Jurisprudence : TGI Paris, 12-03-2013, n° 13/51193

TGI Paris, 12-03-2013, n° 13/51193

A3064KB4

Référence

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Abstract

Une société de produits informatiques et téléphoniques ne caractérise pas un commerce d'alimentation de proximité ou une enseigne de la grande distribution ou de "grands magasins", les opérations de fermeture ne pouvant ainsi justifier que des salariés travaillent au delà de 21 heures, aucune nécessité économique n'étant invoquée à ce titre.



TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ rendue le 12 mars 2013
par Pénélope ..., Vice-Président au Tribunal de Grande Instance de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,
Assistée de Audrey ... ..., Greffier.
a
N° RG
13/51193
BF/N° 1
Assignation du 16 Janvier 2013

DEMANDEURS
Syndicat des employés du commerce Ile de France CFTC

LEVALLOIS PERRET
Union syndicale CGT du Commerce, de la distribution et des
services de Paris

PARIS
Syndicat CGT-Force Ouvrière des employés et cadres du
Commerce de Paris

PARIS
Fédération des employés et cadres de la CGT Force Ouvrière

PARIS
Syndicat SUD Commerces et Services Ile de France

PARIS
Syndicat Commerce Inter Départemental d'Ile de France
C.F.D.T.

PARIS
représentés par Me Vincent LECOURT, avocat au barreau de VAL D'OISE- PONTOISE
Copies exécutoires
délivrées le A
el )3 À



DÉFENDERESSE
S.A.R.L. APPLE RETAIL FRANCE

PARIS
représentée par Me Sophie BINDER, avocat au barreau de PARIS - #P0449

DÉBATS
A l'audience du 12 Février 2013, tenue publiquement, présidée par Pénélope POSTEL-VINAY, Vice-Président, assistée de Audrey LE BOT, Greffier,
Nous, Président,
Après avoir entendu les parties comparantes ou leur conseil,

Vu l'assignation délivrée en référé à heure indiquée le 16 janvier 2013 à la S.A.R.L. Apple Retail France à la requête du syndicat des employés du commerce Ile de France CFTC, de l'Union syndicale CGT du commerce, de la distribution et des services de Paris, du syndicat CGT-Force Ouvrière des employés et cadres du commerce de Paris, la fédération des employés et cadres de la CGT Force Ouvrière, du syndicat Sud commerces et services Ile de France et du syndicat commerce interdépartemental d'Ile de France CFDT qui sollicitent, au visa des articles L. 3122-29 et suivants du code du travail et de l'article 809 du code de procédure civile, qu'il soit ordonné à la société Apple Retail France de cesser, sous astreinte de 300.000 euros par infraction constatée, d'une part, d'employer des salariés dans ses établissements entre 21 heures et 6 heures, et plus particulièrement dans les sept établissements visés dans l'assignation, soutenant que les conditions fixées par la loi pour recourir au travail de nuit ne sont pas remplies, de condamner la société Apple Retail France à leur verser la somme de 20.000 euros à titre de provision à valoir sur l'indemnisation du préjudice porté à l'intérêt collectif des salariés, outre une indemnité de 2.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Vu les conclusions déposées le 12 février 2013 et développées oralement par la société Apple Retail France qui soutient que le travail de nuit mis en place au moins depuis 2010 dans sept de ses établissements est conforme aux dispositions des articles L. 312232 du code du travail qui régit le travail de nuit, que le recours à cette organisation est en effet exceptionnel au sein de la société Apple Retail France, qu'il est justifié par la nécessité d'assurer la continuité de l'activité économique, qu'il est tenu compte des impératifs de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, qu'enfin, le travail de nuit mis en place ne nécessite pas la conclusion d'un accord collectif ; qu'il est prévu l' ouverture de négociations sur l'aménagement du temps de travail,
et sollicite, à titre reconventionnel, la condamnation solidaire des syndicats à lui verser chacun la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

MOTIFS
Attendu que les syndicats requérants, qui soutiennent que la société Apple Retail France contrevient aux dispositions d'ordre public réglementant le travail de nuit, sollicitent que des mesures immédiates soient prises pour faire cesser cette situation constitutive d'un trouble manifestement illicite portant gravement atteinte aux droits des salariés ;
Que la violation évidente de dispositions légales est de nature à constituer un trouble manifestement illicite ;
Attendu que les requérants soutiennent que la société Apple Retail France a recours dans certains de ses établissements au travail de nuit de manière continue et qu'elle ne répond pas aux trois conditions cumulatives exigées par les dispositions de l'article L. 3122-32 du code du travail, à savoir le caractère exceptionnel de ce recours au travail de nuit, la prise en compte des impératifs de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs et la continuité de l'activité économique ; qu'aucun accord d'entreprise ni convention collective n'a été conclu alors que la conclusion d'un tel accord est un préalable nécessaire et que par suite le recours au travail de nuit est manifestement illicite ;
Que la société Apple Retail France fait valoir pour sa part que l'organisation mise en place n'est pas récente puisqu'elle existe au moins depuis 2010 ; qu'elle est justifiée par la poursuite de l'activité économique et qu'elle prend en compte par ailleurs la santé et la sécurité des travailleurs ;
Qu'elle invoque en particulier le fait qu'elle n'emploie pas de travailleurs de nuit ; que le travail de nuit est marginal et par suite exceptionnel ; qu'il s'explique, d'une part, par la nécessité de procéder aux opérations de fermeture des magasins qui ne peuvent se faire qu'hors la présence des clients (fermeture de caisse, assurer les réassorts des produits sur la surface de vente et la remise en place des produits de démonstration outre le temps d'habillage et de déshabillage des salariés) ; qu'il ne concerne que des magasins qui, à l'exception de celui d'Opéra, sont situés dans des centres commerciaux et sont soumis à des horaires imposés par ses bailleurs ou par les règlements intérieurs de ces centres à peine de sanctions pécuniaires lourdes et, d'autre part, s'agissant de l'établissement d'Opéra, par l'impossibilité d'effectuer toutes les interventions d'assistance et les réparations réclamées en urgence par les clients en journée et aux heures d'ouverture compte tenu de son emplacement et de son statut particulier de magasin vitrine en France, mais encore par la nécessité de réaliser hors la présence du public des travaux ponctuels contraignants dans le cadre de son activité économique (un inventaire annuel, la réfection du magasin, des nuits événementielles et des réunions générales) ;
Qu'elle indique qu'elle a mis en place une organisation par roulement dans son magasin d'Opéra ; que le volontariat est privilégié, que s'agissant des nuits événementielles, elles sont organisées sur la base du volontariat, les salariés concernés bénéficiant d'un repos compensateur et des compensations sont prévues (remboursement frais de taxi, pauses plus longues, repas servis) ;
Que les demandeurs soutiennent que les considérations d'ordre économique avancées par la défenderesse ne peuvent prévaloir sur les impératifs de protection de la santé et de la sécurité des salariés, notamment au regard des effets nocifs du travail la nuit pour la santé, établis par une étude récente de l'Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale, et sur le droit des salariés à mener une vie familiale normale ;
Attendu qu'aux termes de l'article L. 3122-29 du code du travail
"Tout travail entre 21 heures et 6 heures est considéré comme travail de nuit.
Une autre période de neuf heures consécutives, comprise entre 21 heures et 7 heures incluant, en tout état de cause, l'intervalle compris entre 24 heures et 5 heures, peut être substituée à la période mentionnée au premier alinéa par une convention ou un accord collectif de travail étendu ou un accord d'entreprise ou d'établissement.
A défaut d'accord et lorsque les caractéristiques particulières de l'activité de l'entreprise le justifient, cette substitution peut être autorisée par l'inspecteur du travail après consultation des délégués syndicaux et avis du comité d'entreprise ou des délégués du personnel s'il en existe" ;
Que l'article L. 3122-32 précise que "le recours au travail de nuit est exceptionnel. Il prend en compte les impératifs de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs et est justifié par la nécessité d'assurer la continuité de l'activité économique ou des services d'utilité sociale"
Que l'article L. 3122-33 prévoit que
"La mise en place dans une entreprise ou un établissement du travail de nuit au sens del 'article L. 3122-31ou son extension à de nouvelles catégories de salariés sont subordonnées à la conclusion préalable d'une convention ou d'un accord collectif de branche étendu ou d'un accord d'entreprise ou d'établissement.
Cette convention ou cet accord collectifcomporte les justifications du recours au travail de nuit mentionnées à l'article L. 3122-32" ;
Que L. 3122-39 exige par ailleurs que "les travailleurs de nuit bénéficient de contreparties au titre des périodes de nuit pendant lesquelles ils sont employés sous forme de repos compensateur et, le cas échéant, sous forme de compensation salariale" ;
Attendu qu'à titre liminaire, il n'est pas discuté qu'il n'existe pas de travailleurs de nuit au sein de la société Apple Retail Franêe au sens des dispositions de l'article L. 3122-31 du code du travail de sorte que les développements des syndicats requérants sur la nécessité d'une convention ou d'un accord collectif préalable à la mise en place du travail de nuit est inopérant ;
Attendu qu'il y a lieu de rappeler que contrairement à ce qui est soutenu en demande, il ne peut être recouru au travail de nuit que dans les deux hypothèses suivantes à savoir la nécessité d'assurer la continuité de l'activité économique ou des services d'utilité sociale ;
Que la loi n'impose aucune autre condition ;
Attendu que la société Apple Retail France justifie le recours au travail de nuit dans ses établissements par la nécessité d'assurer la continuité de l'activité économique ;
Attendu qu'il est constant que la société Apple Retail France emploie des salariés au-delà de 21 heures depuis au moins 2010 dans les sept établissements visés dans l'assignation, ces magasins fermant à 21 heures plusieurs soirs par semaine et même au delà s'agissant de l'établissement de Vélizy 2 qui ferme quatre jours par semaine à 22 heures ;
Que les heures travaillées au-delà de 21 heures ne sont pas majorées ; que le volontariat, s'il est privilégié, n'est pas la règle ; que ces heures ne font l'objet de compensations que dans des cas très particuliers (soirées événementielles) ;
Qu'en outre, ne s'agissant pas, comme la société Apple Retail France le soutient par ailleurs, de commerces d'alimentation de proximité ou encore d'enseignes de la grande distribution ou de "grands magasins", les opérations de fermeture telles que décrites par la société Apple Retail France ne sauraient justifier que des salariés travaillent au delà de 21 heures aucune nécessité économique n'étant invoquée à ce titre ;
Que pour le magasin d'Opéra, "vitrine nationale" de la marque, la société Apple Retail France fait valoir qu'il n'est ouvert que trois jours par semaine jusqu'à 21 heures et que des salariés travaillent au delà de 21 heures par roulement pour assurer la continuité de l'activité générée par la maintenance et les réparations de ses produits haut de gamme, ces services n'étant pas accessibles en dehors de ses propres magasins et ne pouvant faire face à la demande durant les heures d'ouverture habituelles de l'établissement
Attendu que s'agissant des contraintes invoquées par la société Apple Retail France quant à la situation de certains de ses magasins dans des centres commerciaux et à la soumission à des horaires sous peine de sanction pécuniaires lourdes et risquant à défaut, de mettre en péril la continuité de son activité économique, cette dernière ne saurait alléguer de la violation de stipulations contractuelles pour justifier une violation d'une loi d'ordre public;
Qui plus est la continuité de l'activité économique alléguée n'est pas invoquée comme une justification du travail de nuit mais comme la conséquence du non respect éventuel des baux commerciaux qu'elle a conclus et/ou des règlements intérieurs des centres cOmmerciaux dans lesquels elle est implantée ;
Que s'agissant de l'établissement d'Opéra, le fait de réaliser des réparations en urgence pour faire face à la demande d'une cliente toujours plus exigeante ne répond nullement à la nécessité de continuation de l'activité économique telle qu'envisagée par le législateur ;
Qu'en définitive, aucune nécessité de continuation de l'activité économique ne se justifie en l'espèce ;
Qu'en présence d'une violation évidente de la règle de droit, le trouble manifestement illicite est caractérisé ;
Qu'il y a donc lieu de faire droit à la demande des requérants tendant à voir ordonner à la société Apple Retail France de cesser d'employer des salariés au-delà de 21 heures dans les sept établissements visés par l'assignation et, ce, sous astreinte provisoire de 50.000 euros par infraction constatée dans les termes précisés au dispositif de la présente décision ;
Qu'il y a lieu de se réserver la liquidation de l'astreinte ;
Que pour le surplus, le juge ne peut statuer par voie de disposition générale ; que la demande formulée de manière générale pour l'ensemble des autres établissements de la société Apple Retail France pour lesquels la réalité d'une violation actuelle de la législation sur le travail de nuit n'est pas démontrée sera rejetée ;
Qu'en recourant au travail de nuit en violation des dispositions de l'article L. 3122-32 du code du travail édictées dans l'intérêt des salariés, la société Apple Retail France porte atteinte aux droits de ses derniers et sa responsabilité de ce chef n'est pas sérieusement contestable ;
Que les syndicats demandeurs sont dès lors fondés à se voir accorder une provision à valoir sur les dommages et intérêts réparant le préjudice ainsi porté à l'intérêt collectif de la profession ;
Que cette provision sera justement fixée à la somme de 10.000 euros ;
Sur l'article 700 du code de procédure civile
Attendu que la société Apple Retail France qui succombe sera condamnée aux dépens et à payer aux syndicats demandeurs une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile dans les termes précisés au dispositif ;

PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, en premier ressort, par ordonnance contradictoire, rendue par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'alinéa 2 de l'article 450 du code de procédure civile,
Faisons interdiction à la S.A.R.L. Apple Retail France d'employer des salariés entre 21 heures et 6 heures dans les sept établissements visés dans l'assignation à savoir les Apple Store Opéra, Vélizy 2, Parly 2, Carré Sénart, Val d'Europe, Cap 3000, Atlantis et, ce, sous astreinte provisoire de 50.000 euros par infraction constatée passé un délai de quinze jours courant à compter de la signification de la présente décision ;
Disons que l'astreinte courra durant un délai de trois mois à l'issue duquel il pourra être à nouveau fait droit ;
Nous réservons la liquidation de la présente astreinte ;
Condamnons la société Apple Retail France à payer aux syndicats demandeurs la somme de 10.000 euros à titre de provision à valoir sur les dommages et intérêts ;
Condamnons la société Apple Retail France à payer au syndicat des employés du commerce Ile de France CFTC, à l'Union syndicale CGT du commerce, de la distribution et des services de Paris, au syndicat CGT-Force Ouvrière des employés et cadres du commerce de Paris, à la fédération des employés et cadres de la CGT Force Ouvrière, au syndicat Sud commerces et services Ile de France et au syndicat commerce interdépartemental d' Ile de France CFDT la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamnons la société Apple Retail France aux dépens de la présente instance ;
Rejetons les autres demandes. Fait à Paris le 12 mars 2013
Le Greffier, Le Président,
101101'
; BOT Pénél e POSTEL-VINAY

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