Jurisprudence : TA Melun, du 05-07-2022, n° 2111799

TA Melun, du 05-07-2022, n° 2111799

A604479Q

Référence

TA Melun, du 05-07-2022, n° 2111799. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/86442510-ta-melun-du-05072022-n-2111799
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Abstract

► L'installation d'une crèche de Noël au sein d'une mairie ne constitue pas une atteinte au principe de laïcité dès lors qu'elle est dépourvue de référence religieuse.



N° 2111799

ASSOCIATION LA FEDERATION DES LIBRES PENSEURS DE SEINE-ET-MARNE

M. Gracia, Président-Rapporteur

Mme Salenne-Bellet, Rapporteure publique

Audience du 14 juin 2022

Décision du 5 juillet 2022

**R ÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
**
Le Tribunal administratif de Melun

(8ème chambre)



Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés respectivement le 20 décembre 2021
et le 2 juin 2022, l'association La Fédération des libres penseurs de Seine-
et-Marne, représentée par son président en exercice et par Me Lara, demande au
tribunal :

1°) d'annuler la décision non formalisée du maire de la commune de Melun
d'installer une crèche de nativité au sein de l'hôtel de ville de la commune
au mois de décembre 2021 ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Melun la somme de 1 500 euros au
titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Elle soutient que :

- la décision est entachée d'un vice de procédure, dès lors qu'elle n'a pas
été précédée d'une délibération préalable du conseil municipal, en application
des dispositions des articles L. 2121-1 et L. 2241-1 du code général des
collectivités territoriales🏛
;

- la décision méconnaît le principe de neutralité des personnes publiques
prévu par les articles 1er de la Constitution, 1, 2 et 28 de la loi du 9
décembre 1905
.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 26 avril et 8 juin 2022, la
commune de Melun, représentée par son maire en exercice et par le cabinet
d'avocat Piwnica et Moliné, conclut au rejet de la requête et demande à ce
qu'il soit mis à la charge de la Fédération des libres penseurs de Seine-et-
Marne la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de
justice administrative🏛
.

Elle soutient que :

- l'installation litigieuse s'inscrit dans un cadre festif destiné à célébrer
les fêtes de fin d'année, et procède d'une coutume existante depuis 2006 ;

- le moyen tiré du vice de procédure n'est pas assorti de précisions
suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé ; au demeurant, d'une
part, l'article L. 2121-1 du code général de la propriété des personnes
publiques🏛
ne concerne pas la répartition des compétences entre le maire et le
conseil municipal, et d'autre part, la décision ne devait pas être précédée
d'une délibération, dès lors que l'installation provisoire d'une crèche de
Noël ne révèle pas une gestion des biens ou une opération immobilière de la
commune.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi du 9 décembre 1905 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Gracia, président-rapporteur,

- les conclusions de Mme Salenne-Bellet, rapporteure publique,

- les observations de Me Lara pour l'association La Fédération des libres
penseurs de Seine-et-Marne, la commune de Melun n'étant ni présente, ni
représentée.

Une note en délibéré présentée par l'association La Fédération des libres
penseurs de Seine-et-Marne a été enregistrée le 14 juin 2022.

Considérant ce qui suit :

1. Fin décembre 2021, la commune de Melun a installé une crèche de la
nativité au sein du passage de la mairie allant de la cour d'honneur aux
jardins du bâtiment. Par la présente requête, l'association la Fédération des
libres penseurs de Seine-et-Marne demande l'annulation de la décision non
formalisée du maire de Melun d'installer cette crèche.

2. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 2121-1 du code
général de la propriété des personnes publiques🏛
: « Les biens du domaine
public sont utilisés conformément à leur affectation à l'utilité publique.
Aucun droit d'aucune nature ne peut être consenti s'il fait obstacle au
respect de cette affectation ».

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 2241-1 du code général des
collectivités territoriales🏛
: « Le conseil municipal délibère sur la gestion
des biens et les opérations immobilières effectuées par la commune, sous
réserve, s'il s'agit de biens appartenant à une section de commune, des
dispositions des articles L. 2411-1 à L. 2411-19. ( ) ». Aux termes de
l'article L. 2122-21 du même code🏛 : « Sous le contrôle du conseil municipal et
sous le contrôle administratif du représentant de l'Etat dans le département,
le maire est chargé, d'une manière générale, d'exécuter les décisions du
conseil municipal et, en particulier : / 1° De conserver et d'administrer les
propriétés de la commune et de faire, en conséquence, tous actes
conservatoires de ses droits ( ) ». Il résulte de ces dispositions que, s'il
appartient au conseil municipal de délibérer sur les conditions générales
d'administration et de gestion du domaine public communal, le maire est seul
compétent pour délivrer les autorisations d'occupation du domaine public.

4. D'abord, la requérante ne peut utilement se prévaloir des dispositions de
l'article L. 2121-1 du code général de la propriété des personnes publiques🏛
pour soutenir que la décision contestée aurait dû être précédée d'une
délibération du conseil municipal dès lors que cet article est sans effet sur
la répartition des compétences entre le maire et le conseil municipal.
Ensuite, ainsi qu'il est soutenu par la commune, la décision d'installer
temporairement une crèche dans un bâtiment public ne relève ni de la gestion
des biens, ni d'une opération immobilière, soumises à une délibération
préalable du conseil municipal ainsi qu'en dispose l'article L. 2241-1 du code
général des collectivités territoriales🏛
précité. Dès lors, le moyen doit être
écarté.

5. En second lieu, aux termes des trois premières phrases du premier alinéa
de l'article 1er de la Constitution : « La France est une République
indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la
loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion.
Elle respecte toutes les croyances ». La loi du 9 décembre 1905
concernant la
séparation des Eglises et de l'Etat crée, pour les personnes publiques, des
obligations, en leur imposant notamment, d'une part, d'assurer la liberté de
conscience et de garantir le libre exercice des cultes, d'autre part, de
veiller à la neutralité des agents publics et des services publics à l'égard
des cultes, en particulier en n'en reconnaissant ni n'en subventionnant aucun.
Ainsi, aux termes de l'article 1er de cette loi : « La République assure la
liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les
seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public » et,
aux termes de son article 2 : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne
subventionne aucun culte ». Pour la mise en œuvre de ces principes, l'article
28 de cette même loi précise que : « Il est interdit, à l'avenir, d'élever ou
d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en
quelque emplacement public que ce soit, à l'exception des édifices servant au
culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires
ainsi que des musées ou expositions ». Ces dernières dispositions, qui ont
pour objet d'assurer la neutralité des personnes publiques à l'égard des
cultes, s'opposent à l'installation par celles-ci, dans un emplacement public,
d'un signe ou emblème manifestant la reconnaissance d'un culte ou marquant une
préférence religieuse. Elles ménagent néanmoins des exceptions à cette
interdiction. Ainsi, est notamment réservée la possibilité pour les personnes
publiques d'apposer de tels signes ou emblèmes dans un emplacement public à
titre d'exposition. En outre, en prévoyant que l'interdiction qu'il a édictée
ne s'appliquerait que pour l'avenir, le législateur a préservé les signes et
emblèmes religieux existants à la date de l'entrée en vigueur de la loi.

6. Une crèche de Noël est une représentation susceptible de revêtir une
pluralité de significations. Il s'agit en effet d'une scène qui fait partie de
l'iconographie chrétienne et qui, par-là, présente un caractère religieux.
Mais il s'agit aussi d'un élément faisant partie des décorations et
illustrations qui accompagnent traditionnellement, sans signification
religieuse particulière, les fêtes de fin d'année.

7. Eu égard à cette pluralité de significations, l'installation d'une crèche
de Noël, à titre temporaire, à l'initiative d'une personne publique, dans un
emplacement public, n'est légalement possible que lorsqu'elle présente un
caractère culturel, artistique ou festif, sans exprimer la reconnaissance d'un
culte ou marquer une préférence religieuse. Pour porter cette dernière
appréciation, il y a lieu de tenir compte non seulement du contexte, qui doit
être dépourvu de tout élément de prosélytisme, des conditions particulières de
cette installation, de l'existence ou de l'absence d'usages locaux, mais aussi
du lieu de cette installation. A cet égard, la situation est différente, selon
qu'il s'agit d'un bâtiment public, siège d'une collectivité publique ou d'un
service public, ou d'un autre emplacement public.

8. Dans l'enceinte des bâtiments publics, sièges d'une collectivité publique
ou d'un service public, le fait pour une personne publique de procéder à
l'installation d'une crèche de Noël ne peut, en l'absence de circonstances
particulières permettant de lui reconnaître un caractère culturel, artistique
ou festif, être regardé comme conforme aux exigences qui découlent du principe
de neutralité des personnes publiques.

9. A l'inverse, dans les autres emplacements publics, eu égard au caractère
festif des installations liées aux fêtes de fin d'année notamment sur la voie
publique, l'installation à cette occasion et durant cette période d'une crèche
de Noël par une personne publique est possible, dès lors qu'elle ne constitue
pas un acte de prosélytisme ou de revendication d'une opinion religieuse.

10. En l'espèce, du 19 au 27 décembre 2021, une crèche de la nativité
représentant la scène de l'adoration des mages, et placée devant un sapin orné
de décorations de Noël, a été installée de manière non ostentatoire, dans une
niche sous le porche de l'hôtel de ville permettant de passer de la cour
d'honneur aux jardins publics y attenant. Elle se situe donc dans l'enceinte
d'un bâtiment public, siège d'une collectivité publique. Or, d'une part, il
ressort des pièces du dossier, et notamment d'un constat d'huissier qui n'est
remis en cause par aucun élément, que l'hôtel de ville de la commune de Melun
abritait également durant cette période un marché de Noël, de nombreuses
décorations de Noël, une exposition de répliques de trains miniatures placée
en face de la crèche litigieuse, ainsi qu'un siège sous un chalet en bois
permettant d'accueillir un Père Noël du 18 au 22 décembre 2021. D'autre part,
la commune avait organisé plusieurs manifestations dans les jardins de l'hôtel
de ville, telles que des séances photo avec le Père Noël ou la présentation de
deux spectacles : « La fabuleuse histoire du Père Noël » et « Tonnerre de
lumières », ainsi qu'il résulte du programme des festivités de Noël produit
par la ville en défense.

11. Dans ces conditions, compte tenu de l'ensemble de ces circonstances, la
crèche de la nativité objet du litige, dépourvue de tout autre symbole
évoquant la religion chrétienne, doit être regardée comme une décoration
festive que la commune a au demeurant coutume d'installer à l'occasion des
fêtes de Noël depuis 2006. Elle ne constitue donc pas l'emblème religieux
prohibé par les dispositions de l'article 28 de la loi du 9 décembre 1905🏛
précitée et ne crée aussi aucune discrimination envers les citoyens. Dès lors,
le moyen doit être écarté.

12. Il résulte de ce qui précède que la Fédération des libres penseurs de
Seine-et-Marne n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision qu'elle
conteste.

Sur la répartition des frais du litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛
font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de la commune de Melun, qui
n'est pas partie perdante à l'instance, la somme que la Fédération demande à
ce titre. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la
charge de la Fédération des libres penseurs de Seine-et-Marne la somme de 1
500 euros à verser à la commune de Melun à ce même titre.


DECIDE :

Article 1er : La requête de la Fédération des libres penseurs de Seine-et-
Marne est rejetée.

Article 2 : la Fédération des libres penseurs de Seine-et-Marne versera la
somme de 1 500 euros à la commune de Melun en application des dispositions de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié au président de l'association la
Fédération des libres penseurs de Seine-et-Marne et au maire de la commune de
Melun.


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