Jurisprudence : CE 4/5 SSR, 31-05-2013, n° 352396



CONSEIL D'ETAT

Statuant au contentieux

352396-356528

ASSOCIATION " CLICHY MONTMARTRE BILLARD CLUB "

Mme Anissia Morel, Rapporteur
Mme Fabienne Lambolez, Rapporteur public

Séance du 17 mai 2013

Lecture du 31 mai 2013

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 5ème et 4ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 5ème sous-section de la Section du contentieux




Vu 1°, sous le n° 352396, le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 5 septembre et 5 décembre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour l'association " Clichy Montmartre Billard Club ", dont le siège est 84 rue de Clichy à Paris (75009) ; l'association " Clichy Montmartre Billard Club " demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 09PA05536 du 5 juillet 2011 en tant que par cet arrêt, la cour administrative d'appel de Paris, après avoir réformé le jugement n° 0616863/3-1 du 1er juillet 2009 du tribunal administratif de Paris, a limité à 190 167 euros le montant de l'indemnité que l'Etat a été condamné à lui verser en réparation des préjudices causés par les décisions illégales du ministre de l'intérieur lui refusant le renouvellement de son autorisation de pratiquer les jeux de hasard ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa requête d'appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu 2°, sous le n° 356528, le pourvoi, enregistré le 6 février 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour l'association " Clichy Montmartre Billard Club ", dont le siège est 84 rue de Clichy à Paris (75009) ; l'association " Clichy Montmartre Billard Club " demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 11PA04008 du 5 décembre 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête tendant à la rectification pour erreur matérielle de l'article 1er de l'arrêt n° 09PA05536 du 5 juillet 2011 par laquelle cette cour a fixé à 190 167 euros le montant total de ses préjudices, et à ce que lui soit substituée une somme de 199 531 euros ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rectifier l'erreur matérielle entachant l'arrêt du 5 juillet 2011 et de porter le montant de la condamnation de l'Etat à la somme de 199 531 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu la décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux n° 307485 du 10 avril 2009 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Anissia Morel, Auditeur,

- les conclusions de Mme Fabienne Lambolez, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de l'association " Clichy Montmartre Billard Club " ;





1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 29 juillet 2002, confirmée le 11 septembre 2002, le ministre de l'intérieur a rejeté la demande présentée par l'association " Clichy Montmartre Billard Club " tendant au renouvellement de l'autorisation de pratiquer le poker et le multicolore dans ses salons de jeux situés 84 rue de Clichy à Paris (9ème arrondissement) ; que ces décisions ont été annulées pour illégalité par la décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux mentionnée ci-dessus en date du 10 avril 2009 ;

2. Considérant que l'association " Clichy Montmartre Billard Club " a demandé réparation devant le juge administratif des préjudices résultant de l'interruption illégale de la pratique de ces jeux de hasard entre le 31 juillet 2002 et le 12 février 2003, date à laquelle ils ont été à nouveau autorisés ; que, par un jugement du 1er juillet 2009, le tribunal administratif de Paris a estimé que l'illégalité des décisions litigieuses était constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat pendant la période de fermeture des salons de jeux et a fixé à 70 636 euros le montant de l'indemnité due par l'Etat à ce titre ; que, par un arrêt du 5 juillet 2011 contre lequel l'association " Clichy Montmartre Billard Club " se pourvoit en cassation sous le n° 352396, la cour administrative d'appel de Paris, réformant ce jugement, a fixé à 190 167 euros l'indemnité due à l'association requérante ; que la cour n'a, en revanche, pas modifié le montant de l'indemnité que le tribunal administratif a condamné l'Etat à verser à l'association au titre de travaux effectués du fait des décisions litigieuses ; que, sous le n° 356528, cette même association se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 5 décembre 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête tendant à la rectification pour erreur matérielle de l'arrêt du 5 juillet 2011 ;

3. Considérant que les pourvois n°352396 et 356528 présentent à juger les mêmes questions ; qu'il y lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Sur le pourvoi n° 352396 :

4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'association ne contestait plus en appel l'indemnité de 30 636 euros que le tribunal administratif de Paris avait condamné l'Etat à lui verser au titre de travaux effectués du fait des décisions litigieuses ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la cour a omis de statuer sur ce chef de préjudice manque en fait ;

5. Considérant que si la requérante reproche à la cour d'avoir omis de statuer sur ses conclusions tendant à la réparation des préjudices correspondant à l'ensemble des dépenses de personnel liées à la fermeture illégale des salons de jeux, il résulte de l'arrêt attaqué que la cour a statué sur ces conclusions en refusant de condamner l'Etat au titre de ces préjudices ; que, dès lors, ce moyen manque également en fait ;

6. Considérant que l'association demandait à être indemnisée des préjudices subis à compter de la réouverture des salons de jeux et jusqu'au 31 décembre 2007 ; que la cour, sans dénaturer les pièces du dossier et au vu des écritures comptables de l'association comme des tableaux retraçant la fréquentation des salons de jeux, a estimé que ces préjudices n'étaient pas établis et étaient, en tout état de cause, dépourvus de lien direct et certain avec la fermeture illégale des salons de jeux ; que, ce faisant, la cour n'a pas entaché son arrêt, qui est suffisamment motivé sur ce point, d'une erreur de qualification juridique ;

7. Considérant que, pour refuser de condamner l'Etat à verser à l'association une indemnité au titre du préjudice résultant des pertes de recettes des salles de billard, la cour s'est fondée sur la circonstance que la pratique du billard n'avait pas été affectée par les décisions litigieuses ; que la cour, dont l'arrêt est suffisamment motivé sur ce point, s'est fondée sur une appréciation souveraine des faits de l'espèce, exempte de dénaturation ;

8. Considérant que l'association requérante demandait que lui soit allouée une somme de 372 033 euros représentant la différence entre les recettes perçues au titre des salons de jeux en 2002 et celles qui avaient été perçues en 2001 ; qu'elle ne contestait pas sérieusement le montant fixé par le tribunal administratif qui avait, au vu des écritures comptables de la requérante, tenu compte du taux de marge observé sur ces recettes et évalué le bénéfice net moyen des salons de jeux pendant près de sept mois à 274 000 euros ; que la cour a dès lors pu, par une motivation suffisante et sans dénaturer les pièces du dossier, confirmer le montant alloué à ce titre à l'association en première instance ;

9. Considérant que la cour n'a pas commis d'erreur de droit en rejetant comme irrecevables les conclusions de l'association tendant au remboursement des frais engagés lors de précédentes procédures contentieuses ; qu'en outre, elle n'a ni dénaturé les écritures de l'association requérante ni omis de statuer sur les conclusions tendant au remboursement des frais engagés lors de la présente procédure dès lors qu'elle a mis à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la requérante devant elle ;

10. Considérant que la cour a estimé que le choix de l'association de relever les cotisations versées par les joueurs de billard n'était pas imputable aux décisions litigieuses ; qu'elle en a déduit que l'augmentation des impositions et charges diverses résultant du relèvement de ces cotisations n'était pas davantage imputable aux décisions en cause et n'était, en tout état de cause, pas établie ; qu'elle a ainsi exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis dès lors que le relèvement des cotisations, dont la requérante alléguait qu'il visait à compenser les pertes de recettes causées par la fermeture des salons de jeux, n'a pas été remis en cause lors de la réouverture des salons de jeux ; que la cour, qui n'était pas tenue de répondre à chacun des arguments invoqués par l'association s'agissant des reprises pour provisions et charges supplémentaires en lien avec le relèvement des cotisations, a suffisamment motivé son arrêt sur ce point ;

1
1. Considérant que, par un mémoire du 16 juin 2001, l'association requérante avait récapitulé les pertes de recettes et surcoûts d'exploitation subis au cours de la fermeture des salons de jeux et en a déduit les économies, évaluées à la somme de 74 469 euros, permises par la fermeture ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que la cour aurait soulevé d'office le moyen tiré de ce que ces économies devaient être déduites de l'indemnité mise à la charge de l'Etat manque en fait ;

12. Considérant, toutefois, que l'association requérante demandait, en outre, à être indemnisée du préjudice résultant pour elle de l'obligation de verser, pendant la fermeture des salons de jeux, des suppléments de salaires à ses employés rémunérés en temps normal par les pourboires versés par les clients ; que la cour, après avoir relevé qu'aucun pourboire n'avait pu être perçu pendant la fermeture, a estimé qu'il ne ressortait d'aucune disposition légale que l'association était contrainte de conserver le personnel dont l'emploi était supprimé en raison des décisions illégales du ministre de l'intérieur ; qu'en déniant à l'association tout droit à réparation au titre de ses obligations vis-à-vis de ses employés, alors qu'elle était tenue, quoi qu'elle décide, de leur verser soit le salaire minimum légal, soit des indemnités de licenciement, la cour a entaché son arrêt, sur ce point, d'une erreur de droit ;

13. Considérant, enfin, que la cour a déduit à tort du montant qu'elle avait alloué au titre des autres préjudices, et qui s'élevait à 230 167 euros, la somme de 40 000 euros, correspondant au surplus de taxe sur les salaires que l'association requérante aurait acquitté en 2002 et en 2003 et dont elle estimait que le versement n'était pas imputable à la décision illégale de fermeture et n'était, en tout état de cause, pas établi ;

14. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 5 juillet 2011 doit être annulé en tant, d'une part, qu'il statue sur les conclusions de l'association " Clichy Montmartre Billard Club " tendant à la réparation du préjudice qu'elle a subi au titre de ses obligations vis à vis de ses employés et en tant, d'autre part, qu'il déduit du montant total de l'indemnité due à l'association au titre des préjudices qu'elle a subis la somme de 40 000 euros ;

15. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond dans les limites de la cassation prononcée ;

16. Considérant que la fermeture illégale des salons de jeux n'a pas eu pour effet de délier l'association de ses obligations vis-à-vis de ses employés ; qu'il résulte de l'instruction que la rémunération du personnel des salons de jeux était constituée par les pourboires des clients sous réserve d'un minimum garanti par l'employeur ; qu'aucun pourboire n'ayant pu être perçu pendant la fermeture des salons de jeux, l'association a versé à son personnel la rémunération minimum ainsi garantie ; que le versement de ces sommes, impliqué par la décision de l'association, prise à la suite de la fermeture des salons de jeux et pour tenir compte de la durée alors prévisible de celle-ci, de maintenir le personnel des salles de jeux dans ses effectifs, a entraîné pour l'association une charge sans contrepartie qui est directement liée à la fermeture illégale des salons de jeux ; qu'il résulte des écritures comptables produites par l'association requérante que les versements en cause se sont élevés au cours de la période de fermeture imposée à la somme de 321 845 euros ;

17. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la réparation due par l'Etat au titre des autres préjudices subis par l'association " Clichy Montmartre Billard Club " doit être évaluée à la somme de 230 167 euros ;

18. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'association " Clichy Montmartre Billard Club " est seulement fondée à soutenir que le jugement du tribunal administratif de Paris doit également être réformé en ce qu'il n'a pas condamné l'Etat à lui verser une somme de 321 845 euros au titre des rémunérations versées à ses salariés pendant la période de fermeture illégale, portant ainsi l'indemnité qui lui est due, compte tenu du montant de 230 167 euros résultant de la partie devenue définitive de l'arrêt attaqué, à la somme totale de 552 012 euros ;

Sur le pourvoi n° 356528 :

19. Considérant que par l'effet de la présente décision, qui annule l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 5 juillet 2011 en tant qu'il a évalué le montant de l'indemnité due à l'association " Clichy Montmartre Billard Club ", les conclusions aux fins de rectification d'erreur matérielle du dispositif de cet arrêt sont devenues sans objet ; qu'il n'y a, dès lors, plus lieu d'y statuer ;

Sur les conclusions de l'association " Clichy Montmartre Billard Club " tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

20. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros à verser à l'Association " Clichy Montmartre Billard Club " au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



D E C I D E :

Article 1er : L'arrêt n° 09PA05536 de la cour administrative d'appel de Paris du 5 juillet 2011 est annulé en tant qu'il statue sur les conclusions de l'association " Clichy Montmartre Billard Club " tendant à la réparation du préjudice qu'elle a subi au titre de ses obligations vis à vis de ses employés et en tant qu'il déduit du montant total de l'indemnité due à l'association au titre des préjudices qu'elle a subis la somme de 40 000 euros.

Article 2 : La somme à laquelle l'Etat a été condamné à verser à l'association " Clichy Montmartre Billard Club " par le jugement n° 0616863/3-1 du tribunal administratif de Paris du 1er juillet 2009 est portée à 552 012 euros.

Article 3 : Le jugement n° 0616863/3-1 du tribunal administratif de Paris du 1er juillet 2009 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.

Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi n° 352396 est rejeté.

Article 5 : Il n'y a pas lieu de statuer sur le pourvoi n° 356528 de l'association " Clichy Montmartre Billard Club ".

Article 6 : L'Etat versera une somme de 3 500 euros à l'association " Clichy Montmartre Billard Club " au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 7 : La présente décision sera notifiée à l'association " Clichy Montmartre Billard Club " et au ministre de l'intérieur.


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