] et de la succession de [C] [Aa], conformément au jugement entrepris,

A titre subsidiaire, si la cour considérait que l'action en réduction n'est pas prescrite,

- dire et juger en conséquence que Mme [M] en sa qualité d'ayant droit de Mme [H] bénéficie du droit d'opter pour l'une des trois quotités conventionnelles, sa mère ne l'ayant pas fait de son vivant,

- dire et juger qu'elle bénéficiera dès lors du quart en pleine propriété et les trois quarts en usufruit,


En tout état de cause,

- débouter les appelants du surplus de leurs demandes, en ce compris l'application des peines du recel successoral,

- condamner Mme [P] [Aa] et M. [W] [Aa] au paiement de la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'instance.


L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 février 2023.


Pour un plus ample exposé des moyens, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures déposées.



MOTIFS DE LA DECISION


Les appelants soutiennent à titre principal que l'intimée ne peut se prévaloir d'aucun droit dans la succession de M. [C] [Aa], sa mère ayant opté au décès de son époux pour la totalité en usufruit, droit qui s'est éteint à son décès ; à titre subsidiaire qu'elle n'a vocation qu'à recueillir qu'un quart en usufruit par l'effet de leur demande de réduction qu'il considère non prescrite ; qu'à titre infiniment subsidiaire MAce [I] épouse [M] n'a aucune vocation à recueillir les droits de sa mère laquelle était passible des peines du recel successoral pour avoir fait établir en mars 2003 un certificat d'hérédité en se portant seule héritière, pour s'être abstenue de déclarer fiscalement la succession et enfin de n'avoir pas fait enregistrer la donation au dernier vivant du 10 mai 1967 au fichier central des dernières volontés, de sorte que l'intimée devra restituer les trois quarts en pleine propriété de l'actif successoral et sera privée de tout droit sur ledit actif.


Sur les droits du conjoint survivant


Par deux actes en date du 10 mai 1967 dressés par Maître [E] [R], Notaire à [Localité 7], les époux [Aa] [H] se sont consentis réciproquement, une donation au dernier vivant (Pièce n° 1 de l'intimée).


Il résulte de cette libéralité que M. [C] [Aa] a fait donation entre vifs pour le cas où son épouse lui survivrait :

'De la pleine propriété de tous les biens et droits mobiliers et immobiliers qui appartiendront au donateur au jour de son décès et composeront sa succession (y compris tout rapport) sans aucune exception ni réserve. Mme [Aa] donataire si elle survit à son mari, sera propriétaire et disposera desdits biens et droits ainsi qu'elle avisera à compter du jour du décès du donateur. Au cas d'existence de descendants, la présente donation subira la réduction prescrite par la loi, si elle est demandée, pour ce cas, M. [Aa] fait donation à son épouse de la quotité disponible la plus étendue, soit en pleine propriété, soit en pleine propriété usufruit, soit en usufruit seulement, le tout au choix de la donataire seule qui pourra attendre jusqu'au partage de la succession pour exercer son option à moins qu'elle n'y soit préalablement contrainte par les héritiers'.


Il est constant et non contesté que cette donation au conjoint survivant porte sur la pleine propriété de tous les biens et droits mobiliers et immobiliers composant la succession sans aucune exception ni réserve.


A la lecture de cet acte, les premiers juges ont pu valablement affirmer qu'il résulte de la rédaction de cette donation que l'option du conjoint survivant était applicable uniquement en cas de descendants, et dans l'hypothèse d'une demande de réduction formée par ceux-ci.


Dans l'hypothèse d'une telle demande de réduction effectuée par les descendants, Mme [Ai] [H] devait opter pour la quotité disponible la plus étendue entre époux soit un quart en pleine propriété et trois quarts en usufruit, soit la totalité en usufruit ou bien la quotité disponible ordinaire.


Il en résulte que la demande de réduction de la donation était donc un préalable nécessaire à la faculté d'option offerte au conjoint survivant.


Or, les héritiers du de cujus, ses deux enfants appelants à la procédure, n'ont jamais demandé la réduction prescrite par la loi et qui aurait contraint l'épouse à opter. Preuve en est qu'ils la réclament désormais à l'occasion du présent litige.


A défaut de cette réduction, le jugement dont appel a pu valablement affirmer que Mme [B] [H] avait donc vocation à bénéficier de la pleine propriété de l'universalité des biens du donateur, sans avoir à opter.


Les appelants soutiennent cependant qu'elle a exercé son option, en ayant choisi de bénéficier de l'universalité de l'usufruit de la succession de [C] [Aa], en sorte que cet usufruit s'est éteint à son décès et que par suite sa fille, l'intimée, ne peut se prévaloir ni de droits au titre de cette donation ni de droits au titre de la vocation légale du conjoint survivant, l'extinction des droits en usufruit ayant pour conséquence que venant aux droits de sa mère, elle ne peut prétendre à aucun droit dans la succession deAa[C] [U].


Ils se prévalent pour justifier de l'option exercée, d'une correspondance du notaire de l'intimée dans laquelle celui-ci indique que Mme [Ah] se serait comportée comme une usufruitière, exerçant cette option pour faire face au plus tôt à ses besoins financiers.


Il ressort cependant et de manière exacte de ce courrier adressé le 17 février 2017 par Me [J], notaire à [Localité 7], au conseil des appelants, notifiant l'acceptation par Mme [Ac] épouse [M] de la succession de [C] [Aa], que celui-ci a indiqué 'qu'il ne fait nul doute que cette dernière (Mme [H]) s'est comportée comme une usufruitière en ayant perçu les loyers de l'immeuble de [Localité 4] et ayant réglé les usufructuaires. Par là même, elle a exercé une option tacite pour que la donation entre époux s'exécute en ce qu'elle porte sur l'usufruit des biens de la succession.'


Mais c'est par des motifs pertinents que la cour adopte, que les premiers juges ont affirmé qu'un tel courrier ne peut être considéré comme un aveu judiciaire de l'exercice de l'option ainsi que le soutiennent les appelants, le notaire de l'intimée, dont il émane, n'étant pas mandaté pour la représenter en justice, condition exigée par l'article 1383-2 du code civil🏛 pour qu'une déclaration ait la valeur d'un aveu judiciaire.


Par ailleurs, ils ont exactement considéré que l'encaissement des revenus de l'immeuble de [Localité 4] aurait pu être réalisé par Mme [Ah] quel que soit le choix de l'option effectué, qu'elle ait opté pour la totalité en usufruit ou d'un quart en pleine propriété et des trois quarts en usufruit, de sorte qu'on ne peut tirer du seul encaissement des loyers la preuve de l'exercice de l'option pour l'usufruit de l'universalité des biens.


En tout état de cause, ce n'est qu'en cas de demande de réduction de la donation que l'option devait s'exercer. Or, les demandeurs n'ont à aucun moment sollicité celle-ci du vivant de Mme [H]. En l'absence d'une telle demande, pouvant le cas échéant être destinée à provoquer l'option, celle-ci n'avait pas à être exercée.


Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a dit que Mme [Ah] veuve [Aa] n'avait pas à exercer d'option au titre de la donation au dernier vivant du 10 mai 1967 en l'absence de réduction réclamée.


Sur la demande en réduction de la libéralité consentie


Les appelants sollicitent, à titre subsidiaire, la réduction de la libéralité consentie par [C] [Aa] à son épouse, demande à laquelle l'intimée oppose la prescription de l'action en réduction, sur le fondement de l'article 26 de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008🏛 ayant instauré un délai de prescription de droit commun de cinq ans.


Les appelants ne font plus argument d'une prescription trentenaire qui serait toujours applicable au motif que si l'article 921 alinéa 2 du code civil🏛 fixe le délai de prescription à cinq ans à compter du jour de l'ouverture de la succession ou à deux ans à compter du jour où les héritiers ont eu connaissance de l'atteinte portée à leur réserve sans pouvoir excéder dix ans, ce texte issu de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006🏛 comporte un article 47 II, aux termes duquel l'article 921 alinéa 2 n'est applicable qu'aux successions ouvertes à compter du 1 er janvier 2007, soit postérieurement au décès de leur père. Les premiers juges ont cependant opposé à cet argument l'application de l'article 26 de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 devenu l'article 2222 alinéa 2 du code civil🏛, qui dispose qu'en cas de réduction de la durée du délai de prescription, le nouveau délai de prescription quinquennale court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure. Ils ont donc affirmé que le délai de prescription quinquennale était ainsi applicable à la présente espèce par l'effet de cette disposition légale et non par application de l'article 921 alinéa 2 du code civil.


Par suite, le délai ainsi ouvert ayant été réduit à cinq ans à compter du 19 juin 2008 en application de l'article 26 de la loi du 17 juin 2008, il s'était écoulé au 19 juin 2013. L'assignation ayant été délivrée le 25 septembre 2017, la prescription de l'action en réduction était ainsi acquise.


Pour s'opposer à cette prescription, les appelants soutiennent désormais en cause d'appel ne pas avoir été mis en mesure d'exercer l'action en réduction de la libéralité litigieuse avant le 26 janvier 2017, date d'un courriel de Me [J], notaire de l'intimée (pièce 7 des appelants) informant leur conseil de l'existence de la donation. Ils considèrent qu'ils n'ont pu valablement avant cette date engager toute action en réduction ayant été tenus dans l'ignorance de cette libéralité qu'ils imputent aux manoeuvres de feue Mme [H] laquelle :

- a fait établir par la mairie de [Localité 8] (lieu du décès de [C] [Aa]) le 31 mars 2003 un certificat d'hérédité par lequel elle se déclare seule héritière,

- n'a pas déposé de déclaration de succession au décès de son époux alors même qu'elle n'était pas dispensée de droits de mutation,

- ne s'est pas assurée que cette donation avait été portée au fichier central des dernières volontés.


Dès lors, ils soutiennent que le point de départ du délai de prescription doit être reporté à cette date, par application de l'article 2224 du Code Civil🏛 selon lequel : «les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer».


Le jugement sera cependant confirmé en ce qu'il a dit que la demande tendant à voir dire réductible la donation est prescrite au visa de l'article 2224. En effet les consorts [Aa] ont été en mesure de faire valoir leurs droits dès le décès de leur père en 2003. Il leur appartenait d'effectuer les diligences qui leur incombaient en leurs qualités d'héritiers (saisine d'un notaire) ce dont ils se sont abstenus pendant près de dix années n'ayant manifestement saisi Me [O], notaire choisi par eux, que courant 2015, si l'ot en croit les premiers courriers échangés avec celui-ci (cf pièces 15 à 17 des appelants), soit postérieurement au décès de Mme [B] [H]. Ils ne peuvent valablement tirer des trois éléments évoqués la preuve de 'manoeuvres' dont se serait rendue coupable la veuve de leur père pour différer à l'année 2017 la connaissance exacte des termes de la succession de leur père alors qu'ils étaient dans les conditions d'en être informés avant, cette donation n'ayant fait l'objet d'aucune dissimulation, preuve étant que Me [J] l'a communiqué immédiatement sur sollicitation des conseils des appelants.


S'agissant du certificat d'hérédité, c'est avec justesse que l'intimée souligne qu'il ne présage en rien des droits des parties, dès lors qu'il fait foi jusqu'à preuve du contraire.


Par ailleurs il ne saurait être fait reproche à Mme [Ah] de ne pas avoir fait les démarches administratives obligatoires au décès de son époux dès lors qu'il est établi par les différentes décisions de justice et bulletins de situation médicale produits par l'intimée (pièces 7 à 13) qu'elle a rencontré au moins depuis l'année 2007 des difficultés psychiatriques, ayant dû être hospitalisée pendant près d'un mois au CHS de [Localité 5] à l'été 2007, puis postérieurement, difficultés qui ont justifié son placement sous mesure de curatelle dès août 2007, puis sous mesure de tutelle à compter 23 février 2012.


Il ne peut donc lui être imputé la connaissance tardive par les appelants des conditions de succession de leur père alors que cela résulte de leur propre carence pour n'avoir engagé aucune action au décès de celui-ci et attendu seulement le décès de Mme [H] pour s'inquiéter de leurs éventuels droits d'héritiers.


Il convient donc de confirmer le jugement entrepris qui a dit prescrite la demande tendant à voir dire que la donation du 10 mai 1967 est prescrite.


Sur le recel successoral


Aux termes de l'article 778 du code civil🏛, sans préjudice de dommages et intérêts, l'héritier qui a recelé des biens ou des droits d'une succession ou dissimulé l'existence d'un cohéritier est réputé accepter purement et simplement la succession, nonobstant toute renonciation ou acceptation à concurrence de l'actif net, sans pouvoir prétendre à aucune part dans les biens ou les droits détournés ou recelés. Les droits revenant à l'héritier dissimulé et qui ont ou auraient pu augmenter ceux de l'auteur de la dissimulation sont réputés avoir été recelés par ce dernier.


Lorsque le recel a porté sur une donation rapportable ou réductible, l'héritier doit le rapport ou la réduction de cette donation sans pouvoir y prétendre à aucune part.


Le recel successoral nécessite l'existence d'un élément matériel résultant de la soustraction ou de la dissimulation d'un élément d'actif, d'une libéralité ou d'un héritier à la succession par le bénéficiaire, ainsi qu'un élément intentionnel tel que l'intention frauduleuse de fausser les opérations de partage ou de porter atteinte à son égalité, selon les circonstances soumises à l'appréciation souveraine des juges du fond.


Les appelants soutiennent à titre très subsidiaire et pour la première fois en cause d'appel, que Mme [Ah], du fait des actes évoqués qu'ils qualifient de manoeuvres, a oeuvré pour leur dissimuler l'acte de donation au dernier vivant du 10 mai 1967 dans le dessein de déséquilibrer le partage et se faisant s'est rendue coupable de recel successoral. Par suite l'intimée devrait restituer à la succession les trois quarts en pleine propriété de l'actif successoral, et ne pourrait prétendre à aucune part sur cette partie de l'actif.


D'une part, le certificat d'hérédité ne faisant mention que d'une seule héritière, n'a aucune portée juridique, et il n'est pas établi que Mme [Ai] [H], alors âgée de soixante dix sept ans, ait sciemment fait une déclaration mensongère, ayant pu en toute bonne foi se considérer seule héritière du fait de la donation au dernier vivant qui fait litige. D'autre part, l'absence de dépôt d'une déclaration de succession aux services fiscaux ne présume en rien d'une détermination à rompre l'égalité du partage. Enfin elle n'est pas responsable de la non inscription de cette donation au fichier central des dernières volontés.


Ainsi que le soutient l'intimée, ces griefs ne sont pas de nature à éluder que les consorts [Aa] ont tardé à s'intéresser à la dévolution successorale de leur père, et à solliciter eux-mêmes un rendez-vous de signature de l'acte de notoriété ou de la déclaration de succession.


L'application des dispositions de l'article 778 du Code Civil exige un acte positif attentatoire à l'actif de la succession, qui n'est pas rapportée à l'espèce.


L'intention frauduleuse du conjoint survivant ne l'est pas davantage.


Il convient donc de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que MAbe [N] [Ac] épouse [M] bénéficie de la libéralité du 10 mai 1967 pour la totalité de la succession de [C] [Aa] en pleine propriété.


Sur les dépens et frais irrépétibles


Echouant dans leurs recours, Mme [P] [Aa] et M. [W] [Aa] seront condamnés aux entiers dépens ainsi qu'à payer à l'intimée la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.



PAR CES MOTIFS


La cour,


Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu en date du 9 juin 2020 par le tribunal judiciaire de Bordeaux ;


Y ajoutant,


Condamne Mme [P] [Aa] et M. [W] [Aa] à payer à Mme [Ab] [Ac] épouse [M] au paiement de la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'instance.


Signé par Hélène MORNET, Présidente de la chambre et par Véronique DUPHIL, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.


La Greffière La Présidente

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