PS/DD
Numéro 22/2728
COUR D'APPEL DE PAU
Chambre sociale
ARRÊT DU 07/07/2022
Dossier : N° RG 21/03219 - N°Portalis DBVV-V-B7F-H7ZY
Nature affaire :
A.T.M.P. : demande relative à la faute inexcusable de l'employeur
Affaire :
[T] [C]
C/
CPAM [Localité 8]-PYRENEES, S.A.S. [6]
Grosse délivrée le
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 07 Juillet 2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'
article 450 du Code de Procédure Civile🏛.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 02 Mai 2022, devant :
Madame SORONDO, magistrat chargé du rapport,
assistée de Madame LAUBIE, greffière.
Madame SORONDO, en application de l'
article 945-1 du Code de Procédure Civile🏛 et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries et en a rendu compte à la Cour composée de :
Madame CAUTRES, Présidente
Mme NICOLAS, Conseiller
Madame SORONDO, Conseiller
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANT :
Monsieur [T] [C]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Comparant assisté de Maître MARCO, avocat au barreau de PAU
INTIMÉES :
S.A.S. [6]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Maître HUBERT de l'AARPI MGG VOLTAIRE, avocat au barreau de PARIS
CAISSE PRIMAIRE ASSURANCE MALADIE DE [Localité 8]-PYRENEES
[Adresse 1]
[Localité 8]
Comparante en la personne de Madame [Aa], munie d'un pouvoir régulier
sur appel de la décision
en date du 30 AOUT 2021
rendue par le PÔLE SOCIAL DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PAU
RG numéro : 19/00103
FAITS ET PROCEDURE
M. [T] [C] a été salarié de la société [6] en qualité de mécanicien du 17 août 1992 au 31 janvier 2010, date d'une rupture conventionnelle.
Par courrier du 5 novembre 2013, la caisse primaire d'assurance maladie [Localité 8]-Pyrénées lui a notifié la prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels de la maladie déclarée le 18 juillet 2013 « plaques pleurales » inscrite au tableau n° 30 des maladies professionnelles « affections professionnelles consécutives à l'inhalation de poussières d'amiante ». Il lui a été attribué un capital de 1.948,44 € en considération d'un taux d'incapacité permanente de 5 %.
Le 1er avril 2014, il a accepté une offre d'indemnisation du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA) d'un montant de 22.519,22 € dont :
- préjudice d'incapacité fonctionnelle 5.719,22 €
- préjudice moral15.400,00 €
- préjudice physique 200,00 €
- préjudice d'agrément 1.200,00 €
Le 14 avril 2014, M. [C] a saisi en référé le conseil de prud'hommes de Pau qui, par ordonnance du 30 mai 2014, a ordonné à l'employeur de remettre au salarié une fiche d'exposition à l'amiante conforme à l'
article R.4412-120 du code du travail🏛, sous peine d'astreinte, et à lui payer une provision de 2.500 € à valoir sur l'indemnisation de son préjudice d'anxiété. Sur appel de l'employeur, cette ordonnance a été confirmée par arrêt de la
cour d'appel de Pau du 18 décembre 2014.
Le 6 janvier 2015, M. [C] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Pau d'une action en reconnaissance de la faute inexcusable de la société [7], ancienne dénomination de la société [6], en raison de la maladie professionnelle déclarée le 18 juillet 2013.
Par jugement du 14 décembre 2015, le tribunal a :
- reçu M. [C] en son action en reconnaissance de la faute inexcusable de la société [7],
- dit que la société [7] a commis à l'encontre de M. [C] une faute inexcusable à l'origine de la maladie professionnelle dont il est atteint,
- déclaré recevable le FIVA en son action à la présente instance en ce qu'il est subrogé dans les droits de M. [C],
- déclaré irrecevable M. [C] à solliciter en propre les demandes indemnitaires qu'il a présentées,
- dit que la rente allouée à M. [C] est majorée à son maximum, soit la somme de 1.948,44 €,
- dit que cette majoration devra suivre l'évolution du taux d'IPP de M. [C] en cas d'aggravation de son état de santé,
- condamné la CPAM de [Localité 8]-Pyrénées à verser au FIVA en qualité de créancier subrogé, cette majoration de capital de 1.948,44 €,
- débouté le FIVA en sa qualité de créancier subrogé de sa demande du chef de préjudice d'agrément,
- fixé l'indemnisation des préjudices personnels de M. [C] à la somme de 15.600 € dont :
. préjudice moral15.400 €
. préjudice physique 200 €
- condamné la CPAM de [Localité 8]-Pyrénées à verser la somme de 15.600 € au FIVA, créancier subrogé,
- dit qu'en cas de décès de la victime résultant des conséquences de sa maladie professionnelle due à l'amiante, le principe de la majoration de la rente restera acquis pour le calcul de rente du conjoint survivant,
- condamné la société [7] à payer au FIVA la somme de 1.000 € sur le fondement de l'
article 700 du code de procédure civile🏛,
- dit que les préjudices personnels de M. [C] reconnus par la juridiction seront réévaluables en cas d'aggravation des séquelles,
- dit que les préjudices personnels de M. [C] reconnus par la juridiction sont irrecevables à être réévalués en cas de rechute, la faute inexcusable ne pouvant être à l'origine que de la maladie professionnelle initiale conformément à la jurisprudence constante en la matière,
- dit n'y avoir lieu à revêtir la présente décision de l'exécution provisoire,
- débouté la société [7] de sa demande visant à lui voir déclarée inopposable la décision de prise en charge par la CPAM de [Localité 8] de la maladie professionnelle de M. [C],
- condamné la société [7] à reverser à la CPAM de [Localité 8] les sommes dont elle aura à faire l'avance en vertu des
articles L.452-2 et 452-3 du code de la sécurité sociale🏛 et ce avec intérêts au taux légal à compter du jour du jugement.
Sur appel de l'employeur, la cour d'appel de Pau a, par arrêt du 14 février 2019, confirmé ce jugement en toutes ses dispositions.
Le 31 mars 2015, M. [C] a saisi le conseil de prud'hommes de Pau d'une demande d'indemnisation d'un préjudice d'anxiété.
Par jugement du 8 mars 2016, le conseil de prud'hommes de Pau :
- a rejeté l'exception d'incompétence matérielle soulevée par l'employeur,
- s'est déclaré compétent pour connaître du litige,
- a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par l'employeur, au titre de la prescription de l'action et de l'acceptation par le salarié de l'offre du FIVA,
- a reconnu le trouble psychologique du préjudice d'anxiété lié à une éventuelle aggravation de la maladie professionnelle du salarié, provoqué par son exposition à l'amiante au sein de la Sas [7],
- a condamné à ce titre la société à payer au salarié les sommes suivantes :
. 12.500 € au titre du préjudice d'anxiété, dont il conviendra de déduire la somme de 2.500 € accordée par la formation de référé,
. 1.000 € au titre de l'
article 700 du code de procédure civile🏛,
- a condamné l'employeur aux entiers dépens.
Sur appel de l'employeur et par arrêt du 14 février 2019, la cour d'appel de Pau a infirmé ce jugement et, statuant de nouveau :
- a déclaré la juridiction prud'homale incompétente pour statuer sur une action en indemnisation d'un dommage résultant d'une maladie professionnelle, s'agissant au cas particulier d'une demande d'indemnisation d'un préjudice d'anxiété,
- a renvoyé l'affaire devant le tribunal de grande instance de Pau spécialement désigné pour en connaître.
Par jugement du 30 août 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Pau a : - déclaré irrecevable la demande d'indemnisation formée par M. [C],
- condamné M. [C] à payer à la société [6] la somme de 2.500 € versée à titre de provision en exécution de l'instance prud'homale en référé confirmée par arrêt de la
cour d'appel du 18 décembre 2014, avec intérêts au taux légal à compter de la signification de la présente décision,
- débouté la société [6] de sa demande au visa de l'
article 700 du code de procédure civile🏛,
- dit n'y avoir lieu à statuer sur les dépens de la procédure.
Ce jugement a été notifié par courrier recommandé réceptionné le 18 septembre 2021 à M. [C], qui en a interjeté appel par déclaration au greffe de la cour le 30 septembre 2021.
Selon avis de convocation du 16 novembre 2021, contenant calendrier de procédure, les parties ont été convoquées à l'audience du 2 mai 2022, à laquelle elles ont comparu.
PRETENTIONS DES PARTIES
Selon ses conclusions communiquées par RPVA le 15 avril 2022, auxquelles il est expressément renvoyé, M. [C], appelant, demande à la cour de :
- dire et juger recevable son appel,
- au fond, d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- statuant de nouveau,
. d'écarter les moyens d'irrecevabilité présentés par la société [6],
. le dire et juger recevable en son action,
. constater qu'il a été exposé à l'amiante dans le cadre de son activité professionnelle au service de la société [7],
. constater la reconnaissance de sa maladie professionnelle au titre des affections professionnelles consécutives à l'inhalation de poussières d'amiante,
. condamner la société [6] à lui payer la somme de 12.500 € au titre de son préjudice d'anxiété,
. condamner la société [6] à lui payer la somme de 5.000 € au titre de l'
article 700 du code de procédure civile🏛.
Selon ses conclusions communiquées par RPVA le 22 mars 2022, reprises oralement à l'audience de plaidoirie, et auxquelles il est expressément renvoyé, la société [6], intimée, demande à la cour de :
- de dire et juger M. [T] [C] irrecevable et, en tout état de cause, mal fondé en son appel,
- confirmer les dispositions du jugement déféré et en conséquence :
. dire et juger M. [T] [C] irrecevable en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, du fait de la prescription de l'action, et l'en débouter,
. dire et juger M. [C] irrecevable en l'ensemble de ses demandes et l'en débouter, du fait de son acceptation préalable de l'offre du FIVA, et l'en débouter,
- à défaut, débouter M. [C] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- en tout état de cause, condamner M. [C] à lui rembourser la somme de 2.500 € versée à titre de provision, avec intérêts au taux légal à compter de la notification du jugement entrepris (soit le 16 septembre 2021), provision qui avait été prononcée dans le cadre de l'instance prud'homale en référé qu'il avait préalablement engagée,
- rejeter toutes autres demandes, fins et conclusions qui seraient dirigées à son encontre,
- condamner M. [C] à lui verser la somme de 4.000 € au titre de l'
article 700 du code de procédure civile🏛,
- condamner M. [C] aux entiers dépens.
Selon ses conclusions visées par le greffe le 31 mars 2022, reprises oralement à l'audience de plaidoirie, et auxquelles il est expressément renvoyé, la CPAM de [Localité 8], intimée, demande à la cour de la mettre hors de cause.
SUR QUOI LA COUR
Sur la fin de non-recevoir tirée de la transaction passée avec le FIVA
M. [C] soutient qu'il est recevable à agir dès lors que la transaction passée avec le FIVA porte sur l'incapacité fonctionnelle, le préjudice physique, le préjudice d'agrément, et le préjudice moral, mais non sur le préjudice d'anxiété, et que préjudice moral et préjudice d'anxiété ne se confondent pas. Le préjudice moral indemnise les souffrances endurées, tandis que le préjudice d'anxiété indemnise l'appréhension d'une dégradation de l'état de santé.
La société [6] invoque les dispositions de l'
article 53 IV alinéa 3 de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000🏛 et soutient que M. [C] a déjà été indemnisé de son préjudice d'anxiété.
Sur ce,
L'
article 53 de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000🏛 a posé le principe de la réparation intégrale des préjudices subis par les personnes qui ont obtenu la reconnaissance d'une maladie professionnelle occasionnée par l'amiante et a organisé cette indemnisation par le FIVA. Il prévoit, en son paragraphe IV alinéa 3, que l'acceptation d'une offre d'indemnisation du FIVA vaut désistement des actions juridictionnelles en indemnisation en cours et rend irrecevable toute autre action juridictionnelle future en réparation du même préjudice.
M. [C] a été indemnisé suivant offre qu'il a acceptée le 1er avril 2014 des préjudices résultant de la maladie professionnelle déclarée le 18 juillet 2013 dont à hauteur de 15.400 €, d'un préjudice moral.
Le préjudice d'anxiété est un préjudice moral tenant à une situation d'angoisse face au risque de déclaration d'une maladie liée à l'amiante en outre réactivée par la nécessité d'examens réguliers. Comme relevé par le premier juge, il ressort des motifs du
jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de Pau du 14 décembre 2015 et de l'arrêt de la présente cour du 14 février 2019 que la somme de 15.400 € versée par le FIVA en réparation d'un préjudice moral et dont ce dernier, subrogé dans les droits de M. [C], a obtenu la fixation judiciaire à ce même montant, répare le préjudice d'anxiété. En effet, il a été fixé aux motifs ci-après :
- jugement : « M. [C], eu égard à sa maladie, doit faire l'objet d'une surveillance médicale au long cours pour en contrôler toute évolution morbide. Qu'il n'est pas niable que ce type d'atteinte n'est pas curable de sorte que pouvant dégénérer, elle constitue pour celui qui en est porteur une source d'anxiété réelle au quotidien, et d'appréhension avérée, avant chaque examen prévu, dans le cadre du suivi médical. Que dès lors ce poste tel qu'évalué par le FIVA à 15.400 € sera comme de juste retenu » ;
- arrêt : « le préjudice moral spécifique dont sont atteintes les victimes de maladies dues à l'amiante est constitué par l'anxiété permanente de voir se réaliser le risque de dégradation de leur état de santé et de menaces de leur pronostic vital... Au vu de son âge, de la consistance du trouble, de sa durée rapportée à l'espérance de vie du salarié, ce préjudice doit être évalué à la somme de 15.400 €, conformément aux sommes allouées par le FIVA à titre transactionnel ».
Dès lors, et ainsi que déjà statué par jugement du 14 décembre 2015 confirmé par arrêt du 14 février 2019, M. [C] est irrecevable en sa demande d'indemnisation d'un préjudice d'anxiété résultant la maladie professionnelle déclarée le 18 juillet 2013. Le jugement doit donc être confirmé sur ce point, ce sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action.
Sur la demande reconventionnelle de la société [6]
La société [6] fait valoir que les décisions rendues en référé n'ont pas l'autorité de la chose jugée et que M. [C] doit lui rembourser la somme de 2.500 € versée à titre provisionnel sur l'indemnisation d'un préjudice d'agrément antérieurement intégralement indemnisé par le FIVA.
M. [C] ne présente aucun moyen.
Dès lors que M. [C] a été intégralement indemnisé du préjudice d'anxiété résultant la maladie professionnelle déclarée le 18 juillet 2013, il est tenu de rembourser la somme de 2.500 € versée ensuite à titre de provision à valoir sur l'indemnisation de ce même préjudice. Le jugement doit donc être confirmé sur ce point.
Sur les autres demandes
M. [C], qui succombe, sera condamné aux dépens exposés en appel, ainsi qu'à payer à la société [6] une somme de 800 € sur le fondement de l'
article 700 du code de procédure civile🏛 et débouté de sa demande présentée sur ce même fondement.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré, statuant, publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Confirme le jugement rendu le 30 août 2021 par le pôle social du tribunal judiciaire de Pau,
Condamne M. [T] [C] à payer à la société [6] la somme de 800 € sur le fondement de l'
article 700 du code de procédure civile🏛,
Rejette la demande présentée par M. [T] [C] sur le fondement de l'
article 700 du code de procédure civile🏛,
Condamne M. [T] [C] aux dépens exposés en appel.
Arrêt signé par Madame CAUTRES, Présidente, et par Madame LAUBIE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE,LA PRÉSIDENTE,