SOC.
ZB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 12 juillet 2022
Cassation
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 868 F-D
Pourvois n°
X 21-12.984
Y 21-12.985
Z 21-12.986
A 21-12.987
C 21-12.989
D 21-12.990 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 12 JUILLET 2022
La société A Aa environnement, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 7], a formé les pourvois n° X 21-12.984, Y 21-12.985, Z 21-12.986, A 21-12.987, C 21-12.989 et D 21-12.990 contre six arrêts rendus le 17 décembre 2020 par la cour d'appel de Versailles (11e chambre), dans les litiges l'opposant au Pôle emploi, domicilié [… …], et respectivement :
1°/ à Mme [Ab] [Ac], épouse [Ad], domiciliée [Adresse 2],
2°/ à Mme [W] [P], épouse [G], domiciliée [Adresse 6],
3°/ à Mme [N] [Y], domiciliée [Adresse 5],
4°/ à Mme [Ae] [H], épouse [V], domiciliée [Adresse 3],
5°/ à M. [Af] [T], domicilié [… …],
6°/ à M. [A] [S], domcilié [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de ses pourvois, un moyen unique de cassation commun annexé au présent arrêt.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Prache, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société A Aa Environnement, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Ag [Ac], épouse [Ad], [P], [Y], [H], épouse [V], de MM. [T] et [S], après débats en l'audience publique du 31 mai 2022 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Prache, conseiller référendaire rapporteur, M. Seguy, conseiller, et Mme Aubac, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° X 21-12.984, Y 21-12.985,
Z 21-12.986, A 21-12.987, C 21-12.989 et D 21-12.990 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon les arrêts attaqués ([Localité 9], 17 décembre 2020), Mme [Ac] et cinq autres salariés ont été engagés à différentes dates et fonctions par la société A Aa Environnement, ayant pour activité, avec les différentes sociétés constituant l'unité économique et sociale Réseau des A Aa (l'UES), la formation professionnelle, principalement dans le domaine de l'eau, de l'énergie et de la propreté.
3. Le 22 septembre 2015, la direction de l'UES a informé le comité d'entreprise et le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de l'établissement de I'UES d'un projet de réorganisation et de licenciement collectif pour motif économique entraînant la mise en oeuvre d'un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE). Un accord collectif majoritaire d'entreprise portant sur le projet de licenciement collectif pour motif économique et sur le contenu du projet de PSE a été signé le 1er décembre 2015 puis validé par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, du travail et de l'emploi le 24 décembre 2015.
4. Les salariés dont le poste était supprimé et qui ont refusé les propositions de reclassement formulées ont été licenciés pour motif économique le 2 mai 2016. Ils ont adhéré au congé de reclassement.
5. Le 12 avril 2017, les salariés ont saisi la juridiction prud'homale aux fins de contester leur licenciement.
Examen du moyen,
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. L'employeur fait grief aux arrêts de dire le licenciement des salariés dépourvu de cause réelle et sérieuse, de le condamner à leur verser des dommages-intérêts au titre des licenciements abusifs et de lui ordonner de rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées aux salariés dans la limite de six mois d'indemnités, alors « qu'est nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité la réorganisation mise en oeuvre pour prévenir des difficultés économiques à venir et leurs conséquences sur l'emploi ; que répond à cette définition la réorganisation visant à adapter les structures d'une entreprise à un niveau d'activité fortement réduit, quelle que soit la situation de cette entreprise par rapport à ses concurrents sur le marché ; qu'en l'espèce, la société exposante soutenait que le Réseau des A Aa, dont l'activité est tournée vers la formation des salariés du groupe, a subi à compter de l'année 2011 une forte réduction de son niveau d'activité, en raison des difficultés économiques rencontrées par le groupe qui l'ont conduit à céder certaines branches d'activité (transport, énergie) et à restructurer les autres branches ; qu'ainsi, en France, le nombre de salariés a été divisé par deux et le nombre total d'heures de formation dispensées a diminué de 56 % entre 2011 et 2016, de sorte que le Réseau s'est trouvé surdimensionné et ses résultats sont devenus structurellement déficitaires ; qu'au niveau mondial, la même tendance pouvait être observée, l'effectif mondial du groupe ayant diminué de près de 30 % entre 2011 et 2016 et le nombre d'heures de formation réalisées ayant baissé de 25 % sur la même période ; qu'en refusant de rechercher si la baisse du nombre d'heures de formation dispensées dans le groupe en France ne rendait pas nécessaire la réorganisation du Réseau des A Aa compte tenu de ses pertes et de la baisse globale de l'activité de formation au niveau mondial, au motif inopérant que l'employeur ne produisait aucune pièce sur l'état concurrentiel du secteur de la formation professionnelle, sur le positionnement des sociétés du groupe et de ses concurrents sur ce marché et sur leurs difficultés à résister à cette concurrence, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'
article L. 1233-3 du code du travail🏛. »
Réponse de la Cour
Vu l'
article L. 1233-3 du code du travail🏛 :
7. Il résulte de ce texte que, lorsque la lettre de licenciement fait état d'une réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité, le juge doit rechercher si la décision de l'employeur était nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise ou du secteur d'activité du groupe dont elle relève.
8. Pour dire les licenciements des salariés sans cause réelle et sérieuse, les arrêts, après avoir relevé que l'employeur produit un extrait du document de référence du groupe Véolia, dont il ressort qu'au niveau mondial, entre 2011 et 2016, l'effectif au sein du groupe a diminué de près de 30 %, en passant de 231 477 à 163 226 salariés, tandis que le nombre d'heures de formation réalisées a baissé de près de 25 % (de 3 450 928 heures en 2013 à 2 591 151 heures en 2016), retiennent que cependant, la diminution de l'activité de formation ainsi démontrée au niveau mondial est insuffisante à justifier l'existence d'une menace sur la compétitivité invoquée au soutien du licenciement, en l'absence de pièce probante relative à la compétitivité du secteur d'activité de la formation professionnelle, dans le domaine du traitement des déchets et de la gestion de l'eau, du groupe Véolia au niveau mondial.
9. Ils ajoutent qu'en effet l'employeur évoque dans ses écritures les « autres organismes de formation concurrents directs de A Aa », « la concurrence particulièrement accrue subie par A Aa dans son secteur d'activité » et les « entreprises extérieures concurrentes du Réseau des A Aa », que cependant, pour en justifier, l'employeur se contente d'évoquer la situation prétendument fragilisée des groupes Cegos et Demos, respectivement numéros 1 et 2 de la formation professionnelle au niveau mondial, sans produire au soutien de ses dires le moindre élément probant, [et qu'au surplus, comme le souligne pertinemment l'appelante, il n'est pas démontré que ces groupes sont concurrents du groupe Veolia dans le secteur d'activité de la formation professionnelle dans le domaine du traitement des déchets et de la gestion de l'eau.
10. Ils énoncent ensuite que la cour ne peut que constater que l'employeur ne communique aucune information relative à l'état concurrentiel du secteur d'activité de la formation professionnelle dans le domaine du traitement des déchets et de la gestion de l'eau au niveau mondial, au positionnement des sociétés du groupe Véolia et de ses concurrents sur ce marché et à leurs difficultés à résister à cette concurrence, et que la société ne saurait utilement se prévaloir du rapport de l'expert-comptable Oscea qui évoque, lui aussi, « la concurrence de certains acteurs spécialisés », alors qu'il appartient à l'employeur seul de rapporter la preuve du motif économique du licenciement.
11. Les arrêts retiennent enfin que les difficultés économiques rencontrées par le groupe ou les différentes sociétés de l'UES Réseau A Aa, largement développées par l'employeur dans ses écritures, sont insuffisantes à fonder le licenciement, dès lors que l'employeur a rompu le contrat de travail des salariés pour un motif distinct : la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise.
12. Ils concluent de l'ensemble de ces éléments que la société ne démontre pas l'existence d'une menace pesant sur la compétitivité du secteur d'activité formation du groupe Véolia, privant ainsi le licenciement des salariés de cause réelle et sérieuse.
13. En se déterminant ainsi, par des motifs tirés de l'absence de justification par l'employeur de la situation de ses concurrents évoluant sur le même secteur d'activité, impropres à écarter l'existence d'une menace sur la compétitivité du secteur d'activité du groupe, sans rechercher si la baisse de l'effectif au sein du groupe, de près de 30 % entre 2011 et 2016, et du nombre de formations réalisées, de 25 % entre 2013 et 2016, ne justifiait pas une réorganisation de l'entreprise afin d'anticiper des difficultés économiques prévisibles et d'adapter ses structures à l'évolution du marché, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, les arrêts rendus le 17 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet les affaires et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne Ag [Ac], [P], [Y] et [H] et MM. [T] et [S] aux dépens ;
En application de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des arrêts partiellement cassés ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze juillet deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen commun produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société A Aa Environnement, demanderesse, aux pourvois n° X
21-12.984, Y
21-11.985, Z
21-12.986, A
21-12.987, C
21-12.989, et D
21-12.990 La société A Aa Environnement fait grief aux arrêts infirmatifs attaqués d'AVOIR dit que le licenciement des salariés était dépourvu de cause réelle et sérieuse, de l'AVOIR condamnée à verser aux salariés des dommages et intérêts au titre des licenciements abusifs et de lui AVOIR ordonné de rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées aux salariés dans la limite de 6 mois d'indemnités ;
1) ALORS QU' est nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité la réorganisation mise en oeuvre pour prévenir des difficultés économiques à venir et leurs conséquences sur l'emploi ; que répond à cette définition la réorganisation visant à adapter les structures d'une entreprise à un niveau d'activité fortement réduit, quelle que soit la situation de cette entreprise par rapport à ses concurrents sur le marché ; qu'en l'espèce, la société exposante soutenait que le Réseau des A Aa, dont l'activité est tournée vers la formation des salariés du groupe, a subi à compter de l'année 2011 une forte réduction de son niveau d'activité, en raison des difficultés économiques rencontrées par le groupe qui l'ont conduit à céder certaines branches d'activité (transport, énergie) et à restructurer les autres branches ; qu'ainsi, en France, le nombre de salariés a été divisé par deux et le nombre total d'heures de formation dispensées a diminué de 56 % entre 2011 et 2016, de sorte que le Réseau s'est trouvé surdimensionné et ses résultats sont devenus structurellement déficitaires ; qu'au niveau mondial, la même tendance pouvait être observée, l'effectif mondial du groupe ayant diminué de près de 30 % entre 2011 et 2016 et le nombre d'heures de formation réalisées ayant baissé de 25 % sur la même période ; qu'en refusant de rechercher si la baisse du nombre d'heures de formation dispensées dans le groupe en France ne rendait pas nécessaire la réorganisation du Réseau des A Aa compte tenu de ses pertes et de la baisse globale de l'activité de formation au niveau mondial, au motif inopérant que l'employeur ne produisait aucune pièce sur l'état concurrentiel du secteur de la formation professionnelle, sur le positionnement des sociétés du groupe et de ses concurrents sur ce marché et sur leurs difficultés à résister à cette concurrence, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'
article L. 1233-3 du code du travail🏛 ;
2) ALORS QUE dans ses conclusions d'appel (p. 19 not.), la société A Aa Environnement soutenait que le Réseau des A Aa n'assurait qu'une partie seulement des formations dispensées aux salariés du groupe, certaines formations étant assurées directement par les entités employeurs et d'autres formations étant confiées à des prestataires extérieurs au groupe ; qu'elle exposait ainsi qu'en dépit des efforts des Campus pour devenir l'interlocuteur privilégié des entités du groupe, le « taux de captation » était en 2014 d'environ 50 % du nombre d'heures de formation professionnelle continue et du nombre d'alternants ; qu'en affirmant que les allégations de la société A Aa Environnement sur l'existence de concurrence dans son secteur d'activité étaient contradictoires avec ses explications selon lesquelles l'activité du Réseau A Aa était destinée à plus de 98 % aux salariés du groupe, sans examiner ses explications sur le « taux de captation » des formations dispensées aux salariés du groupe qui démontrait l'existence de concurrents sur ce secteur, la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard de l'
article L. 1233-3 du code du travail🏛 ;
3) ALORS QUE si la réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité du groupe n'est pas subordonnée à l'existence de difficultés économiques à la date du licenciement, la nécessité de réorganiser l'entreprise pour sauvegarder sa compétitivité peut être démontrée par une situation économique d'ores et déjà dégradée, caractérisée par des difficultés économiques ; qu'en l'espèce, pour justifier l'existence d'une menace sur la compétitivité du secteur d'activité de la formation professionnelle, la société A Aa Environnement soutenait que les difficultés financières rencontrées par le groupe, au niveau mondial, l'avaient conduite à se séparer de certaines branches d'activité et à réduire drastiquement les effectifs des autres branches, ce qui a mécaniquement impacté le niveau d'activité des entreprises du groupe dédiées à la formation professionnelle ; que le Réseau des A Aa, dont l'activité est tournée vers la formation des salariés du groupe en France, a subi une forte réduction de son chiffre d'affaires et est devenu structurellement déficitaire, enregistrant chaque année des pertes de plusieurs millions d'euros ; qu'en refusant de rechercher si le caractère structurellement déficitaire de l'activité du Réseau, dans un contexte de réduction du nombre d'heures de formation dispensées aux salariés du groupe au niveau mondial, ne rendait pas nécessaire sa réorganisation, au motif tout aussi erroné qu'inopérant que l'employeur n'avait pas invoqué des difficultés économiques, mais le motif distinct tiré de la sauvegarde de la compétitivité, la cour d'appel a violé l'
article L. 1233-3 du code du travail🏛.