Jurisprudence : TA Nantes, du 19-10-2022, n° 2012829

TA Nantes, du 19-10-2022, n° 2012829

A68968QH

Référence

TA Nantes, du 19-10-2022, n° 2012829. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/89231012-ta-nantes-du-19102022-n-2012829
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Abstract

► Est légale une subvention accordée par une commune à une association d'aide aux migrants.




2012829

M. Gauthier BOUCHET

M. Marowski, Rapporteur

M. Dias, Rapporteur public

Audience du 21 septembre 2022

Décision du 19 octobre 2022

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Tribunal administratif de Nantes

(2ème chambre)


Vu la procédure suivante :

Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 8 décembre 2020, 18 mai et 29 juin 2022, M. Gauthier Bouchet, représenté par Me Lambert, demande au tribunal :

1°) d'annuler la délibération du conseil municipal de Saint-Nazaire du 9 octobre 2020 attribuant une subvention de 10 000 euros à l'association SOS Méditerranée France ;

2°) d'enjoindre à l'association SOS Méditerranée France de restituer à la commune de Saint-Nazaire la somme de 10 000 euros correspondant à la subvention perçue ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Nazaire la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la requête est recevable ; il a intérêt à agir en vertu de sa qualité de contribuable local ;

- la délibération litigieuse est illégale dès lors qu'elle ne présente pas un intérêt public local ; elle est entachée d'une erreur d'appréciation ;

- la délibération contestée méconnaît le principe de neutralité du service public : l'association SOS Méditerranée France est marquée par une forte activité politique et suscite des conflits politiques internationaux ; la délibération a pour objet de s'immiscer dans ces conflits et de contourner la politique migratoire des Etats ; la délibération n'effectue aucune distinction dans les activités financées et participe ainsi nécessairement, de manière irrégulière, au fonctionnement de l'association bénéficiaire en l'absence d'engagements appropriés de celle-ci ;

- la commune n'est pas fondée à demander une substitution de base légale dès lors que les dispositions de l'article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales sont inapplicables en l'espèce ;

- l'association SOS Méditerranée France n'est pas fondée, en sa qualité d'observateur à l'instance, à demander le versement de frais au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 décembre 2021, la commune de Saint-Nazaire représentée par Me Ramaut, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de M. Bouchet au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la subvention litigieuse octroyée par la commune présente un intérêt public local incontestable ; elle répond à un motif d'intérêt général et présente un lien avec le territoire et la population locale ; la commune est engagée dans le soutien au sauvetage en mer et l'association bénéficiaire dispose d'une antenne relais à Saint-Nazaire depuis 2020 ;

- l'octroi de la subvention litigieuse à SOS Méditerranée ne méconnaît pas le principe de neutralité du service public ; son objet est humanitaire ;

- la commune n'avait pas à exiger d'engagement spécifique à l'association bénéficiaire dès lors que la subvention était inférieure au seuil de 23 000 euros à partir duquel la signature d'une convention s'impose et et que les missions de sauvetage en mer présentent un intérêt public communal sans portée politique ;

- subsidiairement, à supposer que l'octroi de la subvention litigieuse ne présentait pas d'intérêt public communal, il y aurait lieu de procéder à une substitution de base légale, la décision contestée pouvant être légalement fondée les dispositions de l'article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales, telles que modifiées par la loi du 9 juillet 2014.

Par un mémoire enregistré le 10 juin 2022, l'association SOS Méditerranée France, représentée par Me Mabile, a présenté des observations. Elle conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de M. Bouchet au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- M. Bouchet est dépourvu d'intérêt à agir ; le montant de la subvention est insuffisant pour emporter une augmentation significative des charges financières pesant sur la commune ;

- l'attribution de la subvention litigieuse répond à un intérêt public local ;

- la délibération ne méconnaît pas le principe de neutralité : l'association est politiquement neutre et poursuit une action internationale à caractère humanitaire dans le strict respect des engagements internationaux de la France ;

- subsidiairement, à supposer que l'octroi de la subvention litigieuse ne présente pas d'intérêt public communal, il y aurait lieu de procéder à une substitution de base légale, la décision contestée pouvant être légalement fondée les dispositions de l'article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales.

La clôture immédiate de l'instruction a été prononcée par une ordonnance du 22 août 2022, en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Marowski,

- les conclusions de M. Dias, rapporteur public

- les observations de Me Philippe, substituant Me Mabile, représentant l'association SOS Méditerranée France.

Considérant ce qui suit :

1. Par une délibération du 9 octobre 2020, le conseil municipal de la commune de Saint-Nazaire a attribué une subvention de 10 000 euros à l'association SOS Méditerranée France. M. Bouchet demande au tribunal, en qualité de contribuable de la commune, d'annuler cette délibération.

Sur l'intervention de l'association SOS Méditerranée France :

2. L'association SOS Méditerranée France a intérêt au maintien de la délibération dont M. Bouchet demande l'annulation. Son intervention au soutien des observations en défense de la commune de Saint-Nazaire est dès lors recevable.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

3. Aux termes de l'article L. 1115-1 du CGCT alors en vigueur : « Dans le respect des engagements internationaux de la France, les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent mettre en œuvre ou soutenir toute action internationale annuelle ou pluriannuelle de coopération, d'aide au développement ou à caractère humanitaire. A cette fin, les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent, le cas échéant, conclure des conventions avec des autorités locales étrangères. (...) ».

4. Il ressort des pièces du dossier et notamment de son mémoire en défense, que, pour accorder la subvention en litige, la commune de Saint-Nazaire, dont la délibération du 9 octobre 2020 a pour objet de subventionner les activités de l'association SOS Méditerranée et ne vise aucun texte, doit être regardée comme s'étant fondée sur les dispositions de l'article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales. Selon ses statuts, l'association SOS Méditerranée France a pour objet, en particulier, de « sauver la vie des personnes en détresse, en mer Méditerranée » et elle « est une association humanitaire indépendante de tout parti politique et de toute confession » qui poursuit une action internationale à caractère humanitaire. Si les pièces produites par le requérant datées de 2018 et 2019 témoignent de tensions diplomatiques entre la France et l'Italie, celles-ci n'étaient pas assimilables à un conflit entre ces deux États et sont en tout état de cause antérieures à la date de la décision dont l'annulation est demandée. Il n'est en outre pas sérieusement contesté que l'association intervient dans le respect des engagements internationaux de la France. Par ailleurs, les dispositions précitées de l'article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales ne faisaient pas obstacle à ce que la subvention soit accordée à une association, seules les conventions prévues au second alinéa de cet article devant être conclues avec des autorités locales étrangères. En outre, les dispositions de cet article ne subordonnent le versement de la subvention litigieuse ni à la condition qu'il réponde à un intérêt public local, ni à celle qu'il constitue un soutien à une collectivité locale étrangère. Par ailleurs, la légalité de cette délibération n'est pas plus subordonnée à la signature ultérieure d'une convention entre la commune de Saint-Nazaire et l'association, ce sujet relevant en tout état de cause d'une question d'exécution de la délibération. Enfin, les dispositions législatives spéciales de l'article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales autorisant expressément la commune de Saint-Nazaire à accorder un concours financier, la circonstance que la subvention serait sans lien avec les compétences qui lui sont dévolues en vertu de l'article L. 2121-29 du code général des collectivités territoriales est sans incidence sur la légalité de la délibération. Dès lors, le moyen tiré de l'erreur de droit et du défaut de base légale doit être écarté.

5. Par ailleurs, M. Bouchet soutient que la délibération attaquée a été prise pour manifester un soutien politique et idéologique, en méconnaissance du principe de neutralité du service public, et qu'elle est dépourvue d'intérêt public local. Toutefois, comme il vient d'être indiqué, l'association bénéficiaire poursuivait une action internationale à caractère humanitaire, dans le respect des engagements internationaux de la France. Seules ces conditions étant requises par les dispositions précitées de l'article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales, la commune pouvait ainsi légalement lui octroyer la subvention en litige. Dès lors, le moyen est inopérant et doit être écarté.

6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non- recevoir opposée par l'association SOS Méditerranée France, que les conclusions de M. Bouchet à fins d'annulation et d'injonction ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de la commune de Saint-Nazaire qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. Bouchet demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

8. Les dispositions de cet article font également obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de l'association SOS Méditerranée France, qui n'a que la qualité d'intervenant, tendant à ce qu'il soit mis à la charge de M. Bouchet la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

9. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de de la commune de Saint-Nazaire tendant à faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : L'intervention de l'association SOS Méditerranée France est admise.

Article 2 : La requête présentée par M. Bouchet est rejetée.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. Gauthier Bouchet, à la commune de Saint-Nazaire, à l'association SOS Méditerranée et au préfet de la Loire Atlantique.



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