Jurisprudence : CAA Versailles, 3e, 23-02-2023, n° 20VE00572

CAA Versailles, 3e, 23-02-2023, n° 20VE00572

A97429D8

Référence

CAA Versailles, 3e, 23-02-2023, n° 20VE00572. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/93497851-caa-versailles-3e-23022023-n-20ve00572
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Abstract

► Par un arrêt rendu le 23 février 2023, la cour administrative d'appel de Versailles était amenée à trancher un litige relatif à l'étendue du droit de réclamation portant sur un résultat déficitaire dans un groupe fiscalement intégré.


Références

Cour administrative d'appel de Versailles

N° 20VE00572

3ème Chambre
lecture du 23 février 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une demande et une réclamation soumise d'office, la société anonyme (SA) Lafarge a demandé au tribunal administratif de Montreuil de rétablir le résultat de la société Sofimo et le déficit d'ensemble du groupe dont elle est la société mère intégrante au titre des exercices 2007 à 2011.

Par un jugement nos 1707095, 1812350 du 19 décembre 2019, le tribunal administratif de Montreuil a, après les avoir jointes, rejeté ces deux demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 19 février 2020 et les 16 juillet 2021 et 15 novembre 2022, la SA Lafarge, représentée par Mes Austry, Dardour-Attali, Garaud, Coustel et Coudin, avocats, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rétablir le résultat de la société Sofimo et le déficit d'ensemble du groupe dont elle est la société mère intégrante au titre des exercices 2007 à 2011, à hauteur de 534 829 771 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Elle soutient que :

Sur la régularité du jugement attaqué :

- le jugement attaqué est irrégulier en ce que, d'une part, il n'a pas motivé les raisons pour lesquelles il a écarté ses arguments pour justifier que l'opération remise en cause par l'administration n'a pas poursuivi un objectif purement fiscal et, d'autre part, il a omis de se prononcer sur le moyen tiré de l'absence de preuve d'une intention libérale ;

Sur l'existence d'un abus de droit :

- s'agissant du critère objectif, Sofimo n'a pas revendiqué le bénéfice du régime mère-fille à l'encontre des intentions du législateur ; ayant réalisé un investissement significatif dans LNA Finance pendant une certaine durée, Sofimo dispose de la qualité d'associée ; la conclusion du contrat de vente " Forward sale agreement " n'a pas altéré sa qualité d'associée et n'a pas eu pour effet de faire échapper Sofimo au risque inhérent à la qualité d'actionnaire de ne pas percevoir son dividende sur les actions B ;

- s'agissant du critère subjectif, la prise de participation de Sofimo dans LNA Finance ne saurait être regardée comme constitutive d'un abus de droit dès lors qu'elle n'a pas poursuivi un but exclusivement fiscal ; c'est à tort que l'administration a considéré que la société LNA Finance n'avait pas de substance ; la participation de la société Sofimo dans la société LNA Finance ne correspond pas à un prêt garanti par des actions dès lors que les dividendes préciputaires distribués au titre des actions B ne sont pas automatiques mais dépendent des capacités de distribution de cette dernière ; le choix d'un investissement en capital dans LNA Finance plutôt qu'un emprunt est justifié par des considérations économiques et financières ; l'avantage fiscal recherché se situait aux Etats-Unis et non en France.

- en tout état de cause, les actes que l'administration a entendu écarter ne sauraient constituer un abus de droit puisque la charge fiscale de Sofimo ne s'est en réalité pas trouvée modifiée par ces actes ; en outre, la qualification d'un revenu fixé à l'avance et dont la perception n'est soumise à aucun aléa en application de contrats passés avec des tiers, ne relève pas de la procédure de l'abus de droit ;

Sur la remise en cause de la parité d'échange dans le cadre de l'apport de titres par la SA Lafarge au profit de Sofimo :

- la parité d'échange peut être déterminée selon la valeur nette comptable des titres sans pour autant constituer une libéralité dès lors que la société apporteuse n'a pas été appauvrie par l'apport de titres à sa filiale détenue à 100 %, avant comme après les apports ;

- l'avantage étant sans incidence sur la variation de l'actif net de Sofimo, le résultat de la société ne peut pas être rehaussé au motif qu'elle aurait reçu une libéralité.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 16 juin 2021 et 21 janvier 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- la portée totale du litige doit être limitée à une diminution du déficit d'ensemble de 432 685 575 euros et non de 534 829 771 euros, dès lors que s'agissant d'une subvention intragroupe, la somme de 102 144 196 euros a déjà été neutralisée dans le résultat de l'intégration fiscale ;

- les moyens soulevés par la SA Lafarge ne sont pas fondés.

Par une lettre du 5 décembre 2022, la cour a informé les parties, qu'en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative🏛, l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur un moyen d'ordre public tiré de l'irrecevabilité des conclusions tendant au rétablissement du résultat de la société Sofimo, au titre de l'exercice clos en 2011, au motif que le résultat de celle-ci étant bénéficiaire, cette demande n'a pas la nature d'une réclamation contentieuse au sens des dispositions de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales🏛, lequel concerne les seules réclamations portant sur les erreurs commises par l'administration dans la détermination d'un déficit à l'issue d'une procédure de rectification.

La SA Lafarge a présenté, le 13 décembre 2022, ses observations sur ce moyen d'ordre public.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales🏛 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A,

- les conclusions de Mme Deroc, rapporteure publique ;

- et les observations de Me Coudin et Me Austry pour la SA Lafarge.

Une note en délibéré, présentée pour la SA Lafarge, a été enregistrée le 9 février 2023.

Considérant ce qui suit :

1. La société par actions simplifiée (SAS) Sofimo, filiale du groupe fiscalement intégré de la SA Lafarge, a fait l'objet de deux vérifications de comptabilité portant sur les exercices clos de 2007 à 2009, puis sur les exercices clos en 2010 et 2011. A l'issue de ces contrôles, l'administration a, par trois propositions de rectification en date du 22 décembre 2010, du 19 décembre 2011 et du 23 décembre 2013, procédé à la modification du résultat fiscal de la SAS Sofimo et, par voie de conséquence, à la diminution de 534 829 771 euros du déficit d'ensemble du groupe du fait, d'une part, de la remise en cause, sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales🏛, du bénéfice du régime des sociétés mères pour les dividendes distribués par la société américaine Lafarge North America Finance (LNA Finance) au titre des exercices clos de 2007 à 2011 et, d'autre part, de la remise en cause de la parité d'échange de deux opérations d'apports de titres de la SA Lafarge au profit de la SAS Sofimo au titre de l'exercice clos en 2011. Le premier chef de rehaussement a été soumis, pour les années 2007 à 2009, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal auquel l'administration s'est conformée. La SA Lafarge, en sa qualité de société mère du groupe fiscalement intégré, fait appel du jugement du 19 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté ses demandes tendant au rétablissement du résultat de la société Sofimo et du déficit d'ensemble du groupe dont elle est la société mère intégrante au titre des exercices clos de 2007 à 2011, à hauteur de 534 829 771 euros.

Sur l'étendue du litige :

S'agissant des conclusions tendant au rétablissement du déficit d'ensemble du groupe :

2. Si la société Lafarge sollicite le rétablissement du déficit d'ensemble du groupe dont elle est la société mère intégrante au titre des exercices clos de 2007 à 2011, à hauteur de 534 829 771 euros, il résulte toutefois de la proposition de rectification du 23 décembre 2013 et d'un courrier de la Direction des grandes entreprises du 20 novembre 2014 informant la SA Lafarge des conséquences financières au niveau de l'intégration fiscale, que le déficit d'ensemble de la société mère n'a pas été diminué, au titre de l'exercice clos en 2011, de 188 911 774 euros mais seulement de 86 767 578 euros dès lors que la somme de 102 144 196 euros, qualifiée de subvention intragroupe, a été neutralisée dans le résultat de l'intégration fiscale et n'a, dès lors, pas entraîné une diminution du déficit d'ensemble du groupe, ainsi qu'en convient d'ailleurs l'appelante. Dans ces conditions, la portée totale du litige au titre des exercices clos de 2007 à 2011, ainsi que le fait valoir l'administration fiscale, est limitée à une diminution du déficit d'ensemble de 432 685 575 euros et non de 534 829 771 euros.

S'agissant des conclusions tendant au rétablissement du résultat de la société Sofimo au titre de l'exercice clos en 2011 :

3. Aux termes de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales, " Les réclamations relatives aux impôts, contributions, droits, taxes, redevances, soultes et pénalités de toute nature, établis ou recouvrés par les agents de l'administration, relèvent de la juridiction contentieuse lorsqu'elles tendent à obtenir soit la réparation d'erreurs commises dans l'assiette ou le calcul des impositions, soit le bénéfice d'un droit résultant d'une disposition législative ou réglementaire. / Relèvent de la même juridiction les réclamations qui tendent à obtenir la réparation d'erreurs commises par l'administration dans la détermination d'un résultat déficitaire ou d'un excédent de taxe sur la valeur ajoutée déductible sur la taxe sur la valeur ajoutée collectée au titre d'une période donnée, même lorsque ces erreurs n'entraînent pas la mise en recouvrement d'une imposition supplémentaire. () ".

4. Si les dispositions précitées de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales permettent tant à la société mère d'un groupe fiscalement intégré qu'à la société membre du groupe, en l'absence d'imposition supplémentaire mise à la charge de la société mère, de demander, par voie de réclamation, la rectification d'une erreur commise par l'administration dans la détermination du résultat déficitaire de la société membre d'un groupe intégré, ni ces dispositions, ni aucune autre, ne leur permettent de demander, le rétablissement du résultat bénéficiaire de cette dernière n'ayant donné lieu à aucune imposition supplémentaire.

5. En l'espèce, il résulte des conséquences financières de la proposition de rectification du 23 décembre 2013 que le résultat fiscal imposable avant contrôle de la société Sofimo, au titre du seul exercice clos en 2011, n'est pas déficitaire et s'élève à 25 430 860 euros. Dans ces conditions, et dès lors que le résultat de la société Sofimo était bénéficiaire, la demande tendant au rétablissement du résultat de celle-ci, au titre de l'exercice clos en 2011, n'a pas la nature d'une réclamation contentieuse au sens des dispositions de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales, lequel concerne les seules réclamations portant sur les erreurs commises par l'administration dans la détermination d'un déficit à l'issue d'une procédure de rectification, et les conclusions y afférentes sont, par suite, irrecevables.

Sur la régularité du jugement :

6. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative🏛 : " Les jugements sont motivés ".

7. Le jugement, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments développés par la société Lafarge, mentionne les articles L. 64 du livre des procédures fiscales et 145 du code général des impôts et expose en détail, aux points 6 à 9, les éléments retenus pour constater que l'administration établit que l'acquisition par la société Sofimo des titres de préférence de la société LNA Finance avait un objectif exclusivement fiscal. Par suite, le tribunal a suffisamment motivé son jugement sur ce point, seul encore en litige.

Sur le bien-fondé des impositions restant en litige et procédant de la procédure d'abus de droit et de la remise en cause du bénéfice du régime des sociétés mères pour les dividendes distribués par la société LNA Finance au titre des exercices clos de 2007 à 2011 :

8. D'une part, aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa version applicable au litige : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ". Il résulte de ces dispositions que, lorsque l'administration use des pouvoirs que lui confère ce texte dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors que ces actes ont un caractère fictif ou que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. L'administration fiscale apporte cette preuve par la production de tous éléments suffisamment précis attestant du caractère fictif des actes en cause ou de l'intention du contribuable d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales normales. Dans l'hypothèse où l'administration s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au contribuable, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de la réalité des actes contestés ou de ce que l'opération litigieuse est justifiée par un motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales normales.

9. D'autre part, en vertu des dispositions combinées du 1 de l'article 38 et de l'article 209 du code général des impôts🏛, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est le bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises. Aux termes de l'article 145 du code général des impôts🏛, dans sa rédaction applicable aux impositions litigieuses : " 1. Le régime fiscal des sociétés mères, tel qu'il est défini à l'article 216, est applicable aux sociétés et autres organismes soumis à l'impôt sur les sociétés au taux normal qui détiennent des participations satisfaisant aux conditions ci-après : a. les titres de participations doivent revêtir la forme nominative ou être déposés dans un établissement désigné par l'administration ; b. les titres de participation doivent représenter au moins 5 % du capital de la société émettrice () ; c. Les titres de participation doivent avoir été conservés pendant un délai de deux ans. () ". Aux termes de l'article 216 du même code🏛 : " I. Les produits nets des participations, ouvrant droit à l'application du régime des sociétés mères et visées à l'article 145, touchés au cours d'un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci, défalcation faite d'une quote-part de frais et charges. () ".

10. Il résulte de l'instruction, ainsi que l'a relevé le comité de l'abus de droit fiscal dans son avis du 6 décembre 2013, que la SA Lafarge a lancé, en 2006, une offre publique d'achat sur sa filiale américaine, la société Lafarge North America inc (LNA), holding détenant les titres des sociétés opérationnelles américaines du groupe, dont elle disposait à hauteur de 52 %. Au terme de cette offre publique d'achat, la société LNA a absorbé la société Efalar, créée dans le cadre de cette opération en vue du rachat des parts détenues par les actionnaires minoritaires, et a repris au passif de son bilan la dette liée à l'offre publique d'achat qui s'élevait à 3,1 milliards de dollars. Les sociétés LNA et Sofimo ont créé le 10 octobre 2006 la société américaine LNA Finance afin de porter les titres des filiales opérationnelles, société qui a émis le 16 octobre 2006 trois catégories d'actions : 8 564 actions ordinaires de catégorie A auxquelles est attaché un droit de vote de 1,46 voix, 15 981 actions de préférence de catégorie B sans droit de vote et 1 406 actions ordinaires avec un droit de vote attaché d'une voix. Ces actions, toutes d'une valeur nominale de 0,01 dollar américain, donnent droit à un dividende annuel fixe de 5 700 euros. Le dividende attribué aux actions de préférence de catégorie B est préciputaire, cumulatif et reportable. Le même jour, la société LNA a souscrit à l'émission des actions de catégorie A par l'apport de certaines de ses filiales opérationnelles américaines. Le lendemain, le 17 octobre 2006, elle a conclu avec la société LNA Finance un contrat de souscription (" subscription agreement ") portant engagement par cette dernière de lui vendre, le même jour, les actions de préférence de catégorie B. Le même jour encore, la société Sofimo a signé avec la société LNA une convention de cession et de prise en charge (" assignment and assumption agreement ") prévoyant le transfert par la société LNA de son droit de souscription des actions de préférence de catégorie B de la société LNA Finance. La société Sofimo a ainsi souscrit en numéraire le même jour à l'émission des actions de préférence de catégorie B de la société LNA Finance (pour 1 598 100 000 euros) ainsi que les actions ordinaires de catégorie C (pour 140 600 000 euros) acquises quant à elles directement auprès de la société LNA Finance. Cette souscription d'un montant global de 1 738 700 000 euros a été financée par la société Sofimo en tirant sur le compte courant de sa société mère Lafarge. Les actions A détenues par LNA représentaient ainsi 33,23 % du capital de LNA Finance tandis que la participation de Sofimo, au titre des actions B et C, représentait 66,77 % du capital. Le 17 octobre également, un accord de rachat à terme (" forward sale agreement ") a été signé entre les sociétés Sofimo et LNA selon lequel les deux parties s'engagent respectivement à vendre et à acheter les 15 981 actions de préférence de catégorie B de la société LNA Finance, dans un délai de cinq ans renouvelable une fois, à un prix correspondant au montant actualisé du prix de souscription de ces actions, majoré des " dividendes exigibles " à la date de la cession Sofimo. Le 17 octobre 2006 toujours, un accord de garantie (" guaranty agreement ") est également conclu entre les sociétés LNA et LNA Finance en vertu duquel la société LNA s'engage à mettre à la disposition de la société LNA Finance les disponibilités nécessaires au paiement des dividendes attachés aux actions de préférence de catégorie B. A l'issue de ces opérations, les liquidités apportées à la société LNA Finance par la société Sofimo en contrepartie de la souscription des actions de préférence de catégorie B, soit, après un swap de devises de 2 022 050 000 dollars, ont été mises indirectement à la disposition de la société LNA afin de lui permettre de rembourser à la société mère Lafarge la majeure partie de la dette liée à l'offre publique d'achat. La société LNA Finance a ainsi accordé un prêt de 600 millions de dollars à ses filiales américaines opérationnelles afin qu'elles puissent honorer le paiement, à la société LNA, de dividendes dont la décision de distribution était intervenue avant l'apport de ces mêmes filiales à la société LNA Finance.

11. La SAS Sofimo a bénéficié, en application des articles 145 et 206 du code général des impôts🏛, du régime des sociétés mères et filiales à raison des dividendes reçus de la société LNA Finance au titre des actions de préférence B et s'élevant pour chacune des années 2007 à 2011, à la somme de 91 091 700 euros. L'administration fiscale a toutefois remis en cause le bénéfice de ce régime en estimant que les différents contrats conclus le 17 octobre 2006, en particulier le contrat de rachat à terme (" forward sale agreement ") révélaient un montage n'ayant pu avoir d'autre but que de créer artificiellement les conditions d'accès à ce régime, alors que les produits perçus par la société Sofimo sur les actions de préférence B de la société LNA Finance constituaient en réalité, la rémunération d'un prêt consenti à la société LNA garanti par les actions B émises par la société LNA Finance, et ne pouvaient, eu égard à leurs caractéristiques propres et à l'interposition de la société LNA Finance, être regardés comme des produits de participation. L'administration a ainsi décelé une fraude à la loi n'ayant d'autre objet que de faire bénéficier la société Sofimo d'une exonération d'impôt sur les sociétés sur les dividendes perçus, à l'exception d'une quote-part de frais et charges de 5 %.

12. Pour établir l'existence d'un montage artificiel ayant pour effet de dissimuler, sous l'apparence d'une prise de participation dans la société LNA Finance, un prêt à la société LNA garanti par les actions de préférence B et n'obéissant à aucun but autre que celui d'éluder la charge fiscale qui aurait été normalement due, l'administration fiscale relève tout d'abord que la SAS Sofimo n'encourrait aucun risque du fait de sa participation dans la société LNA Finance. Il résulte en effet de l'instruction, d'une part, que l'accord de rachat à terme (" forward sale agreement ") conclu avec LNA le 17 octobre 2006 assurait à Sofimo que les actions de préférence B souscrites lui seraient rachetées par LNA au terme d'une période de cinq ou dix ans, à un prix garanti, correspondant au montant actualisé du prix de souscription de ces actions, majoré des " dividendes exigibles " à la date de la cession. La société Sofimo était ainsi certaine de récupérer les sommes investies. Elle était également assurée, d'autre part, de percevoir des dividendes et était préservée de tout risque de défaut de paiement, dès lors, qu'il était convenu, dès l'émission des titres, qu'elle bénéficierait en rémunération des actions B d'un dividende préciputaire, dont le montant de 5 700 euros annuel par action était déterminé à l'avance et n'était pas conditionné par la capacité financière de la société LNA Finance, la société LNA s'étant engagée par l'accord de garantie (" guaranty agreement ") conclu avec LNA Finance, à mettre à la disposition de cette dernière les sommes nécessaires au paiement de ce dividende. Ainsi, contrairement aux dividendes qui sont par nature aléatoires, la rémunération servie pour les actions de préférence en cause présentait un caractère fixe et ne dépendait pas des performances de la société émettrice, alors qu'il n'est pas contesté que la société Sofimo n'a perçu aucun dividende des actions C et la société LNA n'en a perçu aucun pour les actions A. Par ailleurs, le traitement financier et fiscal aux Etats-Unis révèle que la société LNA Finance n'a enregistré comptablement aucun versement de dividendes à son actionnaire Sofimo mais seulement le versement des sommes à LNA, laquelle a comptabilisé une charge d'intérêt pour un montant égal à celui distribué à Sofimo. L'administration fiscale a également relevé que la société LNA Finance, dirigée par des administrateurs de LNA, ne disposait d'aucun salarié, ne réalisait aucune prestation, ne disposait d'aucun autre investissement, autre que la détention des titres des filiales opérationnelles nord-américaines détenues antérieurement par la société LNA, n'avait constaté aucun dividende en provenance de ses filiales et ne tenait pas régulièrement d'assemblée générale, tandis que la société Sofimo ne disposait d'aucun représentant au conseil d'administration alors même que, du fait de la détention des actions B et C, elle détenait 66,77 % du capital, établissant ainsi que l'interposition de la société LNA Finance ne répondait à aucune justification économique sérieuse. Il ressort de ces constatations que le montage réalisé, ayant pour objet et pour effet le refinancement de la société LNA par la société Sofimo, caractérise, une fois écartée l'interposition de la société LNA Finance, un prêt garanti par des actions, dont les produits perçus en rémunération constituent des revenus de créances et non des produits nets des participations, seuls susceptibles d'être pris en compte en vertu du premier alinéa de l'article 216, I du code général des impôts, pour l'application du régime des sociétés mères et visées à l'article 145 du même code. L'administration établit ainsi l'existence d'un montage artificiel constituant un indice essentiel du but exclusivement fiscal poursuivi par la société Sofimo et révélant, par lui-même, la contrariété à l'intention des auteurs du régime fiscal des sociétés mères.

13. Pour combattre les constatations effectuées par le service vérificateur, la société Lafarge soutient que la création de la société LNA Finance n'avait pas un but exclusivement fiscal mais présentait un intérêt économique et financier dans la mesure où elle s'inscrivait dans un contexte d'une opération de rachat des actions minoritaires de la société LNA par la SA Lafarge et que la création de LNA Finance permettait de s'affranchir des restrictions de distribution, qu'elle répondait à un besoin de trésorerie, qu'elle permettait d'avoir un accès direct aux résultats des filiales américaines et d'éviter un recours à l'emprunt et, par conséquent, le risque de dépréciation du dollar par rapport à l'euro. Elle soutient également que l'avantage fiscal recherché se situait aux Etats-Unis et non en France. Toutefois, d'une part, si en effet, il était loisible à la société requérante de recourir, comme elle l'a fait, à un investissement en capital pour éviter une exposition à un risque de change, elle ne pouvait toutefois placer la rémunération de l'investissement sous le régime fiscal des sociétés mères qu'en en dissimulant sa véritable nature. D'autre part, cette architecture d'ensemble ne confère aucune justification autre que fiscale à la souscription par la SAS Sofimo des actions de classe B de la société LNA Finance et du contrat de vente à terme conclu sur ces actions avec la société LNA. Enfin, la circonstance que l'avantage fiscal recherché se situait aux Etats-Unis et non en France est sans incidence sur l'objectif exclusivement fiscal en France. En outre, dès lors qu'elle bénéficie indûment du régime fiscal des sociétés mères pour les dividendes en litige par la mise en place d'un montage artificiel, la société Sofimo ne peut pas utilement soutenir qu'il n'y aurait pas méconnaissance de l'intention du législateur, que sa charge fiscale aurait été la même si elle avait procédé à un financement par un prêt et que la qualification d'un revenu fixé à l'avance et dont la perception n'est soumise à aucun aléa en application de contrats passés avec des tiers, ne relève pas de la procédure de l'abus de droit.

14. Il résulte de tout ce qui précède que l'opération présente le caractère d'un montage purement artificiel, constitutif d'un abus de droit, ayant consisté à avoir fait bénéficier les produits des titres litigieux du régime des sociétés mères des articles 145 et 216 du code général des impôts alors qu'ils ne pouvaient, eu égard à leurs caractéristiques propres et à l'interposition de la société LNA Finance, être regardés comme des produits de participation. C'est par suite à bon droit que l'administration a, en application de la procédure de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, requalifié les rémunérations perçues au titre des actions de préférence B en intérêts et a, en conséquence, rehaussé le résultat imposable à l'impôt sur les sociétés de la société Sofimo du montant des revenus de créance en cause s'élevant compte tenu de la quote-part de frais et charges à 86 537 115 euros au titre de chacun des exercices clos de 2007 à 2011.

15. Il résulte de ce qui précède que la SA Lafarge n'est pas fondée à se plaindre que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la SA Lafarge est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société anonyme Lafarge et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 7 février 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Besson-Ledey, présidente de chambre,

Mme Danielian, présidente assesseure,

M. Lerooy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 février 2023.

La rapporteure,

I. ALa présidente,

L. Besson-LedeyLa greffière,

C. Fourteau

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

Le greffier,

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