Jurisprudence : CE avis, 19-04-2005, n° 371.234


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Marchés et contrats administratifs
Section des travaux publics - Avis n° 371.234 - 19 avril 2005
Délégations de service public - Conditions de prolongation par avenant, des conventions de remontées mécaniques régies par la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne - Régimes de dévolution des biens et d'indemnisation en l'absence de stipulations contractuelles.
Le Conseil d'Etat (section des travaux publics), saisi par le ministre de l'équipement, des
transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer de questions
relatives au régime juridique des conventions d'exploitation des remontées mécaniques
et, en particulier, des questions suivantes :
1°) à quelles conditions ces conventions peuvent-elles être prolongées ?
2°) à quelles conditions des avenants à ces conventions peuvent-ils être conclus ?
a) des modifications à l'économie générale des conventions justifiant la prolongation de leur
durée sont-elles possibles sans mise en concurrence préalable ?
b) est-il possible d'introduire dans une convention dont la durée n'est pas modifiée une clause
de rachat ou d'indemnisation du délégataire pour les biens qui ne seront pas amortis à la fin
de la délégation ?
3°) est-il possible, lors de l'attribution du service à un nouveau délégataire, de lui imposer au
titre des « droits d'entrée » prévus à l'article L. 1411-2 du code général des collectivités
territoriales les conséquences indemnitaires de la résiliation de la convention précédente ou le
rachat des biens nécessaires à l'exploitation du service ?
4°) quel est le régime des biens nécessaires au bon fonctionnement du service, notamment
dans le cas où les remontées mécaniques sont exploitées dans des conditions non conformes
aux dispositions de la loi du 9 janvier 1985 et où la passation de nouvelles conventions est
envisagée ?
a) ces biens font-ils retour à l'autorité organisatrice ?
b) en cas d'éviction de l'ancien exploitant, comment calcule-t-on l'indemnité qui lui est due le
cas échéant ?
c) le lancement d'une procédure de renouvellement des conventions est-il subordonné à la
condition que l'autorité organisatrice soit devenue propriétaire des biens nécessaires à
l'exploitation du service ou que l'exploitant ait consenti à céder ses biens ?
d) en l'absence d'accord, est-il possible de recourir à l'expropriation ?
e) quelles voies de droit peuvent être utilisées pour permettre la réutilisation des biens
nécessaires à l'exploitation du service ?
Vu le code général des collectivités territoriales, notamment ses articles L. 1411-1 à L.1411-18 ;
Vu le code du tourisme notamment ses articles L. 342-1 à L. 342-26 ;
Vu la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 modifiée d'orientation des transports intérieurs ;
Vu la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 modifiée relative au développement et à la protection de
la montagne ;
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Est d'avis de répondre aux questions posées dans le sens des observations qui suivent :
Le caractère de service public des remontées mécaniques en montagne, affirmé en 1959 par la
jurisprudence (CE Section 23 janvier 1959 commune d'Huez, Rec. p. 67) a été consacré par la
loi du 9 janvier 1985 dont les dispositions ont été reprises au code du tourisme. Il résulte des
articles L. 342-9 à L. 342-11 de ce code que ce service relève de la compétence des
communes et de leurs groupements ou des départements qui l'ont organisé avant le 10 janvier
1985. En application de l'article L. 342-13 du même code, l'exécution de ce service public est
assurée soit directement par la personne publique, soit par une entreprise ayant passé à cette
fin une convention avec la personne publique. Dans ce cas, si la rémunération du
cocontractant est substantiellement assurée par les résultats de l'exploitation, la convention est
une délégation de service public.
Si ces conventions sont soumises à certaines règles particulières posées par les articles L. 342-
1 à L. 342-5, L. 342-7 à L. 342-15 et L. 342-17 du code du tourisme ainsi que, compte tenu du
renvoi de l'article L. 342-8 de ce code à la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d'orientation
des transports intérieurs, aux dispositions du premier alinéa de l'article 1er, des articles 5 et 6,
du paragraphe III de l'article 7, des articles 9, 14, 16 et 17 de cette loi, aucune de ces règles ne
déroge à celles que fixe le code général des collectivités territoriales en matière de publicité et
de mise en concurrence pour les délégations de service public. S'appliquent, par conséquent,
aux délégations de service public de remontées mécaniques l'ensemble des dispositions des
articles L. 1411-1 à L. 1411-18 et R. 1411-1 à D. 1411-6 du code général des collectivités
territoriales.
Sur la première question :
L'article L. 1412-2 du code général des collectivités territoriales dispose en premier lieu que :
« Les conventions de délégation de service public doivent être limitées dans leur durée » et
énonce les critères à retenir (nature et coût des investissements à réaliser) pour fixer cette
durée. Il résulte du principe de durée limitée des délégations de service public que les clauses
de tacite reconduction qui peuvent y figurer sont nulles et privées de tout effet.
Le même article L. 1412-2 fixe ensuite les conditions dans lesquelles la prolongation des
délégations, qui demeure une exception, est possible. Elle peut intervenir pour un motif
d'intérêt général sans excéder un an. Elle peut également intervenir, afin de permettre la
réalisation d'investissements matériels non prévus au contrat initial et qui ne pourraient être
amortis pendant le temps restant à la convention sans augmentation de prix manifestement
excessive, pour une durée supérieure à un an mais, dans ce cas, trois conditions doivent être
remplies :
a) les investissements doivent être demandés par le délégant ;
b) ces investissements doivent être indispensables au bon fonctionnement du service ou à son
extension géographique. Cette condition est interprétée strictement par la jurisprudence Les
investissements non prévus lors de la conclusion du contrat et susceptibles de justifier sa
prolongation ne peuvent relever de la simple opportunité. Ils doivent être impliqués
nécessairement par un fonctionnement du service public adapté aux besoins des usagers,
compte tenu de la durée restant à courir de la convention. (CE 29 décembre 2004 n° 239681
Société SOCCRAM) ;
c) enfin, il doit s'agir d'investissements de nature à modifier l'économie générale de la
délégation. A la différence de la précédente, cette question n'a fait l'objet d'aucune
jurisprudence, mais, sous réserve de ce qui viendrait à être jugé, on peut admettre que
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l'équilibre général d'une délégation est modifié en raison d'investissements nouveaux
imposés par le délégant si la prise en charge de ces investissements par le délégataire entraîne,
au terme de la délégation, une remise en cause significative du bénéfice global qu'il pouvait
normalement en attendre.
Sur la deuxième question :
L'article L. 1411-2 du code général des collectivités territoriales, en ce qu'il autorise dans
certains cas la prolongation de contrats de délégation de service public, n'a ni pour objet ni
pour effet de faire obstacle à l'application des règles générales qui régissent les avenants.
a) Un avenant, dont celui qui prolongerait une convention de délégation de service public, ne
peut pas modifier l'objet de la délégation. Il n'est donc pas possible de recourir à un avenant
pour mettre à la charge du délégataire la réalisation d'investissements conduisant à la
réalisation d'un ouvrage dissociable des ouvrages déjà construits, en raison de sa dimension,
de son coût et de son autonomie fonctionnelle (cf Avis CE n° 362 908 du 16 septembre 1999
relatif au procédé de « l'adossement »). Ainsi, si le contrat initial portait exclusivement sur
des installations de remontées mécaniques, un avenant ne peut pas mettre à la charge du
délégataire des investissements différents, tels ceux qui permettent d'assurer l'enneigement
des pistes, et d'un coût substantiel.
b) Un avenant ne peut pas modifier substantiellement l'un des éléments essentiels de la
délégation, tels que sa durée ou le volume des investissements mis à la charge du
délégataire.(cf Avis Section des finances du Conseil d'Etat n° 364 803 du 8 juin 2000).
c) Enfin, un avenant ne peut avoir pour objet la réalisation d'investissements qui sont
normalement à la charge du délégataire, tels les investissements de renouvellement des
installations. En effet, le délégataire doit assurer l'entretien des installations et remettre au
terme du contrat des équipements en bon état de fonctionnement. ( cf. CE 20 mars 1942 Dame
veuve Bastit, Rec. p. 92 ou 12 mai 1942 Commune de Luc-en-Diois Rec. p. 148)
S'il n'est pas envisagé de modifier la durée de la délégation, les charges induites par de
nouveaux investissements, susceptibles de modifier l'économie générale de la délégation sans
en modifier l'objet ni affecter substantiellement un de ses éléments essentiels, peuvent être
compensées par une subvention d'exploitation ou par le versement d'une indemnité au
délégataire au terme de la délégation. Dans ce cas, et sauf faute de l'autorité délégante ou
stipulation contraire de la convention, l'indemnisation du délégataire par le délégant en fin de
délégation ne peut couvrir que le coût des investissements non amortis évalués à leur valeur
nette comptable, sous réserve qu'il ne soit pas supérieur à leur valeur réelle.
Sur la troisième question :
L'article L. 1411-2 du code général des collectivités territoriales permet à la personne
publique délégante qui entend conclure une nouvelle délégation de service public de
demander au nouveau délégataire le versement de « droits d'entrée ». Ces droits d'entrée, que
la convention doit justifier, doivent être conformes à l'objet de la délégation. Bien qu'aucune
décision juridictionnelle n'ait tranché ce point, on peut admettre qu'ils ne pourraient inclure
ceux des frais d'une résiliation qui seraient la conséquence d'une faute de la collectivité à
l'égard du précédent délégataire, frais par nature étrangers à l'objet de la délégation. Mais ils
pourraient comprendre une somme correspondant à l'indemnité versée au délégataire sortant
au titre des investissements non amortis qu'il a réalisés. Enfin, si les biens nécessaires à
l'exécution du service appartiennent en principe à l'autorité délégante et ne peuvent faire
l'objet d'un « rachat », il ne paraît pas impossible que les « droits d'entrée » comprennent le
coût de biens utiles à la délégation (biens de reprise) que le délégataire sortant aurait cédés à
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la collectivité.
Sur la quatrième question :
La question du sort des biens nécessaires au bon fonctionnement du service conduit à
distinguer deux cas :
a) Le premier concerne l'hypothèse dans laquelle le service public des remontées mécaniques
a été confié par convention à un délégataire de service public. L'ensemble des biens
nécessaires au fonctionnement du service, installés soit sur des propriétés publiques, soit sur
des propriétés privées grâce à la servitude prévue aux articles L. 342-20 et suivants du code
du tourisme, appartiennent dès l'origine à la personne publique et lui font nécessairement
retour gratuitement à l'expiration de la convention. Les conventions ne pourraient d'ailleurs
légalement prévoir une propriété privée de ces installations pendant la durée de l'exploitation,
sous réserve de la mise en oeuvre de baux emphytéotiques en application de l'article 13 de la
loi du 5 janvier 1988 ou de la procédure de crédit-bail en application de l'article 87-II de la loi
de finances n° 86-1137 du 30 décembre 1986.
Si la convention n'est pas arrivée à son terme, la collectivité délégante peut obtenir un retour
anticipé des biens en prononçant la résiliation de la délégation mais à des conditions qui
varient selon la nature de la délégation.
Si la délégation est une concession de service public, la résiliation ne peut intervenir, sauf
stipulation contractuelle contraire, que par décision du juge pour faute du concessionnaire
d'une particulière gravité, pour motif d'intérêt général ou en raison d'un événement de force
majeure rendant impossible la poursuite du contrat. Hormis ces hypothèses, et en l'absence
d'une clause de rachat de la concession ou d'une clause autorisant une résiliation unilatérale,
le délégant ne peut obtenir une fin anticipée de la concession. Le concédant ne pourra pas
mettre en oeuvre une procédure d'expropriation à l'encontre d'un droit d'exploitation de ses
propres biens. Le contrat de concession ne pourra que se poursuivre, à moins d'un accord
conclu avec le concessionnaire. Dans le cas où la résiliation anticipée de la concession est
possible, le concessionnaire n'a droit à être indemnisé qu'au titre de ses investissements non
amortis, évalués à leur valeur nette comptable sous la réserve déjà indiquée. Il a droit
également, dès lors que le préjudice est établi avec certitude, à une indemnisation totale de
son manque à gagner en cas de résiliation pour motif d'intérêt général, et sous déduction
d'une réduction de principe lorsque la résiliation résulte de circonstances imprévisibles et
irrésistibles qui bouleversent l'économie du contrat (CE 14 juin 2000 commune de
Staffefelden Rec. p.227).
La rupture anticipée d'une délégation autre qu'une concession, même en l'absence de faute du
délégataire, motif d'intérêt général ou événement de force majeure, est toujours possible mais
donne lieu à une indemnisation de l'entier préjudice du cocontractant de la collectivité.
Le lancement d'une nouvelle procédure de délégation de service public peut intervenir
compte tenu du terme prévu de la délégation ou de la date envisagée de la résiliation lorsque
celle-ci est possible. Dans le cas où, à l'expiration du terme de la convention ou après sa
résiliation, l'ancien délégataire continuerait à occuper sans titre les installations voire à les
exploiter, la personne publique devrait alors saisir juge des référés. Sur le fondement de
l'article L. 521-3 du code de justice administrative, le juge des référés pourra ordonner sous
astreinte à la personne privée, si l'urgence le justifie, d'évacuer les installations qu'elle
exploite ou occupe sans titre.
b) Dans le cas où l'exploitant n'a pas conclu de convention l'autorisant à exploiter les
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installations de remontées mécaniques, comme l'exigent les dispositions aujourd'hui codifiées
à l'article L. 342-13 du code du tourisme, la personne publique responsable de l'organisation
du service doit reprendre possession de ses installations. Elle ne pourrait, sans engager sa
responsabilité, laisser se poursuivre une exploitation hors la passation d'un contrat selon la
procédure légale de publicité et de mise en concurrence, conformément aux dispositions
combinées des articles L.342-13 du code du tourisme et L. 1411-1 et suivants du code général

Loi, 82-1153, 30-12-1982 Loi, 85-30, 09-01-1985 Article, L342-1 à L342-5, C. tour. Article, L342-7 à L342-15, C. tour. Article, L342-17, C. tour. Article, L342-8, loi, 82-1153, 30-12-1982, C. tour. Article, L342-13, C. tour. Article, L342-9, C. tour. Contrat de travail Remontées mécaniques Stipulation conventionnelle Section des travaux publics Aménagement du territoire Mise en concurrence préalable Droits d'entrée Biens nécessaires à l'exploitation Bon fonctionnement du service Ancien exploitant Service public Exécution du service public Résultat d'exploitation Conventions de délégation de service public Contrat initial Besoins des usagers Prise en charge Contrat de délégation de service public Dimension Entretien État de fonctionnement Durée de la délégation Subventions d'exploitation Indemnité Couverture du coût Propriété privée Tourisme Bail emphytéotique Collectivité délégante Intérêt général Résiliation unilatérale Procédure d'expropriation Contrat de concession Valeur nette comptable Bouleversement de l'économie du contrat Force majeure Procédure de délégation de service public Personne publique responsable Faute d'une personne publique Accord amiable Responsabilité d'un exploitant

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