Jurisprudence : CA Chambéry, 10-01-2023, n° 21/01052, Infirmation partielle


COUR D'APPEL DE CHAMBÉRY

CHAMBRE SOCIALE


ARRÊT DU 10 JANVIER 2023


N° RG 21/01052 - N° Portalis DBVY-V-B7F-GWPU


[V], [S], [G] [Z] épouse [Aa]

C/ A. CHEVALLIER

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage d'ANNECY en date du 30 Avril 2021, RG F 20/00198



APPELANTE ET INTIMEE INCIDENTE


Madame [V], [S], [G] [Z] épouse [O]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 2]


Représentée par Me Carole MARQUIS de la SELARL BJA, avocat au barreau D'ANNECY


INTIMEE ET APPELANTE INCIDENTE


S.A.R.L. CHEVALLIER

[Adresse 1]

[Localité 3]


Représentantée par Me Nadia BEZZI, avocat au barreau de CHAMBERY



COMPOSITION DE LA COUR :


En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile🏛🏛, l'affaire a été débattue en audience publique le 04 Octobre 2022, devant Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller désigné par ordonnance de Madame la Première Présidente, qui s'est chargé du rapport, les parties ne s'y étant pas opposées, avec l'assistance de Madame Sophie MESSA, Greffier lors des débats, et lors du délibéré :


Monsieur Frédéric PARIS, Président,

Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller,

Madame Isabelle CHUILON, Conseiller,


********

Copies délivrées le :



EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES


Mme [V] [O] a été engagée par la Sarl Chevallier par contrat à durée indéterminée à compter du 14 janvier 2020 en qualité de vendeuse, avec une durée de travail hebdomadaire de 35 heures et un salaire mensuel brut de 1560 euros.


La convention collective nationale de la boulangerie-pâtisserie est applicable.


La société comprend plus de 300 salariés.


Le 16 mars 2020, le Président de la République annonçait le confinement à compter du 17 mars 2020. La boulangerie, considérée comme établissement essentiel, a pu continuer son activité.


Mme [V] [O] estimait que les mesures sanitaires mises en oeuvre par la société n'étaient pas suffisantes et exerçait son droit de retrait par courrier du 21 avril 2020.


Par courrier du 23 avril 2020, la Sarl Chevallier demandait à Mme [V] [O] de reprendre son poste estimant que son droit de retrait n'était pas justifié.


Par courrier du 29 avril 2020, Mme [V] [O] informait son employeur qu'elle maintenait son droit de retrait.


Le 9 mai 2020, Mme [V] [O] prenait acte de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur.


Par requête du 19 juin 2020, Mme [V] [O] a saisi le conseil de prud'hommes d'Annecy afin de voir reconnaître que sa prise d'acte de la rupture du contrat de travail avait les mêmes effets qu'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et sollicitait le versement de diverses sommes à ce titre.


L'affaire a été radiée par décision du 21 septembre 2020 pour manque de diligences des parties. Après réinscription, le conseil de prud'hommes d'Annecy s'est déclaré en partage de voix par jugement du 30 novembre 2020 et a renvoyé l'affaire.



Par jugement de départage en date du 30 avril 2021, le conseil de prud'hommes d'Annecy a :

- débouté Mme [V] [O] de toutes ses demandes,

- débouté la Sarl Chevallier de sa demande reconventionnelle,

- rejeté les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile🏛,

- rejeté toutes les autres demandes contraires ou plus amples,

- laissé les dépens à la charge de Mme [V] [O].



Par déclaration reçue au greffe le 17 mai 2021 par RPVA, Mme [V] [O] a interjeté appel de la décision dans son intégralité sauf en ce qu'elle a débouté la Sarl Chevallier de sa demande reconventionnelle. La Sarl Chevallier a formé appel incident le 25 octobre 2022.


Dans ses dernières conclusions notifiées le 10 janvier 2022 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens, Mme [V] [O] demande à la cour de :

- fixer la moyenne de ses salaires à la somme de 1 917,40 euros bruts,

- infirmer le jugement en ce qu'il a jugé qu'il n'y avait pas de violation de l'obligation de sécurité de la part de la Sarl Chevallier, que l'exercice du droit de retrait n'était pas justifié, que la prise d'acte produit les effets d'une démission et en ce qu'il l'a débouté de sa demande de paiement du salaire du 22 avril 2020 au 9 mai 2020,


statuant à nouveau :

- condamner la Sarl Chevallier à lui verser la somme de 5000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité,

- juger que l'exercice de son droit de retrait le 21 avril 2020 était parfaitement justifié,

- juger que la prise d'acte de la rupture produit les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et en conséquence, condamner la Sarl Chevallier à lui payer les sommes suivantes :

* 11504,40 euros nets, soit 6 mois de salaires, à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

* 360 euros bruts, soit une semaine de salaire, à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 36 euros bruts au titre des congés payés afférents,

* 935,98 euros bruts, au titre du salaire du 22 avril 2020 au 9 mai 2020 et la somme de 93,60 euros bruts au titre des congés payés afférents,

- ordonner à la Sarl Chevallier la remise des bulletins de paie rectifiés des mois d'avril et mai 2020 et des documents de rupture rectifiés, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document calculée à compter de la notification de l'arrêt à intervenir,

- juger que la cour se réserve le droit de liquider l'astreinte,

- juger que les sommes qui lui sont allouées porteront intérêt au taux légal à compter du jour de la demande conformément aux dispositions de l'article 1153-1 du code civil🏛,

- condamner la Sarl Chevallier à lui payer la somme de 2 500 euros nets au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛,

- condamner la Sarl Chevallier aux dépens,

- rejeter toutes demandes et prétentions adverses.


Au soutien de ses demandes, elle explique que l'employeur devait garantir le respect des mesures barrières et la distanciation physique.


Elle a pris son poste sans recevoir la moindre information concernant la nouvelle organisation contrairement à ce que prévoit l'article R.4141-1 du code du travail🏛. Aucune réunion, aucun dialogue n'ont été mis en place.


L'employeur n'a pas mis en place une organisation permettant de respecter la distance physique d'un mètre, ni une organisation du travail au sein de laquelle les salariés ne travaillaient pas ensemble en se croisant derrière le comptoir lors de la pénurie de masques.


Aucun manager n'était présent à la boulangerie.


Deux vendeuses ont été placées en arrêt de travail pour suspicion de Covid 19, aucune désinfection de la boulangerie n'a été faite alors que la notice du gouvernement le prévoyait.


Elle n'a pas effectué de visite médicale auprès du médecin du travail, alors qu'elle était âgée de 60 ans, ce qui la rendait vulnérable face au virus.


Les pièces n°13 à 21 versées par l'employeur ne justifient rien, elles ne sont pas datées ou postérieures à son départ.


Les attestations proviennent de salariés qui n'ont jamais travaillé avec elle, ils travaillaient dans d'autres boulangeries de la société.


Certains témoignages démontrent l'absence de fourniture de masques avant le 9 mai 2020.


Les plannings sont incomplets, ne concernent que trois salariés sur huit et ne concernent qu'une partie de la période visée.


C'est à l'employeur d'assurer la protection de la santé de ses salariés et non aux salariés à se protéger par le biais d'un arrêt de travail. Aucun chômage partiel ne lui a été proposé.


L'appelante a travaillé dans l'angoisse de la contamination pendant cinq semaines lui causant un préjudice.


Selon la jurisprudence, il suffit que la salariée ait un motif raisonnable de penser que sa situation de travail présentait un danger grave et imminent pour sa sécurité et sa santé justifiant l'exercice de son droit de retrait, ce qui était le cas compte-tenu des éléments précédents.


Sa prise d'acte est justifiée par la violation de l'obligation de sécurité par l'employeur et par le fait que son exercice du droit de retrait était justifié. Elle produit donc les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.


Elle a subi des préjudices en devant quitter son travail en pleine crise sanitaire, elle était sans ressources et ne pouvait faire valoir ses droits Pôle emploi et n'a toujours pas retrouvé d'emploi.


Son droit à indemnisation doit être évalué au-delà du plafond d'indemnisation compte-tenu du contexte préjudiciable qu'elle a subi. Le plafond prévu par la loi ne permet pas l'indemnisation de ses préjudices.


Dans ses dernières conclusions notifiées le 04 mai 2022, auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens, la Sarl Chevallier demande à la cour de :

- confirmer le jugement sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛,


par conséquent :

- dire et juger qu'elle a bien respecté son obligation de prévention et son obligation d'assurer la santé et la sécurité des salariés au temps et lieu de travail,

- dire et juger que l'exercice du droit de retrait de Mme [V] [O] est totalement injustifié,

- dire et juger que la prise d'acte de Mme [V] [O] aux torts de l'employeur est injustifiée

et produit les effets d'une démission,

- condamner Mme [V] [O] à lui payer une indemnité compensatrice de préavis d'un montant de 360 euros brut, outre 36 euros de congés payés afférents,

- débouter Mme [V] [O] de l'ensemble de ses demandes,

- condamner Mme [V] [O] aux dépens,


statuant à nouveau :

- condamner Mme [V] [O] à lui payer la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛.


Au soutien de ses demandes, la Sarl Chevallier expose qu'à compter du 11 mai 2020, le port du masque était obligatoire lorsque les distances physiques ne pouvaient être respectées. Le port du masque n'a été rendu obligatoire dans les lieux publics fermés qu'à compter du 14 juillet 2020.


Durant la période du 17 mars au 21 avril 2020, le port du masque n'était pas obligatoire et il y avait une pénurie. Les préconisations en faveur du masque n'ont été faites que le 28 avril 2020.


La société a respecté toutes les préconisations gouvernementales durant la période visée, notamment le nombre de salariés au sein de la boulangerie compte tenu de sa surface, l'obligation d'information et de formation du personnel. Les responsables de magasin recevaient des notes de service. Les consignes étaient affichées. Les informations ont été transmises au fur et à mesure de l'évolution de la situation.


Les salariés n'étaient pas en contact avec les clients, un plexiglas a été mis en place fin mars 2020, le paiement s'effectuait par monnayeur ou sans contact, du gel hydroalcoolique et des gants étaient à disposition et un marquage au sol avait été fait.


Les plannings démontrent qu'il n'y avait qu'une vendeuse à la fois.


La salariée ne démontre aucun préjudice suite à l'absence de visite médicale.


La loi du 8 août 2016 a remplacé la visite médicale d'embauche par une visite d'information et prévention et a assoupli les obligations de l'employeur quant aux visites médicales périodiques. La salariée devait au minimum effectuer une visite médicale tous les 5 ans, sauf postes à risques.


Selon la jurisprudence, le défaut de visite d'embauche ne justifie pas à lui seul la prise d'acte.


Les services de l'AST74 n'ont pas fait les diligences concernant la visite médicale.


La jurisprudence considère que le droit au retrait du salarié n'est justifié que dans les situations où le risque est réalisable brusquement dans un délai rapproché et représente une menace sérieuse et proche dans le temps de nature à se matérialiser dans peu de temps et sans qu'il y ait d'autres moyens d'agir pour y échapper.


Aucun salarié n'a contracté le virus dans le cadre du travail.


Les fiches de consignes et de nettoyage indiquent plusieurs interventions par jour dans les locaux.


Plusieurs salariés attestent de la mise en place de conditions de travail sécuritaires.


En cas d'angoisse pathologique de Mme [V] [O], son médecin l'aurait placée en arrêt de travail, en cas de vulnérabilité elle aurait pu bénéficier d'un arrêt de travail dérogatoire et elle a refusé d'être placée en activité partielle.


Elle n'était pas considérée comme personne vulnérable car elle n'avait pas 65 ans ou plus. Les personnes souffrant de pathologies ont été contactées par la sécurité sociale.


La société produit des factures de masques à compter d'avril 2020.


Le manager était présent et faisait des visites régulières.


L'instruction de l'affaire a été clôturée le 1er juillet 2022. Le dossier a été appelé à l'audience du 4 octobre 2022. A l'issue, il a été mis en délibéré au 10 janvier 2023.



MOTIFS DE LA DÉCISION


Sur l'obligation de sécurité


En application de l'article L. 4121-1 du code du travail🏛, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.


L'article L. 4121-2 du même code précise que l'employeur met en œuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° Eviter les risques ;

2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral, tel qu'il est défini à l'article L. 1152-1 ;

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.


Les consignes gouvernementales liées à la pandémie de Covid 19 ont évolué en fonction des connaissances scientifiques sur le virus et de la disponibilité des moyens de protection.


Il convient ainsi de se reporter aux consignes gouvernementales relatives au Covid 19 à la date de l'exercice de son droit de retrait par la salariée pour vérifier si l'employeur a respecté l'obligation de sécurité qui pèse sur lui.


Le 2 avril 2020, le ministère du travail a diffusé un document 'Quelles mesures l'employeur doit-il prendre pour protéger la santé de ses salariés face au virus'', dont il ressort que l'employeur devait réévaluer les risques en passant en revue les circonstances dans lesquelles les salariés pouvaient être exposés au virus et mettre en oeuvre les mesures nécessaires pour éviter ou à défaut limiter au plus bas le risque, à savoir le télétravail, l'organisation du travail avec les règles de distanciation sociale, la mise en place d'équipements (écrans, éloignement des guichets...), l'information, la sensibilisation et les consignes de travail.


Ce document mentionnait par ailleurs que le dialogue dans l'entreprise revêtait une importance essentielle.


Les salariés dits à risque devaient être placés en télétravail ou en arrêt de travail.


Les mesures à respecter pour les salariés présents sur site étaient notamment les suivantes:

- respect impératif des règles de distanciation (1 mètre minimum) et des gestes barrières

- l'employeur devait s'assurer que les règles sont effectivement respectées, que savons, gels, mouchoirs étaient approvisionnés et que des sacs poubelles étaient disponibles,

- les réunions devaient être limitées au strict nécessaire,

- les regroupements des salariés dans des espaces réduits devaient être limités,

- en cas de contamination ou de supsicion de contamination, informer les salariés qui avaient été en contact étroit avec le salarié et nettoyer immédiatement les espaces de travail du salarié concerné.


L'employeur produit plusieurs attestations de salariés qui indiquent avoir été destinataires des consignes et des équipements nécessaires pour lutter contre l'épidémie durant la période du confinement. Même si ces attestations ont été rédigées par des salariés ne travaillant pas dans la même boulangerie que Mme [V] [O], il peut être légitimement retenu que l'ensemble des boulangeries de l'employeur ont été destinataires des mêmes consignes et équipements.


Ces éléments viennent accréditer l'attestation de M. [F] [L], responsable boulangerie, qui indique que lui et Mme [X] [J], responsable directe de la salariée, ont informé cette dernière de l'ensemble des mesures sanitaires et des gestes barrières qui devaient être mis en place.


Il sera par ailleurs rappelé qu'aucune obligation n'avait été édictée d'effectuer des réunions d'information.


Ainsi l'employeur a rempli son devoir d'information.


Si la salariée n'a effectivement jamais bénéficié de la visite médicale d'information et de prévention, il convient de rappeler que celle-ci doit intervenir dans un délai n'excédant pas trois mois à compter de la prise effective du poste de travail (article R4624-10 du code du travail🏛), que Mme [V] [O] a été engagée le 14 janvier 2020, qu'à la date du confinement, qui a rendu impossible tout rendez-vous médical non indispensable, le délai de trois mois n'était pas échu. Ainsi l'employeur ne saurait être tenu pour responsable de ce que la salariée n'a pas bénéficié de cette visite entre son embauche et sa prise d'acte de la rupture de son contrat de travail le 9 mai 2020.


Mme [V] [O] soutient que l'employeur n'a pas informé les autres salariés qui ont été en contact avec Mme [X] [J] de la suspicion de contamination au Covid 19 chez cette dernière. Cependant, il résulte des consignes gouvernementales que seuls devaient être informés les salariés qui avaient été en contact étroit avec le salarié concerné. En l'espèce, les plannings transmis par l'employeur permettent de vérifier que ces deux salariées n'ont travaillé ensemble au mois d'avril que le deux avril, soit 10 jours avant la manifestation par Mme [J] de symptômes. Mme [V] [O] ne démontre par ailleurs pas s'être trouvé en contact étroit avec Mme [J], elle ne saurait donc reprocher à l'employeur que celui-ci ne l'ait pas informée de la suspicion de Covid concernant cette dernière.


Par ailleurs, il résulte des attestations produites que les salariés de l'employeur avaient été informés des consignes de nettoyage et de désinfection des locaux. Il n'existait aucune obligation de fermeture des locaux pour désinfection suite à survenance d'une contamination ou d'une suspicion de contamination, puisqu'il était uniquement recommandé de nettoyer les espaces de travail du salarié concerné. Ainsi il peut être considéré que l'employeur a respecté son obligation de sécurité et de protection suite à la déclaration de la suspicion de contamination au Covid deAbMme [J].


Cependant, s'il apparaît au regard des pièces produites et notamment des attestations que l'employeur s'est soucié de faire respecter la distanciation de 1 mètre entre les salariés et les clients et entre les clients, notamment par la limitation du nombre de clients à deux à l'intérieur de l'établissement, la pose de plexiglas et un marquage au sol, celui-ci ne produit aucun élément quant aux mesures qu'il a mise en place pour faire respecter une distanciation de 1 mètre entre les salariés.


Aucune de ces attestations ne mentionne l'adoption de mesures spécifiques de nature à garantir la distanciation sociale de 1 mètre entre les salariés.


Si l'employeur soutient que Mme [V] [O] a toujours travaillé seule comme vendeuse au mois d'avril à l'exception d'une journée, il ne produit au soutien de cette allégation que les plannings de deux autres salariées alors que l'établissement comptait huit salariés.


Or la photographie produite par la salariée de la zone de travail des vendeurs démontre l'étroitesse de celle-ci et l'extrême difficulté si ce n'est l'impossibilité de faire respecter en permanence la distanciation de un mètre entre deux salariés présents au même moment dans cette zone.


Il résulte ainsi de ces constatations que l'employeur ne démontre pas avoir respecté son obligation de sécurité s'agissant du respect de la distanciation minimum de 1 mètre entre les salariés.


Mme [V] [O] soutient avoir subi un préjudice du fait du non respect par l'employeur de son obligation de sécurité, indiquant avoir travaillé dans l'angoisse de la contamination pendant cinq semaines. Elle ne produit cependant aucun élément au soutien de cette allégation. Elle ne démontre ainsi pas avoir subi un quelconque préjudice à ce titre. La décision du conseil de prud'hommes sera donc confirmée en ce qu'elle a débouté la salariée de sa demande de dommages et intérêts.


Sur le droit de retrait


Il résulte des dispositions de l'article L 4131-1 du code du travail🏛 que le travailleur alerte immédiatement l'employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu'il constate dans les systèmes de protection.


Il peut se retirer d'une telle situation.


L'employeur ne peut demander au travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant notamment d'une défectuosité du système de protection.


Il peut être retenu, au regard du haut niveau de contagion de la maladie et des risques qu'elle présentait pour la santé, que le risque de contamination au Covid 19 durant la période de confinement entre mars et mai 2020 constituait un danger grave et imminent pour la vie et la santé des salariés.


L'employeur ne démontre pas avoir rempli son obligation de sécurité s'agissant du respect des règles de distanciation entre salariés.


L'absence de respect des règles de distanciation entre salariés constituait une défectuosité du système de protection de nature à faire courir un danger grave et imminent pour la santé de la salariée.


L'exercice du droit de retrait était donc justifié. La décision du conseil de prud'hommes sur ce point sera infirmée.


Aux termes de l'article L 4131-3 du code du travail🏛, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l'encontre d'un travailleur ou d'un groupe de travailleurs qui se sont retirés d'une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou pour la santé de chacun d'eux.


Mme [V] [O] est ainsi en droit de solliciter un rappel de salaire sur la période du 22 avril au 9 mai 2020 de 923,17 euros brut, outre 92,31 euros brut de congés payés afférents.


Sur la prise d'acte


Il est de jurisprudence constante que le salarié qui reproche à l'employeur des manquements à ses obligations peut prendre acte de la rupture de son contrat. Lorsque le salarié justifie de manquements suffisamment graves de la part de l'employeur pour empêcher la poursuite du contrat de travail, la prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et dans le cas contraire d'une démission

La prise d'acte par la salariée de la rupture de son contrat de travail fait suite au courrier de l'employeur en date du 23 avril 2020 par lequel celui-ci estimait l'exercice de son droit de retrait injustifié, soutenait avoir mis en place les mesures sanitaires préconisées et demandait à la salariée de reprendre son poste.

Le non respect par l'employeur de son obligation de sécurité a justifié l'exercice par la salariée de son droit de retrait.

La prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur est justifié par le refus de ce dernier d'assurer envers la salariée son obligation de sécurité découlant du contrat de travail, manquement suffisamment grave rendant impossible la poursuite des relations contractuelles.

La prise d'acte de Mme [V] [O] produit donc les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

L'employeur sera débouté de sa demande au titre de l'indemnité de préavis.

La salariée est en droit de se voir verser une indemnité de préavis correspondant à une semaine de salaire, soit 360 euros brut, outre 36 euros brut de congés payés afférents.


Par deux arrêts rendus en assemblée plénière le 11 mai 2022 (n°21-14.490 et n°21-15.247⚖️), la chambre sociale de la cour de cassation a considéré que les particuliers ne pouvaient invoquer les dispositions de l'article 24 de la charte sociale européenne devant la juridiction prud'hommale, et que le barême figurant à l'article L 1235-3 du code du travail🏛 était compatible avec l'article 10 de la convention n°158 de l'Organisation Internationale du Travail.

Il convient donc d'appliquer l'article L 1235-3 du code du travail🏛 fixant les montants minimaux et maximaux d'indemnisation au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Mme [V] [O] avait moins d'un an d'ancienneté à la date du licenciement. Elle avait 60 ans. Elle ne produit aucun élément quant à sa situation personnelle et financière à la suite de la rutpure du contrat de travail.

Compte-tenu de ces éléments, il lui sera alloué une somme à ce titre de 1560 euros net.


Sur la remise des documents rectifiés sous astreinte

Compte tenu des développements qui précèdent, la demande tendant à la remise de documents sociaux conformes est fondée et il y est fait droit.

Il n'y a pas lieu de prévoir une astreinte.


Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile🏛

La Sarl Chevallier sera condamné à verser à Mme [V] [O] la somme de 2200 euros au titre de l'article 700 du code de procéure civile, ainsi qu'aux dépens.


Sur les intérêts au taux légal

Il sera rappel qu'en application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil🏛🏛, l'intérêt au taux légal est dû s'agissant du rappel de salaire et de l'indemnité de préavis à compter de la mise en demeure, et s'agissant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à compter de la date du présent arrêt.



PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi ;

DÉCLARE Mme [V] [O] et la Sarl Chevallier recevables en leurs appel et appel incident,

CONFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Chambéry en ce qu'il a :

- débouté Mme [V] [O] de sa demande de dommages et intérêts au titre du non respect de l'obligation de sécurité,

- débouté la Sarl Chevallier de sa demande au titre de l'indemnité de préavis,

INFIRME pour le surplus,

Et statuant à nouveau,

DIT que l'exercice de son droit de retrait par Mme [V] [O] était justifié,

CONDAMNE la Sarl Chevallier à verser à Mme [V] [O] une somme de 923,17 euros brut, outre 92,31 euros brut de congés payés afférents, à titre de rappel de salaire pour la période du 22 avril au 9 mai 2020,

DIT que la prise d'acte par Mme [V] [O] de la rupture de son contrat de travail s'analyse comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la Sarl Chevallier à verser à Mme [V] [O] une somme de :

- 360 euros brut, outre 36 euros brut de congés payés afférents, au titre de l'indemnité de préavis,

- 1560 euros net à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Ordonne la remise des documents de fin de contrat conformes à la présente décision,

Dit n'y avoir lieu à ordonner d'astreinte pour la remise de ces documents rectifiés,

Y ajoutant,

CONDAMNE la Sarl Chevallier aux dépens,

CONDAMNE la Sarl Chevallier à verser à Mme [V] [O] la somme de 2200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛,

RAPPELLE que l'intérêt au taux légal est dû s'agissant du rappel de salaire et de l'indemnité de préavis à compter de la mise en demeure, et s'agissant de l'indemnité pour licenciement sans cuase réelle et sérieuse à compter de la date du présent arrêt.


Ainsi prononcé publiquement le 10 Janvier 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile🏛, et signé par Monsieur Frédéric PARIS, Président, et Madame Capucine QUIBLIER, Greffier pour le prononcé auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.


Le Greffier Le Président

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