Jurisprudence : CA Reims, 03-04-2013, n° 12/00145, Infirmation



Arrêt n°
du 03/04/2013
Affaire n° 12/00145
MD/FC
Formule exécutoire le à
COUR D'APPEL DE REIMS
CHAMBRE SOCIALE Arrêt du 3 avril 2013

APPELANTE
d'un jugement rendu le 16 décembre 201 1 par le Conseil de Prud'hommes de CHARLEVILLE-MÉZIÈRES, section industrie (n° F 10/00535)
SAS VISTEON ARDENNES INDUSTRIES
ZI de Montjoly

CHARLEVILLE MÉZIÈRES
représentée par Me François FARMINE, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE
Mademoiselle Sabrina Y

BOGNY SUR MEUSE
représentée par la SELARL AHMED HARIR, avocats au barreau des ARDENNES
DÉBATS
A l'audience publique du 11 février 2013, où l'affaire a été mise en délibéré au 3 avril 2013, Madame Christine ... et Mme Monique ..., conseillers rapporteurs, ont entendu les plaidoiries en application de l'article 945-1 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées, et en ont rendu compte à la cour dans son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré
Madame Martine CONTÉ, Président
Madame Christine ROBERT, Conseiller Mme Monique DOUXAMI, Conseiller GREFFIER lors des débats
Madame Françoise CAMUS, Greffier ARRÊT
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Martine CONTÉ, Président, et Madame Françoise CAMUS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties
Madame Sabrina Y a été embauchée par la SAS Vistéon Ardennes Industries (VAI) par contrat à durée indéterminée à compter du 26 février 2005 en qualité d'agent de production, avec une reprise d'ancienneté à compter du 26 novembre 2004 en raison de missions précédemment réalisées en intérim.
La SAS VAI relève de la convention collective des industries métallurgiques du département des Ardennes.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 19 octobre 2010, Madame Sabrina Y a pris acte de la rupture de son contrat de travail.
Saisi par la salariée qui a sollicité, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, une indemnité légale de licenciement, une indemnité de préavis et les congés payés afférents, des dommages et intérêts pour harcèlement sexuel et moral et une indemnité en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, le conseil de prud'hommes de Charleville-Mézieres a, par jugement du 16 décembre 2011
- condamné la SAS VAI à payer à Madame Sabrina Y les sommes suivantes, avec intérêts au taux légal à compter du 3 novembre 2010, date de réception de l'acte de saisine
- 18.590 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, - 2.230 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,
- 2.817,76 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 281,78 euros au titre de congés payés afférents,
- condamné la SAS VAI à payer à Madame Sabrina Y les sommes suivantes
- 30.000 euros au titre de dommages et intérêts pour harcèlement sexuel et moral,
- 1.200 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté Madame Sabrina Y de ses autres demandes et la SAS VAI de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Le 20 janvier 2012, la SAS VAI a relevé appel de cette décision. Elle demande à la cour de
- infirmer le jugement sauf en ce qu'il a débouté Madame Sabrina Y du surplus de ses demandes ;
- dire et juger que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par Madame Sabrina Y n'était pas justifiée par un manquement de la société à ses obligations et que cette prise d'acte devait produire les effets d'une démission ;
- débouter Madame Sabrina Y de l'intégralité de ses demandes ;
- condamner Madame Sabrina Y au paiement, outre des dépens, d'une somme de 1.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Formant appel incident, Madame Sabrina Y demande à la cour de
- confirmer le jugement sauf en ce qu'il l'a déboutée du surplus de ses demandes,
- condamner, en conséquence, la SAS VAI au paiement des sommes suivantes
- 40.000 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 80.000 euros au titre de dommages et intérêts pour harcèlement sexuel et moral,
- condamner la SAS VAI au paiement, outre des dépens, de la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions de
- la SAS VAI visées par le greffier le 4 février 2013,
- Madame Sabrina Y visées par le greffier le 10 décembre 2012,
telles que développées oralement à l'audience du 11 février 2013 et auxquelles il est expressément fait référence pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties.

MOTIFS DE LA DÉCISION Sur les effets de la prise d'acte
Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués le justifient soit, dans le cas contraire, d'une démission.
Madame Sabrina Y fonde la prise d'acte de son contrat de travail sur
- le harcèlement sexuel et moral dont elle a été victime du mois de juin 2009 au 10 novembre 2009 par Monsieur Thierry ..., contremaître, qui était devenu son chef d'équipe depuis le mois de mars 2009,
- le harcèlement moral qui a suivi la divulgation de ce harcèlement sexuel à la direction de la SAS VAI en raison
- de l'ébruitement du harcèlement sexuel dans la société, malgré son souhait que soit observée la plus grande discrétion, en particulier par Monsieur Bruno ..., directeur de production, qui a en outre tenu des propos désobligeants à son égard,
- des réflexions déplacées d'autres salariés qui ont suivi cet ébruitement.
1) Sur le harcèlement sexuel et moral exercé par Monsieur Thierry ...
L'employeur est tenu envers ses salariés d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs de l'entreprise.
La matérialité du harcèlement moral et sexuel dont a été victime Madame Sabrina Y par Monsieur Thierry ... est caractérisée par la condamnation de ce dernier par jugement définitif du tribunal correctionnel de Charleville-Mézieres du 30 janvier 2012 à 7 mois d'emprisonnement avec sursis pour harcèlement pour obtention de faveur sexuelle commis du 1er mars au 9 novembre 2009 sur Madame Sabrina Y et trois autres salariées de la société.
Ces faits ne sont d'ailleurs pas contestés par la SAS VAI.
Les documents produits aux débats établissent de manière concordante que la divulgation de ce harcèlement sexuel et moral est intervenue dans les conditions suivantes jusqu'à la prise d'acte
- le 9 novembre 2009, Madame Sabrina Y et ses trois collègues ont contacté par téléphone Monsieur ..., directeur des ressources humaines de la SAS VAI, afin de l'informer que leur chef d'équipe, Monsieur Thierry ..., les harcelait sexuellement. Monsieur ... a alors demandé à les rencontrer le plus rapidement possible ;
- lors d'un entretien fixé au lendemain, le 10 novembre 2009, auquel a également participé Monsieur ..., directeur général de la SAS VAI, Madame Sabrina Y a reçu un appel téléphonique de Monsieur Thierry ... qui s'excusait de son comportement avec elle le 1er novembre 2009 sur leur lieu de travail ;
- le 12 novembre 2009, Madame Sabrina Y a remis à son employeur une déposition écrite relatant les agissements de Monsieur Thierry ... à son égard ;
- le 13 novembre 2009, Monsieur Thierry ... a été convoqué par la SAS VAI à un entretien préalable et une mise à pied à titre conservatoire lui a été notifiée ;
- le 27 novembre 2009, la SAS VAI a notifié à Monsieur Thierry ... son licenciement pour faute grave ;
- le 26 février 2010 que Madame Sabrina Y a communiqué un arrêt de travail pour 'état anxio dépressif réactionnel à de gros problèmes liés au travail' ;
- le 30 mars 2010, Madame Sabrina Y a déposé une demande de reconnaissance de maladie professionnelle qui a été rejetée par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie le 31 mai 2010 ;
- le 13 août 2010, Madame Sabrina Y a déposé plainte à l'encontre de Monsieur Thierry ... pour le harcèlement sexuel qu'il lui avait fait subir et à l'encontre de la SAS VAI et pour harcèlement moral subi du 1er janvier 2010 au 26 février 2010 suite au harcèlement sexuel ;
- le 25 août 2010, Madame Sabrina Y a déposé une demande d'accident de travail pour des faits de harcèlement sexuel commis le 7 novembre 2009 par Monsieur Thierry ... qui a été acceptée le 12 octobre 2010. Cette décision a été contestée par la SAS VAI et une instance est actuellement pendante devant le tribunal des affaires de sécurité sociale ;
- le 19 octobre 2010, Madame Sabrina Y a pris acte de la rupture de son contrat de travail. Cette chronologie met en évidence que
- d'une part, la SAS VAI n'a pas eu connaissance du harcèlement sexuel et moral commis par Monsieur Thierry ... avant la dénonciation qui lui en a été faite par Madame Sabrina Y,
- d'autre part, dès qu'elle a été informée de ces faits, elle a immédiatement pris les mesures appropriées pour protéger la salariée qui en était victime et sanctionner son supérieur hiérarchique qui en était l'auteur.
D'ailleurs, Madame Sabrina Y a elle-même indiqué aux gendarmes au moment de son dépôt de plainte " Je n'ai rien à reprocher à M. ... ni à Monsieur ... qui ont pris toutes les mesures nécessaires dès qu'ils ont eu connaissance du comportement de Monsieur ... ".
Il est ainsi justifié que l'employeur a pris les mesures nécessaires à la protection de la salariée de telle sorte qu'il n'a pas manqué à son obligation de sécurité.
2) Sur le harcèlement moral consécutif à l'ébruitement du harcèlement sexuel dans la société
L'article L. 1152-1 du code du travail dispose qu'aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel
Par ailleurs, selon l'article L. 1154-1 du code du travail,
- le salarié doit établir la matérialité de faits précis et concordants permettant de présumer l'existence du harcèlement moral et ou sexuel,
- à charge ensuite pour l'employeur de rapporter la preuve que les agissements reprochés ne sont pas constitutifs de harcèlement et s'expliquent par des éléments objectifs.
En l'espèce, Madame Sabrina Y produit aux débats des documents qui sont insuffisants à rapporter la preuve qui lui incombe telle que rappelée ci-dessus.
En effet, l'attestation de Madame Agnès ... contient des allégations imprécises sur les rumeurs propagées dans la société sur les salariées victimes des agissements coupables de Monsieur Thierry ... et elle constitue un témoignage indirect sur des faits mettant en cause Monsieur Bruno ... auxquels l'intéressée n'a pas assisté ou n'a assisté que très partiellement et que ce dernier conteste dans une attestation fournie par la SAS VAI.
Madame Nabila Y et Monsieur Nihat ..., auteurs de deux autres attestations, sont des proches de Madame Sabrina Y et des tiers à la SAS VAI.
Quant à Monsieur Jean-Luc ..., il se contente de louer les qualités professionnelles de Madame Sabrina Y dans son attestation.
Enfin, les documents médicaux
- rapportent seulement les propos tenus par Madame Sabrina Y aux professionnels de santé ainsi que son ressenti de 'pestiférée' 'rejetée, méprisée, culpabilisée sur son lieu de travail',
- n'imputent le syndrome anxio-dépressif présentée par l'intéressée qu'aux faits de harcèlement sexuel commis par Monsieur Thierry ....
* * *
Il résulte de ce qui précède que la prise d'acte produit les effets d'une démission et en conséquence le jugement sera infirmé de ce chef ainsi que des chefs de demandes subséquentes concernant les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'indemnité conventionnelle de licenciement, l'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents qui seront rejetées.
Sur les dommages et intérêts pour harcèlement sexuel et moral
L'employeur ayant pris les mesures nécessaires pour protéger la salariée du harcèlement sexuel et moral dont elle était victime de la part de son supérieur hiérarchique et la salariée ne rapportant pas la preuve de faits précis et concordants permettant de présumer l'existence du harcèlement moral consécutif à l'ébruitement du harcèlement sexuel dont elle a été victime dans la société qu'elle invoque, la demande de dommages et intérêts pour harcèlement sexuel et moral sera rejetée et le jugement infirmé en ce sens.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais du procès non compris dans les dépens.
Madame Sabrina Y sera condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Infirme le jugement rendu le 16 décembre 2011 par le conseil de prud'hommes de Charleville-Mézieres et statuant à nouveau,
Dit que la rupture du contrat de travail par Madame Sabrina Y produit les effets d'une démission,
Rejette l'intégralité des demandes de Madame Sabrina Y,
Rejette la demande de la SAS Vistéon Ardennes Industries fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Madame Sabrina Y aux dépens. Le greffier, Le président,

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