Jurisprudence : CA Pau, 09-06-2022, n° 19/03953, Confirmation

CA Pau, 09-06-2022, n° 19/03953, Confirmation

A1973779

Référence

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PS/EL


Numéro 22/02283


COUR D'APPEL DE PAU

Chambre sociale


ARRÊT DU 09/06/2022


Dossier : N° RG 19/03953 - N° Portalis DBVV-V-B7D-HOJ5


Nature affaire :


Contestation du motif non économique de la rupture du contrat de travail


Affaire :


SARL MAISON A


C/


[M] [Y] [E]


Grosse délivrée le

à :


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


A R R Ê T


Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 9 juin 2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile🏛.


* * * * *


APRES DÉBATS


à l'audience publique tenue le 09 Mars 2022, devant :


Madame CAUTRES-LACHAUD, Présidente


Monsieur LAJOURNADE, Conseiller


Madame SORONDO, Conseillère


assistés de Madame LAUBIE, Greffière.


Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.


dans l'affaire opposant :



APPELANTE :


SARL MAISON BINET

[Adresse 1]

[Localité 3]


représentée par Me CAPES de la SELARL TOURRET CAPES, avocat au barreau de MONT-DE-MARSAN et la SELAFA Interbarreaux SOFIRAL, du barreau de Toulouse


INTIMEE :


Madame [M] [Y] [E]

né le … … … à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 4]


représentée par Me GUILLOT, avocat au barreau de BAYONNE


(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/385 du 31/01/2020 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PAU)


sur appel de la décision

en date du 18 NOVEMBRE 2019

rendue par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE BAYONNE

RG numéro : F18/00252



EXPOSÉ DU LITIGE


Mme [M] [Y] [E] a été embauchée le 19 mai 2014 par la société Deffro, en qualité de personnel de vente, statut employé, coeficient 155, suivant contrat à durée indéterminée régi par la convention collective nationale de la boulangerie pâtisserie.

Le 1er juillet 2017, son contrat de travail a été transféré à la société Maison Binet.

Le 5 juin 2018, elle a été placée en arrêt maladie.


Le 30 octobre 2018, elle a porté plainte contre M. [Aa] [C], gérant de la société Maison Binet, pour des faits de harcèlement sexuel.


Le 16 novembre 2018, elle a pris acte de la rupture de son contrat de travail.

Le 23 novembre 2018, elle a saisi la juridiction prud'homale.



Par jugement du 18 novembre 2019, le conseil de prud'hommes de Bayonne a :

- rejeté la demande in limine litis de sursis à statuer,

- dit que Mme [M] [Y] [E] a été victime d°agissements répétés de harcèlement sexuel de la part de son employeur,

- dit que la prise d'acte de rupture de son contrat de travail par Mme [M] [Y] [E] s'analyse en un licenciement nul,

- condamné la société Maison Binet à payer à Mme [M] [Y] [E] les sommes suivantes :

. 4.500 € au titre de dommages et intérêts du fait du harcèlement sexuel,

. 15.000'€ au titre de l'indemnité pour licenciement nul,

. 3'000 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

. 300 € au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

. 1.500 € au titre de l'indemnité de licenciement,

- condamné la société Maison Binet aux entiers dépens,

- condamné la société Maison Binet à payer à Mme [M] [Y] [E] la somme de 1.500'€ au titre de l'artic1e 700 du code de procédure civile🏛,

- dit que les présentes condamnations sont assorties de l'intérêt au taux légal à compter du 23 novembre 2018 pour les indemnités compensatrices de préavis, de congés payés et de licenciement et à compter du prononcé du jugement pour les dommages et intérêts,

- prononcé l'exécution provisoire de la présente décision,

- débouté la société Maison Binet de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛.



Le 19 décembre 2019, la société Maison Binet a interjeté appel de ce jugement dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas contestées.


Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par voie électronique le 22 décembre 2021, auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé des faits et des moyens, la société Maison Binet demande à la cour de :

- déclarer son appel recevable et bien fondé ;

- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il :

. a rejeté la demande in limine litis de sursis à statuer,

. a dit que Mme [M] [Y] [E] a été victime d'agissements répétés de harcèlement sexuel de sa part,

. a dit que la prise d'acte de rupture de son contrat de travail par Mme [M] [Y] [E] s'analyse en un licenciement nul,

. l'a condamnée à payer à Mme [M] [Y] [E] les sommes suivantes :

4.500 € au titre de dommages et intérêts du fait du harcèlement sexuel,

15.000 € au titre de l'indemnité pour licenciement nul,

3.000 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

300 € au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

1.500 € au titre de l'indemnité de licenciement,

. l'a condamnée à payer à Mme [M] [Y] [E] une indemnité de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛,

. a dit que les présentes condamnations sont assorties de l'intérêt au taux légal à compter du 23 novembre 2018 pour les indemnités compensatrices de préavis, de congés payés et licenciement et à compter du prononcé du jugement pour les dommages intérêts, . a prononcé l'exécution provisoire de la présente décision,

. l'a déboutée de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛,

- statuant à nouveau,

. dire que les faits de harcèlement sexuel reprochés à M. [Aa] [C], gérant de la société Maison Binet, ne sont pas fondés,

. dire que la prise d'acte de Mme [M] [Y] [E] est une démission pure et simple et sans équivoque,

- en conséquence,

. débouter Mme [M] [Y] [E] de sa demande de voir sa prise d'acte considérée comme un licenciement nul, ainsi que l'ensemble de ses demandes subséquentes,

. débouter Mme [M] [Y] [E] de sa demande de réparation de son préjudice pour harcèlement sexuel,

. débouter Mme [M] [Y] [E] de l'ensemble de ses demandes,

. condamner Mme [M] [Y] [E] à lui verser une somme de 3.500'€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛, ainsi qu'aux entiers dépens.


Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par voie électronique le 11 juin 2020, auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé des faits et des moyens, Mme [M] [Y] [E] demande à la cour de':

- confirmer le jugement entrepris ;

- condamner la société Maison Binet à lui verser la somme de 3.000'€ à titre d'indemnité de l'article 700 du code de procédure civile🏛 ;

- condamner la société Maison Binet aux dépens.


L'ordonnance de clôture est intervenue le 9 février 2022.



MOTIFS DE LA DÉCISION


Sur le harcèlement sexuel


Suivant l'article L.1153-1 du code du travail🏛 dans sa rédaction applicable au litige, aucun salarié ne doit subir des faits :

- soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;

- soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers.

En application de l'article L.1154-1 du code du travail🏛, en cas de litige relatif à l'application de ces dispositions, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.


En l'espèce, Mme [Y] [E] produit aux débats :


- son courrier de prise d'acte de la rupture du 16 novembre 2018 : «'Je ne peux plus travailler dans votre entreprise compte tenu des actes que vous avez commis sur ma personne (gestes déplacés, remarques à connotations sexuelles, bisous, caresses...). Ne parvenant pas à vous faire changer d'attitude par mes refus systématiques, j'ai été contrainte de choisir entre ma santé et mon travail, raison pour laquelle je suis depuis lors en arrêt maladie'».


- le procès-verbal de son audition du 30 octobre 2018 par les services de police : elle a relaté que M. [C] lui faisait des remarques sur ses tenues vestimentaires, lui disant que les jeans moulants lui allaient bien, la saisissait au niveau de la nuque pendant qu'elle travaillait, profitait qu'elle soit dans des espaces étroits pour venir derrière elle et la frôler, qu'il lui a demandé de lui faire un bisou, qu'il lui a un jour pris la main pour la caresser ; que lorsqu'il allait aux toilettes, il laissait la porte entrouverte ; qu'elle a refusé lors des fêtes de fin d'année 2017 de se montrer davantage coquette par crainte des regards de M. [C] et en était venue à éviter les espaces étroits en sa présence ;


- des attestations de paiement d'indemnités journalières de la CPAM d'où il résulte qu'elle a été en arrêt maladie à compter du 5 juin 2018 ;


- le procès-verbal d'audition du 8 octobre 2018 par les services de police de Mme [X] [S], vendeuse depuis le 18 juin 2018, qui a également déposé plainte pour des faits de harcèlement sexuel ; elle a relaté que M. [C], lui faisait des remarques sur sa poitrine, l'embrassait dans la nuque, profitait que le passage derrière les vitrines était étroit et faisait semblant de se décaler mais s'arrangeait toujours pour être frôlé ; à plusieurs reprises, il l'a fixée et a passé sa langue sur ses lèvres en prenant un air pervers ; dans un petit couloir, il s'est approché de très près d'elle au point qu'elle s'est cognée la tête pour éviter son visage et s'est entendue dire qu'il voulait l'embrasser ;


- le procès-verbal d'audition du 12 octobre 2018 par les services de police de Mme [T] [F], qui a été salariée comme vendeuse dans la boulangerie dès avant la reprise de celle-ci par la Sarl Maison Binet ; elle a relaté que M. [C] l'interrogeait sur sa sexualité, se mordillait la lèvre inférieure en fixant sa bouche, se plaignait auprès d'elle de sa femme en ces termes ' il n'y a que toi qui m'aimes mon petit chat', l'appelait régulièrement 'ma chérie' 'mon petit chat', lui faisait des remarques sur son physique (' Qu'est ce que tu es belle aujourdhui, je te mangerai bien') ; qu'il profitait de ce qu'étant petite, elle devait s'étirer pour remplir les étalages pour passer derrière elle en frottant ses fesses avec son bas ventre ; qu'à l'occasion du réveillon 2017, alors qu'elle portait une jupe et des talons, il l'a regardée toute la journée de façon destabilisante et lui a dit qu'il prenait plaisir à voir ses jambes;


- une attestation du 1er octobre 2018 de Mme [A] [H], pâtissière du 11 octobre 2017 au 21 avril 2018, suivant laquelle M. [C] a eu à son égard et à l'égard de sa collègue pâtissière des propos et gestes déplacés : il leur demandait des bisous, des nuits ensemble, sur un ton ironique mais insistant et de manière répétée ; par deux fois, il a posé sa main sur le bas de son dos, l'obligeant à l'esquiver ; il frôlait sa collègue dès qu'il passait à côté d'elle, posait ses mains sur ses hanches, la regardait de façon insistante, lui faisait des clins d''il éloquents ; il l'appelait ma chérie ;


- une attestation du 4 octobre 2018 de Mme [Ab] [L], pâtissière et vendeuse, suivant laquelle M. [C] la surnommait «'ma chérie'», lui demandait des bisous, posait ses mains sur ses hanches, se frottait à elle lorsqu'il devait passer derrière elle ;

- un rapport d'expertise psychiatrique de M. [C] établi le 29 janvier 2019 par le docteur [G] dans le cadre de l'enquête pénale dans lequel il est essentiellement décrit comme immature ;


Les éléments ci-dessus pris dans leur ensemble laissent bien présumer une situation de harcèlement sexuel à l'encontre de Madame [Y] [E].


Pour sa part, l'employeur conteste formellement les accusations portées contre M. [C], gérant. Il se prévaut dans ses écritures d'attestations de quatre salariés qu'il ne produit pas, et verse aux débats la convocation de M. [C] devant le tribunal correctionnel de Bayonne pour y répondre du délit de harcèlement sexuel sur Ac [S], [F], [Y] [E] et [L], pièce qui n'apporte pas d'éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Il soutient que les plaintes déposées à l'encontre de M. [C] résultent d'une action concertée des salariées. Il n'étaye cependant cette allégation d'aucun élément de fait, et, outre que Mme [F] avait démissionné dès avant l'embauche de Mme [S], ce sont cinq salariées exerçant des fonctions différentes, et, s'agissant des vendeuses, à des moments différents, qui ont dénoncé à leur égard un comportement similaire de M. [C]. Au vu de ces éléments, la Sarl Maison Binet n'est pas en mesure d'expliquer par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement le comportement dénoncé par Mme [Y] [E].


Il résulte de ce qui précède que la réitération de gestes et de propos à connotation sexuelle par M. [C] à l'encontre de Mme [Y] [E] caractérise un harcèlement sexuel. Le préjudice de cette dernière a été raisonnablement apprécié par le premier juge. Le jugement sera donc confirmé sur ce point.


Sur la prise d'acte de la rupture du contrat de travail et ses conséquences


Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission. Par ailleurs, en application de l'article L.1153-2 du code du travail🏛, le licenciement d'un salarié pour avoir subi ou refusé de subir des faits de harcèlement sexuel est nul.


Le harcèlement sexuel à l'égard de Mme [Y] [E] étant retenu, la prise d'acte de la rupture produit les effets d'un licenciement nul.


Mme [Y] [E] a droit à une indemnité de licenciement et à une indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés y afférents, dont les montants ne sont pas discutés, ainsi qu'à des dommages et intérêts pour licenciement nul et d'un montant minimum de 6 mois de salaire en application des articles L. 1235-3-1 et L.1235-3-2 du code du travail🏛. Au vu des circonstances de la rupture, et du fait que Mme [Y] [E] n'a pas retrouvé d'emploi stable, son préjudice a été raisonnablement évalué à 15.000 euros. Le jugement sera donc confirmé sur ces points.


Sur les demandes accessoires


La Sarl Maison Binet sera condamnée aux dépens d'appel et à payer à Mme [Y] [E] une indemnité de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile🏛.



PAR CES MOTIFS


La cour, statuant par arrêt mis à disposition au greffe, publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,


Confirme en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud'hommes de Bayonne du 18 novembre 2019,


Y ajoutant,


Condamne la Sarl Maison Binet à payer à Mme [M] [Y] [E] la somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile🏛,


Condamne la Sarl Maison Binet aux dépens d'appel, qui seront recouvrés en la forme prévus en matière d'aide juridictionnelle.


Arrêt signé par Madame CAUTRES-LACHAUD, Présidente, et par Madame LAUBIE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.


LA GREFFIÈRE,LA PRÉSIDENTE

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