Jurisprudence : CE 9/10 SSR, 20-03-2013, n° 346643



CONSEIL D'ETAT


Statuant au contentieux


346643


M. et Mme Guérin PIAZZA


Mme Cécile Isidoro, Rapporteur

M. Frédéric Aladjidi, Rapporteur public


Séance du 27 février 2013


Lecture du 20 mars 2013


REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 9ème et 10ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 9ème sous-section de la Section du contentieux


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés le 11 février et le 12 mai 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. et Mme Guérin Piazza, demeurant 17 rue de Metz à Nouilly (57646) ; M. et Mme Piazza demandent au Conseil d'Etat :


1°) d'annuler l'arrêt n° 09NC01860 du 9 décembre 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté leur requête tendant, d'une part, à l'annulation du jugement n° 0601650 du 15 octobre 2009 du tribunal administratif de Strasbourg rejetant leur demande tendant à la décharge des compléments d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquels ils ont été assujettis au titre des années 2000 et 2001, d'autre part, au prononcé de la décharge demandée ;


2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;


3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ;


Vu le traité instituant la Communauté européenne ;


Vu la convention fiscale franco-luxembourgeoise du 1er avril 1958 ;


Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;


Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :


- le rapport de Mme Cécile Isidoro, Maître des Requêtes,


- les observations de la SCP Gaschignard, avocat de M. et Mme Piazza,


- les conclusions de M. Frédéric Aladjidi, rapporteur public ;


La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Gaschignard, avocat de M. et Mme Piazza ;


1. Considérant qu'aux termes de l'article R. 222-23 du code de justice administrative : " Dans chaque tribunal administratif, selon ses besoins, un ou plusieurs premiers conseillers ou conseillers sont chargés, par arrêté du vice-président du Conseil d'Etat pris sur proposition du président de la juridiction et après avis conforme du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, d'exercer les fonctions de rapporteur public. / Lorsque le fonctionnement du tribunal administratif l'exige, un premier conseiller ou conseiller qui exerce les fonctions de rapporteur public peut être rapporteur dans les affaires sur lesquelles il n'est pas ou n'a pas été appelé à conclure " ; qu'aux termes de l'article R. 222-24 du même code : " Tout rapporteur public absent ou empêché est suppléé de droit par un autre rapporteur public. / A défaut, et si le fonctionnement du tribunal ou de la cour l'exige, ses fonctions sont temporairement exercées par un conseiller ou un premier conseiller désigné par le président du tribunal ou de la cour " et qu'aux termes de l'article R. 222-32 de ce code : " Les dispositions des articles R. 222-23 et R. 222-24 sont applicables dans les cours administratives d'appel " ;


2. Considérant qu'il ne ressort ni des visas de l'arrêt attaqué, ni des pièces du dossier, que le président de la cour administrative d'appel de Nancy aurait fait usage des dispositions de l'article R. 222-24 du code de justice administrative et désigné M. Féral pour exercer, à l'occasion de la séance du 21 octobre 2010, les fonctions de rapporteur public ; que l'arrêté du vice-président du Conseil d'Etat du 26 octobre 2010 le nommant à compter du 20 octobre dans les fonctions de rapporteur public n'a pu avoir pour effet de l'habiliter à exercer ces fonctions à cette dernière date ; que la décision rendue à ses conclusions est, dès lors, entachée d'irrégularité et doit, par suite, être annulée, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;


3. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;


4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. et Mme Piazza étaient tous deux salariés de la société Eurodeal International (EDI), dont le siège social est situé au Luxembourg ; que M. Piazza en était administrateur délégué et actionnaire à hauteur de 50 % ; que, dans le cadre d'une convention d'assistance administrative, commerciale et de gestion, la société EDI a facturé à la société MPI, dont le siège est en France et dont M. Piazza est également associé, des prestations de services effectuées par plusieurs de ses salariés ; qu'à l'occasion d'un contrôle sur pièces des revenus de M. et Mme Piazza portant sur les années 1999 à 2001, consécutif à une vérification de comptabilité de la société MPI, l'administration, faisant application des dispositions de l'article 155 A du code général des impôts, a réintégré dans les revenus de M. et Mme Piazza les sommes facturées par la société EDI à la société MPI correspondant à des prestations d'assistance et pour lesquelles les factures mentionnaient soit une " intervention de M. Piazza ", soit une " intervention de Mme Piazza " ;


5. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du I de l'article 155 A du code général des impôts : " Les sommes perçues par une personne domiciliée ou établie hors de France en rémunération de services rendus par une ou plusieurs personnes domiciliées ou établies en France sont imposables au nom de ces dernières : / - soit, lorsque celles-ci contrôlent directement ou indirectement la personne qui perçoit la rémunération des services ; / - soit, lorsqu'elles n'établissent pas que cette personne exerce, de manière prépondérante, une activité industrielle ou commerciale, autre que la prestation de services ; / - soit, en tout état de cause, lorsque la personne qui perçoit la rémunération des services est domiciliée ou établie dans un Etat étranger ou un territoire situé hors de France où elle est soumise à un régime fiscal privilégié au sens mentionné à l'article 238 A " ; que les prestations dont la rémunération est ainsi susceptible d'être imposée entre les mains de la personne qui les a effectuées correspondent à un service rendu pour l'essentiel par elle et pour lequel la facturation par une personne domiciliée ou établie hors de France ne trouve aucune contrepartie réelle dans une intervention propre de cette dernière, permettant de regarder ce service comme ayant été rendu pour son compte ;


6. Considérant que l'administration fiscale a relevé que les factures adressées par la société EDI précisaient que les prestations d'assistance à la gestion effectuées au profit de la société MPI avaient été réalisées soit par M. Piazza, soit par Mme Piazza et, sans que ceux-ci le contestent, que les époux Piazza avaient le contrôle de cette société ; que ces derniers, s'ils font valoir que les prestations en litige s'inscrivaient dans le cadre d'une convention et que la société EDI dispose, aux fins de réaliser son activité, dont la réalité est attestée par son chiffre d'affaires, d'un effectif de plusieurs personnes, travaillant principalement au Luxembourg, n'apportent aucun élément permettant d'établir que la facturation de ces prestations par cette dernière société aurait trouvé une contrepartie réelle dans une intervention qui lui aurait été propre et de regarder le service ainsi rendu comme l'ayant été pour son compte ; qu'il suit de là que l'administration doit être regardée comme ayant apporté la preuve que les rémunérations versées par la société MPI à la société EDI pouvaient être regardées comme entrant dans les prévisions de l'article 155 A du code général des impôts ;


7. Considérant, en deuxième lieu, que les requérants se prévalent de l'atteinte à leur liberté de s'établir dans un autre Etat membre qui résulterait des dispositions précitées de l'article 155 A du code général des impôts et font valoir que la rémunération perçue en contrepartie d'un service rendu pour le compte d'une personne établie au Luxembourg par une personne domiciliée ou établie en France qui en a le contrôle est, du fait de ces dispositions, imposée à la fois au Luxembourg et en France entre les mains de l'une et l'autre de ces personnes, alors qu'elle l'est seulement entre les mains de la première si celle-ci est, comme la seconde, établie en France ; que, toutefois, les dispositions en question, telles qu'interprétées par la présente décision, visent uniquement l'imposition des services essentiellement rendus par une personne établie ou domiciliée en France et ne trouvant aucune contrepartie réelle dans une intervention propre d'une personne établie ou domiciliée hors de France ; qu'en l'absence d'une telle contrepartie permettant de regarder les services concernés comme rendus pour le compte de cette dernière personne, sa liberté de s'établir hors de France ne saurait être entravée du fait de ces dispositions ;


8. Considérant, en troisième lieu, que M. et Mme Piazza se prévalent de la convention franco-luxembourgeoise du 1er avril 1958, notamment de ses articles 14 et 15 ; que, toutefois, il n'est pas contesté qu'ils ont, l'un et l'autre, leur domicile fiscal en France ; qu'ainsi qu'il a été dit au point 6, les rémunérations en litige concernent des prestations de service rendues en France ; que, par ailleurs, s'agissant d'un contribuable distinct, la circonstance, à la supposer établie, que la société EDI aurait déclaré les sommes litigieuses au titre de l'impôt sur les sociétés au Luxembourg n'est pas susceptible d'établir l'existence d'une double imposition des sommes en litige ; qu'ainsi, M. et Mme Piazza ne sont pas fondés à soutenir que la convention franco-luxembourgeoise ferait obstacle à l'imposition en France de ces sommes ;


9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. et Mme Piazza ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande ; que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante ;


D E C I D E :


Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy n° 09NC01860 du 9 décembre 2010 est annulé.


Article 2 : La requête d'appel de M. et Mme Piazza est rejetée.


Article 3 : Les conclusions de M. et Mme Piazza au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.


Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme Guérin Piazza et au ministre de l'économie et des finances.


Délibéré dans la séance du 27 février 2013 où siégeaient : M. Edmond Honorat, Président adjoint de la Section du Contentieux, présidant ; M. Thierry Tuot, M. Jean-Pierre Jouguelet, Présidents de sous-section ; M. Alain Christnacht, M. Jean-François Mary, Mme Eliane Chemla, M. Philippe Josse, M. Pierre Collin, Conseillers d'Etat et Mme Cécile Isidoro, Maître des Requêtes-rapporteur.

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