ARRÊT N°13/127
R.G 12/01933
Z Francis
C/
CONSEIL DE L'ORDRE DES AVOCATS DU BARREAU DE SAINT DENIS
MINISTÈRE PUBLIC
RG 1ERE INSTANCE
COUR D'APPEL DE SAINT-DENIS
ARRÊT DU 01 MARS 2013
Chambre civile TGI
Appel d'une décision rendue par le CONSEIL DE L'ORDRE DES AVOCATS DE ST DENIS en date du 19 OCTOBRE 2012 suivant déclaration d'appel en date du 12 NOVEMBRE 2012
APPELANT
Monsieur Francis Z
LA POSSESSION
Représentant la SCP CANALE-GAUTHIER-ANTELME (avocats au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION)
INTIMÉES
CONSEIL DE L'ORDRE DES AVOCATS DU BARREAU DE SAINT DENIS
Madame Le Bâtonnier Léopoldine ...
STE CLOTILDE
Représentant la SELARLCODET - CHOPIN ( avocats au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION)
MINISTÈRE PUBLIC représenté par Monsieur X X X
Cour d'appel
166 Rue Juliette Dodu
97400 ST DENIS
DÉBATS En application des dispositions de l'article 785 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 01 Février 2013 devant la cour composée de
Président M. Dominique FERRIERE, Premier Président
Conseiller M. Hervé PROTIN, Président
Conseiller Mme Elisabeth RAYNAUD, Présidente de chambre
Conseiller Mme Anne JOUANARD, conseiller
Conseiller Mme Françoise PETUREAUX, Vice Présidente placée, affectée à la cour par ordonnance du Premier président N° 2012/214 en date du 28 juin 2012
Qui en ont délibéré après avoir entendu les avocats en leurs plaidoiries.
A l'issue des débats, le président a indiqué que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition le 01 Mars 2013.
Greffier lors des débats Mme Manuela DEFFOIS, Greffier en Chef.
ARRÊT prononcé publiquement par sa mise à disposition des parties le 01 Mars 2013.
* * *
LA COUR
FAITS ET PROCÉDURE
Par lettre du 19 juin 2012, Monsieur Francis CARBONNEL, président honoraire de tribunal administratif, admis à faire valoir ses droits à retraite à compter du 18 août 2010 par arrêté du 10 mars de la même année, a demandé son inscription au Barreau de Saint-Denis, et ce au visa des dispositions des articles 11-2° de la loi du 31 décembre 1971 et 93-2° et 97-1° du décret du 27 novembre 1991 dispensant de la condition de diplôme, de la formation théorique et pratique et du certificat d'aptitude à la profession d'avocat les anciens magistrats administratifs.
Par délibération en date du 19 octobre 2012, le Conseil de l'Ordre a rejeté sa demande d'inscription.
Par déclaration reçue au greffe de la Cour le 12 novembre 2012, Monsieur Z a formé un recours à l'encontre de cette décision qui lui a été notifiée le 22 octobre 2012.
Par lettres recommandées reçues les 15 et 16 novembre 2012, Monsieur Z, le Conseil de l'Ordre des avocats au Barreau de Saint-Denis et le Bâtonnier dudit Ordre ont été convoqués à l'audience 7 décembre 2012. A la demande des parties, l'affaire a été renvoyée à l'audience du 1er février 2013, au cours de laquelle les débats ont eu lieu publiquement, à la demande de Monsieur Z, conformément aux dispositions de l'article 16 alinéa 3 in fine du décret du 27 novembre 1991, pour l'arrêt être rendu le 1er mars 2013.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de son recours, Monsieur Z demande à la Cour
- d'infirmer la décision du Conseil de l'Ordre des avocats au Barreau de Saint-Denis en date du 19 octobre 2012 ayant rejeté sa demande d'inscription audit Barreau,
et statuant à nouveau,
- de prononcer cette inscription.
Aux termes de ses conclusions déposées le 14 décembre 2012, le Conseil de l'Ordre des avocats au Barreau de Saint-Denis oppose que l'article L 231-1 du code de la justice administrative dispose que les membres des tribunaux administratifs sont des magistrats ; que par extension, cette qualification leur rend applicable l'article 9-1 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 qui garantit l'indépendance de la justice, principe qui transcende d'évidence la dualité des ordres administratif et judiciaire ; qu'ainsi, Monsieur Z, qui a exercé la fonction de président du tribunal administratif de Saint-Denis jusqu'au 31 août 2008, soit depuis moins de cinq ans, ne peut pas être inscrit au Barreau de Saint-Denis ; qu'on relève d'ailleurs que réciproquement, l'article L 231-6 du code de la justice administrative dispose que nul ne peut être nommé membre d'un tribunal administratif s'il a exercé la profession d'avocat dans le ressort de ce tribunal depuis moins de cinq ans.
Le Conseil de l'Ordre des avocats au Barreau de Saint-Denis oppose en outre que Monsieur Z ne justifie pas qu'il dispose d'un domicile professionnel conforme aux usages ; qu'en effet, il indique qu'il entend l'établir au sein des locaux qu'occupe Maître ... en qualité de locataire et produit à l'appui la lettre d'intention de ce dernier et un projet de convention d'occupation ; que cependant, la visite desdits locaux a démontré que des travaux d'aménagement s'imposaient ; qu'or, Monsieur Z n'a pas même fourni un plan sommaire de cet aménagement ni non plus l'indispensable autorisation du bailleur.
Le Conseil de l'Ordre des avocats au Barreau de Saint-Denis demande à la Cour
- de confirmer son refus en date du 19 octobre 2012 d'inscrire Monsieur Z audit Barreau.
Par courrier reçu à la Cour le 18 janvier 2013, le bâtonnier de l'Ordre des avocats au Barreau de Saint-Denis fait observer qu'au mépris des dispositions du décret du 27 novembre 1991 Monsieur Z ne l'a pas avisé de son recours dans les délais requis par lettre recommandée avec accusé de réception ; que ce recours est donc irrecevable.
Le bâtonnier de l'Ordre des avocats au Barreau de Saint-Denis demande à la Cour de
- constater l'irrecevabilité du recours de Monsieur Z à l'encontre de la décision du Conseil de l'Ordre des avocats au Barreau de Saint-Denis en date du 19 octobre 2012 ayant rejeté sa demande d'inscription audit Barreau.
Aux termes de ses conclusions déposées le 22 janvier 2013, le procureur général soutient, sur la forme, que l'article 102 alinéa 5 du décret du 27 novembre 1991 ne prévoit aucune sanction du non respect du défaut d'avis du recours au bâtonnier de l'Ordre des avocats par lettre recommandée avec accusé de réception ; que cet avis n'est pas analogue à la réclamation préalable obligatoire auprès du bâtonnier prévue par l'article 15 du même décret qui n'est pas applicable en l'espèce, régie par l'article 16 ; qu'en conséquence, le défaut d'avis ne constitue pas une cause d'irrecevabilité.
Sur le fond, le procureur général soutient que les règles statutaires applicables aux magistrats de l'ordre judiciaire, en particulier l'article 9-1 de l'ordonnance du 22 décembre 1958, ne sont pas applicables à Monsieur Z ; qu'en sa qualité d'ancien magistrat de tribunal administratif, il remplit les conditions pour être inscrit au Barreau par application des dispositions des articles 11-2° de la loi du 31 décembre 1971 et 93-2° et 97-1° du décret du 27 novembre 1991.
Le procureur général demande à la Cour
- de déclarer le recours de Monsieur Z recevable et bien-fondé,
en conséquence,
- d'infirmer la décision du Conseil de l'Ordre des avocats au Barreau de Saint-Denis en date du 19 octobre 2012 ayant rejeté sa demande d'inscription audit Barreau,
et statuant à nouveau,
- de prononcer cette inscription.
Aux termes de ses conclusions récapitulatives signifiées et déposées le 29 janvier 2013, Monsieur Z soutient qu'il a parfaitement respecté les règles de l'article 16 du décret du 27 novembre 1991 applicables à son recours ; que le défaut d'avis au procureur général et au bâtonnier n'est susceptible d'aucune sanction ; qu'à supposer même qu'il s'agisse d'un vice de forme, le procureur général et le bâtonnier ont pu faire valoir leurs observations et n'ont donc subi aucun grief de nature à entraîner la nullité du recours qui est donc valide et recevable.
Sur le fond, Monsieur Z fait valoir en premier lieu que le Conseil de l'Ordre, qui a statué sans l'avoir entendu, ni avoir entendu son représentant, a reconnu qu'il remplit les conditions requises par les articles 11-2° de la loi du 31 décembre 1971 et 93-2° et 97-1° du décret du 27 novembre 1991 dispensant de la condition de diplôme, de la formation théorique et pratique et du certificat d'aptitude à la profession d'avocat les anciens magistrats administratifs ; que cependant, il a rejeté sa demande d'inscription en faisant application des dispositions de l'article 9-1 de la loi organique qui dispose que les magistrats et anciens magistrats ne peuvent pas exercer la profession d'avocat dans le ressort d'une juridiction où ils ont exercé leurs fonctions depuis moins de cinq ans ; que certes, à la date de sa demande, Monsieur Z avait exercé les fonctions de président du tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion depuis moins de 5 ans, mais c'est à tort que le Conseil de l'Ordre lui a appliqué cette règle édictée par l'ordonnance du 22 décembre 1958 qui ne concerne que les magistrats de l'ordre judiciaire et non pas les magistrats de l'ordre administratif dont les statuts sont régis par des textes différents ; que le Conseil d'Etat, considérant qu'il avait quitté ses fonctions à Saint-Denis depuis plus de trois ans, n'a pas jugé utile de saisir la commission de déontologie instituée auprès du premier ministre en vertu de l'article 87 de la loi du 29 janvier 1993 pour apprécier la compatibilité de toute activité lucrative avec les fonctions effectivement exercées au cours des trois dernières années par l'agent cessant ses fonctions ; que cependant, le collège de déontologie chargé d'éclairer les membres des juridictions administratives sur l'application des principes et des bonnes pratiques a estimé que son inscription au Barreau, plus de trois ans après la cessation de ses fonctions, ne présente pas de risques sous réserve de faire preuve de vigilance dans ses relations en tant qu'avocat avec le tribunal administratif de Saint-Denis et de s'abstenir absolument de traite des affaires dont il a eu à connaître durant sa présidence.
Monsieur Z fait valoir en second lieu que l'article 15 du règlement intérieur national qui stipule qu'un avocat inscrit doit disposer dans le ressort de son Barreau de locaux professionnels conformes aux usages, s'applique à l'avocat en exercice et non pas à l'impétrant demandant son inscription ; que le Conseil de l'Ordre n'est donc pas fondé à rejeter sa demande pour ce motif en ajoutant une condition d'inscription qui n'est pas prévue par les textes.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Formé par déclaration au greffe dans le délai d'un mois, le recours de Monsieur Z est présenté dans les forme et délai de l'article 16 du décret du 27 novembre 1991 auquel renvoie l'article 102 alinéa 5 du même décret.
Ledit article 102 alinéa 5 prévoit que le requérant avise de sa réclamation, sans délai, par lettre recommandée avec accusé de réception, le procureur général et le bâtonnier.
Il est regrettable que Monsieur Z n'ait pas adressé ces avis. Cependant, aucune sanction d'irrecevabilité n'est encourue.
L'avis simple qui est prévu n'est pas analogue à la réclamation préalable obligatoire qui s'impose dans le cas de l'article 15 du décret du 27 novembre 1991 et dont la nature même justifie qu'à défaut d'avoir été présentée au bâtonnier, le recours soit irrecevable.
Les observations du bâtonnier et les conclusions du procureur général attestent que l'un et l'autre ont pu faire connaître leur opinion sur le recours de Monsieur Z.
Ce recours est recevable.
Sur le fond, le Conseil de l'Ordre oppose d'abord à Monsieur Z l'article 9-1 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.
Or cette ordonnance ne concerne que le corps judiciaire défini à l'article 1er comme comprenant 1°/ les magistrats du siège et du parquet de la cour de cassation, des cours d'appel et des tribunaux de première instance ainsi que les magistrats du cadre de l'administration centrale du ministère de la justice, 2°/ les magistrats du siège et du parquet placés respectivement auprès du premier président et du procureur général pour exercer les fonctions du grade auquel ils appartiennent à la cour d'appel à laquelle ils sont rattachés et dans l'ensemble des tribunaux de première instance du ressort de ladite cour, 3°/ les auditeurs de justice.
Elle ne concerne pas l'ordre administratif, et les règles statutaires qu'elle contient ne sont pas applicables aux magistrats de cet ordre, ni en vertu des textes - leur statut étant régi par les articles L 231-1 et suivants du code de la justice administrative et pour autant qu'elles n'y sont pas contraires par les dispositions statutaires de la fonction publique de l'Etat (article 86 de la loi du 12 mars 2012) -, ni par analogie - sauf à violer ces textes -.
Monsieur Z ayant qualité d'ancien magistrat administratif, l'interdiction de l'article 9-1 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 ne peut donc pas lui être opposée.
Le Conseil de l'Ordre oppose ensuite à Monsieur Z le défaut de locaux professionnels conformes aux usages.
Cependant, ni les articles 11 et 27 de la loi du 31 décembre 1971, ni l'article 93 du décret du 27 novembre 1991 n'imposent une quelconque exigence matérielle pour qu'un avocat puisse être inscrit au Barreau.
Certes, il résulte de l'article 5 du règlement intérieur national que l'avocat doit disposer dans le ressort de son Barreau d'un domicile professionnel conforme aux usages et permettant l'exercice de la profession d'avocat dans le respect de ses principes essentiels tel le secret professionnel.
Mais ces règles concernent l'avocat déjà inscrit.
Celui qui demande son inscription n'est pas tenu de justifier préalablement de ce domicile professionnel.
En rejetant la demande de Monsieur Z pour ce motif, le Conseil de l'Ordre a donc ajouté une condition qui n'est prévue ni par les textes ni par le règlement intérieur national.
Par application des dispositions des articles 11-2° de la loi du 31 décembre 1971 et 93-2° et 97-1° du décret du 27 novembre 1991, Monsieur Z est dispensé de la condition de diplôme, de la formation théorique et pratique et du certificat d'aptitude à la profession d'avocat les anciens magistrats administratifs.
Il résulte de ce tout ce qui précède que le Conseil de l'Ordre des avocats au Barreau de Saint-Denis a rejeté à tort la demande d'inscription de Monsieur Z. Son recours est bien fondé et la décision attaquée doit être infirmée.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant publiquement, en audience solennelle, en matière civile, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
DÉCLARE le recours de Monsieur Francis Z recevable et bien-fondé.
INFIRME la décision du Conseil de l'Ordre des avocats au Barreau de Saint-Denis en date du 19 octobre 2012 ayant rejeté sa demande d'inscription audit Barreau.
CONSTATE que Monsieur Francis Z remplit les conditions des articles 11-2° de la loi du 31 décembre 1971 et 93-2° et 97-1° du décret du 27 novembre 1991.
ORDONNE son inscription au tableau de l'Ordre des avocats au Barreau de Saint-Denis. DIT que l'Ordre des avocats au Barreau de Saint-Denis supportera les dépens.
Le présent arrêt a été signé par M. Dominique ..., Premier Président, et par Mme Manuela ..., Greffier en Chef, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE EN CHEF LE PRÉSIDENT
Signé