DÉBATS & DÉLIBÉRÉ :
L'affaire est venue à l'audience publique du 24 novembre 2022 devant la cour composée de Mme Véronique BERTHIAU-JEZEQUEL, Présidente de chambre, Mme Christina DIAS DA SILVA, Présidente de chambre et M. Pascal MAIMONE, Conseiller, qui en ont ensuite délibéré conformément à la loi.
A l'audience, la cour était assistée de Madame Sylvie GOMBAUD-SAINTONGE, greffière.
Sur le rapport de M. Pascal MAIMONE et à l'issue des débats, l'affaire a été mise en délibéré et la présidente a avisé les parties de ce que l'arrêt seraavoctr prononcé par sa mise à disposition au greffe le 26 janvier 2023, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'
article 450 du Code de procédure civile🏛.
PRONONCÉ :
Le 26 janvier 2023, l'arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Véronique BERTHIAU-JEZEQUEL, Présidente de chambre, et Mme Vitalienne BALOCCO, greffière.
*
* *
DECISION :
[W] [C] veuve [Ab] est décédée le 16 janvier 1986 à [Localité 8](80), laissant pour lui succéder ses 5 enfants dont Mme [Ac] [Ab] épouse [V].
Elle était propriétaire de trois parcelles cadastrées AH [Cadastre 2], AH [Cadastre 3] et AH [Cadastre 4] à [Localité 8] (80).
Par délibération n°2016-6 du 2 mars 2016, le conseil municipal de [Localité 8] a autorisé le maire de cette commune à constater par arrêté municipal l'appropriation de plein droit des parcelles cadastrées AH [Cadastre 2], AH [Cadastre 3] et AH [Cadastre 4] et suivant arrêté n°2016/179 du 24 mai 2016, le Maire de [Localité 8] a décidé l'incorporation des parcelles dans le domaine privé communal.
Par acte d'huissier du 8 décembre 2020, Mme [U] [B] a fait assigner la commune de [Localité 8] devant le tribunal judiciaire d'Amiens sur le fondement des
articles L 2222-20 et suivants du code général de la propriété des personnes publiques🏛 afin notamment d'entendre ordonner la restitution par la commune des trois parcelles au profit de l'indivision successorale.
Par jugement du 6 août 2021,le tribunal judiciaire d'Amiens a :
-Rejeté les demandes de Mme [U] [B],
-Condamné Mme [U] [B] à verser à la commune de [Localité 8] la somme de 800 € sur le fondement de l'
article 700 du code de procédure civile🏛,
-Condamné Mme [U] [B] aux dépens,
-Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la décision.
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 20 août 2020, Mme [B] a interjeté appel de ce jugement.
Par conclusions transmises par la voie électronique le 25 octobre 2022, Mme [B] demande à la cour de :
-La déclarer recevable et bien fondée en son appel.
En conséquence,
-Infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris
Faisant droit à ces demandes :
-Ordonner la restitution par la commune de [Localité 8] au profit de l'indivision successorale de Mme [W] [C] veuve [B] des parcelles cadastrées AH [Cadastre 2], AH[Cadastre 3] et AH [Cadastre 4];
-Ordonner la publication de l'arrêt à intervenir auprès du Service de la Publicité Foncière compétent ;
-Condamner la commune de [Localité 8] à lui payer la somme de 6.460 € au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel en application des dispositions de l'
article 700 du code de procédure civile🏛.
-condamner la commune de [Localité 8] aux dépens prévus à l'
article 695 du code de procédure civile🏛 en application de l'
article 696 du même code🏛.
Par conclusions transmises par la voie électronique le 14 octobre 2022, la commune demande à la cour de :
- Débouter Mme [U] [B] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
Ce faisant,
- Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
- Condamner Mme [U] [B] à lui payer la somme de 2.000 € au titre de l'
article 700 du code de procédure civile🏛 ainsi qu'aux dépens.
Conformément aux dispositions de l'
article 455 du code de procédure civile🏛, il est fait expressément référence aux conclusions des parties, visées ci-dessus, pour l'exposé de leurs prétentions et moyens.
Par ordonnance du 2 novembre 2022, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture et renvoyé l'affaire pour plaidoiries à l'audience du même jour.
CECI EXPOSE, LA COUR,
Sur la demande de restitution :
L'
article L.1123-1 du code général de la propriété des personnes publiques🏛 dispose que :
«Sont considérés comme n'ayant pas de maître les biens autres que ceux relevant de
l'article L.1122-1 et qui :
1° Soit font partie d'une succession ouverte depuis plus de trente ans et pour laquelle aucun successible ne s'est présenté ;
2° Soit sont des immeubles qui n'ont pas de propriétaire connu et pour lesquels depuis plus de trois ans la taxe foncière sur les propriétés bâties n'a pas été acquittée ou a été acquittée par un tiers. Ces dispositions ne font pas obstacle à l'application des règles de droit civil relatives à la prescription ;
3° Soit sont des immeubles qui n'ont pas de propriétaire connu, qui ne sont pas assujettis à la
taxe foncière sur les propriétés bâties et pour lesquels, depuis plus de trois ans, la taxe foncière sur les propriétés non bâties n'a pas été acquittée ou a été acquittée par un tiers. Le présent 3°ne fait pas obstacle à l'application des règles de droit civil relatives à la prescription ».
Aux termes de l'article L.1123-3 de ce même code: «L'acquisition des immeubles mentionnés au 2° de l'article L. 1123-1 est opérée selon les modalités suivantes :
Un arrêté du maire ou du président de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre pris dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat constate que l'immeuble satisfait aux conditions mentionnées au 2° de l'article L. 1123-1. Il est procédé par les soins du maire ou du président de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre à une publication et à un affichage de cet arrêté et, s'il y a lieu, à une notification au dernier domicile et résidence du dernier propriétaire connu.
Une notification est également adressée, si l'immeuble est habité ou exploité, à l'habitant ou à l'exploitant ainsi qu'au tiers qui aurait acquitté les taxes foncières. Cet arrêté est, dans tous les cas, notifié au représentant de l'Etat dans le département.
Les dispositions du deuxième alinéa sont applicables lorsque les taxes foncières font l'objet d'une exonération ou ne sont pas mises en recouvrement conformément aux dispositions de l'
article 1657 du code général des impôts🏛.
Dans le cas où un propriétaire ne s'est pas fait connaître dans un délai de six mois à dater de l'accomplissement de la dernière des mesures de publicité mentionnées au deuxième alinéa, l'immeuble est présumé sans maître. La commune ou l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre peut, par délibération de son organe délibérant, l'incorporer dans son domaine. Cette incorporation est constatée par arrêté du maire ou du président de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre.
A défaut de délibération prise dans un délai de six mois à compter de la vacance présumée du bien, la propriété de celui-ci est attribuée à l'Etat. Le transfert du bien dans le domaine de l'Etat est constaté par un acte administratif».
En application de ces dispositions, le juge judiciaire est compétent lorsqu'il existe une contestation sérieuse sur le point de savoir quel est le propriétaire d'un bien, mais également pour statuer sur la question de la restitution d'un immeuble présumé sans maître.
Les dispositions de l'article L.1122-1-1°s'appliquent non seulement lorsque la succession est ouverte depuis plus de trente ans mais également en présence d'héritiers n'ayant pas expressément ni tacitement accepté la succession pendant le délai trentenaire.
Lorsque le maire d'une commune agit sur le fondement de l'article L.1122-1-1° l'appropriation du bien par la commune s'opère de plein droit sans autre formalité, les formalités d'enquête et de publicité prévues par l'article L.1123-3 n'étant prescrites que pour les cas d'appropriation sur le fondement du 2° et du 3°de l'article l'article L.1123-3 ;
L'absence d'enquête et de publicité préalable en cas d'appropriation d'un bien sur le fondement de l'article L.1122-1-1° n'est pas contraire à l'article 17 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen garantissant le droit de propriété et à l'article 34 de la constitution relatif au régime de la propriété dés lors que cette appropriation sans enquête ou publicité concerne des biens dont le propriétaire est décédé depuis plus de trente ans sans héritier ou en laissant des héritiers n'ayant pas accepté, expressément ou tacitement la succession pendant ce délai et qui doivent être regardés, de ce fait, comme y ayant renoncé dés lors que l'expiration de ce délai a éteint leur droit de recueillir ces biens conformément à la prescription applicable aux successions.
Par ailleurs, l'
article 782 du code civil🏛 dispose que l'acceptation pure et simple (de la succession) peut être expresse ou tacite. Elle est expresse quand le successible prend le titre ou la qualité d'héritier acceptant dans un acte authentique ou sous seing privé. Elle est tacite quand le successible saisi fait un acte qui suppose nécessairement son intention d'accepter et qu'il n'aurait droit de faire qu'en qualité d'héritier acceptant.
En outre, selon l'
article 784 du code civil🏛, les actes purement conservatoires ou de surveillances et les actes d'administration provisoire peuvent être accomplis sans emporter acceptation de la succession, si le successible n'y a pas pris le titre ou la qualité d'héritier.(..)
Sont réputés purement conservatoires le paiement (..) des impôts dus par le défunt et autres dettes successorales dont le règlement est urgent.
En l'espèce, il est constant que [W] [C] veuve [Ab] est décédée depuis plus de trente ans et que le successeur du notaire qui selon Mme [U] [B] avait été chargé de la succession litigieuse a indiqué le 19 juin 2020 qu'il n'avait retrouvé trace d'aucun dossier de succession à ce nom dans les archives de son étude.
Il n'est pas produit le moindre commencement de preuve de ce qu'un notaire aurait été chargé de régler cette succession ou que les biens litigieux seraient détenus en indivision par l'ensemble des héritiers: si Mme [U] [B] justifie par une lettre du centre des finances publiques de [Localité 6] du 30 janvier 2018 que certaines des taxes foncières dues par la défunte ont été acquittées par elle-même ou par d'autres descendants de [W] [B], il n'est produit aucun document établissant que ces règlements sont intervenus en qualité d'héritier de la défunte. Ces règlements ne sauraient donc être considérés comme ayant Ils s'analysent en des actes purement conservatoires au sens de l'article 784 précité et sont insuffisants pour démontrer que l'un quelconque des successibles de la défunte a accompli un acte qui suppose nécessairement son intention d'accepter la succession et qu'il n'aurait droit de faire qu'en qualité d'héritier acceptant au sens de l'
article 782 du code civil🏛 ;
Mme [U] [B] ne justifie donc pas d'une acceptation tacite de la succession dans les 30 ans suivant le décès de [W] [B] par l'un quelconque des héritiers de la défunte ;
Le fait que le maire de la commune connaissait certain des descendants de [W] [B] n'a aucune incidence juridique, cette connaissance ne permettant pas de présumer que ceux-ci entendaient accepter la succession litigieuse ;
L'absence de succession ouverte ou d'héritiers ayant expressément ou tacitement accepté la succession pendant le délai trentenaire, la commune était fondée à solliciter l'appropriation du bien sur le fondement de l'article L.1122-1-1° précité, lequel n'exige aucune enquête préalable ou publicité préalable.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté Mme [U] [B] de sa demande de restitution des biens litigieux.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Mme [U] [B] succombant en ses demandes, il convient de la condamner aux dépens d'appel, de la débouter de sa demande au titre des frais irrépétibles pour la procédure d'appel et de confirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée aux dépens de première instance et l'a déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles pour la procédure de première instance.
L'équité commandant de faire application des dispositions de l'
article 700 du code de procédure civile🏛 en faveur de la commune, il convient de lui allouer de ce chef la somme de 1600 € pour la procédure d'appel et de confirmer le jugement en ce qu'il lui a accordé à ce titre la somme de 800 € pour la procédure de première instance.