République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 1
ARRÊT DU 03/10/2011
***
N° de MINUTE
N° RG 10/08076
Jugement (N° 08/10116)
rendu le 29 Octobre 2010
par le Tribunal de Grande Instance de LILLE
REF JD/VD
APPELANTE
Madame Marianne Z épouse Z
Demeurant
PARIS
représentée par la SCP THERY - LAURENT, avoués à la Cour
ayant pour conseil Me Jean TUBIANA, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE
SA MOVITEX exerçant sous l'enseigne 'DAXON'
Ayant son siège social
WASQUEHAL
représentée par la SCP CARLIER REGNIER, avoués à la Cour
assistée de Me Isabelle SEILLIEZ, avocat au barreau de DOUAI
DÉBATS à l'audience publique du 01 Septembre 2011, tenue par Joëlle ... magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré (article 786 du Code de Procédure Civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS Delphine VERHAEGHE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ Evelyne MERFELD, Président de chambre
Pascale METTEAU, Conseiller
Joëlle DOAT, Conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 03 Octobre 2011 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Madame Evelyne ...,
Président et Delphine VERHAEGHE, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU 30 juin 2011
***
Par acte d'huissier en date du 12 décembre 2008, Mme Marianne Z épouse Z a fait assigner la société MOVITEX exerçant sous l'enseigne DAXON devant le tribunal de grande instance de LILLE, pour s'entendre condamner celle-ci à lui payer la somme de 15 000 euros correspondant au montant d'un gain annoncé dans le cadre d'une loterie publicitaire.
Par jugement en date du 29 octobre 2010, le tribunal a
- débouté Mme ... de l'ensemble de ses demandes
- débouté la société MOVITEX de sa demande de dommages et intérêts
- débouté les parties de leurs autres demandes
- condamné Mme ... aux dépens et à payer à la société MOVITEX la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Mme Marianne Z épouse Z a interjeté appel de ce jugement, par déclaration remise au greffe de la Cour le 18 novembre 2010.
Dans ses conclusions en date du 7 mars 2011, elle demande à la Cour
- de constater que le jugement rendu viole les articles 15 et 16 du code de procédure civile
- de constater que le tribunal ne l'a jamais mise en demeure de s'expliquer sur son moyen
- de constater que les éléments de fait régulièrement communiqués constituent la preuve de l'existence d'un quasi-contrat au sens de l'article 1371 du code civil
- de constater qu'il résulte de ces faits que la société MOVITEX lui a indiqué qu'elle était gagnante d'une somme de 15 000 euros
- de constater que la lettre du 6 octobre 2008 ne fait pas référence à un prétendu règlement se trouvant au verso de la dite lettre
- de constater que les termes-mêmes du règlement montrent que la lettre du 6 octobre 2008 constitue la preuve du gain
- de condamner la société MOVITEX à lui payer la somme principale de 15 000 euros, ainsi que la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts et celle de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle soutient que la rédaction de l'ensemble de la correspondance en date du 6 octobre 2008 ne laisse aucun doute sur le fait qu'elle est bien la bénéficiaire d'un chèque de 15 000 euros et que, même si la rédaction du texte devait laisser un doute dans son esprit, ce doute doit lui profiter.
Elle observe qu'il convient de noter la contradiction tendancieuse et de mauvaise foi créée par la société MOVITEX, puisque la lettre du 6 octobre 2008 contient l'attestation d'un huissier selon laquelle il a procédé au tirage au sort de la gagnante du premier prix, tandis que la lettre de la société DAXON en date du 28 octobre 2008 évoque 'la date de clôture fixée au 21 novembre 2008", que le tirage au sort du 6 octobre 2008 n'a jamais été communiqué à qui que ce soit, ce qui le rend particulièrement douteux.
Mme ... explique qu'elle a inséré ses pièces dans ses écritures, ce qui constitue un moyen de communication parfaitement légal, que le tribunal ne pouvait d'office retenir le moyen selon lequel ce mode de communication ne lui permettait pas de savoir si toutes les pièces avaient bien été versées aux débats.
Elle ajoute qu'elle n'a pas jugé nécessaire de communiquer un simple bon de commande strictement sans intérêt.
Elle affirme que l'existence d'un quasi-contrat est démontrée et que la somme a bien été gagnée par elle.
Dans ses conclusions en date du 20 juin 2011, la société MOVITEX demande à la Cour - de débouter Mme ... de ses demandes
- de la condamner à lui payer la somme de 5 000 euros pour procédure abusive et celle de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle expose que la production des pièces en original par Mme ... a permis de constater qu'elle était bien en possession du règlement contrairement à ce qu'elle prétendait.
Elle fait valoir que le nom de Mme ... n'est jamais associé au gain de 15 000 euros, que le terme 'grande gagnante' est bien trop vague pour engager sa responsabilité vis à vis de celle-ci, que s'il y a un doute sur l'identité du gagnant, c'est bien qu'il existe un aléa, et en fin, que le client doit être de bonne foi, qu'il n'est pas possible de croire qu'on a gagné plusieurs fois le premier prix.
Elle explique qu'elle organise ses jeux sous forme de pré-tirage, dont la cour de cassation a confirmé la licéité, de sorte qu'il est logique que la date du tirage au sort soit antérieure à la clôture du jeu.
Elle analyse les documents envoyés à Mme ... en précisant qu'il n'y est pas indiqué que Mme ... est la grande gagnante du premier prix, qu'il s'agit seulement d'un envoi gagnant,
que l'aléa porte sur la nature du gain, soit un chèque de 15 000 euros, soit un lot de consolation, à savoir un chèque bancaire transformable en chèque achat de 15 euros.
Elle ajoute que le règlement du jeu établit sans conteste l'absence de corrélation entre l'annonce faite d'un gain et le gain du lot principal et qu'il rappelle que, pour avoir une chance de gagner, il faut préalablement renvoyer son bon de participation.
Elle affirme qu'elle a respecté ses engagements et qu'au contraire, la mauvaise foi de Mme ... est démontrée.
La société MOVITEX déclare que, pour la cour de cassation, le groupe nominal 'première lecture' ne signifie pas lecture hâtive ou superficielle, mais lecture à l'occasion d'un seul envoi.
Elle précise qu'elle a écrit le 28 octobre 2008 à Mme ... pour lui rappeler le mécanisme du jeu.
Elle fait valoir que Mme ... ne justifie d'aucun préjudice à l'appui de sa demande en dommages et intérêts.
Elle soutient à titre reconventionnel que Mme ... a eu un comportement fautif, au motif qu'elle ne peut être assimilée au consommateur normalement diligent qui prend une connaissance attentive des documents reçus, son mari étant avocat, qu'elle a sélectionné les documents communiqués au tribunal puis à la Cour dans le but de tromper leur religion, qu'elle est juriste et qu'elle cherche à gagner avec le concours involontaire de la justice ce que le sort lui a refusé.
SUR CE
Mme ... ne tire aucune conséquence juridique de son moyen tiré de ce que le tribunal n'aurait pas respecté les dispositions des articles 15 et 16 du code civil.
En tout état de cause, les pièces originales du jeu ont été produites devant la Cour, de sorte que ce moyen est désormais inopérant.
L'article 1371 du code civil énonce que les quasi contrats sont les faits purement volontaires de l'homme dont il résulte un engagement quelconque envers un tiers.
En vertu de ce texte, l'organisateur d'une loterie qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence l'existence d'un aléa s'oblige, par ce fait purement volontaire, à le délivrer.
Par courrier déposé le 10 octobre 2008, la société MOVITEX a fait parvenir à Mme Marianne Z un envoi publicitaire contenant les mentions et indications suivantes
sur l'enveloppe 1er prix du tirage du numéro gagnant des 15 000 euros
Chèque bancaire de 15 000 euros
(près de 100 000 francs à réclamer)
Ci-inclus
Pièces personnelles justificatives
Attente réponse impérative sous
15 JOURS
ENVOI GAGNANT
à l'intérieur, un courrier surmonté d'un chèque d'un montant de 15 000 euros libellé à l'ordre de notre grande gagnante en possession du n° 715 A RENVOYER, rédigé en ces termes
(...) message qui constitue l'unique occasion de réclamer le chèque qui vous revient de droit
car, oui, Mme ..., vous avez réellement gagné et, ainsi que vous l'atteste notre huissier de justice, je vous confirme que vous possédez le numéro 715 le seul qui permette de gagner le premier prix de 15 000 euros, soit plus de 100 000 francs.
Il est maintenant urgent que vous vous manifestiez dans les plus brefs délais . Pour ce faire
détachez le chèque de 15 000 euros ci-dessus et joignez le à votre réclamation de gain située en haut de votre bon de commande
reportez votre numéro gagnant, le n° 715, sur votre réclamation de gain. Ce numéro constitue la preuve irréfutable que vous avez gagné, il est donc indispensable pour nos vérifications.
Renvoyez le tout impérativement sous 15 jours
Ainsi, dès que la grande gagnante se sera manifestée, Philippe ... s'engage à établir le chèque de 15 000 euros. Je vous invite donc à faire le nécessaire dès aujourd'hui et vous souhaite, grâce à votre numéro 715, de recevoir dans les délais le plus gros chèque mis en jeu.
Le mot 'chèque' dans la phrase d'introduction 'unique occasion de réclamer le chèque qui vous revient de droit' est suivi d'une astérisque renvoyant, au bas de la page, certes en très petites lettres, 'chèque ou chèque-achat'.
Au dos de la lettre est imprimé le règlement du jeu écrit en caractères normalement lisibles, malgré une présentation peu aérée et l'absence de tout paragraphe de séparation.
Il ressort notamment de ce règlement que DAXON organise du 8 octobre au 21 novembre 2008 inclus un jeu intitulé 'tirage du numéro gagnant des 15 000 euros', qu'il s'agit d'un pré-tirage où le gagnant du lot principal a été désigné avant l'envoi des documents, que la dotation du jeu est la suivante premier prix, un chèque bancaire d'un montant de 15 000 euros, deuxième prix, autant de chèques cadeaux que de participants consistant en un chèque bancaire de 2 euros transformable en un chèque-achat de 15 euros, que l'huissier garde secret le nom du gagnant du lot principal jusqu'à la date de clôture du jeu, qu'aucun destinataire ne peut être certain, à la réception des documents, d'être gagnant du lot principal, et que, pour savoir ce qu'ils ont gagné, les participants doivent renvoyer leur bon de participation à DAXON.
L'envoi contient enfin un bon de commande sur lequel figure un 'bon de participation réclamation définitive de gain' à découper et à renvoyer, que le participant doit renvoyer pour recevoir 'son chèque' après avoir attesté être en possession du numéro gagnant 715, l'avoir reporté sur le bon à titre de preuve et reconnu avoir bien pris connaissance du règlement joint.
Le mot 'chèque' est là encore suivi d'une astérisque renvoyant à l'explication 'chèque ou chèque-achat'.
Le bon de participation précise, en caractères lisibles, que ce jeu comporte un aléa, aucun destinataire ne pouvant être certain, à réception du document, d'être gagnant du lot principal.
Ainsi, le consommateur normalement avisé, après avoir procédé à une lecture de l'ensemble des documents qui lui avaient été adressés, et au-delà des formules accrocheuses inhérentes à la nature publicitaire de la loterie, était clairement mis en mesure de comprendre qu'il avait la possibilité de gagner, soit le premier prix (le chèque de 15 000 euros), soit le deuxième prix (un chèque-achat) et qu'il lui était attribué un numéro lui permettant de participer au jeu et de recevoir son prix, à savoir un chèque, à condition de renvoyer le bon de participation, sur lequel l'existence d'un aléa était expressément indiquée.
En outre, en lisant le règlement qui énonce qu'aucun destinataire ne peut être certain, à la réception des documents, d'être gagnant du lot principal, et que, pour savoir ce qu'ils ont gagné, les participants doivent renvoyer leur bon de participation à DAXON, Mme ... devait nécessairement se rendre compte qu'à la date à laquelle elle a reçu l'enveloppe publicitaire (déposée le 10 octobre 2008), elle n'était pas susceptible de se considérer d'ores et déjà comme la grande gagnante du chèque de 15 000 euros.
S'agissant d'un pré-tirage au sort, dont le caractère licite a été reconnu, la contradiction de dates relevée par Mme ... n'est pas fondée.
Dès lors, au vu de ces documents qui ont tous été envoyés en une seule fois, il est démontré que l'existence de l'aléa affectant l'attribution du prix a bien été mise en évidence à première lecture, dès l'annonce du gain.
Au surplus, par lettre en date du 28 octobre 2008 envoyée à Mme ... avant la clôture du jeu, la société DAXON a rappelé à celle-ci les règles de la loterie litigieuse et lui a indiqué que, si elle était la gagnante du chèque bancaire de 15 000 euros, elle lui annoncerait la bonne nouvelle par lettre recommandée, après la date de clôture fixée au 21 novembre 2008.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement qui a débouté Mme ... de sa demande en paiement de la somme de 15 000 euros correspondant à la délivrance du premier prix du jeu litigieux et de sa demande subséquente en dommages et intérêts.
La société MOVITEX sollicite des dommages et intérêts pour procédure abusive.
Mme ... avait obtenu gain de cause dans une précédente affaire relative à un jeu organisé par la même société, mais sous une forme différente, de sorte qu'elle a pu se méprendre sur l'étendue de ses droits.
Il apparaît certes, comme le fait observer la société MOVITEX, que Mme ... n'a communiqué l'original des documents reçus que le 6 juin 2011 et que les photocopies insérées dans ses conclusions d'appel n'étaient pas exhaustives, ne contenant pas, par exemple, les astérisques au bas de page ou le bon de participation dont les mentions étaient de nature à ôter tout doute à Mme ..., qu'elle soit normalement avisée ou plus avertie que la moyenne des consommateurs, sa qualité personnelle de juriste n'étant pas établie.
Dans la mesure où les pièces en original ont finalement été produites, le préjudice invoqué se trouve réparé.
La demande en dommages et intérêts sera rejetée et le jugement confirmé sur ce point.
Le jugement doit être confirmé en ce que, pour des raisons d'équité, il a condamné Mme ... à payer à la société MOVITEX la somme de 2 000 euros qu'elle sollicite, au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et devant la Cour.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire
CONFIRME le jugement
CONDAMNE Mme Marianne Z épouse Z aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés par la SCP CARLIER REGNIER, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le Greffier, Le Président,
D. VERHAEGHE E. MERFELD