SUR CE LA COUR,
Madame [O] [P], employée en qualité de secrétaire de direction par le [7] ([7] ) a adressé à la CPAM de [Localité 3] [Localité 4] une première déclaration d'accident du travail en date du 5 décembre 2003 ,accompagnée d'un certificat médical initial du même jour, faisant état de « problèmes psychologiques liés au travail et décelés à cette heure par le docteur [E] ( médecin du travail):tension élevée, crise d'angoisse ».
Par courrier en date du 21 septembre 2004, la CPAM de [Localité 3] [Localité 4] a notifié à Madame [O] [P], une décision de prise en charge de l'accident déclaré au titre de la législation sur les risques professionnels.
Madame [O] [P] a repris son travail au sein de l'association [7] le 2 juin 2004.
La CPAM de [Localité 3] [Localité 4] a été destinataire d'une seconde déclaration d'accident du travail le 9 juin 2004, accompagnée d'un certificat médical du même jour mentionnant : « crise d'angoisse au travail, état d'anxiété ».
Par courrier en date du 26 octobre 2004, la CPAM de [Localité 3] [Localité 4] a notifié à Madame [O] [P] une décision de prise en charge de l'accident déclaré au titre de la législation sur les risques professionnels.
Madame [O] [P] a été licenciée pour inaptitude à son poste le 7 février 2005.
Madame [O] [P] a par la suite saisi la CPAM d'une action en reconnaissance de faute inexcusable à l'encontre de son employeur , l'Association [7].
Après échec de la procédure de conciliation, Madame [O] [P] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de [Localité 3], lequel par jugement dont appel, a statué comme indiqué précédemment.
L'association [7] conclut à l'infirmation du jugement déféré et à titre principal à la prescription de l'action en reconnaissance de faute inexcusable engagée à son encontre.
S'agissant de la prescription de l'action , elle expose que Madame [O] [P] n'a entendu agir que par courrier du 5 février 2010 adressé à la CPAM, que plusieurs points de départ de la prescription peuvent être retenus au regard des dispositions de l'
article L 431-2 du code de la sécurité sociale🏛,que s'agissant de l'accident du 5 décembre 2003,ce point de départ peut être fixé à compter de la survenance de l'accident , ou à compter du 2 juin 2004, date de reprise du travail par la salariée et de cessation du versement des indemnités journalières, ou bien encore à compter du 21 septembre 2024, date de reconaissance de cet accident comme étant un accident du travail.
Concernant l'accident du travail du 9 juin 2004, elle indique que Madame [O] [P] aurait pu engager son action à la date de l'accident, ou à la date du 26 octobre 2004, date à laquelle la CPAM a reconnu cet accident comme étant un accident du travail.
Elle fait grief aux premiers juges d'avoir, pour dire que les demandes de Madame [Aa] [P] n'étaient pas prescrites, fixé une date de consolidation au 26 septembre 2009, date à laquelle elle n'aurait plus reçu d'indemnités journalières, alors que cette date est purement théorique et non justifiée.
Elle observe par ailleurs que l'action pénale engagée pour harcèlement moral par Madame [O] [P] à l'encontre de Madame [Ab] [H], directrice de l'établissement, ayant donné lieu à un jugement de relaxe rendu le 11 juin 2009 par le tribunal correctionnel de [Localité 3] est indifférente , dès lors que cette action pénale n'avait pas été engagée à l'encontre de l' [7], employeur de Madame [O] [P].
A titre subsidiaire, l'APAJH Comité Nord oppose qu'aucune faute inexcusable ne saurait être retenue à son encontre.
Elle indique que Madame [O] [P] avait du mal à gérer sa charge de travail qu'elle percevait comme trop lourde en 2003, que l'employeur a su résoudre cette problématique, que la direction a accepté de rencontrer Madame [O] [P] à différentes reprises seule puis en présence de l'inspection du travail afin de trouver des solutions aux problèmes soulevés par celle-ci, qu'un autre poste de secrétariat correspondant aux préconisations du médecin du travail dans un autre de ses établissements a été proposé à Madame [O] [P] pour préserver sa santé, mais que celle-ci l'a refusé.
Elle considère ainsi qu'il ne peut lui être reproché de n'avoir cherché, ni mis en place des mesures concrètes et conformes aux doléances de l'interessée, et que dès lors les conditions de la faute inexcusable alléguée ne sont pas réunies.
Madame [O] [P] conclut à la confirmation du jugement déféré et au renvoi de la cause devant la juridiction de première instance pour qu'il soit statué sur la liquidation de ses préjudices après dépôt du rapport d'expertise du docteur [S], subsidiairement à ce que la cour renvoie les parties à conclure au fond s'agissant de la liquidation de ses préjudices.
Elle conteste en premier lieu toute prescription de l'action par elle engagée,dans la mesure où la date de consolidation des deux accidents est le 26 septembre 2009 telle que donnée par l'expert judiciaire et qu'elle a introduit son action en reconnaissance de faute inexcusable de l'employeur par courrier du 5 février 2010, réceptionné le 10 février 2010 par l'organisme.
Elle souligne en toute hypothèse qu'elle a déposé plainte avec constitution de partie civile le 6 janvier 2005 pour faits de harcèlement moral, que le jugement de relaxe à l'égard de Madame [Ab] [H] rendu le 11 juin 2009 par le tribunal correctionnel de [Localité 3] est devenu définitif le 22 juin 2009 , et que c'est à compter de cette date que court le délai de la prescription biennale.
Sur le fond et pour soutenir que les conditions de la faute inexcusable de l'employeur sont réunies, Madame [O] [P] expose avoir été embauchée comme secrétaire de direction à l'APAJH en février 2002 avec comme supérieure hiérachique directe Madame [Ab] [H], qu'à partir de mars 2003 le comportement de cette dernière a changé subitement sans motif apparent, avec agressions verbales répétées quotidiennement, violences et cris, hurlements et claquements de porte.
Elle ajoute que compte tenu de cette ambiance de travail, elle est devenue insomniaque, angoissée et dépressive, et que c'est dans ce contexte que les accidents du travail des 5 décembre 2003 et 2 juin 2004 ont eu lieu , à savoir des crises d'angoisse majeures dont une à la suite d'un incident lui ayant fait craindre une agression physique de la part de sa supérieure.
Elle soutient que ces deux accidents de travail sont consécutifs à un phénomène de harcèlement subi sur son lieu de travail, précisant avoir été déclarée dans un premier temps apte par la médecine du travail, sous réserve de ne plus être en présence de l'agent harceleur, puis inapte à son emploi dans la structure devant le refus de l'employeur d'aménager son poste.
Elle précise que l'APAJH lui a proposé le 17 janvier 2005 un emploi au même endroit et dans le même contexte, se traduisant en outre par une rétrogradation sur un poste de secrétaire dactylographe, avec rémunération de moitié, qu'elle n'a pas accepté.
Elle soutient que son employeur avait ou aurait du avoir conscience du danger auquel elle était exposée compte tenu des courriers ayant été adressés tant au président de l'APAJH dans le cadre des deux accidents de travail dont elle a été victime, assortis de certificats médicaux, de rapports et avis de l'inspection du travail, qu'à sa supérieure hiérachique.
Elle précise notamment avoir adressé un courrier recommandé avec avis de réception en date du 8 décembre 2003 au président de l'APAJH suite au premier accident de travail du 5 décembre 2003, expliquant en détail les soucis de santé qu'elle avait, résultant du comportement de sa supérieure, Madame [H], et lui demandant de prendre les mesures nécessaires à la sauvegarde de sa santé, puis un courrier recommandé avec avis de réception du 2 juin 2004.
Elle estime que son employeur ne pouvait ignorer les préconisations expressément faites à celui-ci par l'inspectrice du travail, et que l'APAJH n'aurait pas dû, suite à son premier accident du travail la réexposer au même risque sans prendre la mesure du précédent accident.
Madame [O] [P] souligne enfin que si le tribunal correctionnel a relaxé sa supérieure hiérarchique des faits de harcèlement qui lui étaient reprochés, cette relaxe est sans incidence sur la réunion des conditions de la faute inexcusable ninvoquée.
La CPAM de [Localité 3] [Localité 4] s'en rapporte à l'appréciation de la cour s'agissant de la recevabilité de l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur alléguée par Madame [O] [P].
Elle observe sur ce point notamment que l'article L 431-2 du code de la sécurité sociale ne fait pas de distinction s'agissant de la personne poursuivie et prévoit une interruption de délai de prescription dès lors que l'action pénale a été engagée pour les mêmes faits.
La CPAM de [Localité 3] [Localité 4] s'en rapporte également à l'appréciation de la cour s'agissant des mérites de la demande en reconnaissance de faute inexcusable formée à l'encontre de l' [7], et sollicite le bénéfice de son action récursoire dans l'hypothèse où celle-ci serait retenue par la cour.
***
* Sur la recevabilité de l'action en reconnaissance de faute inexcusable de l'employeur:
Il résulte des dispositions de l'article L 431-2 du code de la sécurité sociale que les droits de la victime aux prestations et indemnités prévues par la législation sur les accidents du travail se prescrivent par deux ans à compter:
- soit de l'accident,
- soit de la cessation du paiement des indemnités journalières versées au titre de l'accident,
- soit de la reconnaissance du caractère professionnel de l'accident.
Le délai de prescription peut être interrompu, soit par l'exercice de l'action pénale engagée pour les mêmes faits, soit par la saisine de la caisse en vue de la mise en oeuvre de la phase de conciliation.
En cas d'accident susceptible d'entraîner la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, la prescription de deux ans opposable aux demandes d'indemnisation complémentaire visée aux
articles L 452-1 et suivants du code de la sécurité sociale🏛 est ainsi interrompue par l'exercice de l'action pénale engagée pour les mêmes faits, l'article L 431-2 ne distinguant pas selon que la plainte avec constitution de partie civile a été dirigée contre inconnu ou contre personne dénommée et excluant l'application des règles de droit commun à l'interruption de la prescription lorsque cette interruption résulte de l'action pénale engagée pour des faits susceptibles d'entraîner la reconaissance de la faute inexcusable.
En l'espèce, il ressort des pièces versées que Madame [O] [P] a perçu des indemnités journalières jusqu'au 1 er juin 2004 au titre de l'accident du 5 décembre 2003, et jusqu'au 14 février 2005 au titre l'accident du travail du 9 juin 2004, de sorte que Madame [O] [P] devait introduire sa demande en reconnaissance de faute inexcusable au plus tard avant le 14 février 2017, sauf interruption de la prescription dans ce délai.
A cet égard, il est établi que Madame [O] [P] a déposé le 6 janvier 2005 une plainte avec constitution de partie civile pour harcèlement moral contre inconnu pouvant être Madame [H] entre les mains du doyen des juges d'instruction du tribunal de grande instance de Lille, cette plainte ayant abouti à un jugement de relaxe de Madame [H] rendu le 11 juin 2009 par le tribunal correctionnel de Lille , de sorte que le délai de prescription a été interrompu valablement, l'action pénale ayant été engagée pour les mêmes faits.
Madame [O] [P] ayant saisi la CPAM d'une demande de mise en oeuvre de la procédure de reconnaissance de faute inexcusable de son employeur par courrier du 5 février 2010, réceptionné le 10 février 2010, la prescription de l'action en reconnaissance de la faute inexcusable n'est pas acquise contrairement à ce que soutient l' [7].
La décision déférée sera par voie de conséquence confirmée en ce qu'elle a dit recevable pour ne pas être prescrite l'action en reconnaissance de faute inexcusable de l'employeur formée par Madame [O] [P] .
* Sur le caractère fondé de l'action en reconnaissance de faute inexcusable de l'employeur:
Aux termes de l'article L 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur, ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants-droit ont droit à une indemnisation complémentaire.
En vertu du contrat de travail le liant à son salarié , l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, et le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article précité, lorsque l'employeur avait ou aurait du avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de la maladie reconnue d'origine professionnelle, dès lors qu' il suffit qu'elle en soit la cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage.
Il appartient au salarié de rapporter la preuve d'une faute inexcusable imputable à son employeur
L'
article L 4121-1 du code du travail🏛 dispose en outre que l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, que ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels, des actions d'information et de formation, la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés, et que l'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.
En l'espèce , il ressort des pièces versées que Madame [O] [P] a alerté à plusieurs reprises la direction de l'APAJH sur les difficultés et la surcharge de travail inhérents à son poste , en faisant état de l'agressivité verbale quotidienne de sa supérieure hiérarchique, Madame [Ac], cette agressivité rendant extrêmement difficile selon elle la poursuite de son activité professionnelle, et provoquant chez elle un « désordre psychologique » .
Madame [P] a expréssément sollicité sa direction en vue de « prendre les mesures nécessaires à la sauvegarde de ma santé » ( cf lettres des 30 novembre 2003, 2 décembre 2003 )
C'est dans ce contexte que sont surevenus les deux accidents déclarés par Madame [O] [P] et pris en charge au titre de la législation sur les risques professionnels.
Par courrier en date du 8 juin 2004, Madame [O] [P] a adressé un nouveau courrier au président de l'association, faisant part de son insatisfaction quant aux mesures mises en oeuvre par celui-ci pour éviter tout contact avec sa supérieure hiérarchique, au regard des engagements pris par son employeur en présence de l'inspection du travail le 23 février 2004.
Par courrier en date du 16 juin 2004 adressé au président de l'APAJH, Madame [Y], inspectrice du travail s'est étonnée en ces termes de ce que les engagements pris par l'employeur pour éviter tout contact entre Madame [O] [P] et sa supérieure hiérachique n'aient pas été suivis: « ... Madame [P] m'a adressé en copie le courrier qu'elle vous a envoyé en date du 8 juin 2004. Le contenu m'interpelle dans la mesure où nous avions eu une discussion ouverte lors de notre rencontre le 23 février après midi dernier dans mon bureau et des engagements pris de votre part pour qu'il n'y ait plus de relation directe entre Madame [P] et Madame [Ac] ' vous voudrez bien ' me faire part de vos observations quant à cette nouvelle situation... »
Loin de prendre les mesures qui s'imposaientle président de l'APAJH a adressé un courrier en date du 2 août 2004 à Madame [O] [P] ainsi formulé: « ' Vous occupez l'emploi de secrétaire de direction... sous l'autorité de la direction générale, ce qui implique de collaborer en étroite coordination avec Mme [Ac], directrice générale. '.lors de votre reprise d'activité , vous avez commis de nouveaux manquements professionnels...j'observe que vous avez également tenté de déposer une déclaration d'accident du travail, que l'APAJH Comité Nord conteste... »
Il ressort des éléments précités que l'APAJH avait nécessairement conscience du mal être professionnel dans lequel se trouvait Madame [O] [P] en lien avec le comportement de sa supérieure hiérarchique , pour en avoir été informée à plusieurs reprises, et qui a conduit à la prise en charge de deux accidents concernant Madame [O] [P] au titre de la législation professionnelle.
Bien qu'informé de la situation, l'employeur n'a manifestement pas suivi les préconisations faites par l'inspecteur du travail dès le 23 février 2004, visant à préserver l'interessée du danger en cause, par la suppression de toute relation directe entre Madame [O] [P] et Madame [H].
Le fait que Madame [O] [P] ait ultérieurement et après avis d'inaptitude à son poste émis par la médecine du travail, refusé le poste proposé dans un autre établissement est indifférent à cet égard.
Par voie de conséquence et dès lors que les conditions de la faute inexcusable sont réunies, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a dit que les deux accidents de travail dont avait été victime Madame [O] [P] étaient dûs à la faute inexcusable de son employeur, le [7].
* Sur les conséquences de la faute inexcusable de l'employeur :
C'est à juste raison que les premiers juges, au regard des dispositions de l'article L 452-2 du code de la sécurité sociale ont accordé à Madame [O] [P] une majoration maximale de l'indemnité prévue en rappelant que cette majoration devait suivre l'évolution du taux d'incapacité de la victime en cas d'aggravation de son état de santé dans la limite des plafonds prévus par l'article L 452-2.
C'est également à juste titre, au vu des pièces produites, que les premiers juges ont ordonné une expertise avant dire droit sur l'évaluation des préjudices de Madame [O] [P], et alloué à celle-ci une indemnité provisionnelle de 25000 euros.
La décision déférée sera confirmée de ces chef, sauf à ajouter que l'APAJH Comité Nord devra rembourser la CPAM de [Localité 3] [Localité 4] de toutes les sommes dont elle a fait et aura à faire l'avance au titre de la faute inexcusable sur le fondement des articles L 452-2 et suivants du code de la sécurité sociale, en ce compris les frais d'expertise .
* Sur l'article 700 du code de procédure civile :
Les premiers juges ont fait une juste appréciation de l'équité.
Il ne paraît pas inéquitable de laisser à la charge de l'[7] les frais irrépétibles exposés en appel.
Sa demande faite sur ce fondement sera rejetée.
* Sur les dépens :
Le
décret n°2018-928 du 29 octobre 2018🏛 (article 11) ayant abrogé l'
article R.144-10 alinéa 1 du code de la sécurité sociale🏛 qui disposait que la procédure était gratuite et sans frais, il y a lieu de mettre les dépens de la procédure d'appel à la charge de la partie perdante, conformément aux dispositions de l'
article 696 du code de procédure civile🏛.