Jurisprudence : TA Guyane, du 29-07-2022, n° 2200937


Références

Tribunal Administratif de la Guyane

N° 2200937


lecture du 29 juillet 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 8 juillet 2022 et un mémoire en réplique enregistré le 25 juillet 2022 à 13h34, la société Héli-Cojyp, représentée par la SELAS Cabinet Lapuelle, demande au juge des référés, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'ordonner à l'Office national des forêts, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, à titre principal, de reprendre l'analyse des offres en écartant le motif d'exclusion litigieux, ou, à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel appel d'offres si la reprise de l'analyse des offres est impossible après avoir écarté le motif d'exclusion litigieux ;

2°) de mettre à la charge de l'Office national des forêts la somme de 6 000 euros à lui verser au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société soutient que :

- l'Office national des forêts a méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence dès lors que l'article 2.1. du règlement de la consultation et du cahier des clauses particulières prévoit que " sont exclus de la consultation les candidats ayant un lien organique ou capitalistique avec toute entité physique et/ou morale exerçant une activité professionnelle soit d'exploitation du sol ou du sous-sol (extraction minière ou carrière), soit étroitement liée à celles-ci ", sans que cette clause soit justifiée par l'article L. 2141-10 du code de la commande publique concernant la prévention des conflits d'intérêts dans les procédures de passation de marchés ;

- cette même clause d'exclusion porte atteinte à l'égalité de traitement des candidats à la commande publique et au libre accès à la commande publique, et ne présente pas de lien avec l'objet du marché, ni avec ses conditions d'exécution ;

- la fin de non-recevoir opposée en défense est dépourvue de fondement.

Par un mémoire en défense enregistré le 20 juillet 2022, l'Office national des forêts, représenté par Me Mailliard, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 500 euros soit mise à la charge de la société Héli-Cojyp au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

Il fait valoir que :

- le recours de la société requérante est irrecevable, faute pour elle de justifier qu'elle est susceptible d'être concernée par la clause litigieuse et ses intérêts susceptibles d'être lésés ;

- les moyens de la société requérante sont dépourvus de fondement.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné Mme Chatal, conseillère, pour statuer sur les demandes de référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique du 25 juillet 2022 :

- le rapport de Mme A,

- les observations de Me Lapuelle, représentant la société Héli-Cojyp, qui a énoncé les moyens et arguments présentés dans sa requête, a détaillé le contenu de son mémoire en réplique du 25 juillet 2022 s'agissant en particulier des conditions légales et jurisprudentielles imposées à un acheteur pour édicter une clause restreignant l'accès à la commande publique, a indiqué pour quelles raisons ces conditions n'étaient selon elle pas réunies, et a exposé le contenu et la portée des pièces complémentaires également produites le 25 juillet 2022 ;

- et les observations de Me Lingibé, substituant Me Mailliard, représentant l'Office national des forêts, qui a rappelé la fin de non-recevoir et les arguments présentés dans le mémoire en défense.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 25 juillet 2022 à 15 h 17 à l'issue de l'audience.

Une note en délibéré présentée par l'Office national des forêts a été enregistrée le 28 juillet 2022.

Considérant ce qui suit :

1. L'Office national des forêts a lancé une consultation le 11 mai 2022, en vue de la passation, selon une procédure d'appel d'offres ouvert, d'un accord-cadre à bons de commande ayant pour objet la " commande de missions de travail aérien et de transport public sur l'ensemble du territoire de la Guyane ". La société Héli Cojyp, qui s'est portée candidate le 13 juin 2022, conteste la légalité d'une clause insérée au règlement de la consultation et au cahier des clauses particulières, ayant selon elle pour effet d'exclure sa candidature, et demande au juge des référés d'ordonner à l'Office national des forêts de reprendre le processus d'analyse des offres en écartant cette clause ou, à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel appel d'offres en écartant cette clause d'exclusion des documents contractuels.

Sur la fin de non-recevoir opposée en défense :

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. () Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ". Aux termes du I de l'article L. 551-2 : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat (). Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat ().

3. Aux termes de l'article L. 551-10 du code de justice administrative : " Les personnes habilitées à engager les recours prévus aux articles L. 551-1 et L. 551-5 sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat ou à entrer au capital de la société d'économie mixte à opération unique et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué, ainsi que le représentant de l'Etat dans le cas où le contrat doit être conclu par une collectivité territoriale, un groupement de collectivités territoriales ou un établissement public local. () ".

4. L'article 2.1 du règlement de la consultation et l'article 2.1 du cahier des clauses particulières du marché public litigieux prévoient que : " Sont exclus de la consultation les candidats ayant un lien organique ou capitalistique avec toute entité physique et/ou morale exerçant une activité professionnelle soit d'exploitation du sol ou du sous-sol (extraction minière ou carrière), soit étroitement liée à celles-ci. "

5. Si l'Office national des forêts soutient que la candidature de la société Héli Cojyp n'a pas été rejetée et que l'entreprise requérante ne justifie pas d'un intérêt lésé, la société Héli Cojyp justifie au contraire qu'elle est susceptible de voir sa candidature écartée sur le fondement de la clause citée au point précédent, et dont elle conteste la légalité. La fin de non-recevoir opposée en défense doit donc être écartée.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

6. Aux termes de l'article L. 3 du code de la commande publique : " Les acheteurs et les autorités concédantes respectent le principe d'égalité de traitement des candidats à l'attribution d'un contrat de la commande publique. Ils mettent en œuvre les principes de liberté d'accès et de transparence des procédures, dans les conditions définies dans le présent code. " Aux termes de l'article L. 2112-2 du code de la commande publique : " Les clauses du marché précisent les conditions d'exécution des prestations, qui doivent être liées à son objet. / Les conditions d'exécution peuvent prendre en compte des considérations relatives à l'économie, à l'innovation, à l'environnement, au domaine social, à l'emploi ou à la lutte contre les discriminations. ".

7. Il résulte de ces dispositions que si un pouvoir adjudicateur peut imposer, parmi les conditions d'exécution d'un marché public, des exigences particulières pour prendre en compte des considérations relatives à l'économie, à l'innovation, à l'environnement, au domaine social, à l'emploi ou à la lutte contre les discriminations, de telles exigences ne peuvent être édictées dans le respect des principes d'égalité des candidats à l'attribution d'un contrat de la commande publique et de liberté d'accès à la commande publique qu'à la condition qu'elles présentent un lien suffisant avec l'objet du marché, qu'elles poursuivent un objectif d'intérêt général, soient propres à garantir la réalisation de celui-ci et qu'elles n'aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.

8. D'après l'article 2-1 du cahier des clauses particulières du marché, intitulé " objet du marché " et d'après l'article 2-1 du règlement de la consultation : " L'accord-cadre concerne la commande de missions de travail aérien et de transport public entre les années 2022 et 2023, sur l'ensemble du Territoire de la Guyane () Heure de vol sans hélitreuillage pour effectuer du Travail Aérien et du Transport Public en lien ou non avec la surveillance des activités minières légales et illégales (missions de surveillance, de reconnaissance, de prise de photographies aériennes, de transport de personnel et de transport de fret par héliportage) () Sont exclus de la consultation les candidats ayant un lien organique ou capitalistique avec toute entité physique et/ou morale exerçant une activité professionnelle soit d'exploitation du sol ou du sous-sol (extraction minière ou carrière), soit étroitement liée à celles-ci. ". L'article 6.1. du règlement de la consultation concernant les conditions de participation des candidats rappelle que : " Les opérateurs économiques ayant un lien organique ou capitalistique avec une personne physique et/ou morale exerçant une activité professionnelle, soit d'exploitation du sol ou du sous-sol (extraction minière notamment), soit étroitement liée à ce secteur d'activité, ne peuvent pas candidater à la présente consultation. ".

9. Dans ses écritures en défense, l'Office national des forêts justifie cette clause d'exclusion par l'objet du marché, à savoir des heures de travail aérien ou de transport public en lien, notamment, avec la surveillance d'activités minières légales ou illégales. L'établissement public considère que la nature du marché impose une obligation de confidentialité, que l'indépendance des pilotes de la société attributaire du marché, qui disposent du plan de vol et communiquent avec les passagers, doit être assurée pour garantir l'efficacité des contrôles, et que ces exigences sont impossibles à respecter s'il existe des liens organiques ou capitalistiques entre la société attributaire et l'entreprise minière contrôlée. L'Office national des forêts indique également que la neutralité du service public interdit que son impartialité soit remise en cause du fait du choix de l'entreprise attributaire du marché public.

10. Toutefois, si l'exigence de confidentialité des opérations de surveillance et de contrôle menées par l'Office national des forêts répond à un objectif d'intérêt général en lien direct avec l'objet même du marché, il résulte de l'instruction que cette exigence pourrait être respectée par d'autres moyens que celui consistant à exclure purement et simplement de la consultation toute entreprise présentant " un lien organique ou capitalistique avec une personne physique et/ou morale exerçant une activité professionnelle, soit d'exploitation du sol ou du sous-sol, soit étroitement liée à ce secteur d'activité ", consistant par exemple en l'édiction de clauses de confidentialité précises ou de chartes de confidentialité pour les pilotes des hélicoptères. L'exclusion prévue dans les documents contractuels litigieux, qui n'est, en tout état de cause, pas de nature à garantir, à elle-seule, la confidentialité des opérations de contrôle de l'Office national des forêts, excède donc significativement ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs de l'établissement public dans l'exécution du marché public. Le principe de neutralité du service public ne permet pas davantage de justifier le choix de la clause litigieuse. Il s'ensuit que la société Héli-Cojyp est bien fondée à soutenir qu'en insérant cette clause dans le règlement de consultation et dans le cahier des clauses particulières du marché public litigieux, l'Office national des forêts a méconnu les principes d'égalité de traitement des candidats à la commande publique et de libre accès à la commande publique, et a ainsi manqué à ses obligations de mise en concurrence.

11. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, qu'il y a lieu d'enjoindre à l'Office national des forêts, s'il entend poursuivre la procédure de passation du marché public litigieux, de supprimer des documents contractuels du marché public la clause prévoyant l'exclusion de la consultation des candidats " ayant un lien organique ou capitalistique avec toute entité physique et/ou morale exerçant une activité professionnelle soit d'exploitation du sol ou du sous-sol (extraction minière ou carrière), soit étroitement liée à celles-ci. ", d'informer les opérateurs économiques intéressés de la modification des documents contractuels et d'ouvrir à compter de cette information, un nouveau délai de réception des offres au moins égal à 50 jours.

Sur les frais du litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Héli-Cojyp, qui n'est pas, dans la présente instance, partie perdante, la somme que demande l'Office national des forêts au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des mêmes dispositions et de mettre à la charge de l'Office national des forêts une somme 1 200 euros à verser à la société Héli-Cojyp.

O R D O N N E :

Article 1er : Il est enjoint à l'Office national des forêts de supprimer des documents contractuels du marché public de " commande de missions de travail aérien et de transport public sur l'ensemble du territoire de la Guyane " la clause prévoyant l'exclusion de la consultation des candidats " ayant un lien organique ou capitalistique avec toute entité physique et/ou morale exerçant une activité professionnelle soit d'exploitation du sol ou du sous-sol (extraction minière ou carrière), soit étroitement liée à celles-ci. ".

Article 2 : Il est enjoint à l'Office national des forêts d'informer les opérateurs économiques intéressés de la modification des documents contractuels en conséquence et d'ouvrir à compter de cette information, un nouveau délai de réception des offres au moins égal à 50 jours.

Article 3 : L'Office national des forêts versera à la société Héli-Cojyp une somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de l'Office national des forêts présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Heli-Cojyp et à l'Office national des forêts.

Rendue publique par mise à disposition au greffe le 29 juillet 2022.

La juge des référés,

Signé

A. A

La République mande et ordonne au préfet de la Guyane en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier en chef,

Ou par délégation le greffier,

Signé

M-Y. Metellus

N°2200937

Agir sur cette sélection :

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus