Jurisprudence : CE référé, 18-07-2022, n° 465316

CE référé, 18-07-2022, n° 465316

A25958C4

Référence

CE référé, 18-07-2022, n° 465316. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/86668615-ce-refere-18072022-n-465316
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Abstract

► Le décret n° 2022-679 du 26 avril 2022 précise la nature des tâches pouvant être déléguées par les médecins du travail aux infirmiers en santé au travail dans le cadre légalement prévu et les conditions de cette délégation.




CONSEIL D'ETAT

Statuant au contentieux

N° 465316

Séance du 08 juillet 2022

Lecture du 18 juillet 2022

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, Juge des référés)


Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 27 juin, 8 et 12 juillet 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Conseil national de l'ordre des médecins demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution du décret n° 2022-679 du 26 avril 2022 relatif aux délégations de missions par les médecins du travail aux infirmiers en santé au travail et à la télésanté au travail ;

2°) à titre subsidiaire, de suspendre partiellement l'exécution du décret attaqué, en tant qu'il n'exclut pas, à l'article R. 4623-14, II du code du travail, parmi les missions susceptibles d'être confiées par le médecin du travail à un infirmier en santé au travail, la réalisation des visites de préreprise prévues aux articles R. 4624-29 et R. 4624-30 du code du travail, ainsi que des visites de reprise prévues à l'article R. 4624-31 du même code ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que le décret contesté est entré en vigueur sans mesure transitoire alors que son exécution, en premier lieu, entraîne des risques graves pour la santé des travailleurs, en deuxième lieu, crée un risque de dégradation du système de prévention assuré par la médecine du travail et, en dernier lieu, place les médecins du travail dans une situation particulièrement dangereuse en ce qu'ils doivent déléguer des taches à des infirmiers dont la formation n'est pas définie, aucun intérêt général ne s'opposant à sa suspension ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité du décret contesté ;

- il est entaché d'irrégularité en ce que les avis qu'il vise n'ont pas été exprimés par des organes régulièrement composés ;

- il est entaché d'erreur manifeste d'appréciation et méconnaît le principe constitutionnel de protection de la santé ainsi que les articles L. 4624-2-3, L. 4624-2-4 et L. 4624-2-2 du code du travail, en ce qu'il permet de déléguer à des infirmiers la réalisation des visites de préreprise et de reprise, alors que, d'une part, celles-ci impliquent nécessairement de réaliser des actes médicaux compte tenu de leur finalité diagnostique et préventive et, d'autre part, aucune exigence de formation adéquate n'est prévue ;

- il méconnaît le principe de protection de la santé et le principe de sécurité juridique, dès lors qu'il est entré en vigueur immédiatement, sans mesure transitoire, alors que le décret en Conseil d'Etat devant définir la formation spécifique des infirmiers en santé au travail n'a pas encore été adopté, de sorte que les infirmiers ne peuvent bénéficier d'une formation en adéquation avec les tâches déléguées.

Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés les 6 et 12 juillet 2022, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et que les moyens soulevés ne sont pas propres à créer un doute sérieux sur la légalité du décret attaqué.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le Conseil national de l'ordre des médecins et, d'autre part, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 8 juillet 2022, à 15 heures :

- Me Poupot, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du Conseil national de l'ordre des médecins ;

- le représentant du Conseil national de l'ordre des médecins ;

- les représentants du ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a fixé la clôture de l'instruction au mardi 12 juillet à 14 heures ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- le code du travail ;

- le code de la santé publique ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 4622-8 du code du travail : " Les missions des services de prévention et de santé au travail sont assurées par une équipe pluridisciplinaire de santé au travail comprenant des médecins du travail, des collaborateurs médecins, des internes en médecine du travail, des intervenants en prévention des risques professionnels et des infirmiers. Ces équipes peuvent être complétées par des auxiliaires médicaux disposant de compétences en santé au travail, des assistants de services de prévention et de santé au travail et des professionnels recrutés après avis des médecins du travail. Les médecins du travail assurent ou délèguent, sous leur responsabilité, l'animation et la coordination de l'équipe pluridisciplinaire. / Un décret en Conseil d'Etat précise les conditions dans lesquelles le médecin du travail peut déléguer, sous sa responsabilité et dans le respect du projet de service pluriannuel, certaines missions prévues au présent titre aux membres de l'équipe pluridisciplinaire disposant de la qualification nécessaire. Pour les professions dont les conditions d'exercice relèvent du code de la santé publique, lesdites missions sont exercées dans la limite des compétences des professionnels de santé prévues par ce même code. () ". Aux termes de l'article L. 4623-9 du même code : " Dans les conditions de déontologie professionnelle définies et garanties par la loi, l'infirmier de santé au travail assure les missions qui lui sont dévolues par le présent code ou déléguées par le médecin du travail, dans la limite des compétences prévues pour les infirmiers par le code de la santé publique. " Aux termes de l'article L. 4623-10 du même code, l'infirmier en santé au travail " dispose d'une formation spécifique en santé au travail définie par décret en Conseil d'Etat. ". Enfin, aux termes de l'article L. 4623-11 que " Les modalités d'application de la présente section sont précisées par décret en Conseil d'Etat. "

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article R.4624-29 du code du travail: " En vue de favoriser le maintien dans l'emploi, les travailleurs en arrêt de travail d'une durée de plus de trente jours peuvent bénéficier d'une visite de préreprise. " Aux termes de l'article R. 4624-30 du même code : " Au cours de l'examen de préreprise, le médecin du travail peut recommander : /1° Des aménagements et adaptations du poste de travail ; /2° Des préconisations de reclassement ; /3° Des formations professionnelles à organiser en vue de faciliter le reclassement du travailleur ou sa réorientation professionnelle. /A cet effet, il s'appuie en tant que de besoin sur le service social du travail du service de prévention et de santé au travail interentreprises ou sur celui de l'entreprise. /Il informe, sauf si le travailleur s'y oppose, l'employeur et le médecin conseil de ces recommandations afin que toutes les mesures soient mises en œuvre en vue de favoriser le maintien dans l'emploi du travailleur. " Aux termes de l'article R. 4624-31 du même code : " Le travailleur bénéficie d'un examen de reprise du travail par le médecin du travail : / 1° Après un congé de maternité ; / 2° Après une absence pour cause de maladie professionnelle ; /3° Après une absence d'au moins trente jours pour cause d'accident du travail ; /4° Après une absence d'au moins soixante jours pour cause de maladie ou d'accident non professionnel. /Dès que l'employeur a connaissance de la date de la fin de l'arrêt de travail, il saisit le service de prévention et de santé au travail qui organise l'examen de reprise le jour de la reprise effective du travail par le travailleur, et au plus tard dans un délai de huit jours qui suivent cette reprise. " Enfin, aux termes de l'article R. 4624-32 du même code : " L'examen de reprise a pour objet : 1° De vérifier si le poste de travail que doit reprendre le travailleur ou le poste de reclassement auquel il doit être affecté est compatible avec son état de santé ; /2° D'examiner les propositions d'aménagement ou d'adaptation du poste repris par le travailleur ou de reclassement faites par l'employeur à la suite des préconisations émises le cas échéant par le médecin du travail lors de la visite de préreprise ; / 3° De préconiser l'aménagement, l'adaptation du poste ou le reclassement du travailleur ; / 4° D'émettre, le cas échéant, un avis d'inaptitude. "

4. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 4623-14 du code du travail dans sa rédaction résultant du décret attaqué, pris pour l'application des dispositions législatives citées au point 2 : " I.- Le médecin du travail assure personnellement l'ensemble de ses fonctions, dans le cadre des missions définies à l'article R. 4623-1. Elles sont exclusives de toute autre fonction dans les établissements dont il a la charge et dans le service interentreprises dont il est salarié. / II. -Le médecin du travail peut toutefois confier, dans le cadre de protocoles écrits, les visites et examens relevant du suivi individuel des travailleurs aux collaborateurs médecins et aux internes en médecine du travail. / Le médecin du travail peut également confier, selon les mêmes modalités, à un infirmier en santé au travail la réalisation des visites et examens prévus au chapitre IV du titre II du livre VI de la quatrième partie du présent code, à l'exclusion de l'examen médical d'aptitude et de son renouvellement mentionnés aux articles R. 4624-24 et R. 4624-25 et de la visite médicale mentionnée à l'article R. 4624-28-1, sous les réserves suivantes : 1° Ne peuvent être émis que par le médecin du travail les avis, propositions, conclusions écrites ou indications reposant sur des éléments de nature médicale; / 2° Lorsqu'il l'estime nécessaire pour tout motif, notamment pour l'application du 1°, ou lorsque le protocole le prévoit, l'infirmier oriente, sans délai, le travailleur vers le médecin du travail qui réalise alors la visite ou l'examen. /III. -Le médecin du travail peut également confier des missions, à l'exclusion de celles mentionnées au II, aux personnels concourant au service de prévention et de santé au travail et, lorsqu'une équipe pluridisciplinaire a été mise en place, aux membres de cette équipe. / IV. -Les missions déléguées dans le cadre des II et III sont : 1° Réalisées sous la responsabilité du médecin du travail ; 2° Adaptées à la formation et aux compétences des professionnels auxquels elles sont confiées ; 3° Exercées dans la limite des compétences respectives des professionnels de santé déterminées par les dispositions du code de la santé publique pour les professions dont les conditions d'exercice relèvent de ce code ; 4° Mises en œuvre dans le respect du projet de service pluriannuel lorsque les missions sont confiées aux membres de l'équipe pluridisciplinaire."

5. Il résulte des écritures du requérant, précisées sur ce point à l'audience, que celui-ci demande la suspension de l'article R. 4623-14 du code du travail dans sa rédaction résultant du décret attaqué, en tant qu'il permet la délégation aux infirmiers en santé au travail des visites de reprise et de pré-reprise prévues par les dispositions citées au point 3.

Sur l'urgence à suspendre les dispositions attaquées :

6. En premier lieu, si les dispositions dont la suspension est demandée précisent la nature des tâches pouvant être déléguées par les médecins du travail aux infirmiers en santé au travail dans le cadre prévu par la loi, et les conditions de cette délégation, elles n'ont, contrairement à ce qui est soutenu, ni pour objet d'étendre le champ de ces tâches au-delà de ce que permet la loi, ni pour effet de contraindre les médecins du travail à recourir à cette délégation, dont le principe, l'étendue et le contrôle sont placés sous leur responsabilité. Si elles ouvrent au médecin du travail la possibilité de déléguer aux infirmiers en santé au travail tout ou partie des tâches inhérentes aux visites de préreprise et de reprise, cette possibilité ne leur est ouverte, comme le précisent les dispositions législatives et réglementaires applicables, qu'en adéquation avec leurs compétences, qu'il appartient au médecin du travail d'apprécier.

7. En deuxième lieu, le requérant soutient que, le décret relatif à la formation des infirmiers en santé au travail prévu par l'article L. 4623-10 du code du travail dans sa rédaction résultant de la loi du 2 août 2021n'ayant pas encore été pris, les infirmiers en santé au travail ne pourront, en tout état de cause, remplir les conditions de compétence requises par les visites de reprise et de préreprise. D'une part, toutefois, il résulte de l'instruction que les infirmiers en santé au travail remplissent déjà des conditions de formation particulière, prévues notamment par l'article R. 4623-29 du code du travail. D'autre part, l'article 34 de la loi du 2 août 2021 prévoit que " Les obligations de formation prévues à l'article L. 4623-10 du code du travail entrent en vigueur à une date fixée par décret, et au plus tard le 31 mars 2023. Par dérogation au même article L. 4623-10, les infirmiers recrutés dans des services de prévention et de santé au travail qui, à cette date d'entrée en vigueur, justifient de leur inscription à une formation remplissant les conditions définies par le décret en Conseil d'Etat mentionné au deuxième alinéa dudit article L. 4623-10, sont réputés satisfaire aux obligations de formation prévues au même article L. 4623-10 pour une durée de trois ans à compter de la date d'entrée en vigueur de ces obligations. ". Dans ce cadre, il revient à chaque médecin du travail d'apprécier au cas par cas, notamment pendant cette période transitoire, la mesure dans laquelle la formation et l'expérience d'un infirmier en santé au travail sont compatibles avec la délégation de certaines des tâches visées par le décret attaqué, et d'organiser sous sa responsabilité, au sein de l'équipe pluridisciplinaire, les conditions dans lesquelles les travailleurs dont l'état de santé est susceptible de présenter une incompatibilité avec la reprise de leur travail, ou de réclamer une adaptation de leur poste, seront orientés de façon à ce que cette incompatibilité soit évaluée, et ces adaptations prescrites, par le médecin du travail lui-même.

8. En troisième lieu, si le requérant soutient que, le nombre des médecins du travail diminuant depuis plusieurs années au niveau national, selon une évolution qui est susceptible de se poursuivre, ces médecins pourraient se trouver progressivement contraints de déléguer les tâches inhérentes aux examens de reprise et de préreprise dans des conditions qui ne garantiraient plus le respect des conditions encadrant cette délégation, et présenteraient un risque pour la santé des personnes appelées à reprendre le travail à l'issue d'un arrêt de maladie, il ne résulte pas de l'instruction, et notamment des éléments apportés à l'audience, que ce risque, à le supposer avéré, soit susceptible de se réaliser à brève échéance.

9. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le requérant ne justifie pas, en l'état de l'instruction, que l'urgence requise par l'article L. 521-1 du code de justice administrative justifie la suspension du décret attaqué. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'existence d'un moyen propre à faire naître un doute sérieux sur la légalité de ce décret, les conclusions tendant à sa suspension doivent être rejetées.

O R D O N N E :

------------------

Article 1er : La requête du Conseil national de l'ordre des médecins est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée au Conseil national de l'ordre des médecins ainsi qu'au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.

Fait à Paris, le 18 juillet 202Signé : Cyril Roger-Lacan

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