Jurisprudence : TA Bastia, du 20-07-2022, n° 2200797

TA Bastia, du 20-07-2022, n° 2200797

A41118CA

Référence

TA Bastia, du 20-07-2022, n° 2200797. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/86684510-ta-bastia-du-20072022-n-2200797
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Abstract

► L'autorité concédante peut légalement prévoir d'apprécier les offres au regard d'un critère relatif aux performances sociales et environnementales notamment, dès lors que ce critère n'est pas discriminatoire et lui permet d'apprécier objectivement ces offres.


Références

Tribunal Administratif de Bastia

N° 2200797


lecture du 20 juillet 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 28 juin 2022 et le 18 juillet 2022, la SAS Corsica Ferries, représentée par Me Ayache, demande au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, dans le dernier état de ses écritures :

1°) à titre principal :

- d'enjoindre à la collectivité de Corse et à l'office des transports de la Corse (OTC) de définir précisément, dans les conditions prévues à l'article R. 3114-2 du code de la commande publique, la nature, le montant estimatif et les caractéristiques des investissements à la charge du futur concessionnaire ;

- à défaut, de ramener à un maximum de cinq ans la durée du projet de contrat et de supprimer toute référence aux " charges d'investissement " dans les documents de la consultation ;

- d'enjoindre à la collectivité de Corse et à l'OTC de clarifier l'objet réel du service public des lots n° 1, 2, 3 et 5 et, le cas échéant, de supprimer, pour ces quatre lots, les clauses et prescriptions se rattachant à une activité de transport de passagers résidents et de touristes ;

- de supprimer les obligations relatives aux rotations " reprogrammables " et aux rotations " supplémentaires " prévues à l'article 16 du projet de contrat et à l'annexe 1 ;

- d'enjoindre à la collectivité de Corse et à l'OTC de définir, à l'article 9.2 du règlement de la consultation, de nouveaux critères de sélection en lieu et place des sous-critères 1, 2 et 3 du critère n° 1 et du critère n° 3 ;

2°) à titre subsidiaire :

- d'annuler la procédure de passation relative aux délégations de service public de transport maritime de passagers et de marchandises entre la Corse et le port de Marseille engagée par la collectivité de Corse pour la période 2023-2029 ;

- à défaut, d'enjoindre à la collectivité de Corse et à l'OTC de reporter de deux mois la date et l'heure limite de remise des candidatures et des offres afin de permettre aux candidats de prendre acte de l'information relative à l'absence d'investissement mis à la charge du concessionnaire après leur avoir, le cas échéant, enjoint de transmettre la liste des biens de retour affectés et/ou réalisés dans le cadre de l'actuelle convention de délégation de service public (période 2020-2021) ;

3°) de mettre à la charge de la collectivité de Corse et de l'OTC la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa demande est recevable dès lors qu'elle justifie d'un intérêt à agir ;

- le règlement de la consultation et le projet de convention ne permettent pas de déterminer la nature et la consistance des investissements attendus du futur concessionnaire qui doit, dès le dépôt des offres, disposer des navires répondant aux besoins définis à l'annexe 1 mais qui devra, une fois attributaire, investir dans des navires répondant aux mêmes besoins en les faisant financer par les recettes d'exploitation de la concession et par la subvention publique versée par l'OTC ;

- les navires affectés à la desserte maritime et financés par les recettes d'exploitation et les subventions publiques, justifiant une durée de sept ans de la convention avec prolongation éventuelle d'un an, ne peuvent pas constituer des biens propres du délégataire dès lors qu'ils seront nécessaires au service public concédé ;

- à supposer que des investissements dans de nouveaux bateaux puissent justifier la durée de la convention, la nature, le montant estimatif et les caractéristiques techniques de ces investissements ne sont pas précisés ;

- la liste des biens de retour au terme des précédentes concessions ne lui a pas été communiquée ;

- l'absence de ces éléments ne permet pas de justifier la durée des délégations ;

- l'absence de ces éléments ne permet pas de connaître le rôle des investissements dans le choix qui sera effectué au moment de l'attribution des délégations ;

- l'absence de ces éléments empêche ainsi le dépôt d'une offre utile ;

- l'objet des contrats et l'étendue réelle de la mission des attributaires sont incertains eu égard aux contradictions entachant les documents de la consultation, relatives au transport de passagers résidents corses en ce qui concerne les lots n° 1, 2, 3 et 5 dont l'objet est censé porter sur le seul transport de marchandises ainsi que de convoyeurs et de passagers voyageant pour raison médicale et non sur le transport de passagers résidents Corse ;

- l'exigence de rotations " reprogrammables " et de rotations " supplémentaires " n'est pas justifiée au regard des besoins de la desserte maritime de la Corse en l'absence de démonstration préalable d'un besoin réel de service public ;

- les rotations " reprogrammables " et les rotations " supplémentaires ", qui présentent un caractère imprévisible en l'absence d'informations sur la période au cours de laquelle ces rotations seront demandées, exigent des candidats la disposition d'un navire supplémentaire à chaque fois qu'une telle rotation leur sera imposée, de nature à empêcher les candidats, autres que ceux dont la flotte est dédiée aux délégations de service public de transport maritime, de participer utilement à la procédure de passation en cours ;

- l'absence d'informations sur le nombre de rotations " supplémentaires " pouvant être demandé ne permet pas de présenter une offre utile ;

- le sous-critère 1 du critère 1, pondéré à 20 %, relatif à la présentation de l'outil naval, manque de précisions et confère au délégant une liberté de choix discrétionnaire ;

- ce sous-critère, en ce qu'il prévoit une appréciation de l'adéquation de l'outil naval au regard de sa conformité aux différents codes et conventions, se confond avec le critère de sélection des candidats prévu à l'article 5.1 du règlement de la consultation ;

- les sous-critères 2 et 3 du critère 1, pondérés à 30 %, opèrent une confusion entre critères de recevabilité des offres et critères de jugement des offres et ne permettent pas d'apprécier les mérites des offres des candidats ni de les départager en déterminant la meilleure offre ;

- le critère 3, pondéré à 10 %, ne présente pas de lien avec l'objet des délégations en l'absence de précision sur les éléments concrets permettant d'apprécier le critère de la responsabilité sociétale des entreprises au regard de cet objet, de ses conditions d'exécution et des modalités selon lesquelles ce critère concourt à la réalisation des prestations prévues ;

- les moyens invoqués ne sont pas inopérants dès lors que les manquements constatés sont de nature à léser ses intérêts dès le stade actuel de la procédure de passation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 juillet 2022, la collectivité de Corse, représentée par la SELAS Adaltys Affaires Publiques, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la SAS Corsica Ferries au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le moyen tiré de la durée des délégations de service public est inopérant, en l'absence de privation d'accès à la commande publique ;

- le moyen tiré de l'existence d'incertitudes et d'incohérences relatives à l'objet du service public pour les lots 1, 2, 3 et 5 est inopérant, faute pour la société requérante de démontrer en quoi le manquement allégué est susceptible de la léser ;

- le moyen tiré d'un manquement allégué relatif aux rotations reprogrammables et supplémentaires est inopérant dès lors qu'il ne se rapporte pas aux obligations de publicité et de mise en concurrence ;

- le moyen tiré du caractère général et sans rapport avec l'objet du service public de la plupart des critères de sélection des offres est inopérant en l'état actuel de la procédure ;

- ces moyens ainsi que les autres moyens soulevés par la SAS Corsica Ferries ne sont pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 13 juillet 2022, l'office des transports de la Corse, représenté par la SELAS Oyat, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la SAS Corsica Ferries au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la requête n'est pas recevable, en l'absence de lésion d'un intérêt à ce stade de la procédure d'appel à la concurrence ;

- les manquements allégués sont en tout état de cause inopérants.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le règlement (CEE) n° 3577/92 du Conseil du 7 décembre 1992 ;

- la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 ;

- le code de la commande publique ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir présenté son rapport et entendu au cours de l'audience publique les observations de Me Ayache, représentant la SAS Corsica Ferries, de Me Boiton, représentant la collectivité de Corse, et de Me de la Brosse, représentant l'OTC.

Une note en délibéré présentée par la collectivité de Corse a été enregistrée le 18 juillet 2022.

Considérant ce qui suit :

1. L'Assemblée de Corse a, par une délibération n° 22/050 du 28 avril 2022, décidé de recourir à des conventions de service public " ligne par ligne " pour l'exploitation des services de transport maritime de marchandises et de passagers entre, d'une part, les ports d'Ajaccio, Bastia, Porto-Vecchio, Propriano et L'Ile-Rousse et, d'autre part, le port de Marseille, d'une durée de sept ans à compter du 1er janvier 2023, soit jusqu'au 31 décembre 2029. La collectivité de Corse a fait diffuser, le 6 mai 2022, sous le n° 22-63447, un avis de concession pour l'attribution de cinq lots correspondant à une convention de délégation de service public par port à desservir au titre de la continuité territoriale. La date limite de remise des candidatures et des offres est fixée au 25 juillet 2022. Conformément au paragraphe 4.4 du règlement de la consultation, la SAS Corsica Ferries a posé des questions auxquelles l'office des transports de la Corse (OTC) a répondu. La SAS Corsica Ferries a saisi le juge des référés du tribunal d'une requête présentée, le 28 juin 2022, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative.

2. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif () peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. / () / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat. " L'article L. 551-2 dispose en son I que " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. "

3. D'autre part, il résulte des dispositions de l'article L. 551-10 du code de justice administrative que les personnes habilitées à engager les recours prévus à l'article L. 551-1 du même code sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué. Il appartient au juge du référé précontractuel de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente.

Sur l'objet des délégations de service public :

4. L'article 1er du projet de convention de délégation de service public, lequel est au nombre des documents constituant le dossier de consultation en application des dispositions du paragraphe 4.1 du règlement de la consultation, prévoit que la convention a pour objet de confier au délégataire l'exécution des obligations de service public relatives au transport de marchandises (incluant les matières dangereuses), sous la forme de fret inerte et de fret tracté, et au transport de passagers voyageant pour des raisons médicales, ou en tant que convoyeurs de fret tracté, au titre de la continuité territoriale entre quatre ports de Corse (lot n° 1 : Ajaccio, lot n° 2 : Bastia, lot n° 3 : Porto-Vecchio, lot n° 5 : L'Ile-Rousse) et le port de Marseille. Le service du lot n° 4, correspondant à la desserte maritime entre Propriano et Marseille, comprend en outre le transport de passagers résidents Corse.

5. Il résulte ainsi des termes mêmes du projet de convention que l'objet de chacune des délégations, qui peut au demeurant être rapproché de l'annexe 1, dite annexe technique des services, est déterminé avec une précision suffisante. La SAS Corsica Ferries ne peut utilement se prévaloir des obligations du délégataire, relatives à l'application du tarif " résident corse ", qui sont susceptibles de concerner les passagers voyageant pour des raisons médicales et les convoyeurs de fret tracté de chacun des lots, non plus que de dispositions relatives aux critères d'analyse des offres, pour soutenir que le dossier de consultation comporterait des incertitudes et incohérences quant à l'objet du service public de transport maritime délégué. Il suit de là que la SAS Corsica Ferries n'est pas susceptible d'être lésée par le manquement invoqué. Le moyen est dès lors inopérant.

Sur les investissements à la charge du délégataire :

6. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales : " Les collectivités territoriales, leurs groupements ou leurs établissements publics peuvent confier la gestion d'un service public dont elles ont la responsabilité à un ou plusieurs opérateurs économiques par une convention de délégation de service public définie à l'article L. 1121-3 du code de la commande publique préparée, passée et exécutée conformément à la troisième partie de ce code. " L'article L. 3114-7 du code de la commande publique dispose que " La durée du contrat de concession est limitée. Elle est déterminée par l'autorité concédante en fonction de la nature et du montant des prestations ou des investissements demandés au concessionnaire, dans les conditions prévues par voie réglementaire. " Selon l'article R. 3114-1 du même code : " Pour la détermination de la durée du contrat de concession, les investissements s'entendent comme les investissements initiaux ainsi que ceux devant être réalisés pendant la durée du contrat de concession, lorsqu'ils sont nécessaires à l'exploitation des travaux ou des services concédés. / Sont notamment considérés comme tels les travaux de renouvellement, les dépenses liées aux infrastructures, aux droits d'auteur, aux brevets, aux équipements, à la logistique, au recrutement et à la formation du personnel. " Enfin, l'article R. 3114-2 prévoit que " Pour les contrats de concession d'une durée supérieure à cinq ans, la durée du contrat ne doit pas excéder le temps raisonnablement escompté par le concessionnaire pour qu'il amortisse les investissements réalisés pour l'exploitation des ouvrages ou services avec un retour sur les capitaux investis, compte tenu des investissements nécessaires à l'exécution du contrat. "

7. Les concessions sont soumises aux principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, qui sont des principes généraux du droit de la commande publique. Pour assurer le respect de ces principes, la personne publique doit apporter aux candidats à l'attribution d'une concession, avant le dépôt de leurs offres, une information suffisante sur la nature et l'étendue des besoins à satisfaire. Il lui appartient à ce titre d'indiquer aux candidats les caractéristiques essentielles de la concession et le type d'investissements attendus ainsi que les critères de sélection des offres. S'il est loisible à l'autorité concédante d'indiquer précisément aux candidats l'étendue et le détail des investissements qu'elle souhaite les voir réaliser, elle n'est pas tenue de le faire à peine d'irrégularité de la procédure. Il lui est en effet possible, après avoir défini les caractéristiques essentielles de la concession, de laisser les candidats définir eux-mêmes leur programme d'investissement, sous réserve qu'elle leur ait donné des éléments d'information suffisants sur la nécessité de prévoir des investissements, sur leur nature et leur consistance et sur le rôle qu'ils auront parmi les critères de sélection des offres.

8. Le chapitre 4 du guide de rédaction des offres financières, qui constitue l'annexe 1 au règlement de la consultation, indique ce que sont les charges d'investissement au sens de la consultation et du projet de convention. Les documents composant le dossier de consultation et les prescriptions de ce chapitre 4, qui distingue le cas d'affrètement d'un navire de celui de l'amortissement et de financement du navire, sont suffisamment précises pour mettre les candidats à même d'apprécier la nature et l'étendue des besoins à satisfaire, ainsi que le type d'investissements éventuellement nécessaires en fonction de l'outil naval propre à chacun des opérateurs économiques et des caractéristiques des lots à l'attribution desquels chacun de ces opérateurs est susceptible de se porter candidat. L'argumentation de la société requérante relative, d'une part, à la qualification des navires en biens de retour ou en biens propres et, d'autre part, à la non-communication de la liste des biens de retour, ne peut être utilement invoquée à ce stade de la procédure. Eu égard à ce qui précède, la SAS Corsica Ferries n'est pas fondée à se prévaloir d'une incertitude sur la nature des investissements à réaliser et à amortir, laquelle incertitude ne serait au demeurant pas la conséquence d'une insuffisante détermination des besoins de l'autorité concédante. Par suite, il ne résulte pas de l'instruction que la collectivité de Corse aurait manqué aux obligations de publicité et de mise en concurrence qu'imposent les dispositions citées au point 6.

9. Il résulte de ce qui a été indiqué au point précédent que le moyen tiré de ce que la durée des délégations de service public ne serait pas justifiée au regard des dispositions des articles L. 3114-7 et R. 3114-2 du code de la commande publique est inopérant.

10. L'analyse des offres est faite en fonction notamment d'un critère n° 2 dont le premier sous-critère se rapporte au montant total de la compensation financière. Celle-ci comprend notamment une composante au titre des charges d'exploitation et une autre au titre des charges d'investissement. La SAS Corsica Ferries n'est dès lors pas fondée à soutenir que le rôle que les investissements auront parmi les critères de sélection des offres pour l'attribution des délégations de service public ne serait pas connu.

11. Compte tenu de ce qui a été indiqué aux points 8 à 10, il ne résulte pas de l'instruction que les manquements invoqués par la société requérante sont, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, susceptibles de l'avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente.

Sur les rotations reprogrammables et les rotations supplémentaires :

12. Selon le dernier alinéa de l'article 16 du projet de convention, la collectivité de Corse se réserve la possibilité, afin d'optimiser l'organisation du trafic, de reprogrammer des rotations dans le respect du nombre total de rotations annuelles figurant à l'annexe 1, après examen par le comité de suivi technique mentionné à l'article 9 du projet de convention. L'article 17 du projet de convention prévoit qu'au regard des nécessités d'exécution du service public, le délégant pourra être amené à demander au délégataire de réaliser ponctuellement des rotations supplémentaires dans la limite du nombre défini en annexe 1. Cette annexe technique des services indique, pour chacun des cinq lots, le nombre minimal de rotations annuelles, le nombre de fréquences minimales, le nombre de rotations supplémentaires, ainsi que les horaires programmés. Il résulte du paragraphe 4.1 du règlement de consultation que le dossier de consultation comprend, à titre de documents informatifs relatifs à la desserte maritime entre la Corse et le continent, les rapports annuels des délégataires pour 2017, 2018 et 2019, lesquels comportent notamment une analyse de la qualité des services et permettent à l'autorité concédante d'apprécier les conditions d'exécution du service public. Dans ces conditions, et alors que les informations relatives aux périodes de forte demande de transport maritime pouvant justifier une demande de rotations supplémentaires sont connues des opérateurs économiques et qu'il est au demeurant loisible à la SAS Corsica Ferries de consulter les données mises à la disposition du public notamment par l'observatoire régional des transports de Corse ainsi que le précise d'ailleurs le paragraphe 4.1 du règlement de la consultation, il ne résulte pas de l'instruction que les informations, relatives aux rotations reprogrammables et aux rotations supplémentaires, contenues dans le dossier de consultation ne seraient pas suffisantes pour permettre aux candidats d'apprécier l'étendue des obligations des délégataires et de déposer une offre. Le manquement allégué aux règles de publicité et de mise en concurrence n'est dès lors pas susceptible de léser la société requérante. Il suit de là que le moyen invoqué est inopérant.

13. Eu égard à l'office du juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, la SAS Corsica Ferries ne peut pas utilement se prévaloir de ce qu'en l'absence selon elle d'une démonstration préalable d'un besoin réel de service public, l'exigence de rotations reprogrammables et de rotations supplémentaires ne serait pas justifiée au regard des besoins de la desserte maritime de la Corse.

Sur les critères d'analyse des offres :

14. Ainsi qu'il a été indiqué au point 7, les délégations de service public sont soumises aux principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, qui sont des principes généraux du droit de la commande publique. Pour assurer le respect de ces principes, la personne publique doit apporter aux candidats à l'attribution d'une délégation de service public, avant le dépôt de leurs offres, une information sur les critères de sélection des offres. Ces critères doivent être liés à l'objet de la délégation de service public ou à ses conditions d'exécution, être définis avec suffisamment de précision pour ne pas laisser une marge de choix indéterminée et ne pas créer de rupture d'égalité entre les candidats.

15. Le règlement de consultation mentionne, en son paragraphe 9.2, les critères d'analyse des offres. Le premier, relatif à la valeur technique de l'offre, est pondéré à hauteur de 60 % de la note totale. Le deuxième, qui a trait au montant de la compensation financière et à la robustesse du plan d'affaires, est pondéré à hauteur de 30 %. Le troisième et dernier critère concerne la responsabilité sociale de l'entreprise, à hauteur de 10 % de la note totale.

En ce qui concerne le premier critère :

16. En premier lieu, le critère relatif à la valeur technique de l'offre comporte quatre sous-critères dont le premier, pondéré à hauteur de 20 % de la note totale, concerne la qualité technique des navires. Ce sous-critère permet d'apprécier l'adéquation de l'outil naval proposé par le candidat au regard des deux éléments suivants. Le premier d'entre eux est une présentation de l'outil naval : nombre, affectation, certification et contrôle des navires, classification, état du pavillon, conformité aux différents codes et conventions. Les éventuels contrats d'affrètements sont communiqués par le candidat. Celui-ci est, en second lieu, invité à produire les informations permettant d'apprécier l'adéquation des navires aux conditions de la mer et de navigation aux contraintes portuaires : année de livraison, type, nombre de ponts et de moteurs, puissance unitaire, vitesse, vitesse en mode dégradé. Le premier sous-critère est, dans ces conditions, suffisamment précis pour ne pas laisser à l'autorité délégante une marge de choix indéterminée ni créer de rupture d'égalité entre les candidats.

17. Ces éléments d'information se distinguent par ailleurs de la production des documents justificatifs et moyens de preuve demandés pour la constitution du dossier de candidature et comprenant notamment, conformément au l du B du paragraphe 5.1 du règlement de la consultation, le nombre de navires, leur date de première mise en circulation, leur pavillon, leur immatriculation, leur capacité (PAX et roll) et si le candidat en est propriétaire ou locataire. Il suit de là que, contrairement à ce que soutient la société requérante, le premier sous-critère d'analyse des offres ne se confond pas avec les exigences de recevabilité des candidatures. En tout état de cause, il ne résulte pas de l'instruction que la SAS Corsica Ferries soit susceptible d'être lésée à ce stade de la procédure.

18. En second lieu, le deuxième sous-critère, représentant 15 % de la note totale, est relatif aux fréquences et horaires. Il permet d'apprécier l'adéquation de l'outil naval du candidat aux fréquences et horaires au regard des spécifications de l'annexe 1 : fréquences minimales (passagers, convoyeurs, marchandises), rotations supplémentaires, horaires de départ et d'arrivée. Le troisième sous-critère, pondéré également à 15 %, concerne l'adaptation de l'outil naval aux besoins des usagers : nombre de linéaire fret, longueur, hauteur, résistance des ponts, nombre de prises pour conteneurs sous température dirigée pour toutes les lignes et nombre de cabines et de fauteuils, cabines et ascenseurs accessibles aux personnes à mobilité réduite. Ces éléments sont liés à l'objet de la délégation de service public et à ses conditions d'exécution. Ils apparaissent ainsi pertinents pour apprécier les mérites respectifs des offres des candidats et les départager. Ils sont définis avec suffisamment de précision pour ne pas laisser une marge de choix indéterminée à la collectivité de Corse et ne pas créer de rupture d'égalité entre les candidats. Il ne résulte pas de l'instruction que ces sous-critères soient susceptibles, à ce stade de la procédure, de léser la SAS Corsica Ferries ou de la dissuader de déposer une offre. Il suit de là que le moyen est inopérant.

En ce qui concerne le troisième critère :

19. L'article L. 3111-1 du code de la commande publique dispose que " La nature et l'étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avant le lancement de la consultation en prenant en compte des objectifs de développement durable dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale. " Aux termes de l'article L. 3114-2 du même code : " Les conditions d'exécution d'un contrat de concession peuvent prendre en compte des considérations relatives à l'économie, à l'innovation, à l'environnement, au domaine social ou à l'emploi, à condition qu'elles soient liées à l'objet du contrat de concession. "

20. L'autorité concédante peut légalement prévoir d'apprécier les offres au regard d'un critère relatif aux performances sociales et environnementales notamment, dès lors que ce critère n'est pas discriminatoire et lui permet d'apprécier objectivement ces offres.

21. Le troisième et dernier critère d'analyse des offres fixé par le règlement de consultation est relatif à la responsabilité sociétale de l'entreprise, pondéré à hauteur de 10 % de la note totale. Le règlement de consultation prévoit que le candidat présente ses actions et son niveau d'engagement ainsi que les moyens de les contrôler en matière de responsabilité sociétale des entreprises, à savoir, performances éthiques, sociales et environnementales. A cet effet, un guide de rédaction du plan des actions au titre de la responsabilité sociétale de l'entreprise est joint au règlement en annexe 3. L'article 22 du projet de convention prescrit quant à lui que le délégataire met en œuvre un plan d'actions portant, entre autres, sur la valorisation du capital humain et la préservation de l'environnement, notamment en termes d'optimisation des consommations des navires exploités. Il prévoit en outre que le délégataire présente dans le cadre de l'exécution de la convention trois projets d'expérimentation visant à réduire l'impact environnemental de la desserte maritime. Le dossier de consultation comporte ainsi des précisions suffisantes sur les attentes de la collectivité de Corse en matière de responsabilité sociétale des candidats. Ce critère qui n'est pas étranger aux conditions d'exécution de la délégation de service public, ne laisse pas à l'autorité concédante une marge de choix indéterminée et ne crée pas de rupture d'égalité entre les candidats. Il ne résulte dès lors pas de l'instruction que la SAS Corsica Ferries soit susceptible, à ce stade de la procédure, d'être lésée par le manquement invoqué. Le moyen est par suite inopérant.

22. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin pour le juge des référés de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par l'OTC, la requête de la SAS Corsica Ferries doit être rejetée, y compris les conclusions présentées à titre subsidiaire et celles qui l'ont été au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

23. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, de mettre à la charge de la SAS Corsica Ferries le versement d'une somme de 2 000 euros chacun à la collectivité de Corse et à l'OTC.

ORDONNE

Article 1er : La requête de la SAS Corsica Ferries est rejetée.

Article 2 : La SAS Corsica Ferries versera une somme de 2 000 euros à la collectivité de Corse et une somme de 2 000 euros à l'OTC.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la SAS Corsica Ferries, à la collectivité de Corse et à l'office des transports de la Corse.

Fait à Bastia, le 20 juillet 2022.

Le juge des référés,

Signé

T. VANHULLEBUS

La République mande et ordonne au préfet de Corse, préfet de la Corse-du-Sud, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

R. ALFONSI

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