COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
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DÉCISION DE NON TRANSMISSION D'UNE QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
DU 09 AVRIL 2013
N°2013/ 341
Rôle N° 13/02385
Philippe ...
C/
Jocelyne ...
Alexis ...
PROCUREUR GÉNÉRAL PRÈS LA COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
Grosse délivrée
le
à
Monsieur Philippe ...
Me ...
Décision déférée au Premier Président de la Cour d'Appel
Décision fixant les honoraires de M. Philippe ... rendue le
07 Juin 2012 par le Bâtonnier de l'ordre des avocats de MARSEILLE.
DEMANDEUR
Monsieur Philippe ..., avocat,
demeurant MARSEILLE CEDEX 20
comparant en personne
DÉFENDEURS
Madame Jocelyne ..., tant en son nom personnel qu'en sa qualité curatrice de son frère Alexis ...,
demeurant BOUC-BEL-AIR
représentée par Me Julie REQUIN-TOURRET, avocat au barreau de MARSEILLE
Monsieur Alexis ..., représenté par Mme Jocelyne ...,
demeurant BOUC-BEL-AIR
représenté par Me Julie REQUIN-TOURRET, avocat au barreau de MARSEILLE
Communiqué au
PROCUREUR GÉNÉRAL PRÈS LA COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
*-*-*-*-*
DÉBATS ET DÉLIBÉRÉ
L'affaire a été débattue le 20 Mars 2013 en audience publique devant
Madame Catherine GARDIN-CHARPENTIER, Présidente de Chambre,
délégué par Ordonnance du Premier Président .
Greffier lors des débats Madame Jennifer BERNARD.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 09 Avril 2013
MINISTÈRE PUBLIC
Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.
ORDONNANCE
Contradictoire,
Prononcée par mise à disposition au greffe le 09 Avril 2013
Signée par Madame Catherine GARDIN-CHARPENTIER, Présidente de Chambre et Madame Jessica FREITAS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Par lettre recommandée avec avis de réception expédiée le 29 juin 2012, reçue et enregistrée le 2 juillet 2012, Mme Jocelyne ... tant en son nom personnel qu'en qualité de curatrice de M. Alexis ..., a formé un recours contre la décision du 7 juin 2012 du bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Marseille qui a fixé à la somme de 12.703,96 euros TTC les honoraires dus à cet avocat par Mme Jocelyne ... et M. Alexis ..., et, compte tenu de la provision déjà versée de 7000 euros, a dit qu'un solde de 5.703,96euros TTC restait dû à l'avocat.
Les parties ont été convoquées à l'audience du 13 février 2013 et le 5 février 2013, M. Philippe ... a déposé une question prioritaire de constitutionnalité ainsi énoncée
' Vu le principe de la prééminence du droit,
Vu la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 notamment en ses articles 4 à 11 et 15 à 17,
Vu la constitution du 4 octobre 1958 notamment ses articles 1er, 34, 55, 61-1, 62 alinéa 2, ensemble les articles 23-1 à 23-12 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel,
Vu le dossier de la procédure et les pièces produites inventoriés sous bordereau,
Vu le recours du 18 juillet 2012 (RG 12/13966) et le mémoire distinct et motivé de question prioritaire de constitutionnalité,
Vu le recours des consorts ... (RG 12/12299),
A - Transmettre à la Cour de cassation aux fins de renvoi ultérieur aux Conseil constitutionnel, la question prioritaire de constitutionnalité énoncée ainsi
Les articles 1134, 1184 du Code civil et 10 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, eu égard à la porté effective que leur confère l'interprétation constante qu'en donne la Cour de cassation portent-ils atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution et notamment
- au droit à la liberté en général comme droit naturel de l'homme, à la liberté contractuelle et au droit à la liberté d'entreprendre consacrés par les articles 4 et 5 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 aout 1789 (la DDH),
- au droit à la justice et aux droits de la défense garanti par l'article 16 de la Déclaration susvisée (DDH),
- au droit à la liberté d'expression garanti par l'article 11 de la Déclaration susvisée (DDH), - à l'article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 fixant en partie le domaine de la loi,
- au principe d'égalité garanti par l'article 6 de la Déclaration (DDH) et l'article 1er de la Constitution,
- au droit de propriété garanti par l'article 17 de la Déclaration (DDH)
en ce qu'ils
1°) excluent l'application d'une convention d'honoraires légalement formée entre un avocat et son client au seul motif qu'un acte ou une décision juridictionnelle irrévocable ne sera pas intervenu avant la résiliation de ladite convention, sans considération pour les stipulations spéciales que celle-ci aura pu prévoir et réglementant précisément le cas de résiliation
2°) créent une discrimination entre les avocats et les autres justiciables non assujettis à cette règle dérogatoire au droit commun '
B- surseoir à statuer sue les demandes des parties dans le cadre de l'instance jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel se soit prononcé,
C- Réserver les dépens ".
Après communication du dossier au procureur général, celui-ci a déposé et communiqué des observations écrites le 7 février 2013 il conclut au refus de transmission de la question à la Cour de cassation au motif qu'elle ne présente pas de caractère sérieux ; il fait valoir que la contestation par M. ... de la conformité à la Constitution, et plus particulièrement aux droits et libertés qu'il vise, de l'interprétation jurisprudentielle de la Cour de cassation selon laquelle en application de l'article 10 de la loi modifiée du 31 décembre 1971 les honoraires de résultat prévus par convention préalable ne sont dus par le client à son avocat que lorsqu'il a été mis fin à l'instance par un acte ou une décision juridictionnelle irrévocable.
M. ... a déposé et communiqué un mémoire en réplique.
A l'audience de renvoi les parties ont été entendues en leurs explications orales sur la question prioritaire de constitutionnalité. Les consorts ... déclarent s'en rapporter aux observations écrites du parquet général.
Sur ce,
La question prioritaire de constitutionnalité présentée par M. ... dans un mémoire distinct et motivé est donc recevable au sens de l'article 126-2 du code de procédure civile ; cet écrit a été déposé par son auteur le 5 février 2013, dans une instance en cours et avant la clôture des débats au fond.
Si en application de l'article 126-5 du code de procédure civile le juge n'est pas tenu de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité mettant en cause, par les mêmes motifs une disposition législative dont la Cour de cassation ou le conseil constitutionnel est déjà saisi, il n'apparaît pas que la Cour de cassation ou le Conseil constitutionnel ait été précédemment saisi d'une telle question dont l'examen serait en cours ; et la règle contestée n'a pas déjà été déclarée conforme à la constitution.
Il sera relevé que la jurisprudence invoquée selon laquelle l'application combinée des articles 1134 et 1184 du code civil et l'article 10 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971conduit à écarter l'application d'une convention d'honoraires lorsque l'avocat a été dessaisi par son client avant un acte ou une décision irrévocable tandis que l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité ait produit aux débats des décisions de jurisprudence relatives à l'application de la notion d'honoraires acceptés après services rendus.
Même si le bâtonnier a retenu une application partielle de la convention et si les consorts ... en demandent la nullité dans leur mémoire d'appel sans y expliciter le fondement de cette demande, il sera admis, s'agissant en particulier d'une procédure orale dans laquelle les fondements juridiques invoqués sont susceptibles d'évoluer jusqu'aux débats sur le fond, que la question posée s'applique au litige, dès lors que l'application de la convention est dans le débat sur les recours et que l'avocat pourrait avoir été dessaisi par ses clients avant une décision irrévocable.
Si la Cour de cassation a retenu, au visa de ces textes que, dès lors qu'à la date du dessaisissement de l'avocat aucun acte ni décision irrévocable n'était intervenue, la convention préalable d'honoraires n'était pas applicable et les honoraires correspondant à la mission partielle effectuée par l'avocat jusqu'à cette date devaient être appréciés en fonction des seuls critères définis par l'article 10 alinéa 2 susvisé, c'est après un contrôle léger. Il n'est donc pas démontré que la jurisprudence invoquée présente le critère de constance ayant force de loi.
La question est donc manifestement dépourvue de caractère sérieux en raison de l'absence de constance de la jurisprudence invoquée qui aurait pour conséquence de conférer à sa portée un principe général de valeur législative puisque l'analyse des décisions rendues au visa de ces textes montre au contraire qu'elles sont spécifiques en considération des situations particulières de droit entre les cocontractants.
Et il n'est nullement caractérisé que " la règle contestée " est susceptible de porter atteinte aux principes de valeur constitutionnelle invoqués ; en effet il n'apparaît pas que l'interprétation d'un contrat, fut-il conclu avec un avocat exerçant une profession réglementée et les conséquences tirées de l'interruption des relations régies par une convention à exécution successive, au regard des clauses stipulées, puisse porter atteinte, du fait même de son existence, à la liberté contractuelle en droit privé, à la liberté d'entreprendre dont procède la liberté d'exercer la profession d'avocat, au droit à la justice et aux droits de la défense, à la liberté d'expression au droit à voir respecter le domaine de la loi, au droit de propriété ou au principe d'égalité. Il ne saurait en effet être pertinemment invoqué que "seul le législateur organique pouvait légiférer en ce qui concerne les relations pécuniaires )de l'avocat( avec ses clients, notamment les conventions d'honoraires qu'il peut être conduit à conclure avec eux ", au motif qu'il est un " professionnel libéral dont la mission de défense relève de l'ordre constitutionnel et non pas seulement légal indissociable de la mies en oeuvre concrète et effective du droit à un procès équitable ", pour conclure in fine à l'inconstitutionnalité de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971.
L'application des critères de l'article 10 de la loi susvisée que la jurisprudence visée conduit à réintroduire ne porte aucunement atteinte à la liberté d'entreprendre, dès lors que ces critères multiples et objectifs, concernant les deux parties, respectent notamment les différentes modalités d'exercice de la profession libérale d'avocat, sa notoriété professionnelle, et permettent une prise en compte de la situation individuelle de chacune des parties, qu'ils ne sont nullement définis au détriment de l'avocat, comme l'invoque M. ..., mais au contraire dans le but de restituer un équilibre qui aurait éventuellement pu être rompu par la résiliation de la convention.
La question prioritaire de constitutionnalité est manifestement dépourvue de sérieux alors qu'elle a pour objectif de remettre en cause une interprétation jurisprudentielle sans valeur normative susceptible de porter atteinte à un droit constitutionnellement garanti.
Elle ne sera donc pas transmise à la Cour de cassation et les frais générés par cette procédure seront à la charge de M. ....
En conséquence,
Statuant publiquement, contradictoirement, par décision insusceptible de recours indépendamment de la décision sur le fond,
Vu les articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel,
Vu les articles 126-1 et suivants du code de procédure civile,
Disons n'y avoir lieu à transmettre à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité formulée par mémoire écrit de M. Philippe ... reçu le 5 février 2013 et par mémoire additionnel reçu le 19 mars 2013,
Disons que M. Philippe ... supportera les éventuels frais afférents à la question prioritaire de constitutionnalité,
Disons que l'audience relative au recours enrôlé sous le n° RG 12/12299 se tiendra le mercredi 15 mai à 8H30 au Palais Verdun en salle D
Disons que la présente ordonnance sera notifiée par lettre recommandée avec avis de réception aux parties selon les dispositions de l'article 177 alinéa 2 du décret du 27 novembre 1991 et que cette notification vaut convocation à l'audience susvisée.
Ainsi prononcé par la mise à disposition de la présente décision au greffe de la cour d'appel d'Aix-en-Provence le 9 avril 2013, date dont les parties comparantes ont été avisées à l'issue des débats.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT