Jurisprudence : CAA Nancy, 2e, 13-07-2022, n° 20NC03789


Références

Cour Administrative d'Appel de Nancy

N° 20NC03789

2ème chambre
lecture du 13 juillet 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des suppléments d'impôt sur le revenu et de contributions sociales qui lui ont été assignés au titre de l'année 2011.

Par un jugement n° 1803131 du 15 juillet 2020, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 24 décembre 2020 et des mémoires enregistrés les 19 octobre 2021 et 22 juin 2022, M. B, représenté par Me Schott, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge des impositions et pénalités contestées ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué s'est irrégulièrement fondé sur deux motifs, le non-respect de l'article 6 de la promesse d'achat et la caducité de cette promesse, lesquels n'ont jamais été invoqués ni débattus devant lui et a ainsi statué ultra petita ;

- la proposition de rectification est insuffisamment motivée ainsi que la réponse aux observations du contribuable ;

- l'administration s'est en réalité fondée sur un abus de droit sans mettre en œuvre les garanties de procédure prévues dans un tel cas par l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ;

- en l'absence de rehaussement du bénéfice imposable de la société, l'administration ne pouvait fonder l'imposition litigieuse sur le c) de l'article 111 du code général des impôts ; en tout état de cause, il ne pouvait s'agir d'un versement occulte puisque l'opération a bien été comptabilisée ; l'éventuelle distribution ne pourrait être imposée que sur le fondement du 1 de l'article 109 du code général des impôts ;

- le prix versé par la société Alpha pour l'acquisition des actions litigieuses est celui du marché de sorte qu'il n'existe aucun écart significatif de prix entre celui stipulé et la valeur vénale des actions ; cette acquisition résulte de la mise en œuvre de la promesse unilatérale d'achat qui avait été régulièrement consentie et qui au jour de l'acte n'était pas caduque ; en conséquence, il n'existe aucun avantage, aucune libéralité à son profit susceptible de constituer un revenu imposable ; la plus-value réalisée est bien exonérée en vertu de l'article 163 quinquies B du code général des impôts ;

- l'administration ne rapporte pas la preuve du manquement délibéré dès lors qu'il n'a entendu que procéder à la gestion de son plan d'épargne en actions et n'a nullement entendu accepter une libéralité ; cette preuve est d'autant moins apportée sur le nouveau fondement de l'imposition revendiquée par l'administration ;

- le ministre n'est pas fondé à demander l'imposition des sommes litigieuses sur le fondement de l'article 79 et 82 du code général des impôts dès lors qu'aucun avantage ne lui a été accordé lors de l'acquisition des titres en 2006, qui s'est faite au prix du marché, non plus que lors de la promesse d'achat de 2008, fondée également sur le prix du marché ; dans ces conditions, la circonstance que la levée d'option en 2011 a fait apparaître un gain significatif ne saurait constituer un supplément de rémunération imposable au regard de la jurisprudence du Conseil d'Etat invoquée par l'administration ; en tout état de cause, à l'occasion de la promesse d'achat de 2008, aucun avantage ne lui a été consenti.

Par des mémoires en défense enregistrés le 7 octobre 2021 et le 5 mai 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il soutient que, dans le dernier état de ses écritures :

- il y a lieu de substituer comme base légale de l'imposition litigieuse les articles 79 et 82 du code général des impôts au c) de l'article 111 du même code dès lors que le supplément de prix versé par la société Alpha en contrepartie des actions vendues doit s'analyser comme un complément de rémunération imposable des fonctions de dirigeant clé exercées par M. B ;

- les pénalités pour manquement délibéré doivent être maintenues dès lors que les faits relevés établissent l'intention d'éluder l'impôt au regard de la nouvelle base légale des impositions.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique.

Ont été entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A ;

- les conclusions de Mme Haudier, rapporteure publique ;

- et les observations de Me Schott, représentant M. B.

Considérant ce qui suit :

1. M. B, directeur administratif et financier de la société Mécatherm, a cédé le 4 octobre 2011 à sept sociétés appartenant au groupe Alpha, 43 243 actions de la société Oslau, alors société mère de la société Mécatherm, société holding, au prix unitaire de 11,63 euros, pour un prix total de 502 916 euros et les 188 030 autres actions de cette même société lui appartenant, au prix unitaire de 1,75443 euros, soit un prix total de 329 886 euros à la société Hirvest 6. Alors que M. B avait considéré que les plus-values réalisées à l'occasion de ces cessions étaient exonérées dans le cadre de son plan d'épargne en actions, l'administration, à la suite d'un contrôle sur pièces, a relevé que le prix des actions de la société Oslau versé par les sociétés du groupe Alpha à M. B était nettement supérieur à leur valeur vénale laquelle devait, selon elle, être arrêtée au prix unitaire de 1,75443 euros versé par la société Hirvest 6. Par une proposition de rectification du 15 décembre 2014, le service a ainsi porté à la connaissance de M. B, selon la procédure contradictoire prévue à l'article L. 55 du livre des procédures fiscales, qu'il envisageait de réintégrer dans ses revenus de capitaux mobiliers imposables au titre de l'année 2011 le montant de l'écart entre le prix stipulé et la valeur vénale estimée par lui des actions Oslau vendues aux sociétés du groupe Alpha regardé comme une distribution ou rémunération occulte sur le fondement du c) de l'article 111 du code général des impôts. Cette rectification ayant été refusée par M. B, le service a maintenu sa position dans un courrier de réponse aux observations du contribuable du 10 novembre 2015. Les suppléments d'impôt sur le revenu et de contributions sociales assorties des pénalités pour manquement délibéré ont été mises en recouvrement le 31 janvier 2016 et la réclamation préalable de M. B a fait l'objet d'une décision d'admission partielle du 9 avril 2018. M. B relève appel du jugement du 15 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la décharge des impositions supplémentaires laissées à sa charge.

Sur la régularité du jugement :

2. En estimant qu'il ne résultait pas de l'instruction que la promesse d'achat de ses actions consentie le 1er avril 2008 par les sociétés Alpha General Partner 5 LP et Zebra SC à M. B avait conservé sa force exécutoire lors de la cession litigieuse des actions Oslau le 4 octobre 2011, les premiers juges se sont bornés à examiner le moyen invoqué devant eux par le requérant après s'être livrés à l'analyse de cette convention. Ce faisant, le jugement ne s'est pas fondé sur un moyen relevé d'office sans le soumettre au contradictoire et n'a pas méconnu la portée des conclusions présentées devant le tribunal administratif. Par suite, M. B n'est pas fondé à soutenir que le jugement attaqué serait, sur ce point, irrégulier.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

3. M. B reprend en appel les moyens tirés de l'insuffisante motivation de la proposition de rectification et de la réponse à ses observations et de ce que l'administration n'aurait pas respecté les garanties de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales en cas d'abus de droit. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus à juste titre par les premiers juges.

Sur le bien-fondé des impositions :

4. Les sociétés cessionnaires des parts sociales litigieuses n'étant pas assujetties à l'impôt sur les sociétés, l'avantage consenti par celles-ci à M. B ne saurait, comme le reconnaît l'administration, être regardé comme générant des revenus distribués au sens de l'article 108 du code général des impôts. Mais, l'administration est en droit, à tout moment de la procédure, de justifier l'imposition en substituant une base légale à une autre, sous réserve que le contribuable ne soit pas privé des garanties de procédure qui lui sont données par la loi. Afin de justifier des impositions litigieuses, le ministre demande à la cour de substituer comme fondement les articles 79 et 82 du code général des impôts à l'article 111 c) du même code initialement retenu.

5. L'article 79 du code général des impôts dispose que : " Les traitements, indemnités, émoluments, salaires, pensions et rentes viagères concourent à la formation du revenu global servant de base à l'impôt sur le revenu ". Aux termes de l'article 82 du même code : " Pour la détermination des bases d'imposition, il est tenu compte du montant net des traitements, indemnités et émoluments, salaires, pensions et rentes viagères, ainsi que de tous les avantages en argent ou en nature accordés aux intéressés en sus des traitements, indemnités, émoluments, salaires, pensions et rentes viagères proprement dits () ". Aux termes de l'article 150-0 A du même code, dans sa rédaction applicable aux impositions en litige : " Sous réserve des dispositions propres aux bénéfices industriels et commerciaux, aux bénéfices non commerciaux et aux bénéfices agricoles ainsi que des articles 150 UB et 150 UC, les gains nets retirés des cessions à titre onéreux, effectuées directement ou par personne interposée, de valeurs mobilières () sont soumis à l'impôt sur le revenu ".

6. Les gains nets retirés par une personne physique de la cession à titre onéreux de valeurs mobilières sont en principe imposables suivant le régime des plus-values de cession de valeurs mobilières des particuliers institué par l'article 150-0 A du code général des impôts, y compris lorsque ces titres ont été acquis ou souscrits auprès d'une société dont le contribuable était alors dirigeant ou salarié, ou auprès d'une société du même groupe. Il en va toutefois autrement lorsque, eu égard aux conditions de réalisation du gain de cession, ce gain doit essentiellement être regardé comme acquis, non à raison de la qualité d'investisseur du cédant, mais en contrepartie de ses fonctions de salarié ou de dirigeant et constitue, ainsi, un revenu imposable dans la catégorie des traitements et salaires en application des articles 79 et 82 du code général des impôts, réalisé et disponible l'année de la cession de ces titres.

7. Il résulte de l'instruction, en particulier de la promesse d'achat du 4 avril 2006 et du pacte d'actionnaire du même jour, que M. B en sa qualité de directeur administratif et financier de la société Mecatherm, qualifié à cette occasion de " dirigeant-clé ", a été associé, aux côtés d'autres cadres dirigeants du groupe, à l'acquisition du groupe Mecatherm effectuée au moyen d'une opération de rachat avec effet de levier dite " leverage buy out " (LBO) menée par le fonds d'investissements Alpha au travers de la société mère du groupe, la SAS Oslau. M. B a ainsi pu acquérir des actions de la société Oslau et s'est vu garantir par le groupe Alpha une promesse de rachat de ses actions en cas de cession ultérieure du groupe Mecatherm à condition de poursuivre sa collaboration au sein du groupe, assortie d'un mécanisme de fixation du prix de vente. Cette promesse s'est trouvée confirmée par la promesse unilatérale d'achat consentie le 1er avril 2008 par les sociétés du groupe Alpha au profit de M. B, assortie de la garantie d'un prix minimum. La mise en œuvre des clauses relatives aux modalités de détermination du prix de vente prévues par ces actes a ainsi conduit à faire bénéficier M. B d'un prix supérieur au minimum garanti à l'occasion de la levée d'option en 2011 et alors que la valeur vénale du titre avait considérablement chuté ainsi qu'en atteste le prix payé par la société Hirvest 6. Il se déduit de ces éléments que le complément de prix versé par les sociétés du groupe Alpha pour l'acquisition des actions Oslau détenues par M. B l'a été en contrepartie de ses fonctions de dirigeant au sein du groupe Mecatherm par la mise en œuvre des stipulations de la promesse de 2008. Par conséquent, sans qu'y fasse obstacle la circonstance, en l'admettant même établie, que la promesse de 2008 aurait été fondée sur la valeur vénale des actions litigieuses à l'époque, l'administration est fondée à demander que les sommes litigieuses soient imposées, pour les mêmes montants, dans la catégorie des traitements et salaires en application des règles ci-dessus rappelées. Par suite, dès lors que le contribuable, qui a fait l'objet d'une procédure de rectification contradictoire, n'a pas été privé des garanties de procédure attachées à la nouvelle catégorie d'imposition, il y a lieu d'accueillir la substitution de base légale demandée par l'administration.

Sur les pénalités :

8. Aux termes des dispositions de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré () c. 80 % en cas de manuvres frauduleuses ". Aux termes de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales : " En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs (), la preuve de la mauvaise foi et des manuvres frauduleuses incombe à l'administration ". La majoration de 40 % pour manquement délibéré prévue au a de l'article 1729 du code général des impôts sanctionne la méconnaissance par le contribuable de ses obligations déclaratives. Pour établir le manquement délibéré, l'administration fiscale doit apporter la preuve de l'insuffisance, de l'inexactitude ou du caractère incomplet des déclarations du contribuable, et de son intention délibérée d'éluder l'impôt.

9. Afin de justifier l'application de la pénalité pour manquement délibéré, l'administration retient que M. B, en sa qualité de " dirigeant-clé " du groupe Mécatherm, ne pouvait ignorer que le complément de prix qui lui avait été octroyé à l'occasion des cessions litigieuses ne pouvait relever du régime d'imposition des plus-values de cessions de valeurs mobilières en ce qu'il avait en toute connaissance de cause accepté une libéralité de la part des cessionnaires, faisant partie du groupe Alpha. Alors que M. B a spontanément déclaré le revenu provenant de la cession des parts sociales litigieuses, l'administration ne démontre pas que l'erreur de catégorie de revenu, dont la réalité ne se trouve établie que dans le cadre du présent recours, aurait été sciemment commise par l'intéressé dans le but d'éluder l'impôt sur le revenu. Par suite, l'administration ne rapporte pas la preuve du manquement délibéré de nature à justifier la majoration de 40 %.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. B est seulement fondé à demander la décharge de la pénalité pour manquement délibéré ayant assorti les impositions litigieuses et par voie de conséquence la réformation dans cette mesure du jugement attaqué.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante à titre principal dans la présente instance, verse à M. B une somme au titre des frais exposés par lui.

D E C I D E :

Article 1er : M. B est déchargé des pénalités pour manquement délibéré ayant assorti les impositions litigieuses.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 15 juillet 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 30 juin 2022, à laquelle siégeaient :

M. Martinez, président de chambre,

M. Agnel, président assesseur,

Mme Lambing, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 juillet 2022.

Le rapporteur,

Signé : M. AgnelLe président,

Signé : J. Martinez

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

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