Jurisprudence : TA Dijon, du 29-11-2022, n° 2101532

TA Dijon, du 29-11-2022, n° 2101532

A81098WA

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TA Dijon, du 29-11-2022, n° 2101532. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/90384510-ta-dijon-du-29112022-n-2101532
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Abstract

► Une subvention municipale ne peut être conditionnée à la mention " ne présenter aucun signe communautariste ou de risque d'activité de blanchiment ".



N°s 2101532, 2101534

M. A et a.

LIGUE FRANCAISE POUR LA DEFENSE DES DROITS DE L'HOMME ET DU CITOYEN

M. Z, Rapporteur

M. T, Rapporteur public

Audience du 22 novembre 2022

Décision du 29 novembre 2022

**R ÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
**
Le Tribunal administratif de Dijon

(2ème chambre)



Vu la procédure suivante :

I. Par une requête, enregistrée sous le numéro 2101532 le 8 juin 2021, M. A,
Mme Aa et Mme C, représentés par la société civile professionnelle Chaton,
Grillon, Brocard, Gire, demandent au tribunal :

1°) d'annuler la délibération du 8 avril 2021, par laquelle le conseil
municipal de la commune de Chalon-sur-Saône a approuvé le règlement
d'intervention d'aide à l'implantation commerciale « Boutique tremplin » en
matière d'investissement immobilier et de location de terrains ou d'immeubles
;

2°) de mettre à la charge de la commune de Chalon-sur-Saône la somme de 2 000
euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Ils soutiennent que la délibération attaquée méconnaît le principe
constitutionnel d'égalité et les stipulations des articles 9 et 14 de la
convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 septembre 2021, la commune de
Chalon-sur-Saône, représentée par la société d'exercice libéral à
responsabilité limitée Cabinet d'avocats Philippe Petit et associés, conclut
au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la
charge des requérants au titre de l'article L. 761-1 du code de justice
administrative.

Elle soutient que :

- à titre principal, la requête est irrecevable, dès lors qu'elle n'est pas
accompagnée de la délibération attaquée ;

- à titre subsidiaire, les moyens soulevés par l'association requérante ne
sont pas fondés.

Les parties ont été informées par une lettre du 7 octobre 2022 que cette
affaire était susceptible, à compter du 28 octobre 2022, de faire l'objet
d'une clôture d'instruction à effet immédiat en application des dispositions
de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative🏛.

La clôture de l'instruction a été fixée au 3 novembre 2022 par ordonnance du
même jour.

La commune de Chalon-sur-Saône a présenté un mémoire, enregistré le 18
novembre 2022, postérieurement à la clôture de l'instruction.

II. Par une requête et un mémoire, enregistrés sous le numéro 2101534 les 8
juin et 4 novembre 2021, l'association Ligue française pour la défense des
droits de l'homme et du citoyen, désormais représentée par la société civile
professionnelle d'avocats Clémang & Associés, demande au tribunal :

1°) d'annuler la délibération du 8 avril 2021, par laquelle le conseil
municipal de la commune de Chalon-sur-Saône a approuvé le règlement
d'intervention d'aide à l'implantation commerciale « Boutique tremplin » en
matière d'investissement immobilier et de location de terrains ou d'immeubles
;

2°) de mettre à la charge de la commune de Chalon-sur-Saône la somme de 2 000
euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Elle soutient que :

- elle a intérêt à agir ;

- la délibération attaquée méconnaît les principes de clarté et
d'intelligibilité de la norme, dès lors que les notions de « signe
communautariste » et de « risque d'activité de blanchiment » sont
manifestement imprécises et sujettes à arbitraire ;

- l'article 3 du règlement d'intervention constitue une rupture d'égalité de
traitement fondée sur l'appartenance à une origine, une race ou une religion ;

- il peut également engendrer un traitement discriminatoire, prohibé par
l'article 423-7 du code pénal.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 septembre 2021, la commune de
Chalon-sur-Saône, représentée par la société d'exercice libéral à
responsabilité limitée Cabinet d'avocats Philippe Petit et associés, conclut
au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la
charge de l'association Ligue française pour la défense des droits de l'homme
et du citoyen au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛

Elle soutient que :

- à titre principal, l'association requérante est dépourvue de tout intérêt à
agir, tant du point de vue de son objet, que de son ressort géographique ;

- à titre subsidiaire, les moyens soulevés par l'association requérante ne
sont pas fondés.

Les parties ont été informées par une lettre du 18 octobre 2021 que cette
affaire était susceptible, à compter du 15 novembre 2021, de faire l'objet
d'une clôture d'instruction à effet immédiat en application des dispositions
de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative🏛.

La clôture de l'instruction a été fixée au 1er mars 2022 par ordonnance du
même jour.

La commune de Chalon-sur-Saône a présenté un mémoire, enregistré le 18
novembre 2022, postérieurement à la clôture de l'instruction.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la Constitution, et notamment son préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des
libertés fondamentales ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Ab,

- les conclusions de M. T, rapporteur public,

- et les observations de Me K, représentant l'association Ligue française
pour la défense des droits de l'homme et du citoyen, et celles de Me L,
représentant la commune de Chalon-sur-Saône.

Considérant ce qui suit :

1. Faisant usage de la possibilité offerte par l'article L. 1511-3 du code
général des collectivités territoriales, la commune de Chalon-sur-Saône a
souhaité mettre en place un dispositif d'aide à l'implantation de nouveaux
commerces en centre-ville, consistant à octroyer aux petites entreprises une
subvention d'un montant de 30 % du loyer du local commercial pendant la
première année de son occupation, sous certaines conditions et dans certaines
limites. Ainsi, par une délibération du 8 avril 2021, le conseil municipal de
la commune de Chalon-sur-Saône a approuvé le règlement d'intervention d'aide à
l'implantation commerciale « Boutique tremplin » en matière d'investissement
immobilier et de location de terrains ou d'immeubles. Tant ce règlement que la
délibération mentionnent notamment, au nombre des objectifs visés, la lutte
contre le communautarisme et le blanchiment. L'article 3 de ce règlement
mentionne, au nombre des conditions d'éligibilité à cette aide, « ne présenter
aucun signe communautariste ou de risque d'activité de blanchiment ». Eu égard
à la portée de leur argumentation, par la première requête susvisée, M. A, Mme
Aa et Mme C, conseillers municipaux de la commune de Chalon-sur-Saône, doivent
être regardés comme demandant au juge de l'excès de pouvoir d'annuler les mots
« aucun signe communautariste ou » figurant au dernier alinéa de l'article 3
du règlement d'intervention. Eu égard à la portée de son argumentation, par la
seconde requête susvisée, l'association Ligue française pour la défense des
droits de l'homme et du citoyen doit être regardée comme demandant au juge de
l'excès de pouvoir d'annuler le dernier alinéa de l'article 3 du règlement
d'intervention.

2. Les requêtes de M. A, Mme Aa et Mme C et de l'association Ligue française
pour la défense des droits de l'homme et du citoyen sont dirigées contre la
même décision et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de
les joindre pour statuer par un seul jugement.

Sur les fins de non-recevoir soulevées en défense par la commune de Chalon-
sur-Saône :

3. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article R. 412-1 du
code de justice administrative : « La requête doit, à peine d'irrecevabilité,
être accompagnée, sauf impossibilité justifiée, de l'acte attaqué (...) ».

4. Il ressort des pièces du dossier que si la demande de M. A et de Mmes B et
C, dirigée contre la délibération du 8 avril 2021, par laquelle le conseil
municipal de la commune de Chalon-sur-Saône a approuvé le règlement
d'intervention d'aide à l'implantation commerciale « Boutique tremplin » en
matière d'investissement immobilier et de location de terrains ou d'immeubles,
n'était pas accompagnée d'une copie de ce document, les requérants ont produit
cette délibération le 1er mars 2022, avant la clôture de l'instruction, et ont
ainsi régularisé leur requête. Par suite, la fin de non-recevoir soulevée par
la commune de Chalon-sur-Saône doit être écartée.

5. En deuxième lieu, si, en principe, le fait qu'une décision administrative
ait un champ d'application territorial fait obstacle à ce qu'une association
ayant un ressort national justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour en
demander l'annulation, il peut en aller autrement lorsque la décision soulève,
en raison de ses implications, notamment dans le domaine des libertés
publiques, des questions qui, par leur nature et leur objet, excèdent les
seules circonstances locales. Eu égard, d'une part, à l'objet social de
l'association requérante qui est notamment de combattre « l'injustice,
l'illégalité, l'arbitraire, l'intolérance, toute forme de racisme et de
discrimination fondée sur le sexe, l'orientation sexuelle, les mœurs, l'état
de santé ou le handicap, les opinions politiques, philosophiques et
religieuses, la nationalité, et plus généralement toute atteinte au principe
fondamental d'égalité entre les êtres humains ( ) », et d'autre part, eu égard
à la circonstance que le litige soumis au tribunal, susceptible d'être
rencontré dans d'autres communes, revêt une portée excédant son seul objet
local, l'association Ligue française pour la défense des droits de l'homme et
du citoyen doit être regardée, dans les circonstances de l'espèce, comme
justifiant d'un intérêt lui donnant qualité pour en demander l'annulation. Par
suite, la fin de non-recevoir opposée en défense par la commune de Chalon-sur-
Saône doit être écartée.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

6. En premier lieu, l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et
d'intelligibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la
Déclaration de 1789, impose, afin de prémunir les sujets de droit contre une
interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire,
d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non
équivoques. Le moyen tiré de la violation de cet objectif est opérant à
l'encontre d'une disposition à caractère réglementaire.

7. En l'espèce, le règlement d'intervention litigieux prévoit, au nombre des
conditions cumulatives d'éligibilité au régime d'aide qu'institue la
délibération attaquée, le fait de « ne présenter aucun signe communautariste
». S'il était loisible au conseil municipal de la commune de Chalon-sur-Saône
de subordonner l'octroi de l'aide, notamment au respect des conditions légales
d'exercice de l'activité commerciale envisagée, il n'a pas, en faisant
référence, sans autre précision, au « communautarisme », qui constitue une
notion polysémique, et qui n'est définie par aucun texte, et en se bornant à
exiger que le commerce ne présente pas de « signes » de communautarisme, sans
préciser notamment ce que sont ces signes, ou la manière de les identifier,
adopté des dispositions permettant de déterminer avec suffisamment de
précision les comportements ou pratiques justifiant l'inéligibilité au régime
d'aide qu'il a entendu édicter. Dès lors, les mots « aucun signe
communautariste », figurant au dernier alinéa du paragraphe 3 du règlement
d'intervention litigieux, qui sont trop imprécis, méconnaissent, comme le
soutient à juste titre l'association requérante, l'objectif de valeur
constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi. Par suite,
sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens des requêtes au
soutien de ces conclusions, les requérants sont fondés à demander l'annulation
des mots « aucun signe communautariste ou », figurant au dernier alinéa du
paragraphe 3 du règlement d'intervention annexé à la délibération du 8 avril
2021.

8. Au contraire, le délit de blanchiment est défini à l'article 324-1 du code
pénal. La notion de « risque de blanchiment » figure notamment aux articles L.
561-4-1 et R. 561-2 du code monétaire et financier. Son identification par les
personnes mentionnées à l'article L. 561-2 de ce code, est définie par
l'arrêté du 2 septembre 2009 pris en application de l'article R. 561-2 du code
monétaire et financier. Par suite, sans qu'ait d'incidence la circonstance que
la commune de Chalon-sur-Saône ne soit pas au nombre des personnes mentionnées
à l'article L. 561-2 du code monétaire et financier🏛, l'utilisation de cette
notion ne méconnaît pas l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité
et d'intelligibilité de la loi.

9. En deuxième lieu, les moyens, soulevés par la seule association
requérante, tirés de la méconnaissance du principe d'égalité et de l'existence
d'un traitement discriminatoire, prohibé par l'article 423-7 du code pénal, en
tant qu'ils sont dirigés contre les mots « risque d'activité de blanchiment »,
ne sont pas assortis des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

10. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants sont seulement
fondés à demander l'annulation des mots « aucun signe communautariste ou »,
figurant au dernier alinéa du paragraphe 3 du règlement d'intervention annexé
à la délibération du 8 avril 2021, par laquelle le conseil municipal de la
commune de Chalon-sur-Saône a approuvé le règlement d'intervention d'aide à
l'implantation commerciale « Boutique tremplin » en matière d'investissement
immobilier et de location de terrains ou d'immeubles, et que le surplus de
leurs conclusions à fin d'annulation doit être rejeté.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L.
761-1 du code de justice administrative :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛
font obstacle à ce que soient mises à la charge de l'association Ligue
française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen, ou de M. A et
Mmes B et C, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance,
les sommes que la commune de Chalon-sur-Saône demande

au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en
revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de
la commune de Chalon-sur-Saône une somme de 1 500 euros au titre des frais
exposés par l'association Ligue française pour la défense des droits de
l'homme et du citoyen et non compris dans les dépens. Enfin, il n'y a pas
lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune
de Chalon-sur-Saône la somme que M. A et Ac Aa et C demandent au titre des
frais exposés et non compris dans les dépens.


DECIDE :

Article 1er : Les mots « aucun signe communautariste ou » figurant au dernier
alinéa de l'article 3 du règlement d'intervention d'aide à l'implantation
commerciale « Boutique tremplin » en matière d'investissement immobilier et de
location de terrains ou d'immeubles, approuvé par la délibération du 8 avril
2021 du conseil municipal de la commune de Chalon-sur-Saône, sont annulés.

Article 2 : La commune de Chalon-sur-Saône versera à l'association Ligue
française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen une somme de 1
500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de l'association Ligue
française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen est rejeté.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A et de Mmes B et C
est rejeté.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à M. A, à Mme Aa, à Mme C, à
l'association Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du
citoyen et à la commune de Chalon-sur-Saône.

Copie en sera adressée au préfet de Saône-et-Loire et au préfet de la région
Bourgogne-Franche-Comté.


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