Jurisprudence : CAA Paris, 3e, 15-11-2022, n° 22PA00940


Références

Cour administrative d'appel de Paris

N° 22PA00940

3ème chambre
lecture du 15 novembre 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société SNCF Réseau a demandé au tribunal administratif de Melun d'enjoindre à M. A et à tous occupants de son chef de quitter sans délai le local situé à Chelles qu'il occupe sans titre depuis 2003 et de restituer les clés de ce local après l'avoir remis en état, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la notification du jugement à intervenir ou, à défaut, de l'autoriser à procéder à son expulsion à ses frais, risques et périls avec l'assistance d'un huissier et au besoin avec le concours de la force publique et de condamner M. A à lui verser la somme de 380 800 euros en réparation du préjudice subi, augmentée des intérêts de droit.

Par un jugement n°2000388 du 6 janvier 2022, le tribunal administratif de Melun a enjoint à M. A et à tous occupants de son chef, de libérer sans délai l'entrepôt et le terrain adjacent qu'ils occupent sur la parcelle cadastrée AZ n° 107 située à Chelles, de restituer sans délai les clés permettant d'y accéder et de remettre les lieux en état, a prononcé à l'encontre de M. A une astreinte de 50 euros par jour s'il n'est pas justifié de l'exécution du jugement dans le délai d'un mois à compter de sa notification, enfin, a condamné M. A à verser à la société SNCF Réseau, au titre des indemnités d'occupation sans droit ni titre pour la période du 1er janvier 2014 jusqu'à la date du jugement, la somme de 173 275,97 euros avec intérêts au taux légal à compter du 14 janvier 2020.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 28 février 2022, M. A représenté par Me Winter, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement, en ce qu'il l'a condamné à verser à la société SNCF Réseau, au titre des indemnités d'occupation sans droit ni titre pour la période du 1er janvier 2014 jusqu'à la date du jugement, la somme de 173 275,97 euros avec intérêts au taux légal à compter du 14 janvier 2020 ;

2°) de mettre à la charge de la société SNCF Réseau le versement de la somme de

2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Il soutient que :

- la redevance d'occupation sans titre du domaine public est soumise à la prescription quinquennale de l'article L 2321-4 du code général de la propriété des personnes publiques🏛 et que la créance à la supposée existante, n'est exigible que depuis le mois de janvier 2015 ;

- il a volontairement quitté les lieux le 17 janvier 2022, ce qui démontre sa bonne foi ;

- aucune facture ou évaluation du préjudice subi par la société SNCF Réseau n'est produite ; par suite, le montant demandé ne repose sur aucun élément porté à l'appréciation de la Cour ;

- le tribunal a commis une erreur manifeste d'appréciation en le condamnant à indemniser la société SNCF Réseau alors que la société DAC avait conclu un contrat de mise à disposition du domaine public et cette société a mis à son tour à disposition de la société ASD l'entrepôt situé sur le terrain ; par suite, l'occupation a déjà fait l'objet d'une compensation financière pour la SNCF qui n'a subi aucun préjudice économique alors qu'au contraire, il a entretenu le terrain à ses frais pensant des années ; de plus, avant son courrier d'octobre 2019, il n'a jamais reçu la moindre demande de la part la société SNCF Réseau de quitter les lieux.

Par un mémoire en défense enregistré le 14 avril 2022, la société SNCF Réseau, représentée par Me Amson, conclut au rejet de la requête et à la condamnation de M. A à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛, ainsi qu'aux dépens incluant les frais d'huissier.

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B,

- les conclusions de Mme Pena, rapporteure publique,

- et les observations de Me Amson, avocat de la société SNCF Réseau.

Considérant ce qui suit :

1. M. C A exploite une entreprise spécialisée dans l'entretien et la réparation de véhicules automobiles à l'enseigne " Auto Service Domicile " (ASD), était implantée à l'époque des faits litigieux à Chelles (Seine-et-Marne) sur la parcelle cadastrée AZ n° 107 et y occupait un entrepôt de 158 m2 ainsi qu'un terrain adjacent de 402 m2, cette parcelle étant incluse dans l'emprise de la gare de triage Vaires-Torcy et équipée depuis 1974 d'un dépôt relié à un faisceau de voies ferrées. La société SNCF Réseau, en sa qualité de gestionnaire du domaine public ferroviaire de l'Etat, a demandé au tribunal administratif de Melun d'enjoindre à M. A de quitter sans délai le local situé à Chelles qu'il occupait sans titre depuis 2003 et de restituer les clés de ce local après l'avoir remis en état, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la notification du jugement à intervenir ou, à défaut, de l'autoriser à procéder à son expulsion à ses frais, risques et périls avec l'assistance d'un huissier et au besoin avec le concours de la force publique et de condamner M. A à lui verser la somme de 380 800 euros en réparation du préjudice subi, augmentée des intérêts de droit. M. A, qui a volontairement quitté les lieux le 17 janvier 2022, relève appel du jugement du 6 janvier 2022 en tant que le tribunal l'a condamné à verser à la société SNCF Réseau, au titre des indemnités d'occupation sans droit ni titre pour la période du 1er janvier 2014 jusqu'à la date du jugement, la somme de de 173 275,97 euros avec intérêts au taux légal à compter du 14 janvier 2020.

Sur les conclusions de M. A :

En ce qui concerne la prescription :

2. M. A soutient que la redevance d'occupation sans titre du domaine public est soumise à la prescription quinquennale de l'article L 2321-4 du code général de la propriété des personnes publiques🏛 et que la créance, à la supposée existante, n'est exigible que depuis le mois de janvier 2015.

3. Il résulte des dispositions de l'article L. 2321-4 du code général de la propriété des personnes publiques🏛 que la prescription quinquennale commence à courir à compter de la date à laquelle les produits et redevances sont devenus exigibles. En application du principe d'annualité issu de l'article L. 2125-4 du même code🏛 et dont il y a lieu de faire application aux indemnités dues au titre de l'occupation sans titre du domaine public, celles-ci deviennent exigibles à l'issue de chaque période annuelle. Il en résulte que le point de départ de la prescription quinquennale de la redevance au titre de l'occupation sans titre du domaine public pour l'année 2014 était le 1er janvier 2015. Par suite, à la date du procès-verbal constatant cette occupation, soit le 25 juillet 2019, la redevance au titre de l'année 2014 n'était pas prescrite. Il en résulte que M. A n'est pas fondé à soutenir que la prescription de sa créance s'étendait à l'année 2014.

En ce qui concerne le principe de l'indemnisation :

4. D'une part, l'occupation sans droit ni titre d'une dépendance du domaine public constitue une faute commise par l'occupant et qui l'oblige à réparer le dommage causé au gestionnaire de ce domaine par cette occupation irrégulière. Si l'autorité gestionnaire du domaine public n'a pas mis en demeure l'occupant irrégulier de quitter les lieux, ne l'a pas invité à régulariser sa situation ou a entretenu à son égard une ambiguïté sur la régularité de sa situation, ces circonstances sont de nature, le cas échéant, à constituer une cause exonératoire de la responsabilité de l'occupant, dans la mesure où ce comportement du gestionnaire serait constitutif d'une faute, mais elles ne sauraient faire obstacle, dans son principe, au droit du gestionnaire du domaine public à la réparation du dommage résultant de cette occupation irrégulière.

5. D'autre part, une personne publique est fondée à réclamer à l'occupant sans titre de son domaine public, au titre de la période d'occupation irrégulière, une indemnité compensant les revenus qu'elle aurait pu percevoir d'un occupant régulier pendant cette période. A cette fin, elle doit rechercher le montant des redevances qui auraient été appliquées si l'occupant avait été placé dans une situation régulière, soit par référence à un tarif existant, lequel doit tenir compte des avantages de toute nature procurés par l'occupation du domaine public, soit, à défaut de tarif applicable, par référence au revenu, tenant compte des mêmes avantages, qu'aurait pu produire l'occupation régulière de la partie concernée du domaine public.

6. En premier lieu, M. A, qui ne conteste pas devant la Cour avoir occupé sans droit ni titre une parcelle et un local appartenant au domaine public ferroviaire de l'Etat, fait valoir sa bonne foi dès lors que par un courrier du 26 novembre 2007, la société DAC l'avait autorisé à utiliser les lieux à titre gracieux et qu'il a exercé son activité professionnelle en toute légalité. Toutefois, ces circonstances ne sauraient faire obstacle, dans son principe, au droit du gestionnaire du domaine public à la réparation du dommage résultant de cette occupation irrégulière.

7. En deuxième lieu, M. A soutient que cette occupation irrégulière n'a entraîné aucun préjudice économique pour la société SNCF Réseau dès lors qu'elle a déjà fait l'objet d'une compensation financière par la société DAC et qu'il a entretenu le terrain à ses frais pendant des années. Toutefois, il résulte des pièces produites par la société SNCF Réseau que la société DAC a cessé de verser tout loyer à compter de 2011. Si M. A soutient également que l'évaluation du préjudice subi par la société SNCF Réseau ne repose, en l'absence de toute facture, sur aucun élément, la société SNCF Réseau a produit un tableau des ratios des redevances d'occupation en Ile-de-France dont il résulte que le coût d'occupation d'un entrepôt d'une surface de 158 m² situé sur terrain en Grande Couronne parisienne peut être évalué à 12 671,60 euros par an sur la base d'un prix de 80,20 euros par m2 HT et que le coût d'occupation d'un terrain à ciel ouvert de 402 m2 peut être évalué à

6 030 euros par an sur la base d'un prix de 15 euros HT par m2, soit une somme totale de 18 701 euros HT et 22 440 euros TTC par an (61,48 euros TTC par jour). Il en résulte que le montant du préjudice subi par SNCF Réseau, qui s'étend du 1er janvier 2014 au 16 janvier 2022 dès lors qu'il résulte de l'instruction que M. A a quitté les lieux le 17 janvier 2022, s'élève à la somme de 129 046,52 euros pour la période du 1er janvier 2014 au 1er octobre 2019 (2 099 jours) et de 51 458,76 euros pour la période du 2 octobre 2019 au 16 janvier 2022 (837 jours).

En ce qui concerne la cause exonératoire :

8. M. A fait valoir qu'avant le courrier du 1er octobre 2019, il n'a jamais reçu la moindre demande de la part de la société SNCF Réseau de quitter les lieux et que la " passivité " de cette dernière pendant seize années constitue une cause exonératoire de sa responsabilité. Il résulte, en effet, de l'instruction qu'en contribuant par son inertie au maintien d'une situation ambigüe quant à l'occupation irrégulière de la parcelle lui appartenant et à l'allongement subséquent de la période durant laquelle les lieux n'ont pas été complètement libérés, SNCF Réseau a commis une faute de nature à atténuer la responsabilité de M. A jusqu'à l'envoi du courrier précité, à hauteur de la moitié du préjudice subi. En conséquence, il y a lieu de ramener l'indemnité due pour la période du 1er janvier 2014 au

1er octobre 2019 à la somme de 64 523,26 euros.

9. Il résulte de tout ce qui précède que le montant de la condamnation mise à la charge de M. A doit être ramenée à la somme de 115 982,02 euros (64 523,26 + 51 458,76 euros).

Sur les intérêts de retard :

10. Il y a lieu d'assortir la somme de 115 982,02 euros que M. A est condamné à verser à SNCF Réseau par le présent arrêt, des intérêts au taux légal à compter du

14 janvier 2020, date d'enregistrement de la requête de SNCF Réseau devant le tribunal administratif.

Sur les frais d'huissier de justice :

11. Il y a lieu de faire droit à la demande de la société SNCF Réseau tendant au remboursement des frais d'huissier d'un montant total de 350 euros selon la facture du

19 août 2019 produite devant la Cour.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛 font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société SNCF Réseau, qui n'est pas à titre principal la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. A demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de M. A une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société SNCF Réseau et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : M. A est condamné à verser à la société SNCF Réseau, au titre des indemnités d'occupation du domaine public sans droit ni titre pour la période du 1er janvier 2014 au 16 janvier 2022, la somme de 115 982,02 euros avec intérêts au taux légal à compter du 14 janvier 2020 et une somme de 350 euros au titre des frais d'huissier de justice exposés par la société SNCF Réseau.

Article 2 : Le jugement n°2000388 du 6 janvier 2022 du tribunal administratif de Melun est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : M. A versera à la société SNCF Réseau une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C A et à la société SNCF Réseau.

Délibéré après l'audience du 18 octobre 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Marianne Julliard, présidente assesseure,

- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère ;

- Mme Gaëlle Dégardin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 novembre 2022.

La présidente-rapporteure,

M. BL'assesseure la plus ancienne,

G. MORNET

La greffière,

N. DAHMANI

La République mande et ordonne au préfet de Seine-et-Marne en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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