Jurisprudence : Décision n°85-204 DC du 16-01-1986

Décision n°85-204 DC du 16-01-1986

A8133AC9

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CONSEIL CONSTITUTIONNEL

Décision n°85-204 DC du 16-01-1986


Publié au Journal officiel du 18 janvier 1986
Rec. p. 18

Loi portant diverses dispositions d'ordre social


Le Conseil constitutionnel a été saisi, d'une part, le 22 décembre 1985, par MM Michel Alloncle, Jean Amelin, Hubert d'Andigné, Marc Bécam, Henri Belcour, Paul Bénard, Amédée Bouquerel, Yvon Bourges, Raymond Bourgine, Jacques Braconnier, Raymond Brun, Michel Caldaguès, Pierre Carous, Auguste Cazalet, Jean Chamant, Jacques Chaumont, Michel Chauty, Jean Chérioux, François Collet, Henri Collette, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jacques Delong, Charles Descours, Franz Duboscq, Marcel Fortier, Philippe François, Michel Giraud, Christian Masson, Adrien Gouteyron, Bernard-Charles Hugo, Roger Husson, Paul Kauss, Christian de La Malène, Jean-François Le Grand, Maurice Lombard, Paul Malassagne, Paul Masson, Michel Maurice-Bokanowski, Geoffroy de Montalembert, Arthur Moulin, Jean Natali, Lucien Neuwirth, Paul d'Ornano, Sosefo Makapé Papilio, Charles Pasqua, Christian Poncelet, Henri Portier, Alain Pluchet, Claude Prouvoyeur, Josselin de Rohan, Roger Romani, Michel Rufin, Maurice Schumann, Louis Souvet, Dick Ukeiwé, Jacques Valade, Edmond Valcin, André-Georges Voisin, Jean François-Poncet, Jean-Pierre Cantegrit, Paul Girod, Michel d'Aillières, Jean-Paul Bataille, Jean Bénard Mousseaux, Jean Boyer, Louis Boyer, Marc Castex, Michel Crucis, Jean Delaneau, Henri Elby, Louis de La Forest, Jean-Pierre Fourcade,
Yves Goussebaire-Dupin, Guy de La Verpillière, Louis Lazuech, Roland du Luart, Marcel Lucotte, Hubert Martin, Serge Mathieu, Michel Miroudot, Jean-François Pintat, Jean Puech, Michel Sordel, Jean-Pierre Tizon, René Travert, Paul Alduy, Alphonse Arzel, Jean-Pierre Blanc, André Bohl, Roger Boileau, Charles Bosson, Jean Colin, Marcel Daunay, Jean Francou, Jacques Genton, Alfred Gérin, Jean-Marie Bouloux, Raymond Bouvier, Louis Caiveau, Jean Cauchon, Pierre Ceccaldi-Pavard, Adolphe Chauvin, Auguste Chupin, Henri Le Breton, Jean Lecanuet, Yves Le Cozannet, Edouard Le Jeune, Georges Lombard, Jacques Machet, Claude Mont, Jacques Mossion, Dominique Pado, Raymond Poirier, Roger Poudonson, André Rabineau, Pierre Salvi, Pierre Sicard, Pierre Vallon, Charles Zwickert, Daniel Hoeffel, Louis de Catuelan, Jean Huchon, Louis Jung, Pierre Lacour, Jacques Habert, Olivier Roux, sénateurs,
et, d'autre part, le 23 décembre 1985, par MM Jean-Claude Gaudin, Jacques Dominati, Jean Brocard, Jean Rigaud, Francisque Perrut, Mme Louise Moreau, MM Roger Lestas, Gilbert Gantier, Emmanuel Hamel, Raymond Marcellin, Philippe Mestre, Jacques Barrot, Edmond Alphandéry, Joseph-Henri Maujoüan du Gasset, Maurice Dousset, François d'Aubert, Henri Bayard, Jean Bégault, Paul Pernin, Germain Gengenwin, Pierre Micaux, Jacques Fouchier, Jacques Blanc, Francis Geng, Claude Labbé, Jacques Toubon, Jacques Godfrain, Serge Charles, Charles Paccou, Camille Petit, Hyacinthe Santoni, Jean Falala, Pierre Messmer, Jean-Louis Masson, Philippe Séguin, Robert Wagner, René André, Etienne Pinte, Gérard Chasseguet, Pierre-Charles Krieg, Mme Nicole de Hauteclocque, MM Michel Péricard, Bernard Pons, Georges Gorse, Tutaha Salmon, Jean-Paul Charié, Jean de Préaumont, Pierre-Bernard Cousté, Marc Lauriol, Gabriel Kaspereit, Jean-Louis Goasduff, Georges Tranchant, Roland Nungesser, Bruno Bourg-Broc, Claude-Gérard Marcus, Pierre Godefroy, Jean Narquin, Roger Corrèze, Pierre Bachelet, Michel Cointat, Robert-André Vivien, Maurice Couve de Murville, Jacques Baumel, députés, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi portant diverses dispositions d'ordre social.

Le Conseil constitutionnel, Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance du 7 novembre 1985 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Le rapporteur ayant été entendu ;

Considérant que les députés et les sénateurs auteurs des deux saisines défèrent au Conseil constitutionnel la loi portant diverses dispositions d'ordre social ;
que les griefs formulés par l'une et l'autre saisines à l'encontre de ladite loi concernent l'article 21 de celle-ci ;
Considérant que l'article 21 est ainsi conçu :
"Par dérogation aux dispositions de l'article 19 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat et dans les conditions ci-après précisées, peuvent être nommées ministre plénipotentiaire les personnes qui, n'ayant pas la qualité de fonctionnaire, ont exercé depuis au moins six mois les fonctions de chef de mission diplomatique. Ces nominations, prononcées hors tour par décret en conseil des ministres, ne peuvent porter que sur des emplois créés à cet effet par la loi de finances et dont le nombre ne pourra excéder 5 p 100 de l'effectif total des ministres plénipotentiaires. Les intéressés sont intégrés dans le corps des ministres plénipotentiaires à un grade et un échelon correspondant au niveau indiciaire qu'ils ont atteint dans leur emploi d'ambassadeur" ;
Considérant que les sénateurs auteurs de l'une des saisines font valoir en premier lieu que l'article 21 précité méconnaît l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 selon lequel tous les citoyens, étant égaux aux yeux de la loi, "sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents" ;
qu'ils allèguent que, si ces dispositions ne font pas en principe obstacle à ce que le recrutement d'un corps de fonctionnaires ne soit pas opéré exclusivement par concours et puisse comporter un tour extérieur, il n'en reste pas moins que les conditions et la procédure concernant la désignation des bénéficiaires de l'article 21 ne garantissent pas que ceux-ci ne seront choisis qu'en raison de leur capacité, de leurs vertus et de leurs talents ;
qu'en réalité le texte critiqué ouvre au Gouvernement un pouvoir totalement arbitraire, puisque la désignation d'une personne comme chef de mission diplomatique et son maintien en fonctions pendant six mois ne dépendent que de décisions gouvernementales ;
Considérant que les mêmes sénateurs font en outre valoir qu'en tout état de cause les dispositions du troisième alinéa de l'article 21 sont contraires au principe constitutionnel de l'égalité du déroulement des carrières entre fonctionnaires appartenant au même corps ;
Considérant que les députés auteurs de l'autre saisine font valoir, au soutien de celle-ci, que l'article 21 porte atteinte à l'égalité de traitement des fonctionnaires publics ;
qu'en effet il institue un privilège au profit de ses bénéficiaires éventuels par rapport aux diplomates recrutés conformément à l'article 19 de la loi du 11 janvier 1984 ;
que l'inégalité n'est pas moins constante à l'égard des autres fonctionnaires publics auxquels s'applique l'article 25, alinéa 2, de ladite loi selon lequel l'accès de non-fonctionnaires à des emplois pour lesquels les nominations sont laissées à la décision du Gouvernement "n'entraîne pas leur titularisation dans un corps de l'administration ou du service." ;
Considérant que, de plus, les députés auteurs de l'autre saisine soutiennent que, sous une apparence de généralité, les dispositions de l'article 21 sont en réalité destinées à satisfaire des intérêts particuliers et sont ainsi entachées de détournement de pouvoir ;

Sur les alinéas 1er et 2 de l'article 21 de la loi :
Considérant que, si le principe de l'égal accès des citoyens aux emplois publics, proclamé par l'article 6 de la Déclaration de 1789, impose que, dans les nominations de fonctionnaires, il ne soit tenu compte que de la capacité, des vertus et des talents, il ne s'oppose pas à ce que les règles de recrutement destinées à permettre l'appréciation des aptitudes et des qualités des candidats à l'entrée dans un corps de fonctionnaires soient différenciées pour tenir compte tant de la variété des mérites à prendre en considération que de celle des besoins du service public ;
Considérant qu'à supposer même qu'elles tendent à régler des problèmes circonstanciels posés par certaines situations individuelles, les dispositions des alinéas 1er et 2 de l'article 21 de la loi ont valeur permanente et répondent, selon une appréciation qu'il appartenait au législateur de porter, à la volonté de diversifier le mode de recrutement de la haute fonction diplomatique ;
ifier le mode de recrutement de la haute fonction diplomatique Considérant que, sans doute, la mise en oeuvre de recrutements différenciés permise par l'article 6 de la Déclaration de 1789 ne saurait conduire, dans la généralité des cas, à remettre au seul Gouvernement l'appréciation des aptitudes et des qualités des candidats à la titularisation dans un corps de fonctionnaires pas plus qu'à placer, dans un tel corps, l'ensemble des fonctionnaires issus du recrutement par concours dans une situation d'infériorité caractérisée ;
Mais considérant que, par l'effet de l'alinéa 2 de l'article 21, la possibilité de nomination dans le corps des ministres plénipotentiaires prévue par l'alinéa 1er de ce texte est limitée tant par la nécessité d'inscrire les emplois correspondant dans la loi de finances que par la fixation d'une proportion maximale de 5 p 100 de tels emplois par rapport à l'effectif total des ministres plénipotentiaires ;
que, dans ces conditions, les alinéas 1er et 2 de l'article 21 de la loi déférée à l'examen du Conseil constitutionnel ne sont pas contraires à la Constitution ;

Sur l'alinéa 3 de l'article 21 :
Considérant que les dispositions de l'alinéa 3 de l'article 21, selon lesquelles "les intéressés sont intégrés dans le corps des ministres plénipotentiaires à un grade et un échelon correspondant au niveau indiciaire qu'ils ont atteints dans leur emploi d'ambassadeur" auraient pour effet de procurer, dès leur entrée dans le corps des ministres plénipotentiaires, aux personnes nommées en vertu des dispositions des deux premiers alinéas de l'article 21, un avantage de carrière constituant un privilège par rapport à celles entrées dans ce même corps avant elles ;
qu'ainsi les dispositions de l'alinéa 3 de l'article 21 méconnaissent l'article 6 de la Déclaration de 1789 et doivent être déclarées non conformes à la Constitution ;
Considérant qu'en l'espèce il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office aucune question de conformité à la Constitution en ce qui concerne les autres dispositions de la loi soumise à son examen,

Décide :


Article 1er :
Est déclaré non conforme à la Constitution l'alinéa 3 de l'article 21 de la loi portant diverses dispositions d'ordre social.
Article 2 :
Les autres dispositions de la loi ne sont pas contraires à la Constitution.
Article 3 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
£7A1$Texte 60 sénateurs 1985-12-22
I :
SAISINE DEPUTES
Nous avons l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel la loi portant diverses dispositions d'ordre social afin qu'il se prononce sur la conformité à la Constitution de son article 9.
I :
Violation du principe d'égalité de traitement des fonctionnaires publics
L'article 9 de la loi déférée porte doublement atteinte au principe d'égalité de traitement des fonctionnaires, principe qui doit être déduit de l'article 6 de la Déclaration de 1789.
1° En premier lieu, il introduit des éléments d'inégalité dans l'accès au corps de ministre plénipotentiaire en décidant l'intégration dans ce corps de personnes qui ne remplissent aucune des conditions pour y entrer et vont venir en concurrence avec les diplomates ayant accédé au corps diplomatique dans les conditions prévues aux articles 19 et suivant de la loi du 11 janvier 1984.
Si, dans sa décision du 14 janvier 1983 (Troisième voie d'accès à l'ENA), le Conseil constitutionnel a décidé que le législateur pouvait déroger au principe d'égalité d'accès, il a pris soin de préciser que les différences ne pouvaient concerner que "l'appréciation des aptitudes et des qualités des candidats".
En l'espèce, il ne s'agit ni d'aptitudes ni de qualités, mais du désir d'intégrer dans un corps de la haute fonction publique des personnes nommées discrétionnairement alors que l'article 25, alinéa 2, de la loi précitée du 11 janvier 1984, précisait que "l'accès de non-fonctionnaires à ces emplois (ceux pour lesquels la nomination est laissée à la discrétion du Gouvernement) n'entraîne pas leur titularisation dans un corps de l'administration".
La modification de ce texte, sans le dire et pour un seul corps de fonctionnaires, souligne encore l'atteinte au principe d'égalité.
2° Depuis la décision du 15 juillet 1976 (Dossier de fonctionnaires) et celle précitée du 14 janvier 1983, le Conseil constitutionnel reconnaît également la violation du principe d'égalité de traitement lorsque celle-ci porte atteinte au "déroulement de la carrière". La loi déférée au Conseil en 1983 prévoyait que les fonctionnaires admis à l'ENA au titre de la troisième voie bénéficieraient d'avantages tenant à leur âge pour leur classement hiérarchique. Or, le Conseil a décidé que les dispositions relatives à ce classement n'étaient pas conformes à la Constitution car "elles auraient pour effet, si elles étaient appliquées, de leur (aux fonctionnaires) conférer un privilège méconnaissant les principes proclamés par l'article 6 de la Déclaration de 1789".
L'article 9 aboutit au même résultat. Il confère aux personnes privées ayant exercé pendant le court délai de six mois la fonction de chef de mission diplomatique le "privilège" d'être intégrées dans le corps des ministres plénipotentiaires avec un grade et un échelon correspondant au niveau indiciaire qu'elles ont détenu comme ambassadeurs. Ainsi, par rapport aux diplomates recrutés dans les conditions légales, est introduit un élément d'inégalité essentiel dans le déroulement des carrières puisque les intéressés pourront, d'une part, supplanter les diplomates ayant un grade ou un échelon immédiatement inférieur et après une longue carrière, et, d'autre part, venir en concours pour l'avancement avec des diplomates ayant un grade et un échelon équivalent et, bien évidemment, une ancienneté dans le corps sans aucun rapport avec celle des nouveaux intégrés.
Pour toutes ces considérations, l'article 9 porte donc atteinte au principe d'égalité de traitement des fonctionnaires.
II :
Détournement de pouvoir
Les commentateurs sont de plus en plus nombreux aujourd'hui à estimer que le corps de doctrine élaboré par le Conseil constitutionnel doit le conduire à reconnaître, comme le Conseil d'Etat, le détournement de pouvoir dans les cas où le législateur utilise son pouvoir dans un but d'intérêt privé (voir par exemple Conseil d'Etat, 5 mars 1954, Demoiselle Soulier, p 139 ;
création d'une école et engagement d'une directrice dans le seul intérêt de cette dernière).
En l'espèce, le Gouvernement sur une initiative parlementaire demande au Parlement, à moins de trois mois de la fin de la législature, de voter une loi destinée à garantir la situation de personnes privées désignées comme ambassadeurs depuis 1981.
Derrière la généralité apparente de l'article 9, des noms peuvent être facilement donnés. Comme l'a souligné M Gantier, député, à l'occasion de l'examen en dernière lecture du texte déféré au Conseil constitutionnel et en particulier lors du vote sur son amendement n° 1 tendant à supprimer l'article 9 :
" Cet article, voté à l'initiative du groupe socialiste de l'Assemblée, autorise à intégrer dans la fonction de ministre plénipotentiaire un certain nombre d'amis du Gouvernement, nommés chefs de mission diplomatique.
J'ai déjà dit combien une telle disposition était scandaleuse :
si scandaleuse, d'ailleurs, qu'au Sénat, aucune voix ne s'est élevée pour la défendre. La plupart de nos collègues de la Haute Assemblée ont voté sa suppression et les sénateurs socialistes eux-mêmes se sont abstenus ayant honte de cet article adopté pourtant par le groupe socialiste de l'Assemblée". (Compte rendu analytique officiel de l'Assemblée nationale, 1re séance du 22 décembre 1985, p 6).
Il convient en outre de souligner que le ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement, appelé à donner l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 1 précité, a apporté une réponse pour le moins ambiguë :
"Mon coeur dirait "favorable", ma raison dit "défavorable"." (Compte rendu analytique officiel de l'Assemblée nationale, 1re séance du 22 décembre 1985, p 6).
Le détournement de pouvoir ainsi établi vient d'ailleurs confirmer l'atteinte au principe d'égalité de traitement analysée précédemment.
Par ces motifs, nous demandons au Conseil constitutionnel de déclarer non conforme à la Constitution l'article 9 de la loi portant diverses dispositions d'ordre social.
£7A2$Texte 60 députés 1985-12-23
II :
SAISINE SENATEURS
Les sénateurs soussignés défèrent en Conseil constitutionnel, conformément à l'article 61 de la Constitution, la loi portant diverses dispositions d'ordre social, adoptée le 22 décembre 1985.
L'article 9 de la loi déférée au Conseil constitutionnel prévoyant la titularisation comme ministre plénipotentiaire de personnes qui, sans avoir la qualité de fonctionnaire, ont exercé depuis au moins six mois des fonctions d'ambassadeur est contraire à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Cet article dispose que "tous les citoyens étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents".
En application de ce principe, la modalité normale de recrutement des fonctionnaires est, en France, depuis le XIXe siècle, le recrutement par concours ;
cette exigence a été réaffirmée à de nombreuses reprises et encore récemment lors du vote des lois dites "Le Pors". On peut légitimement se demander s'il ne s'agit pas là d'un des "principes fondamentaux reconnus par les lois de la République" intégré dans le bloc de constitutionnalité.
Certes, le recrutement par concours a toujours connu quelques exceptions, mais en nombre limité, par la méthode du tour extérieur ;
encore faut-il que ces exceptions ne l'emportent pas sur la règle commune, or, en l'espèce, il s'agit de la création d'un troisième tour intérieur pour le même corps de fonctionnaires ;
de plus, le bénéfice des autres tours extérieurs est soumis à des conditions soit d'âge, soit d'ancienneté dans l'exercice antérieur de certaines activités qui limitent le caractère discrétionnaire de ce mode exceptionnel de recrutement. D'une certaine façon, ces conditions peuvent répondre :
encore que le problème de la constitutionnalité de telles dispositions n'ait jamais été soumis au Conseil constitutionnel :
aux exigences de distinction selon les "vertus" et les "talents" des bénéficiaires de ces mesures.
Par ailleurs, certains postes sont, en raison de leur nature même, à la totale discrétion du Gouvernement :
celui-ci est libre d'y désigner qui il veut ;
la contrepartie d'un tel mode de désignation étant évidemment, par parallélisme, la précarité de la désignation ainsi effectuée.
Or l'article 9 déféré au Conseil constitutionnel établit justement une confusion des genres puisque les conditions de "capacité", de "vertu" et de "talent", seuls fondements légitimes d'une intégration, fût-ce du tour extérieur, dans la fonction publique seraient remplies du seul fait de la désignation discrétionnaire par le Gouvernement aux fonctions d'ambassadeur pendant seulement six mois. C'est dire que l'intégration en qualité de fonctionnaire titulaire dans le cadre des ministres plénipotentiaires de telle ou telle personne relèverait exclusivement du bon plaisir dudit Gouvernement, sans qu'aucune autre condition pouvant limiter ledit bon plaisir ait été posée par le législateur.
Certes, le Conseil constitutionnel a considéré dans sa décision n° 83-153 DC du 14 janvier 1983 que l'article 6 de la Déclaration de 1789 ne s'oppose pas à ce que les règles de recrutement destinées à permettre l'appréciation des aptitudes et des qualités des candidats à l'entrée d'un corps de fonctionnaires soient différenciées pour tenir compte tant de la variété des mérites à prendre en compte que de celle des besoins du service public ;
mais il n'y a plus ici aucune règle de recrutement autre que la désignation discrétionnaire par le Gouvernement :
ce qui n'est jusqu'ici le cas d'aucun des tours extérieurs existants pour recruter des ministres plénipotentiaires (voir le décret du 6 mai 1969 et la loi du 12 juillet 1983) :
et une telle désignation discrétionnaire ne constitue justement pas une "règle" de recrutement. Comme l'a déclaré dans cette même décision le Conseil constitutionnel, le principe de l'égal accès aux emplois publics impose qu'il ne soit tenu compte, pour la nomination de fonctionnaires, que des capacités, vertus et talents :
faire du Gouvernement le seul juge de ces qualités, sans aucune autre précision, conduit à lui conférer un pouvoir illimité qui vide de son contenu l'exigence constitutionnelle.
Qui plus est, l'article 9 déféré au Conseil constitutionnel prévoit que les personnes intéressées sont, lors de leur titularisation, reclassées à l'indice auquel elles ont été placées lors de leur affectation comme ambassadeur. Dans la décision précitée du 14 janvier 1983, le Conseil a affirmé l'existence du principe d'égalité dans le déroulement de la carrière des fonctionnaires en précisant que les bénéficiaires de la "3e voie" de l'ENA devaient commencer leur carrière dans les mêmes conditions que les autres élèves visés de cette école ;
or l'article 9 déféré au Conseil constitutionnel a également pour effet de privilégier les bénéficiaires de cette mesure puisque, reclassés à l'indice de leur affectation comme ambassadeur, ils jouissent dès leur entrée dans le corps des ministres plénipotentiaires, et donc dans la suite du déroulement de leur carrière, d'un indice supérieur à celui des candidats ayant accédé à ce même corps par d'autres voies.
Pour ces deux motifs, il est donc demandé au Conseil constitutionnel de déclarer l'inconstitutionnalité de l'article 9 de la loi qui lui est déférée comme non conforme aux exigences posées par l'article 6 de la Déclaration de 1789.

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