Cons. const., décision n° 86-217 DC, du 18-09-1986, considérant 53
A8143ACL
Référence
Publié au Journal officiel du 19 septembre 1986
Rec. p. 141
Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 18 août 1986, par MM. Pierre Joxe, Lionel Jospin, Jean-Jack Queyranne, Bernard Schreiner, Dominique Strauss-Kahn, Charles Hernu, Mme Ginette Leroux, MM. André Lejeune, Jean Lacombe, Jean Beaufils, Paul Dhaille, Jean Laurain, Raymond Douyère, Jean-Michel Belorgey, Jean Anciant, Jean-Hugues Colonna, Mme Catherine Lalumière, MM. Alain Barrau, Robert Chapuis, Job Durupt, Jean-Claude Portheault, André Clert, Mme Yvette Roudy, MM. Christian Laurissergues, Jean Oehler, Mme Martine Frachon, M André Ledran, Mme Gisèle Stievenard, M Jean Auroux, Mmes Jacqueline Osselin, Marie-France Lecuir, MM. Jean-Michel Boucheron (Ille-et-Vilaine), Philippe Bassinet, André Bellon, Alain Richard, Jean Proveux, Roland Carraz, Mme Odile Sicard, MM. André Laignel, Bernard Derosier, Louis Mexandeau, Guy Bêche, Guy Malandain, Alain Vivien, Claude Bartolone, Michel Sapin, Roger-Gérard Schwartzenberg, Alain Calmat, Marcel Wacheux, Maurice Adevah-P uf, Michel Pezet, Jean Le Garrec, Jean Giovannelli, Jacques Guyard, André Labarrère, Roland Dumas, Mmes Edith Cresson, Véronique Neiertz, Catherine Trautmann, MM. Jean-Pierre Sueur, Pierre Bourguignon, Jean-Claude Chupin, Henri Fiszbin, Henri Emmanuelli, Gilbert Bonnemaison, Jack Lang, Olivier Stirn, Joseph Franceschi, Guy-Michel Chauveau, André Billardon, Philippe Puaud, Michel Berson, Jean-Pierre Worms, Guy Chanfrault, Jacques Maheas, Henri Prat, Augustin Bonrepaux, Jean-Claude Dessein, Georges Le Baill et Henri Nallet, députés, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi relative à la liberté de communication ;
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment les articles figurant au chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
Considérant que les auteurs de la saisine contestent la conformité à la Constitution de la loi relative à la liberté de communication en faisant porter l'essentiel de leurs griefs sur quatre aspects fondamentaux de la loi qui intéressent respectivement le remplacement de la Haute Autorité de la communication audiovisuelle par la commission nationale de la communication et des libertés, le régime des autorisations d'utilisation des fréquences hertziennes, le pluralisme de la communication et le transfert au secteur privé de la société TF1 ;
qu'ils critiquent également un certain nombre de dispositions particulières de la loi ;
Sur le remplacement de la Haute Autorité de la communication audiovisuelle par la Commission nationale de la communication et des libertés :
Considérant que la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel énonce, dans son article 1er, alinéa 1, que " L'établissement et l'emploi des installations de télécommunication, l'exploitation et l'utilisation des services de télécommunication sont libres " et précise, dans le deuxième alinéa du même article, que " Cette liberté ne peut être limitée, dans le respect de l'égalité de traitement, que dans la mesure requise par les besoins de la défense nationale, par les exigences de service public ainsi que par la sauvegarde de l'ordre public, de la liberté et de la propriété d'autrui et de l'expression pluraliste des courants d'opinion " ;
qu'aux termes de l'article 3, " Il est institué une commission nationale de la communication et des libertés qui a pour mission de veiller au respect des principes définis à l'article 1er.
La commission veille à assurer l'égalité de traitement et à favoriser la libre concurrence et l'expression pluraliste des courants d'opinion. Elle garantit aux citoyens l'accès à une communication libre. Elle veille à la défense et à l'illustration de la langue française. " ;
que le titre Ier détermine le statut de la Commission nationale de la communication et des libertés et précise ses attributions ;
que le titre VIII de la loi consacré aux " Dispositions transitoires et finales " dispose notamment que la Commission nationale de la communication et des libertés prendra la suite, à compter de sa date d'installation, de la Haute Autorité de la communication audiovisuelle ;
Considérant que les auteurs de la saisine soutiennent que " la mise en uvre moderne de la liberté de communication proclamée par l'article 11 de la déclaration de 1789 suppose l'existence d'une instance indépendante " chargée de veiller au respect des principes constitutionnels en matière de communication audiovisuelle ;
que l'indépendance d'un tel organisme implique que le législateur lui-même ne puisse mettre fin de façon anticipée au mandat de ses membres ;
que, faute d'avoir prévu le maintien en fonction des membres composant la Haute Autorité de la communication audiovisuelle jusqu'à l'expiration de leur mandat, les articles 96 et 99 de la loi méconnaissent des exigences de valeur constitutionnelle ;
Considérant qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine qui lui est réservé par l'article 34 de la Constitution, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions ;
qu'il ne lui est pas moins loisible d'adopter, pour la réalisation ou la conciliation d'objectifs de nature constitutionnelle, des modalités nouvelles dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité et qui peuvent comporter la modification ou la suppression de dispositions législatives qu'il estime inutiles ;
que, cependant, l'exercice de ce pouvoir ne saurait aboutir à priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ;
Considérant que la substitution à la Haute Autorité de la communication audiovisuelle, créée par l'article 12 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982, de la Commission nationale de la communication et des libertés n'a pas, à elle seule, pour effet de priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ;
que, dès lors, le législateur pouvait, sans méconnaître aucune règle non plus qu'aucun principe de valeur constitutionnelle, décider de mettre fin, au moment de cette substitution choisi par lui, au mandat des membres de la Haute Autorité de la communication audiovisuelle ;
que le moyen invoqué ne peut qu'être écarté ;
Sur le régime juridique d'utilisation des fréquences hertziennes :
Considérant que, selon les auteurs de la saisine, la rareté des fréquences hertziennes jointe au fait que le développement de la télévision par voie hertzienne intéresse au plus haut point l'exercice des libertés publiques, fait que l'espace hertzien appartient au domaine public et que ce mode de communication constitue un service public par nature, qui répond à des exigences constitutionnelles ;
qu'ils en déduisent que les articles 25, 27, 28, 30 et 31 de la loi, qui permettent la création de chaînes de télévision par voie hertzienne dans le cadre d'un régime d'autorisation administrative, exclusif de l'application des règles du service public, sont, pour ce seul motif, contraires à la Constitution ;
qu'il est soutenu également que les exigences d'intérêt général ne pouvaient être satisfaites que dans le cadre de la concession de service public ;
Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen :
" La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme ;
tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la loi. " ;
Considérant qu'il appartient au législateur, compétent en vertu de l'article 34 de la Constitution pour fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques, de concilier, en l'état actuel des techniques et de leur maîtrise, l'exercice de la liberté de communication telle qu'elle résulte de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme, avec, d'une part, les contraintes techniques inhérentes aux moyens de la communication audiovisuelle et, d'autre part, les objectifs de valeur constitutionnelle que sont la sauvegarde de l'ordre public, le respect de la liberté d'autrui et la préservation du caractère pluraliste des courants d'expression socioculturels auxquels ces modes de communication, par leur influence considérable, sont susceptibles de porter atteinte ;
Considérant que, pour la réalisation ou la conciliation de ces objectifs, le législateur n'est pas tenu de soumettre l'ensemble de la télévision par voie hertzienne au régime juridique applicable aux services publics ni d'adopter un régime de concession ;
qu'en effet, ce mode de communication ne constitue pas une activité de service public ayant son fondement dans des dispositions de nature constitutionnelle ;
que, par suite et quelle que soit la nature juridique de l'espace hertzien, il est loisible au législateur de soumettre le secteur privé de la communication audiovisuelle à un régime d'autorisation administrative, sous réserve d'assurer la garantie des objectifs de valeur constitutionnelle ci-dessus rappelés ;
que le moyen invoqué ne peut donc être retenu ;
Sur le pluralisme dans les services de communication diffusés par voie hertzienne terrestre ou par satellite :
Considérant que les auteurs de la saisine font valoir que les dispositions de la loi destinées à garantir le pluralisme de la communication audiovisuelle et plus généralement le pluralisme de la communication sont imprécises quant à leur contenu et plus encore insuffisantes quant à leur domaine d'intervention ;
que le fait pour le législateur de ne pas édicter de règles visant à limiter la " concentration multimédia " est d'autant plus grave qu'il s'agit là de la préservation d'un objectif de valeur constitutionnelle et qu'il serait difficile, en la matière, de remettre en cause dans l'avenir des situations existantes intéressant une liberté publique qui auraient été légalement acquises ;
qu'en outre, les dispositions relatives au pluralisme dans le domaine de la communication audiovisuelle sont insuffisantes ou inopérantes ;
qu'il en va ainsi de l'article 39 qui n'édicte de limitation en matière de participation au capital d'une société privée titulaire d'une autorisation relative à un service national de télévision par voie hertzienne qu'au sein d'une même société et qui ne fait pas obstacle à ce qu'une même personne puisse devenir actionnaire, à concurrence de 25 p 100, dans de nombreuses sociétés ;
que l'article 41 est tout aussi inopérant car il permet à un même opérateur, à la condition de créer ou d'acquérir des chaînes de télévision dans des zones différentes, de disposer en fait d'une couverture nationale ;
que, par ailleurs, le pluralisme est menacé par le transfert de la Société nationale de programme TF 1 au secteur privé ;
Considérant que le pluralisme des courants d'expression socioculturels est en lui-même un objectif de valeur constitutionnelle ;
que le respect de ce pluralisme est une des conditions de la démocratie ;
que la libre communication des pensées et des opinions, garantie par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ne serait pas effective si le public auquel s'adressent les moyens de communication audiovisuelle n'était pas à même de disposer, aussi bien dans le cadre du secteur public que dans celui du secteur privé, de programmes qui garantissent l'expression de tendances de caractères différents dans le respect de l'impératif d'honnêteté de l'information ;
qu'en définitive, l'objectif à réaliser est que les auditeurs et les téléspectateurs qui sont au nombre des destinataires essentiels de la liberté proclamée par l'article 11 de la Déclaration de 1789 soient à même d'exercer leur libre choix sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leurs propres décisions, ni qu'on puisse en faire les objets d'un marché ;
Considérant que l'article 1er de la loi, qui dispose que la liberté de l'exploitation et de l'utilisation des services de télécommunication peut être limitée dans la mesure requise par la sauvegarde de l'expression pluraliste des courants d'opinion, de même que l'article 3, qui institue une Commission nationale de la communication et des libertés chargée en particulier de favoriser l'expression pluraliste des courants d'opinion, sont conformes à la Constitution ;
qu'il convient d'examiner si les modalités de mise en uvre des principes énoncés par les articles 1er et 3 de la loi le sont également ;
que cette mise en uvre repose, pour partie, sur des règles posées par la loi et qui sont directement applicables, pour partie, sur des règles qui seront précisées par décret et dont l'application effective dépendra de l'intervention de la Commission nationale de la communication et des libertés, selon des modalités qui diffèrent suivant qu'il s'agit du secteur public ou du secteur privé ;
En ce qui concerne le pluralisme dans le secteur public :
Considérant que, pour le secteur public, le législateur a fixé lui-même certaines règles destinées à garantir le pluralisme des courants de pensée socioculturels ;
qu'au nombre de ces règles, il y a lieu de mentionner l'article 16, alinéa 1, de la loi qui, combiné avec les dispositions de l'article L 167-1 du code électoral qui demeurent en vigueur, assure aux groupements politiques le libre accès au service public de la radiodiffusion télévision pendant les campagnes électorales ;
que, de même, si l'article 54 de la loi prévoit que le Gouvernement peut à tout moment faire diffuser par les sociétés nationales de programme toutes les déclarations ou communications qu'il juge nécessaires, il est prévu que les émissions annoncées à ce titre peuvent donner lieu à un droit de réplique ;
que le premier alinéa de l'article 55 de la loi place sous le contrôle du bureau de chaque assemblée la retransmission des débats des assemblées parlementaires ;
que le second alinéa du même article prévoit qu'" un temps d'émission est accordé aux formations politiques représentées par un groupe dans l'une ou l'autre des assemblées du Parlement ainsi qu'aux organisations syndicales et professionnelles représentatives à l'échelle nationale " ;
que, dans son article 56, la loi fait obligation à la société nationale de programme visée au 2° de l'article 44 de programmer le dimanche matin des émissions à caractère religieux consacrées aux principaux cultes pratiqués en France ;
Considérant qu'en sus des règles ainsi énoncées, l'article 13 de la loi dispose, dans son premier alinéa, que " La Commission nationale de la communication et des libertés veille par ses recommandations au respect de l'expression pluraliste des courants de pensée et d'opinion dans les programmes des sociétés nationales de programme et notamment pour les émissions d'information politique " ;
La délimitation de la notion de pluralisme interne par les Cours suprêmes
CNews : l’Arcom devra veiller au pluralisme et à l’indépendance de l’information
Peut-on légalement installer une crèche dans une mairie pour Noël ?
Quelques remarques sur le pouvoir normatif de l'Autorité des marchés financiers
Quelques remarques sur le pouvoir normatif de l'Autorité des marchés financiers