Jurisprudence : CE 9/10 ch.-r., 14-10-2021, n° 450396



CONSEIL D'ETAT

Statuant au contentieux

N° 450396

Séance du 22 septembre 2021

Lecture du 14 octobre 2021

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 10ème et 9ème chambres réunies)


Vu la procédure suivante :

M. BT BK, M. C BO et M. BQ BG ont demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées les 15 mars et 28 juin 2020 en vue de l'élection des conseillers municipaux dans la commune de Bastia et de rejeter le compte de campagne de la liste " Bastia più forte inseme " conduite par M. Z AL.

Par un jugement n° 2000611 du 5 février 2021, le tribunal administratif de Bastia⚖️ a annulé l'attribution du quarante-troisième siège de conseiller municipal à la liste

" Bastia più forte inseme " et l'élection de M. N AP en qualité de conseiller municipal, fixé le montant du remboursement dû par l'Etat à M. AL en application de l'article L. 52-11-1 du code électoral🏛 à 32 370 euros et rejeté le surplus de la protestation.

1° Sous le numéro 450396, par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 5 mars et 29 juin 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. Z AL, Mme BI AC, M. AU AQ, Mme BM BL, M. BN Y, Mme W S, M. P AM, Mme U AZ, M. D K, Mme H AA, M. BP AJ, Mme BY, M. O AB, Mme F BB, M. BA AK, Mme BW, M. BD AV, Mme BV AE, M. J V, Mme AS AG, M. L Q, Mme BR Pasqualini-d'Ulivo, M. AS BJ, Mme AW X, M. E AR, Mme BU BH, M. AD AT, Mme AN AI, M. AS AF, Mme G BS, M. Z I, Mme BM AH et M. N AP demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a annulé l'attribution du quarante-troisième siège de conseiller municipal à la liste " Bastia più forte inseme " et l'élection de

M. N AP en qualité de conseiller municipal et fixé le montant du remboursement dû par l'Etat à M. AL à 32 370 euros ;

2°) de rejeter la protestation de M. BK, M. BO et M. BG et de fixer à 33 870 euros le remboursement dû par l'Etat à M. AL ;

3°) de mettre à la charge de M. BK, M. BO et M. BG la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

2° Sous le numéro 450419, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et deux mémoires en réplique enregistrés les 5 mars, 6 avril, 23 juin et 30 juillet 2021, M. BT BK, M. C BO et M. BQ BG demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce même jugement ;

2°) de faire droit à leur protestation et de prononcer l'inéligibilité de

M. AL ;

3°) de mettre à la charge de M. AL la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code électoral ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Arnaud Skzryerbak, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, au Cabinet Colin - Stoclet, avocat de M. Z AL, et autres et à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de M. BT BK et autres ;

Considérant ce qui suit :

1. A l'issue du second tour de scrutin qui s'est déroulé le 28 juin 2020 pour l'élection des conseillers municipaux de Bastia, la liste " Bastia più forte inseme ", conduite par M. AL, maire sortant, a obtenu 49,37 % des suffrages exprimés et trente-trois sièges de conseillers municipaux, la liste " Unione per Bastia ", conduite par M. BK a obtenu 39,73 % des suffrages exprimés et huit sièges de conseillers municipaux, et la liste " Un futur pour Bastia ", conduite par M. AX a obtenu 10,89 % des suffrages exprimés et deux sièges de conseillers municipaux. M. AL et les autres élus de sa liste demandent au Conseil d'Etat d'annuler le jugement du 5 février 2021 du tribunal administratif de Bastia en tant qu'il a annulé l'attribution du quarante-troisième siège de conseiller municipal à la liste " Bastia più forte inseme " et l'élection de M. N AP en qualité de conseiller municipal et qu'il a réduit le montant du remboursement dû par l'Etat à M. AL en application de l'article L. 52-11-1 du code électoral🏛. M. BK et ses corequérants demandent au Conseil d'Etat d'annuler ce jugement et l'ensemble des opérations électorales, de rejeter le compte de campagne de

M. AL et de déclarer ce dernier inéligible.

2. Les requêtes étant dirigées contre le même jugement, il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Les moyens d'irrégularité du jugement attaqué tirés d'une part, de l'absence de visa et d'analyse des moyens des parties et, d'autre part, du défaut des signatures exigées par le code de justice administrative manquent en fait.

Sur la campagne électorale :

4. L'article L. 48-2 du code électoral🏛 dispose: " Il est interdit à tout candidat de porter à la connaissance du public un élément nouveau de polémique électorale à un moment tel que ses adversaires n'aient pas la possibilité d'y répondre utilement avant la fin de la campagne électorale ". Le second alinéa de l'article L. 52-1 du même code prévoit que : " A compter du premier jour du sixième mois précédant le mois au cours duquel il doit être procédé à des élections générales, aucune campagne de promotion publicitaire des réalisations ou de la gestion d'une collectivité ne peut être organisée sur le territoire des collectivités intéressées par le scrutin. () Les dépenses afférentes sont soumises aux dispositions relatives au financement et au plafonnement des dépenses électorales contenues au chapitre V bis du présent titre. ".

5. En premier lieu, il résulte de l'instruction que, par un courrier du 9 juin 2020, la présidente de l'office public de l'habitat de la collectivité de Corse a indiqué aux 174 locataires de la résidence Saint-Antoine à Bastia que de nouveaux travaux permettant une rénovation intégrale de leurs logements débuteraient à la fin de l'année 2021. Par un courrier du 15 juin, elle a présenté à l'ensemble des locataires de l'office, dont plus de 2 000 résident à Bastia, les réalisations qu'elle avait accomplies depuis sa prise de fonctions ainsi que ses projets. Si ces courriers ne faisaient pas référence aux élections municipales et émanaient d'un établissement rattaché à la collectivité de Corse et non à la commune de Bastia, ils mettaient en valeur l'aide apportée par des candidats issus de la majorité municipale sortante, y compris par contraste avec l'inertie alléguée des équipes précédentes, sans apporter des informations qu'il aurait été, à ce moment, utile et urgent de fournir aux locataires. Par suite, ces courriers, largement diffusés, avaient, comme l'a jugé à bon droit le tribunal administratif, le caractère d'une campagne de promotion publicitaire des réalisations d'une collectivité au sens des dispositions précitées de l'article L. 52-1 du code électoral🏛. En revanche, eu égard à la date du second courrier et même si la presse n'en a fait état que plus tard, M. BK et ses colistiers ont été, en tout état de cause, en mesure d'y répliquer en temps utile. Ils ne sauraient dès lors soutenir que ce courrier aurait en outre été diffusé en méconnaissance de l'article L. 48-2 du code électoral🏛.

6. En deuxième lieu, dans un entretien diffusé le jeudi 25 juin à midi par un site d'information en ligne, M. AL a accusé la liste de M. BK d'être dirigée en sous-main par des personnes auteurs de fraude électorale ou impliquées dans des affaires d'obtention frauduleuse de marchés publics. Toutefois la nature de ces allégations n'était pas telle que ses adversaires n'auraient pas pu y répondre utilement avant le second tour. Dans ces conditions, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, cet entretien ne peut pas être regardé comme ayant altéré la sincérité du scrutin.

7. En troisième lieu, si des messages publiés sur les réseaux sociaux, dont trois par un membre de la liste de M. AL, excèdent les limites admises de la polémique électorale, il ne résulte pas de l'instruction, en tout état de cause, qu'ils auraient été largement diffusés, ni qu'il aurait été impossible d'y répliquer en temps utile.

8. En quatrième lieu, il ne résulte de l'instruction ni que l'inauguration, le 23 février 2020, d'un ensemble d'aménagements publics, appelé Mantinum, aurait été anticipée alors que les travaux n'étaient pas achevés et dans des conditions de nature à influencer les électeurs, la commission de sécurité ayant donné un avis favorable à l'ouverture au public en demandant seulement qu'une plate-forme soit momentanément neutralisée, ni que l'étendue des manifestations aurait été excessive pour une réalisation de cette importance. Le tribunal a pu ainsi écarter à bon droit le grief tiré de ce que la commune aurait organisé une campagne de promotion publicitaire de ses réalisations prohibées par l'article L. 52-1 du code électoral🏛.

9. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 50-1 du code électoral🏛 : " Pendant les six mois précédant le premier jour du mois d'une élection et jusqu'à la date du tour de scrutin où celle-ci est acquise, aucun numéro d'appel téléphonique ou télématique gratuit ne peut être porté à la connaissance du public par un candidat, une liste de candidats ou à leur profit. " Selon l'article L. 106 du même code🏛, " Quiconque, par des dons ou libéralités en argent ou en nature, par des promesses de libéralités, de faveurs, d'emplois publics ou privés ou d'autres avantages particuliers, faits en vue d'influencer le vote d'un ou de plusieurs électeurs aura obtenu ou tenté d'obtenir leur suffrage, soit directement, soit par l'entremise d'un tiers, quiconque, par les mêmes moyens, aura déterminé ou tenté de déterminer un ou plusieurs d'entre eux à s'abstenir, sera puni de deux ans d'emprisonnement et d'une amende de 15 000 euros./ Seront punis des mêmes peines ceux qui auront agréé ou sollicité les mêmes dons, libéralités ou promesses ".

10. Si, en avril 2020, la présidente de l'office public de l'habitat de la collectivité de Corse a publié son numéro de téléphone portable, il ne s'agissait pas d'un numéro de téléphone gratuit mis à la disposition du public en méconnaissance de l'article L. 50-1 du code électoral🏛. Par ailleurs, eu égard au contexte sanitaire, en présentant en avril 2020, les mesures prises pour faire face à l'épidémie, et plus précisément les facilités de paiement accordées aux locataires en difficulté, la présidente de l'office ne peut être regardée comme ayant tenté d'influencer les électeurs par des promesses de libéralités au sens de l'article L. 106 du code électoral🏛.

Sur les résultats du scrutin :

11. Les manquements relevés au point 5 ne pouvaient, eu égard à l'écart de 1 314 voix, soit 9,64% des suffrages exprimés, entre la liste de M. AL et celle de M. BK, fausser les résultats en ce qui concerne l'attribution à la liste arrivée en tête de la moitié des sièges arrondie à l'entier supérieur, soit 22 sièges, puis la répartition de 20 autres sièges entre les trois listes en fonction du quotient électoral. En revanche, il aurait suffi à la liste conduite par M. BK de recueillir, sur les 13 629 suffrages exprimés au second tour, 50 voix supplémentaires au détriment de la liste conduite par M. AL pour bénéficier, aux lieu et place de celle-ci, de l'attribution à la plus forte moyenne du dernier siège de conseiller municipal. Dès lors, les manquements relevés au point 5 ont été de nature à altérer la sincérité du scrutin en ce qui concerne l'attribution de ce siège. Comme l'a jugé le tribunal administratif, l'attribution de ce siège devait donc être annulée ainsi que, par conséquent, l'élection de M. AP.

Sur la régularité des comptes de campagne de M. AL et le remboursement des dépenses électorales par l'Etat :

12. Aux termes de l'article L. 52-8 du code électoral🏛 : " Les personnes morales, à l'exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d'un candidat, ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués () ". Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 52-11-1 du même code🏛 : " Dans les cas où les irrégularités commises ne conduisent pas au rejet du compte, la décision concernant ce dernier peut réduire le montant du remboursement forfaitaire en fonction du nombre et de la gravité de ces irrégularités ".

13. Les courriers de la présidente de l'office public de l'habitat de la collectivité de Corse, mentionnés au point 5, ont procuré à la liste de M. AL un avantage prohibé par l'article L. 52-8 du code électoral🏛. Il résulte en revanche de ce qui a été dit au point 8 que M. BK et ses corequérants ne peuvent soutenir qu'il en serait de même de l'inauguration du Mantinum.

14. Ni les dispositions de l'article L. 52-8 du code électoral🏛, ni aucune autre disposition législative n'impliquent le rejet d'un compte de campagne au seul motif que le candidat a bénéficié d'un avantage au sens de ces dispositions. Il appartient au juge de l'élection d'apprécier, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, notamment de la nature de l'avantage, de son montant et des conditions dans lesquelles il a été consenti, si le bénéfice de cet avantage doit entraîner le rejet du compte.

15. Si M. AL soutient que le coût des courriers de la présidente de l'office public de l'habitat ne peut atteindre le montant de 3 300 euros estimé par le tribunal administratif, il n'apporte aucun élément à l'appui de son argumentation alors que le tribunal a tenu compte des coûts d'impression, de mise sous pli et d'affranchissement des deux courriers envoyés aux locataires de cet office.

16. Enfin, le montant du coût des courriers en cause, qui représente seulement 3,32% du plafond des dépenses électorales, ne peut entrainer un dépassement de ce plafond ni justifier un rejet du compte de campagne. Par suite, M. BK n'est, en tout état de cause, pas fondé à soutenir que le tribunal aurait dû faire application des dispositions du 3° de l'article

L. 118-3 du code électoral en vertu desquelles, lorsqu'il relève une volonté de fraude ou un manquement d'une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales, le juge de l'élection peut déclarer inéligible le candidat dont le compte de campagne a été rejeté.

17. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a annulé l'élection de M. AP, fixé le montant du remboursement dû par l'Etat à M. AL à la somme de 32 370 euros et a rejeté le surplus des conclusions de la protestation de M. BK et autres. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par les parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. AL et autres et la requête de M. BK et autres sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Z AL, représentant unique désigné, à M. BT BK, premier dénommé pour l'ensemble des requérants, et à M. R AX.

Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur, au préfet de la Haute-Corse et à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.

Délibéré à l'issue de la séance du 22 septembre 2021 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; Bertrand Dacosta, M. Aladjidi Frédéric présidents de chambre ; Mme AY M, M. BC T, Mme A BE, M. B BF, M. François Weil conseillers d'Etat et M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 14 octobre 2021.

Le président :

Signé : M. Christophe Chantepy

Le rapporteur :

Signé : M. Bruno Delsol

La secrétaire :

Signé : Mme AO BX

Nos 450396, 450419

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