Jurisprudence : Décision n°92-312 DC du 02-09-1992

Décision n°92-312 DC du 02-09-1992

A8256ACR

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CONSEIL CONSTITUTIONNEL

Décision n°92-312 DC du 02-09-1992


Publié au Journal officiel du 3 septembre 1992
Rec. p. 76

Traité sur l'Union europénne


Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 14 août 1992, par MM Charles Pasqua, Jean Chamant, Maurice Couve de Murville, Michel Poniatowski, Maurice Schumann, Bernard Barbier, Philippe de Gaulle, Christian de La Malène, Bernard Sellier, Christian Poncelet, Henri de Raincourt, Yves Guéna, Mme Hélène Missoffe, MM Michel Alloncle, Hubert d'Andigné, Honoré Bailet, Jacques Bérard, Roger Besse, Amédée Bouquerel, Jacques Braconnier, Mme Paulette Brisepierre, MM Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Jean-Pierre Camoin, Auguste Cazalet, Gérard César, Michel Chauty, Henri Collette, Charles de Cuttoli, Michel Doublet, Franz Duboscq, Alain Dufaut, Pierre Dumas, Marcel Fortier, Philippe François, François Gerbaud, Charles Ginesy, Mme Marie-Fanny Gournay, M Georges Gruillot, Mme Nicole de Hautecloque, MM Emmanuel Hamel, Bernard Hugo, Roger Husson, André Jarrot, Gérard Larcher, René-Georges Laurin, Marc Lauriol, Jean-François Le Grand, Maurice Lombard, Michel Maurice-Bokanowski, Jacques de Menou, Lucien Neuwirth, Geoffroy de Montalembert, Arthur Moulin, Jean Natali, Paul d'Ornano, Joseph Osterman, Jacques Oudin, Sosefo Makapé Papilio, Alain Pluchet, Claude Prouvoyeur, Roger Rigaudière, Jean-Jacques Robert, Mme Nelly Rodi, MM Jean Simonin, Jacques Sourdille, Martial Taugourdeau, Jacques Valade, Serge Vinçon, André-Georges Voisin, sénateurs, en application de l'article 54 de la Constitution dans sa rédaction issue de l'article 2 de la loi constitutionnelle n° 92-554 du 25 juin 1992, à l'effet de " se prononcer sur la conformité du traité de Maastricht " à la Constitution ;


Le Conseil constitutionnel,

Vu la Constitution du 4 octobre 1958 ;


Vu le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ;


Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 18, alinéa 2, 19 et 20 ;


Vu le traité sur l'Union européenne signé à Maastricht le 7 février 1992 ;


Vu la décision n° 92-308 DC du 9 avril 1992 ;


Vu la loi constitutionnelle n° 92-554 du 25 juin 1992 ajoutant à la Constitution un titre :
" Des communautés européennes et de l'Union européenne ", notamment ses articles 2 et 5 ;


Le rapporteur ayant été entendu ;


Considérant que le traité sur l'Union européenne a été signé le 7 février 1992 à Maastricht par les plénipotentiaires de douze Etats ;
que les représentants de la République française ont apposé leur signature au bas de ce traité ;
qu'ont été également arrêtés des protocoles ainsi qu'un ensemble de déclarations ;


Considérant qu'à la date du 11 mars 1992 le Président de la République a, sur le fondement de l'article 54 de la Constitution, saisi le Conseil constitutionnel de la question de savoir si, compte tenu des engagements souscrits par la France et des modalités de leur entrée en vigueur, l'autorisation de ratifier le traité sur l'Union européenne devait être précédée d'une révision de la Constitution ;


Considérant que le Conseil constitutionnel a, par une décision motivée rendue le 9 avril 1992, jugé que l'autorisation de ratifier en vertu d'une loi le traité sur l'Union européenne ne pouvait intervenir qu'après révision de la Constitution ;


Considérant qu'aux termes de l'article 62 in fine de la Constitution, " les décisions du Conseil constitutionnel s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles " ;
que l'autorité des décisions visées par cette disposition s'attache non seulement à leur dispositif mais aussi aux motifs qui en sont le soutien nécessaire et en constituent le fondement même ;


Considérant que lorsque le Conseil constitutionnel, saisi en application de l'article 54 de la Constitution, a décidé que l'autorisation de ratifier en vertu d'une loi un engagement international est subordonnée à une révision constitutionnelle, la procédure de contrôle de contrariété à la Constitution de cet engagement, instituée par l'article précité, ne peut être à nouveau mise en uvre, sauf à méconnaître l'autorité qui s'attache à la décision du Conseil constitutionnel conformément à l'article 62, que dans deux hypothèses ;
d'une part, s'il apparaît que la Constitution, une fois révisée, demeure contraire à une ou plusieurs stipulations du traité ;
d'autre part, s'il est inséré dans la Constitution une disposition nouvelle qui a pour effet de créer une incompatibilité avec une ou des stipulations du traité dont s'agit ;


Considérant que c'est au regard de ces principes qu'il y a lieu d'examiner l'argumentation des auteurs de la saisine ;

Sur l'argumentation selon laquelle le traité n'est pas en état d'être ratifié :

Considérant que les auteurs de la saisine relèvent que, conformément à son article R, le traité sur l'Union européenne ne peut entrer en vigueur que si tous les cocontractants l'ont ratifié ;
qu'au vu des résultats du référendum effectué le 2 juin 1992 dans un des Etats signataires, ils soutiennent que le traité signé le 7 février 1992 n'est pas, en l'état, susceptible d'être ratifié ;
qu'ils invitent le Conseil constitutionnel à solliciter l'avis d'experts internationaux et des institutions communautaires sur les conséquences juridiques de cette situation ;
qu'ils demandent que le Conseil se prononce sur les conditions dans lesquelles " le traité ratifié pourrait entrer en vigueur " ;
que dans leurs dernières observations les saisissants déduisent de l'absence de sa ratification par un Etat signataire que le traité sur l'Union européenne ne peut être ratifié par la France sans que se trouvent méconnues les dispositions du quatorzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 qui font obligation à la République française de se conformer " aux règles du droit public international " ;


Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 52 de la Constitution, " le Président de la République négocie et ratifie les traités " ;
qu'en vertu du second alinéa du même article, " il est informé de toute négociation tendant à la conclusion d'un accord international non soumis à ratification " ;
que les traités qui sont énumérés au premier alinéa de l'article 53 de la Constitution " ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu'en vertu d'une loi " ;
qu'il est spécifié au deuxième alinéa de l'article 53 que les engagements internationaux mentionnés à l'alinéa précédent " ne prennent effet qu'après avoir été ratifiés ou approuvés " ;


Considérant que, dans sa rédaction issue de la loi constitutionnelle n° 92-554 du 25 juin 1992, l'article 54 de la Constitution dispose que :
" Si le Conseil constitutionnel, saisi par le Président de la République, par le Premier ministre, par le président de l'une ou l'autre assemblée ou par soixante députés ou soixante sénateurs, a déclaré qu'un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, l'autorisation de ratifier ou d'approuver l'engagement international en cause ne peut intervenir qu'après la révision de la Constitution " ;


Considérant qu'il résulte de ces dispositions qu'un engagement international peut être soumis au Conseil constitutionnel sur le fondement de l'article 54 de la Constitution dès lors qu'il a été signé au nom de la République française et avant que ne soit adopté, dans l'ordre juridique interne, le texte qui en autorise la ratification ou l'approbation ;
que la recevabilité d'une saisine opérée en vertu de l'article 54 n'est en aucune façon tributaire du processus de ratification de l'engagement international en cause dans les autres Etats qui en sont signataires ;
que cette recevabilité ne dépend pas davantage de la réalisation des conditions mises à l'entrée en vigueur d'un traité au plan international ;


Considérant qu'il est constant que le traité sur l'Union européenne a été signé au nom de la République française le 7 février 1992 ;
qu'à la date de la présente décision n'a pas été adoptée la loi qui en autorise la ratification ;
que les auteurs de la saisine sont par suite recevables à soumettre cet engagement international au Conseil constitutionnel par application de l'article 54 de la Constitution ;


Considérant que les arguments tirés par eux de l'état d'avancement du processus de ratification du traité dans d'autres pays ainsi que des conditions de son entrée en vigueur sont sans influence sur l'existence même de l'engagement international qu'ils défèrent au juge constitutionnel ;
qu'en conséquence il revient au Conseil constitutionnel d'exercer, dans le respect de la chose jugée par sa décision du 9 avril 1992, son contrôle sur le point de savoir si l'autorisation de ratifier le traité sur l'Union européenne doit ou non être précédée, dans l'ordre juridique national, d'une révision de la Constitution ;
que l'exercice par le Conseil constitutionnel d'un tel contrôle, destiné à produire effet dans l'ordre interne, ne contrevient nullement aux règles du droit public international ;


Considérant dès lors, et sans qu'il soit besoin pour le Conseil constitutionnel d'ordonner le supplément d'instruction sollicité, que le moyen tiré de ce que le traité sur l'Union européenne ne serait pas en état d'être ratifié ne peut qu'être écarté ;

Sur les stipulations du traité relatives au droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales :

Considérant qu'aux termes du paragraphe 1 de l'article 8 B ajouté au traité instituant la Communauté européenne par l'article G du traité sur l'Union européenne, " tout citoyen de l'Union résidant dans un Etat membre dont il n'est pas ressortissant a le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales dans l'Etat membre où il réside, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet Etat. Ce droit sera exercé sous réserve des modalités à arrêter avant le 31 décembre 1994 par le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen ;
ces modalités peuvent prévoir des dispositions dérogatoires lorsque des problèmes spécifiques à un Etat membre le justifient " ;


Considérant que par sa décision du 9 avril 1992 le Conseil constitutionnel a jugé que le quatrième alinéa de l'article 3 de la Constitution, rapproché tant du troisième alinéa du même article que des articles 24 et 72 de la Constitution, implique que seuls les " nationaux français " ont le droit de vote et d'éligibilité aux élections en vue de la désignation de l'organe délibérant d'une collectivité territoriale de la République, et notamment de celle des conseillers municipaux ou des membres du Conseil de Paris ;
qu'en l'état, l'article 8 B, paragraphe 1, ajouté au traité instituant la Communauté européenne a été déclaré contraire à la Constitution ;


Considérant que l'article 5 de la loi constitutionnelle du 25 juin 1992 a ajouté à la Constitution un article 88-3 ainsi rédigé :
" Sous réserve de réciprocité et selon les modalités prévues par le traité sur l'Union européenne signé le 7 février 1992, le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales peut être accordé aux seuls citoyens de l'Union résidant en France. Ces citoyens ne peuvent exercer les fonctions de maire ou d'adjoint ni participer à la désignation des électeurs sénatoriaux et à l'élection des sénateurs.
Une loi organique votée dans les mêmes termes par les deux Assemblées détermine les conditions d'application du présent article " ;


Considérant qu'il est soutenu par les auteurs de la saisine qu'en dépit de l'adjonction de l'article 88-3 à la Constitution, le traité sur l'Union européenne demeure contraire à celle-ci, faute pour le pouvoir constituant d'avoir modifié les articles 3 de la Constitution et de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui affirment le principe de la souveraineté nationale ainsi que l'exercice exclusif par les nationaux français du droit de vote et d'éligibilité à une élection exprimant la souveraineté nationale ;
qu'il est affirmé également que le traité reste contraire à l'article 24 de la Constitution relatif à la représentation des collectivités territoriales au Sénat ;
qu'il y aurait enfin incompatibilité entre l'article 8 B du traité et l'article 88-3 de la Constitution dans la mesure où ce dernier prévoit à titre facultatif le droit de vote et d'éligibilité des ressortissants communautaires ;

En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la Déclaration de 1789 :

Considérant que dans sa décision du 9 avril 1992 le Conseil constitutionnel a jugé qu'il n'y avait pas de contrariété entre l'article 8 B, paragraphe 1, précédemment cité et les dispositions de l'article 3 de la Déclaration de 1789 ;
que l'argumentation invoquée par les auteurs de la saisine se heurte à la chose jugée par le Conseil constitutionnel ;

En ce qui concerne le moyen tiré de ce que le traité n'est pas conforme à l'article 3 de la Constitution :

Considérant que sous réserve, d'une part, des limitations touchant aux périodes au cours desquelles une révision de la Constitution ne peut pas être engagée ou poursuivie, qui résultent des articles 7, 16 et 89, alinéa 4, du texte constitutionnel et, d'autre part, du respect des prescriptions du cinquième alinéa de l'article 89 en vertu desquelles " la forme républicaine du gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision ", le pouvoir constituant est souverain ;
qu'il lui est loisible d'abroger, de modifier ou de compléter des dispositions de valeur constitutionnelle dans la forme qu'il estime appropriée ;
qu'ainsi, rien ne s'oppose à ce qu'il introduise dans le texte de la Constitution des dispositions nouvelles qui, dans le cas qu'elles visent, dérogent à une règle ou à un principe de valeur constitutionnelle ;
que cette dérogation peut être aussi bien expresse qu'implicite ;


Considérant qu'aux termes de la première phrase de l'article 88-3 de la Constitution, " sous réserve de réciprocité et selon les modalités prévues par le traité sur l'Union européenne signé le 7 février 1992, le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales peut être accordé aux seuls citoyens de l'Union résidant en France " ;
qu'il ne saurait par suite être valablement soutenu que l'article 8 B, paragraphe 1, ajouté au traité instituant la Communauté européenne par l'article G du traité sur l'Union européenne serait contraire à l'article 3 de la Constitution ;

En ce qui concerne le moyen tiré de ce que le traité demeure contraire à l'article 24 de la Constitution :

Considérant que les auteurs de la saisine font valoir que, la désignation des conseillers municipaux ayant une incidence sur l'élection des sénateurs, la reconnaissance du droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales à des non-nationaux nécessitait une modification préalable de l'article 24 de la Constitution ;

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