Jurisprudence : Cass. civ. 1, 14-12-2022, n° 21-23.032, F-B, Cassation

Cass. civ. 1, 14-12-2022, n° 21-23.032, F-B, Cassation

A49418ZZ

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Cass. civ. 1, 14-12-2022, n° 21-23.032, F-B, Cassation. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/90681648-cass-civ-1-14122022-n-2123032-fb-cassation
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Abstract

Si, pour apprécier le caractère faible ou élevé du risque dont la réalisation a entraîné le dommage, il a été jugé qu'il y avait lieu de prendre en compte la probabilité de survenance d'un événement du même type que celui qui avait causé le dommage et entraînant une invalidité grave ou un décès (CE, 15 octobre 2018, n° 409585, mentionné aux tables du Recueil Lebon ; CE, 30 novembre 2021, n° 443922, mentionné aux tables du Recueil Lebon ; 1re Civ., 19 juin 2019, pourvoi n° 18-20.883, publié au Bulletin), cette précision vise uniquement à la prise en compte de la probabilité de survenance d'un dommage d'une gravité comparable à celui effectivement subi par le patient et n'affecte pas la condition de gravité du dommage ouvrant droit à réparation, qui est déterminée par les articles L. 1142-1, II, et D. 1142-1 du code de la santé publique


CIV. 1

MY1


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 14 décembre 2022


Cassation


M. CHAUVIN, président


Arrêt n° 898 F-B

Pourvoi n° U 21-23.032


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 14 DÉCEMBRE 2022


Mme [B] [N], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° U 21-23.032 contre l'arrêt rendu le 17 juin 2021 par la cour d'appel de Douai (3e chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), dont le siège est [Adresse 3],

2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut, dont le siège est [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.


Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Mornet, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [N], de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 novembre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Mornet, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.


Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 17 juin 2021), après avoir subi une intervention bariatrique le 26 avril 2010, Mme [Aa] a présenté des fistules ayant nécessité des colostomies et saisi d'une demande d'indemnisation la commission de conciliation et d'indemnisation qui a émis l'avis que les conditions de gravité et d'anormalité du dommage étaient remplies et que la réparation de ses préjudices incombait à hauteur de 50 % à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l'ONIAM).

2. Le 20 novembre 2018, après un échec de la procédure de règlement amiable, en l'absence d'offre d'indemnisation de l'ONIAM, Mme [N] a assigné celui-ci en indemnisation, à hauteur de 50 %, des dommages subis.


Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile🏛, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. Mme [N] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes d'indemnisation, alors « qu'il résulte de l'article L. 1142-1, II, du code de la santé publique🏛 que, lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I de ce texte, ou celle d'un producteur de produits n'est pas engagée, l'ONIAM doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation de dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état ; que, lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible ; que, pour apprécier le caractère faible ou élevé du risque dont la réalisation a entraîné le dommage, il y a lieu de prendre en compte la probabilité de survenance d'un événement du même type que celui qui a causé le dommage et entraînant une invalidité grave ou un décès ; qu'il ne résulte pas de cette règle d'appréciation que le critère de l'anormalité tendant à la fréquence de survenance du risque soit subordonné à la preuve d'une invalidité grave ou d'un décès ; que, pour écarter l'anormalité du dommage, la cour d'appel a retenu que Mme [Aa], qui n'avait pas subi de déficit fonctionnel permanent et n'avait été placée en invalidité de seconde catégorie que selon les critères fixés par le code de la sécurité sociale, ne démontrait pas l'invalidité grave qu'elle avait subie ; qu'en exigeant ainsi la preuve de l'invalidité grave de la patiente, bien que cette preuve ne soit pas requise pour établir l'anormalité du dommage, la cour d'appel a violé l'article L. 1142-1, II, du code de la santé publique🏛. »


Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1142-1, II, et D. 1142-1 du code de la santé publique🏛🏛 :

5. Aux termes du premier de ces textes, lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'incapacité permanente ou de la durée de l'incapacité temporaire de travail.

6. Il s'en déduit qu'une indemnisation au titre de la solidarité nationale est soumise à des conditions distinctes tenant à l'absence de responsabilité, à l'imputabilité du dommage à un acte de prévention, de diagnostic ou de soins, à son anormalité et à sa gravité.

7. S'agissant de la gravité du dommage, le second de ces textes a fixé le taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique à 24 %, tout en admettant aussi un caractère de gravité dans le cas d'un arrêt temporaire des activités professionnelles ou des gênes temporaires constitutives d'un déficit fonctionnel temporaire supérieur ou égal à un taux de 50 % pendant une durée au moins égale à six mois consécutifs ou à six mois non consécutifs sur une période de douze mois ou encore, à titre exceptionnel, dans le cas une inaptitude définitive à l'exercice de l'activité professionnelle antérieure ou de troubles particulièrement graves, y compris d'ordre économique, dans ses conditions d'existence.

8. S'agissant de l'anormalité du dommage, cette condition doit être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. Dans le cas contraire, les conséquences de l'acte médical ne peuvent être considérées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible.

9. Si, pour apprécier le caractère faible ou élevé du risque dont la réalisation a entraîné le dommage, il a été jugé qu'il y avait lieu de prendre en compte la probabilité de survenance d'un événement du même type que celui qui avait causé le dommage et entraînant une invalidité grave ou un décès (CE 15 octobre 2018, n° 409585⚖️, B ; CE 30 novembre 2021, n° 443922⚖️, B ; 1re Civ., 19 juin 2019, pourvoi n° 18-20.883⚖️, publié), cette précision vise uniquement à la prise en compte de la probabilité de survenance d'un dommage d'une gravité comparable à celui effectivement subi par le patient et n'affecte pas la condition de gravité du dommage ouvrant droit à réparation qui est déterminée par les textes susvisés.

10. Pour écarter l'anormalité du dommage et rejeter les demandes d'indemnisation de Mme [Aa], l'arrêt retient que, pour apprécier la probabilité de survenance du dommage, il y a lieu de se fonder sur le risque de survenue d'une fistule entraînant une invalidité grave ou un décès pour la patiente, qu'après sa consolidation, Mme [N] ne présente aucun déficit fonctionnel permanent et n'a été placée en invalidité de seconde catégorie que selon les critères fixés par le code de la sécurité sociale et qu'à défaut d'établir l'anormalité du dommage subi, celle-ci ne remplit pas les conditions nécessaires à son indemnisation au titre de la solidarité nationale.

11. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a soumis l'indemnisation du dommage à l'exigence d'une invalidité grave, a violé les textes susvisés.


PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 17 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai autrement composée ;

Condamne l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile🏛, rejette la demande formée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et le condamne à payer à Mme [N] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze décembre deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour Mme [N].

Madame [N] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que le préjudice qu'elle avait subi ne relevait pas de la solidarité nationale et d'avoir, en conséquence, rejeté ses demandes d'indemnisation formées à ce titre ;

Alors, d'une part, qu'il résulte de l'article L. 1142-1, II, du code de la santé publique🏛 que, lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I de ce texte, ou celle d'un producteur de produits n'est pas engagée, l'ONIAM doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation de dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état ; que, lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible ; que, pour apprécier le caractère faible ou élevé du risque dont la réalisation a entraîné le dommage, il y a lieu de prendre en compte la probabilité de survenance d'un événement du même type que celui qui a causé le dommage et entraînant une invalidité grave ou un décès ; qu'il ne résulte pas de cette règle d'appréciation que le critère de l'anormalité tendant à la fréquence de survenance du risque soit subordonné à la preuve d'une invalidité grave ou d'un décès ; que, pour écarter l'anormalité du dommage, la cour d'appel a retenu que Madame [Aa], qui n'avait pas subi de déficit fonctionnel permanent et n'avait été placée en invalidité de seconde catégorie que selon les critères fixés par le code de la sécurité sociale, ne démontrait pas l'invalidité grave qu'elle avait subie ; qu'en exigeant ainsi la preuve de l'invalidité grave de la patiente, bien que cette preuve ne soit pas requise pour établir l'anormalité du dommage, la cour d'appel a violé l'article L. 1142-1, II, du code de la santé publique🏛 ;

Alors, d'autre part et en tout état de cause, que, pour écarter l'anormalité du dommage, la cour d'appel s'est bornée à relever que Madame [Aa], qui n'avait pas subi de déficit fonctionnel permanent et n'avait été placée en invalidité de seconde catégorie que selon les critères fixés par le code de la sécurité sociale, ne démontrait pas l'invalidité grave qu'elle avait subie ; qu'en statuant ainsi, par des motifs inopérants, sans se prononcer sur la probabilité qu'à l'occasion d'une intervention bariatrique par « by pass », la survenance d'une double fistule, une fistule colique suivie d'une fistule anastomotique, ait conduit à une incapacité fonctionnelle de près de huit mois et à un arrêt de toute activité professionnelle pendant la même durée, la cour d'appel, qui ne s'est ainsi pas prononcée sur la fréquence de survenance du risque nécessaire à l'appréciation de l'anormalité du dommage, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1142-1, II, du code de la santé publique🏛 ;

Alors, enfin et en tout état de cause, que, pour écarter l'anormalité du dommage, la cour d'appel s'est bornée à relever que Madame [Aa], qui n'avait pas subi de déficit fonctionnel permanent et n'avait été placée en invalidité de seconde catégorie que selon les critères fixés par le code de la sécurité sociale, ne démontrait pas l'invalidité grave qu'elle avait subie ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si Madame [Aa] dont il était constant qu'elle avait été atteinte d'un déficit fonctionnel temporaire d'un taux minimal de 75 % pendant près de huit mois et d'un préjudice esthétique permanent, n'était pas, de ce seul fait, atteinte d'une invalidité grave, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1142-1, II, du code de la santé publique🏛.

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