SOC. PRUD'HOMMES FB
COUR DE CASSATION
Audience publique du 17 avril 2013
Cassation partielle
M. FROUIN, conseiller le plus
ancien faisant fonction de président
Arrêt no 758 F-D
Pourvoi no Z 11-23.503
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant
Statuant sur le pourvoi formé par M. Olivier Z, domicilié Le Gosier,
contre l'arrêt rendu le 23 mai 2011 par la cour d'appel de Basse-Terre (chambre sociale), dans le litige l'opposant
1o/ à la société Opea distribution, société à responsabilité limitée, dont le siège est Baie-Mahault,
2o/ à Mme Marie-Agnès X, domiciliée Le Gosier, pris en qualité de mandataire judiciaire à la procédure de sauvegarde de la société Opea distribution,
défenderesses à la cassation ;
La société Opea distribution et Mme X, ès qualités, ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt ;
Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Les demanderesses au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 19 mars 2013, où étaient présents M. Frouin, conseiller le plus ancien faisant fonction de président, Mme Corbel, conseiller référendaire rapporteur, M. Chauvet, conseiller, Mme Becker, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Corbel, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. Z, de la SCP Ghestin, avocat de la société Opea distribution et de Mme X, ès qualités, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Z a été engagé le 15 décembre 1998 en qualité de voyageur-représentant-placier par la société Opea distribution ; qu'il a saisi la juridiction prud'homale en annulation de sanctions disciplinaires prononcées contre lui et en résiliation du contrat de travail aux torts de son employeur en raison d'un harcèlement moral ; qu'il a ensuite été licencié pour faute grave, par lettre du 6 novembre 2009, dont il a contesté le bien fondé ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal
Vu les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail ;
Attendu que pour écarter l'existence d'un harcèlement moral, débouter le salarié de ses demandes au titre de ce harcèlement et tendant à la résiliation judiciaire de son contrat aux torts de l'employeur ainsi qu'au paiement de diverses sommes, l'arrêt retient qu'il ne démontre pas que son employeur l'ait régulièrement dénigré, le fait de rappeler qu'il était simple salarié de la société ne pouvant constituer un harcèlement moral, que le fait qu'il ait été une seule fois mis dans l'impossibilité de rentrer dans la société ne peut être qualifié de harcèlement, celui-ci n'étant constitué que lorsqu'il existe une série d'actes répétés entraînant une dégradation délibérée des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits ou à sa dignité, d'altérer sa santé, tant physique que mentale ou de compromettre son avenir professionnel, que le certificat médical produit ne démontre pas plus qu'il ait été victime sur son lieu de travail de harcèlement, que c'est donc à juste titre que le conseil de prud'hommes a dit que le salarié ne démontrait pas qu'il était victime de harcèlement moral ;
Qu'en statuant ainsi, alors, d'une part, que le harcèlement moral est constitué indépendamment de l'intention de son auteur et, d'autre part, qu'il lui appartenait de se prononcer sur tous les éléments qui lui étaient soumis, notamment la remise tardive de l'attestation de salaire permettant le paiement des indemnités journalières de la sécurité sociale, la mise au chômage partiel, la rétrogradation, la plainte de l'employeur pour vol, les accusations d'absences injustifiées, le licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'examiner, dans leur ensemble, ceux qui étaient matériellement établis par le salarié afin de déterminer s'ils laissaient présumer l'existence d'un harcèlement moral, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et sur le second moyen du pourvoi principal
Vu les articles L. 1333-1 et L. 1333-2 du code du travail ;
Attendu que pour débouter le salarié de sa demande d'annulation des sanctions disciplinaires prononcées à son encontre, l'arrêt retient que ces sanctions sont fondées sur des faits vérifiables, objectifs et dont la sanction incombe au pouvoir de l'employeur, qu'il n'y a donc lieu de les dire mal fondées ;
Qu'en statuant ainsi, sans s'assurer de la réalité des faits invoqués par l'employeur, de leur caractère fautif et de la proportionnalité des sanctions prononcées, la cour d'appel, qui n'a pas exercé son office, a violé les textes susvisés ;
Et attendu que la cassation sur le premier moyen du pourvoi principal entraîne, par voie de conséquence, en application de l'article 624 du code de procédure civile, cassation du chef de l'arrêt qui déclare le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamne, en conséquence, l'employeur à payer au salarié diverses sommes ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. Z de sa demande d'annulation des sanctions disciplinaires, de ses demandes au titre d'un harcèlement moral et tendant à la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur et au paiement de diverses sommes, et en ce qu'il dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamne l'employeur à payer au salarié diverses sommes à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, des congés payés afférents ainsi que d'indemnité de licenciement, l'arrêt rendu le 23 mai 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Basse-Terre ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Fort-de-France ;
Condamne la société Opea distribution aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Opea distribution et la condamne à payer à M. Z la somme de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept avril deux mille treize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits au pourvoi principal par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour M. Z.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir écarté l'existence d'un harcèlement moral, d'avoir débouté Monsieur Z de ses demandes au titre de ce harcèlement et tendant à la résiliation judiciaire de son contrat aux torts de l'employeur et au paiement de diverses sommes;
AUX MOTIFS QUE Monsieur Z confond sa qualité d'associé de la société OPEA distribution avec celle de salarié de cette dernière et supportait mal les rappels qui lui étaient faits à cet égard ; que Monsieur Z n'établit pas que les faits qu'il invoque seraient constitutifs d'un harcèlement moral ; que c'est en vertu de ses pouvoir propres de direction que la gérante de la société Opea distribution n'a pas renouvelé le chéquier qui était à la disposition de Monsieur Z qui était salarié en qualité de voyageur-représentant-placier et dont rien dans la fonction ne justifiait qu'il disposât d'un chéquier ; qu'il en est de même en ce qui concerne l'accès aux documents comptables et administratifs de la société ; que Monsieur Z ne démontre pas plus que son employeur l'ait régulièrement dénigré, le simple fait de rappeler qu'il était simple salarié de la société ne pouvant constituer un harcèlement moral ; que le fait qu'il ait été une seule fois mis dans l'impossibilité de rentrer dans la société ne peut non plus être qualifié de harcèlement, celui-ci n'étant constitué que lorsqu'il existe une série d'actes répétés entraînant une dégradation délibérée des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits ou à sa dignité, d'altérer sa santé, tant physique que mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; que le certificat médical produit ne démontre pas plus que Monsieur Z ait été victime sur son lieu de travail de harcèlement ;que c'est à juste titre que le conseil de prud'hommes a dit que Monsieur Z ne démontrait pas qu'il était victime de harcèlement moral et l'a débouté de sa demande de résiliation judiciaire ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QU'aucune pièce ne justifie que Monsieur Z ait été victime d'un quelconque harcèlement moral ;
1. ALORS QUE le salarié n'est tenu que d'apporter des éléments permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral ; qu'en déboutant Monsieur Z de ses demandes au titre du harcèlement moral, au motif qu'il n'établit pas que les faits qu'il invoque seraient constitutifs d'un harcèlement moral, la Cour d'appel a violé l'article L. 1154-1 du code du travail ;
2. ALORS QUE lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant pour lui un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral ; qu'à l'appui de ses demandes au titre du harcèlement moral, le salarié faisait état du retrait de certaines prérogatives, de sanctions disciplinaires contestées, d'une interdiction d'accéder aux locaux de l'entreprise, d'un certificat médical mentionnant qu'il souffrait d'un syndrome anxio-dépressif réactionnel évoquant un harcèlement au travail, mais également de la suppression d'une prime mensuelle, de retenues injustifiées sur son salaire, de la remise tardive de l'attestation de salaire permettant le paiement d'indemnités journalières et d'un licenciement infondé; que pour débouter le salarié de ses demandes, l'arrêt se borne à relever que c'est dans l'exercice de son pouvoir de direction que l'employeur a privé le salarié de certaines prérogatives, que le fait que le salarié ait été mis une seule fois dans l'impossibilité de rentrer dans la société ne peut être qualifié de harcèlement, et que le certificat médical produit ne démontre pas plus que Monsieur Z ait été victime de harcèlement sur son lieu de travail ; qu'en statuant ainsi, sans examiner tous les faits établis par le salarié, ni rechercher si, pris dans leur ensemble, ces faits n'étaient pas de nature à laisser présumer l'existence d'un harcèlement moral, la Cour d'appel a violé les articles L. 1152-1, L. 1152-2, et L.1154-1 du Code du travail ;
3. ALORS QUE le harcèlement moral est constitué d'une pluralité de faits dont la conjonction a pour objet ou pour effet une dégradation des conditions du travail du salarié susceptible de porter atteinte à ses droits ou à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; que l'arrêt constate que Monsieur Z a été privé de certaines prérogatives, qu'il a fait l'objet de deux sanctions contestées, qu'il a été injustement privé d'une prime mensuelle, que des retenues également injustifiées ont été pratiquées sur son salaire, qu'à l'issue d'un arrêt de travail pour maladie, il s'est vu interdire l'accès aux locaux de l'entreprise par un huissier, qu'il a été victime d'un syndrome anxio-dépressif médicalement constaté, qu'il a fait l'objet d'un licenciement pour faute grave dépourvu de cause réelle et sérieuse ; qu'en excluant néanmoins le harcèlement moral, la Cour d'appel a violé les articles L. 1152-1 et L. 1152-2 du code du travail ;
4. ALORS QUE le harcèlement moral est constitué indépendamment de l'intention de son auteur ; qu'en énonçant que le harcèlement suppose une dégradation délibérée des conditions du travail du salarié, la cour d'appel a violé les mêmes textes.
SECOND MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Monsieur Z de sa demande d'annulation des sanctions disciplinaires prononcées à son encontre par l'employeur, d'avoir écarté l'existence d'un harcèlement moral, et d'avoir débouté le salarié de ses demandes liées à ce harcèlement et de sa demande de résiliation judiciaire ;
AUX MOTIFS QUE les sanctions disciplinaires prises à rencontre de Monsieur Z sont fondées sur des faits vérifiables, objectifs et dont la sanction incombe au pouvoir de l'employeur ; qu'il n'y a donc lieu de les dire mal-fondées ;
ALORS QUE le juge saisi de la contestation sur le bien-fondé d'une sanction disciplinaire doit contrôler la réalité et la qualification des faits invoqués par l'employeur et l'adéquation entre la faute et la sanction ; qu'en se bornant à énoncer que les sanctions infligées à Monsieur Z étaient fondées sur des faits " vérifiables, objectifs et dont la sanction incombe au pouvoir de l'employeur ", sans contrôler que ces faits existaient effectivement, qu'ils présentaient un caractère fautif, et qu'ils justifiaient les sanctions prononcées, la Cour d'appel a violé les articles L. 1333-1 et L. 1333-2 du code du travail.
Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Ghestin, avocat aux Conseils, pour la société Opea distribution et Mme X, ès qualités.
Il est fait grief à la Cour d'appel de Basse Terre d'avoir jugé que le licenciement de M. Olivier Z était dépourvu de cause réelle et sérieuse et, en conséquence, d'avoir condamné la société OPEA DISTRIBUTION à lui payer un rappel de salaire et de congés payés, une indemnité de licenciement et des dommages et intérêts ;
AUX MOTIFS QUE par courrier du 10 janvier 2008 la société OPEA DISTRIBUTION a sanctionné M. Z d'une mise à pied, notamment pour insubordination ; que les sanctions disciplinaires prises à l'encontre de M. Z sont fondées sur des faits vérifiables, objectifs et dont la sanction incombe au pouvoir de l'employeur ; que la société OPEA DISTRIBUTION a licencié M. Z par lettre du 6 novembre 2009 énonçant " Le 13 octobre, vous avez voulu reprendre votre poste de travail car vous refusiez de prolonger vos congés. Madame ... a pris acte de votre refus et vous a cependant demandé, compte tenu de votre long arrêt de maladie, de vous soumettre à la visite légale de reprise avant de réintégrer votre poste de travail. Vous avez refusé de quitter l'entreprise et même tenté d'empêcher une salariée de partir en tournée. Eu égard au stress généré par votre comportement irrationnel, Madame ... a été contrainte de faire appel à un huissier de justice aux fins de constater votre refus de quitter votre lieu de travail. Ce refus était d'autant plus injustifié que, après un appel passé par vos soins en notre présence, votre visite de reprise a été fixée dès le lendemain soit le 14 octobre 2009. Votre attitude et votre insubordination sont devenues insupportables et nuisent au bon fonctionnement et à la sérénité des relations de travail dans l'entreprise. Cela fait plusieurs mois que cela dure et nous vous avons déjà sanctionné pour des faits similaires. Nous constatons que nos efforts pour revenir à des relations de travail normales se sont soldés par des échecs. L'ensemble de ces faits constituent, à notre sens, une faute grave justifiant un licenciement sans préavis ni indemnité " ; que le simple fait de reprocher à un salarié de ne pas vouloir quitter son lieu de travail, d'évoquer une attitude sans autre précision, et une insubordination, dont il est rappelé qu'elle a déjà été sanctionnée, ne justifient en aucun cas le licenciement de M. Z ;
1/ ALORS QUE si un même fait ne peut faire l'objet de deux sanctions disciplinaires successives, la poursuite par un salarié d'un fait fautif autorise l'employeur à se prévaloir de faits similaires, y compris ceux ayant été sanctionnés, pour caractériser une faute grave ; qu'en jugeant du contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 1231-1 du code du travail, ensemble les articles L. 1232-1 et L ; 1234-1 du même code ;
2/ ALORS QUE si un même fait ne peut faire l'objet de deux sanctions disciplinaires successives, lorsque des faits de même nature se reproduisent,
l'employeur peut faire état des précédent pour justifier une sanction aggravée reposant sur une appréciation globale du comportement du salarié ; qu'après avoir constaté la mise à pied disciplinaire pour insubordination notifiée le 10 janvier 2008, la Cour d'appel devait rechercher, si M. Z avait réitéré le 13 octobre 2009, les faits d'insubordination reprochés, en exigeant de pouvoir se maintenir sur les lieux du travail avant la visite de reprise mettant fin à la période de suspension du contrat de travail laquelle avait duré plus de vingt et un jours ; qu'en s'abstenant de procéder à cette recherche, avant de juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard de l'article L. 1231-1 du code du travail, ensemble les articles L. 1232-1 et L ; 1234-1 du même code ;
3/ ET ALORS QUE la lettre de licenciement déterminant les limites du litige avait, tout à la fois, visé les sanctions disciplinaires antérieures pour insubordination et les faits précis s'étant déroulés le 13 octobre 2009, constitutifs, selon l'employeur, d'une réitération de l'insubordination ; qu'en déclarant que la lettre de licenciement évoquait une attitude d'insubordination sans autre précision, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile, ensemble l'article L. 1232-6 du code du travail.