CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 mars 2023
Cassation partielle sans renvoi
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 96 F-B
Pourvoi n° U 21-24.895
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. [Aa].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 9 novembre 2021.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 8 MARS 2023
M. [Y] [Aa], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° U 21-24.895 contre l'ordonnance rendue le 29 mars 2021 par le premier président de la cour d'appel de Lyon, dans le litige l'opposant :
1°/ au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Lyon, domicilié en son parquet, [Adresse 4],
2°/ au préfet de la Drôme, domicilié [… …],
3°/ au procureur général près la cour d'appel de Lyon, domicilié en son parquet général, [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Mornet, conseiller, les observations de Me Balat, avocat de M. [Aa], et l'avis de M. Aparisi, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 janvier 2023 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Mornet, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Lyon, 29 mars 2021), et les pièces de la procédure, le 24 mars 2021, M. [Aa], de nationalité albanaise, en situation irrégulière sur le territoire national, a été placé en rétention administrative, en exécution d'une interdiction de retour sur le territoire français.
2. Le 25 mars 2021, le juge des libertés et de la détention a été saisi par M. [Aa] d'une contestation de la décision de placement en rétention sur le fondement de l'article L. 512-1, III, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) et, par le préfet, d'une demande de prolongation de la mesure sur le fondement de l'article L. 552-1 du même code.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. M. [Aa] fait grief à l'ordonnance de déclarer la procédure régulière et d'ordonner son assignation à résidence, alors « que lorsque l'obligation de quitter le territoire français est caduque, et que l'intéressé n'a pas quitté le territoire français, l'interdiction de séjour qui l'accompagne est également caduque et ne saurait fonder une décision de rétention administrative ; qu'en jugeant toutefois que "nonobstant la caducité de l'obligation de quitter le territoire national français", M. [Aa] pouvait être placé en rétention administrative, le délégué du premier président a violé les articles L. 551-1 et R. 511-5 du CESEDA. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 551-1, I, et L. 561-2, I, 6°, du CESEDA, dans leur rédaction issue de la
loi n° 2018 -187 du 20 mars 2018🏛 :
4. Selon ces textes, l'étranger qui doit être reconduit d'office à la frontière en exécution d'une interdiction de retour sur le territoire français et qui ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction à l'exécution de la décision d'éloignement peut être assigné à résidence et, à défaut de garanties de représentation effective, placé en rétention administrative.
5. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (
CJUE, 26 juillet 2017, C-225/16⚖️, point 49) que, jusqu'au moment de l'exécution volontaire ou forcée de l'obligation de retour et, par conséquent, du retour effectif de l'intéressé dans son pays d'origine, un pays de transit ou un autre pays tiers, au sens de l'article 3, point 3, de la directive 2008/115 du 16 décembre 2008, le séjour irrégulier de l'intéressé est régi par la décision de retour et non pas par l'interdiction d'entrée, laquelle ne produit ses effets qu'à partir de ce moment, en interdisant à l'intéressé, pendant une certaine période après son retour, d'entrer et de séjourner de nouveau sur le territoire des États membres.
6. Pour déclarer la procédure régulière et assigner à résidence M. [Aa], l'ordonnance retient que l'interdiction de retour sur le territoire français permet la reconduite d'une personne démunie de titre de séjour dans son pays d'origine, nonobstant la caducité de l'obligation de quitter le territoire national français prise plus d'un an auparavant.
7. En statuant ainsi, alors que l'obligation de quitter le territoire français n'avait pas été exécutée, ce qui excluait toute méconnaissance d'une interdiction de retour, le premier président a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
8. Tel que suggéré par le mémoire ampliatif, il est fait application des
articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire🏛 et 627 du code de procédure civile.
9. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond, dès lors que les délais légaux pour statuer sur la mesure étant expirés, il ne reste plus rien à juger.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'elle déclare recevable l'appel du ministère public, l'ordonnance rendue le 29 mars 2021, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Lyon ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
En application de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance partiellement cassée.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit mars deux mille vingt-trois. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par Me Balat, avocat aux Conseils, pour MAa [G]
M. [Y] [Aa] reproche à l'ordonnance infirmative attaquée d'avoir déclaré la procédure régulière et de l'avoir assigné à résidence avec obligation quotidienne de pointage au commissariat de [Localité 5] ;
ALORS, D'UNE PART, QUE lorsque l'obligation de quitter le territoire français est caduque, et que l'intéressé n'a pas quitté le territoire français, l'interdiction de séjour qui l'accompagne est également caduque et ne saurait fonder une décision de rétention administrative ; qu'en jugeant toutefois que « nonobstant la caducité de l'obligation de quitter le territoire national français », M. [Aa] pouvait être placé en rétention administrative (ordonnance attaquée, p. 3, alinéa 9), le délégué du premier président a violé les
articles L. 551-1 et R. 511-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile🏛🏛 ;
ALORS, D'AUTRE PART, QUE la consultation du fichier des personnes recherchées est réservée aux agents spécialement habilités à cet effet ; qu'en se bornant à retenir, pour valider en l'espèce la consultation opérée par le brigadier-chef de police [B], officier de police judiciaire (cf. ordonnance attaquée, p. 3, alinéas 2 et 3), qu'un officier de police judiciaire est habilité à consulter le fichier des personnes recherchées, sans rechercher si ce fonctionnaire de police était spécialement habilité à cet effet, le délégué du premier président a privé sa décision de base légale au regard de l'article 5 du décret n° 2010-569 du 28 mai 2010 relatif au fichier des personnes recherchées et de l'
article 230-10 du code de procédure pénale🏛.