Jurisprudence : CE 9 SS, 25-07-2013, n° 352716



CONSEIL D'ETAT


Statuant au contentieux


N°s 352716, 353130


MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA REFORME DE L'ETAT

c/ Société BNP Paribas


M. Jean-Luc Matt, Rapporteur

M. Frédéric Aladjidi, Rapporteur public


Séance du 11 juillet 2013


Lecture du 25 juillet 2013


REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 9ème sous-section)


Vu, 1° sous le n° 352716, le pourvoi, enregistré le 16 septembre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement ; le ministre demande au Conseil d'Etat :


1°) d'annuler les articles 1er et 2 de l'arrêt n° 10VE01062 du 15 juillet 2011 de la cour administrative d'appel de Versailles accordant à la société BNP Paribas la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle sur cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2001, à raison de l'impôt acquitté à Guernesey par la société Paribas Suisse Guernesey Ltd, et réformant en ce sens le jugement n° 0603187 du 4 février 2010 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise ;


2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la société BNP Paribas ;


Vu, 2° sous le n° 353130, le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 4 octobre 2011 et 19 décembre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société BNP Paribas, dont le siège est 16, boulevard des Italiens à Paris (75009), représentée par son président-directeur général ; la société BNP Paribas demande au Conseil d'Etat :


1°) d'annuler l'article 3 de l'arrêt n° 10VE01062 du 15 juillet 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles, après avoir fait partiellement droit à sa requête tendant à l'annulation du jugement n° 0603187 du 4 février 2010 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle sur cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2001, a rejeté le surplus de ses conclusions ;


2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;


3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces des dossiers ;


Vu la note en délibéré, enregistrée le 12 juillet 2013, présentée pour la société BNP Paribas ;


Vu la convention fiscale franco-suisse du 9 septembre 1966 ;


Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;


Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :


- le rapport de M. Jean-Luc Matt, Maître des Requêtes,


- les conclusions de M. Frédéric Aladjidi, rapporteur public ;


La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Tiffreau, Corlay, Marlange, avocat de la société BNP Paribas ;




1. Considérant que les pourvois du ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat et de la société BNP Paribas sont dirigés contre le même arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;


2. Considérant qu'il ressort des pièces des dossiers soumis aux juges du fond que la société BNP Paribas, venant aux droits de la société Paribas International, ayant, conformément aux dispositions de l'article 102 Z de l'annexe II au code général des impôts, déposé une déclaration de résultats à raison de sa participation indirecte dans le capital des sociétés Paribas Suisse Guernesey Ltd, établie à Guernesey, et Paribas Suisse Bahamas Ltd, établie aux Bahamas, a été assujettie, au titre de l'année 2001, à l'impôt sur les sociétés et à la contribution additionnelle sur cet impôt, à hauteur de sa quote-part dans les bénéfices de ces sociétés étrangères ; qu'après avoir vainement réclamé auprès de l'administration contre les impositions ainsi mises à sa charge, la société BNP Paribas a saisi le tribunal administratif de Cergy-Pontoise qui, par un jugement du 4 février 2010, a rejeté sa demande ; que la cour administrative d'appel de Versailles a, par un arrêt du 15 juillet 2011, accordé la décharge des impositions litigieuses à raison des bénéfices réalisés à Guernesey par la société Paribas Suisse Guernesey Ltd et réformé le jugement du tribunal administratif conformément aux motifs de son arrêt ; que la société BNP Paribas se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu'il n'a que partiellement fait droit à sa requête ; que le ministre se pourvoit en cassation contre le même arrêt en tant qu'il a prononcé la décharge d'une partie des impositions en litige ;


3. Considérant qu'aux termes de l'article 209 B du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à l'année d'imposition en litige : " I. Lorsqu'une entreprise passible de l'impôt sur les sociétés détient directement ou indirectement 25 % au moins des actions ou parts d'une société établie dans un Etat étranger ou un territoire situé hors de France dont le régime fiscal est privilégié au sens mentionné à l'article 238 A, cette entreprise est soumise à l'impôt sur les sociétés sur les résultats bénéficiaires de la société étrangère dans la proportion des droits sociaux qu'elle y détient. / Ces bénéfices font l'objet d'une imposition séparée. (.) / II. Les dispositions du I ne s'appliquent pas si l'entreprise établit que les opérations de la société étrangère n'ont pas principalement pour effet de permettre la localisation de bénéfices dans un Etat ou territoire où elle est soumise à un régime fiscal privilégié. Cette condition est réputée remplie notamment : / - lorsque la société étrangère a principalement une activité industrielle ou commerciale effective ; / et qu'elle réalise ses opérations de façon prépondérante sur le marché local " ; qu'aux termes de l'article 238 A du même code alors applicable : " (.) les personnes sont regardées comme soumises à un régime fiscal privilégié dans l'Etat ou le territoire considéré si elles n'y sont pas imposables ou si elles y sont assujetties à des impôts sur les bénéfices ou les revenus notablement moins élevés qu'en France " ;


4. Considérant qu'il résulte de ces dispositions, éclairées par leurs travaux préparatoires, que le législateur a entendu dissuader les entreprises passibles en France de l'impôt sur les sociétés de localiser, pour des raisons principalement fiscales, une partie de leurs bénéfices, au travers de filiales, crées par elles ou par une de leurs filiales dans des pays ou territoires à régime fiscal privilégié au sens de l'article 238 A du même code ; qu'à cette fin, le premier alinéa du I de l'article 209B du code général des impôts prévoit, dans sa rédaction applicable à l'année d'imposition en litige, que dans le cas où une entreprise passible en France de l'impôt sur les sociétés détient, directement ou indirectement, au moins 25 % des actions ou parts d'une société implantée dans un Etat ou territoire à régime fiscal privilégié, elle est normalement soumise à l'impôt sur les sociétés sur les bénéfices de cette société, à proportion des droits qu'elle y détient ; qu'il n'en va autrement, de manière dérogatoire, que si l'entreprise démontre, ainsi que le prévoit le premier alinéa du II de l'article 209 B, que l'implantation de la filiale, détenue directement ou indirectement, dans un pays à régime fiscal privilégié n'a pas, pour la société mère, principalement pour objet d'échapper à l'impôt français ; que si une telle situation peut être présumée, c'est à la double condition, prévue aux deuxième et troisième alinéas du II de l'article 209 B, qu'il soit démontré, d'une part, que la société étrangère exerce à titre principal une activité industrielle ou commerciale effective, et d'autre part, que les opérations qu'elle réalise dans le cadre de cette activité sont effectuées de manière prépondérante sur le marché local, cette dernière notion devant, en tant qu'elle autorise une dérogation à la règle de droit commun, être interprétée strictement ;


Sur le pourvoi de la société BNP Paribas :


5. Considérant, en premier lieu, que contrairement à ce que soutient la société requérante, la cour s'est expressément prononcée sur l'application en l'espèce de la condition prévue par les dispositions précitées du premier alinéa du II de l'article 209 B du code général des impôts, en jugeant à bon droit que cette condition n'était pas remplie ;


6. Considérant, en deuxième lieu, qu'après avoir relevé par une appréciation non arguée de dénaturation que la société Paribas Suisse Bahamas Ltd n'employait aucun personnel et n'exerçait aucune activité durant l'année d'imposition en litige, la cour a pu en déduire, sans entacher son arrêt d'erreur de droit ni d'insuffisance de motivation, que le critère de l'exercice d'une activité industrielle ou commerciale effective mentionné au deuxième alinéa du II de l'article 209 B du code général des impôts n'était pas rempli et écarter comme étant sans incidence sur le litige l'argumentation selon laquelle la société Paribas Suisse Bahamas Ltd aurait exercé une activité commerciale effective au cours d'années antérieures, motif pris du principe d'annualité de l'impôt ;


7. Considérant, en troisième lieu, qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, il ressort des pièces du dossier soumis à la cour qu'au cours de l'année d'imposition en litige la société Paribas Suisse Bahamas Ltd avait le statut local de " banque non active ", ses bénéfices étant alors exclusivement issus du placement de ses fonds propres ; que devant la cour, la société requérante se bornait à se prévaloir, en vue d'établir que les opérations de la société Paribas Suisse Bahamas Ltd n'avaient pas principalement pour effet de permettre la localisation de bénéfices dans un Etat où elle était soumise à un régime fiscal privilégié, de ce que cette société avait été créée à la seule initiative de sa filiale suisse et de ce qu'elle aurait exercé une activité effective de banque privée au cours d'années antérieures à celles en litige ; qu'en jugeant que la société requérante n'apportait aucun autre élément permettant d'apporter la preuve qui lui incombait, la cour n'a entaché son arrêt ni d'insuffisance de motivation, ni d'erreur de droit ;


8. Considérant, en quatrième lieu, que la cour, après avoir relevé que la société requérante avait, comme elle y était tenue en application de l'article 102 Z de l'annexe II au code général des impôts, déposé une déclaration de résultats de sa filiale Paribas Suisse Bahamas, fût-ce " à titre conservatoire " dans le but de contester son imposition sur le fondement de l'article 209 B du code général des impôts, a jugé que l'administration était fondée à mettre en recouvrement les impositions correspondant à cette déclaration sans, au préalable, mettre en œuvre la procédure de redressement contradictoire prévue aux articles L. 55 et suivants du livre des procédures fiscales, dès lors qu'elle n'avait, par hypothèse, procédé à aucun rehaussement d'imposition, la circonstance que la déclaration en cause avait été souscrite au nom de la filiale bahamienne étant sans incidence sur l'obligation légale qu'avait l'administration de recouvrer les impositions litigieuses ; que si la société BNP Paribas soutient que ces motifs seraient entachés de dénaturation et d'erreur de droit, faute pour la cour d'avoir relevé que ces impositions avaient été initialement mises à la charge de la société Paribas International aux droits de laquelle elle vient et qui avait déposé une déclaration au titre de l'article 209 B du code général des impôts, il ressort des pièces du dossier qu'il n'était pas contesté que la déclaration en cause avait été déposée par la société BNP Paris pour le compte de sa filiale bahamienne ; que, par suite, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que l'administration avait pu établir l'imposition litigieuse sans engager une procédure contradictoire d'imposition ; que la société requérante n'est pas non plus fondée à soutenir que par l'arrêt attaqué, rendu à la suite d'un supplément d'instruction ordonné aux fins de s'assurer qu'étaient remplies en l'espèce les conditions d'application du I de l'article 209 B du code général des impôts, la cour a entaché son arrêt de dénaturation en écartant le moyen tiré de ce que la procédure d'imposition aurait été entachée d'irrégularité ;


9. Considérant, en cinquième lieu, qu'ainsi que l'a jugé la cour à bon droit, aucune stipulation de la convention fiscale franco-suisse du 9 septembre 1966 n'est applicable aux impositions en litige, notamment pas le premier alinéa de l'article 7 qui ne vise que les bénéfices réalisés en propre par les entreprises de France ou de Suisse et non ceux réalisés par l'intermédiaire d'une filiale établie dans un Etat tiers, ni en tout état de cause le 1 du A de l'article 25, introduit par l'avenant signé le 22 juillet 1997 et entré en vigueur le 1er août 1998, qui permet explicitement d'écarter le premier alinéa de l'article 7 et de faire application de la loi fiscale nationale ; que la circonstance que la société Paribas Suisse Bahamas Ltd soit en partie détenue par l'intermédiaire de la société Paribas Suisse est par suite sans incidence sur le droit de l'Etat français de mettre en œuvre les dispositions de l'article 209 B du code général des impôts ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que la cour aurait méconnu les stipulations de la convention fiscale franco-suisse ne peut qu'être écarté ;


10. Considérant, en sixième lieu, qu'aux termes de l'article 235 ter ZA du code général des impôts, alors en vigueur : " I. A compter du 1er janvier 1995, pour les exercices clos ou la période d'imposition arrêtée conformément au deuxième alinéa de l'article 37, les personnes morales sont assujetties à une contribution égale à 10 % de l'impôt sur les sociétés calculé sur leurs résultats imposables aux taux mentionnés au I de l'article 219. (.) " ; que cet article a pour objet d'assujettir à la contribution additionnelle qu'il prévoit les personnes morales redevables de l'impôt sur les sociétés pour l'ensemble des sommes soumises à cet impôt entre leurs mains ; que par suite, c'est à bon droit que la cour a jugé que les sommes taxées, dans les conditions prévues à l'article 209 B du code général des impôts, entre les mains de la société requérante, entraient dans l'assiette de la contribution instituée à l'articles 235 ter ZA du même code ;


11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de la société BNP Paribas doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

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