CONSEIL D'ETAT
Statuant au Contentieux
N° 33799
M. et Mme GARCIA
contre
Département des Bouches-du-Rhône
Lecture du 18 Decembre 1987
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux)
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 30 avril 1981 et 25 août 1981 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. et Mme André GARCIA et pour leurs enfants mineurs Sylvie, Serge et pour leur fils majeur Thierry, demeurant 4 rue Lou Grillé, la ZUP, à Aix-en-Provence (13100), et tendant à ce que le Conseil d'Etat : °1) annule le jugement du 27 janvier 1981 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande tendant à ce que Mme Richaud et la direction départementale de l'action sanitaire et sociale des Bouches-du-Rhône soient conjointement et solidairement condamnées à leur verser des sommes de 50 000 F pour chacun des deux parents et 30 000 F pour chacun des enfants et 927,15 F en remboursement des frais d'obsèques en réparation du préjudice résultant de l'accident dont a été victime le jeune André Garcia le 25 mars 1972, °2) condamne le département des Bouches-du-Rhône à verser à M. André GARCIA la somme de 50 000 F, à Mme GARCIA la somme de 50 000 F, à chacun des frères et soeur la somme de 30 000 F, ainsi que la somme de 927,15 F en remboursement des frais d'obsèque avec les intérêts et la capitalisation des intérêts ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;
Vu la loi du 30 décembre 1977 ;
Après avoir entendu : - le rapport de M. de Bellescize, Conseiller d'Etat, - les observations de la S.C.P. de Chaisemartin, avocat de M. et Mme GARCIA André et de M. GARCIA Thierry, de la S.C.P. Desaché, Gatineau avocat de la C.P.C.A.M. des Bouches-du-Rhône et de Me Odent avocat du département des Bouches-du-Rhône, - les conclusions de M. Robineau, Commissaire du gouvernement ;
Sur la recevabilité de la demande présentée par les consorts GARCIA devant le tribunal administratif de Marseille :
Considérant qu'aux termes de l'article premier du décret du 11 janvier 1965 "sauf en matière de travaux publics, la juridiction administrative ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée ... Toutefois, l'intéressé n'est forclos qu'après un délai de deux mois à compter du jour de la notification d'une décision expresse de rejet : °1) en matière de plein contentieux ..." ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mme GARCIA a adressé, le 18 décembre 1973 au directeur départemental de l'action sanitaire et sociale du département des Bouches-du-Rhône une demande en réparation des conséquences dommageables résultant pour sa famille du décès de son fils mineur, le jeune André Garcia ; que cette demande a fait l'objet le 28 décembre 1973 d'une réponse dudit directeur ; que cette lettre qui se bornait à demander à Mme Garcia de se présenter à l'agence d'un assureur pas plus que la réponse de cet assureur refusant toute réparation, parvenue le 22 mars 1976, ne permettait pas à la requérante de connaître clairement que le département des Bouches-du-Rhône déniait toute responsabilité dans le décès du jeune André Garcia ; qu'ainsi dans les circonstances de l'espèce ces réponses ne sauraient constituer une décision expresse de rejet au sens des dispositions susrappelées ; que, par suite, la demande enregistrée au greffe du tribunal administratif de Marseille le 17 février 1977 n'était pas tardive ;
Sur la responsabilité du département des Bouches-du-Rhône :
Considérant que le jeune André Garcia, qui était alors âgé de cinq ans et qui présentait des déficiences physiques et mentales, avait été admis au service de l'aide sociale à l'enfance en qualité de "recueilli temporairement" par arrêté préfectoral portant effet du 1er novembre 1971 ; qu'il était placé par le service d'aide sociale chez une gardienne agréée ; que le 25 mars 1972 il a été hospitalisé d'urgence et qu'il est décédé le 27 juin 1972 ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment des certificats délivrés les 16 juin 1972 et 14 janvier 1973, par le professeur agrégé Bergoin, que le décès de l'enfant est une conséquence directe des séquelles de brûlures de l'oesophage entraînées par l'ingestion de soude caustique alors que, comme il a été dit ci-dessus, l'enfant était confié à une gardienne agréée ; qu'en laissant un produit toxique à la portée de cet enfant, sa gardienne a commis une faute de nature à engager la responsabilité du département des Bouches-du-Rhône ; que, dans les circonstances de l'espèce, le département des Bouches-du-Rhône doit être regardé comme entièrement responsable des préjudices que le décès du jeune Garcia a causés à sa famille ; qu'il y a lieu dès lors d'annuler le jugement attaqué qui a rejeté les demandes des consorts Garcia et celle de la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône ;
Sur le montant des indemnités : En ce qui concerne M. et Mme GARCIA :
Considérant d'une part qu'il y a lieu d'attribuer à M. Garcia le remboursement des frais d'obsèques dont le montant s'élève à 927,15 F ; qu'il sera fait en outre une équitable appréciation de la douleur morale que les parents ont éprouvé du fait du décès d'André Garcia en fixant à 50 000 F l'indemnité qui est due à chacun d'entre eux de ce chef par le département des Bouches-du-Rhône ; En ce qui concerne Thierry Garcia, Sylvie Garcia et Serge Garcia, frères et soeur du jeune André Garcia :
Considérant qu'il sera fait une équitable appréciation de la douleur morale de chacun des frères et soeur en attribuant à chacun d'eux la somme de 10 000 F ; En ce qui concerne les droits de la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône :
Considérant que la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône a droit au remboursement des sommes non contestées qu'elle a déboursées s'élevant à un total de 29 499,27 F.
Sur les intérêts :
Considérant que les diverses sommes allouées aux consorts GARCIA et à la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône doivent porter intérêt à compter de la date de l'enregistrement de leurs demandes devant le tribunal administratif de Marseille soit respectivement les 17 février 1977 et 12 décembre 1977 ;
Sur les intérêts des intérêts :
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée les 30 avril 1981 et 19 mars 1987 pour les consorts GARCIA et le 19 novembre 1981 pour la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône ; qu'à ces dates il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à ces demandes ;
Article 1er : Le jugement en date du 27 janvier 1981 du tribunal administratif de Marseille est annulé.
Article 2 : Le département des Bouches-du-Rhône est condamné à verser aux époux GARCIA la somme 100 927,15 F, à M. Thierry GARCIA lasomme de 10 000 F, à Mlle Sylvie GARCIA la somme de 10 000 F et à M. Serge GARCIA la somme de 10 000 F. Ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter du 17 février 1977, les intérêts échus les 30 avril 1981 et 19 mars 1987 seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts ; à la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône la somme de 29 499,27 F. Cette somme portera intérêt au taux légal à compter du 12 décembre 1977, les intérêts échus le 19 novembre 1981 seront capitalisés à cette date pour produire eux-même intérêts.
Article 3 : Le surplus des conclusions des consorts GARCIA est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. GARCIA, à Mme GARCIA, à Thierry GARCIA, à Sylvie GARCIA, à Serge GARCIA, à la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône, au département des Bouches-du-Rhône et au ministre des affaires sociales et de l'emploi.