SOC. PRUD'HOMMES FB
COUR DE CASSATION
Audience publique du 23 novembre 2011
Cassation
M. LACABARATS, président
Arrêt no 2450 F-D
Pourvoi no F 09-70.904
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant
Statuant sur le pourvoi formé par M. Claude Z, domicilié Lugos,
contre l'arrêt rendu le 10 septembre 2009 par la cour d'appel de Bordeaux (chambre sociale, section B), dans le litige l'opposant à la société Air France, société anonyme, dont le siège est Le Bourget cedex,
défenderesse à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 25 octobre 2011, où étaient présents M. Lacabarats, président, M. Ludet, conseiller rapporteur, Mme Mazars, conseiller doyen, M. Aldigé, avocat général, Mme Piquot, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Ludet, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. Z, de Me Le Prado, avocat de la société Air France, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le premier moyen
Vu l'article L. 1331-1 du code du travail ;
Attendu qu'aucun fait fautif ne peut donner lieu à double sanction ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Z a été engagé par la société Air Inter le 4 janvier 1982 en qualité de mécanicien à Paris-Orly ; qu'il a été muté à Bordeaux, à compter du 27 août 1990, en qualité de "technicien 2 mécanique" avec adoption d'une clause de mobilité ; qu'en avril 2007, en conséquence de la fusion de la société Air Inter avec la société Air France, il est devenu salarié de celle-ci ; qu'ayant reçu l'habilitation APRS (approbation pour remise en service des aéronefs), celle-ci lui a été retirée le 14 septembre 2005 à la suite d'un incident ; que de ce fait, il ne lui a plus été possible de valider les opérations de maintenance et la remise en service des avions en escale ; qu'ayant ensuite refusé d'accepter la nouvelle affectation qui lui était proposée à Paris-Roissy, il a été licencié, à effet du 15 mai 2006, par lettre du 8 mars 2006 "pour faute simple avec préavis" mais dispensé d'exécuter ce préavis de deux mois; que contestant la rupture, il a saisi la juridiction prud'homale ;
Attendu que pour juger que le licenciement de M. Z était fondé sur une cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que l'habilitation APRS avait été définitivement retirée le 14 septembre 2005 à M. Z à titre de sanction disciplinaire pour absence de prise en compte d'une fuite de carburant sur un avion, que dans une lettre du 23 janvier 2006, Air France a écrit au salarié que "depuis le retrait définitif de votre habilitation APRS le 14 septembre 2005, il ne vous est plus possible de continuer à exercer votre activité de technicien avion 4 au sein de l'escale de Bordeaux. Une procédure disciplinaire étant en cours à votre égard, nous vous dispensons d'exercer votre activité jusqu'à l'issue de celle-ci ; vous serez placé en absence avec solde" ; qu'Air France démontre que, sur l'aéroport de Bordeaux Mérignac, les techniciens sont tous titulaires de l'APRS et que M. ..., mécanicien qui a remplacé M. Z, était lui-même titulaire de l'APRS, que l'employeur fait ainsi valoir l'impossibilité de maintenir M. Z à son poste de technicien en escale à Bordeaux Mérignac et, en l'absence de reclassement sur place, la nécessité de reprise d'un poste de mécanicien à Paris ..., en application de la clause de mobilité insérée dans son contrat de travail, que la sanction de la perte de l'APRS imposait la mutation de M. Z et que son affectation à Paris ... constituait le prolongement inévitable de la perte de l'APRS et non une nouvelle sanction,
qu'il a été licencié non pas en raison de la faute qui a causé le retrait de l'habilitation APRS déjà sanctionnée, mais pour avoir, selon la lettre de licenciement, refusé son affectation à Roissy ;
Qu'en statuant ainsi alors qu'il résulte de ses constatations qu'à la suite de l'incident du 2 septembre 2005 le salarié a fait l'objet d'un retrait définitif de son habilitation APRS et que la mutation a été décidée par l'employeur dans le cadre de la procédure disciplinaire en cours, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il soit besoin de statuer sur le second moyen
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 septembre 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;
Condamne la société Air France aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Air France à payer à M. Z la somme de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois novembre deux mille onze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils pour M. Z.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir jugé que le licenciement de Monsieur Z était régulier et fondé sur une cause réelle et sérieuse et en conséquence, d'avoir rejeté ses demandes en réintégration ou à défaut, en réparation de son préjudice lié à la rupture du contrat de travail;
AUX MOTIFS QUE la lettre du 8 mars 2006 qui détermine la cause du licenciement et fixe les limites du litige indique que cette cause est la suivante " à la suite du retrait définitif de votre habilitation APRS le 14 septembre 2005, il ne vous est plus possible de continuer à exercer votre activité de technicien Avion 4 au sein de l'escale de Bordeaux. Nous vous avons proposé une nouvelle affectation à Roissy en qualité de technicien Avion 4 que vous avez définitivement refusée le 20 novembre 2005. Ce refus de mobilité à Roissy constitue une faute disciplinaire au sens des dispositions réglementaires applicables au sein de l'entreprise et de la notification de mutation d'Orly à Bordeaux qui vous a été faite le 3 août 1990}); que le licenciement de Monsieur Z est ainsi fondé sur son refus de mobilité à Roissy à la suite du retrait définitif de son habilitation APRS ; qu'Air France justifie ce retrait d'habilitation en démontrant que sur, l'aéroport de Bordeaux Mérignac, les techniciens sont tous titulaires de l'APRS et que Monsieur ..., mécanicien qui a remplacé Monsieur Z, était lui-même titulaire de l'APRS; qu'Air France fait ainsi valoir l'impossibilité de maintenir Monsieur Z à son poste de technicien en escale à Bordeaux Mérignac et, en l'absence de reclassement sur place, la nécessité de reprise d'un poste de mécanicien à Paris ... en application de la clause de mobilité insérée dans son contrat de travail; qu'Air France ajoute qu'aucun poste n'étant disponible à Bordeaux Mérignac, la sanction de la perte imposait la mutation de Monsieur Z et son affectation à Paris ... constituait le prolongement inévitable de la perte de l'APRS et non une nouvelle sanction; que Monsieur Z, qui ne conteste pas que son habilitation APRS lui a été retirée pour ne pas avoir déclaré la fuite du réservoir d'un avion, admet que la clause de mobilité incluse dans son contrat de travail, a été mise en oeuvre en raison de cette situation dans l'intérêt du service; qu'une telle clause lui interdisait de refuser l'affectation envisagée à paris; que dès lors, il a été licencié non pas en raison de la faute qui a causé le retrait de l'habilitation APRS déjà sanctionnée, mais pour avoir selon la lettre de licenciement, refusé son affectation à Roissy; qu'au vu de ces éléments en application de l'article L.1235-1 du Code du travail, la Cour, infirmant le jugement, décide que le licenciement de Monsieur Z par la société Air France, est fondé sur une cause réelle et sérieuse;
1o. ALORS QU'a un caractère disciplinaire la mise en oeuvre d'une clause de mobilité à raison d'une faute du salarié; qu'en l'espèce, l'arrêt constate que la mutation géographique de l'exposant de Bordeaux à Roissy n'avait pas d'autre justification que le retrait de ses habilitations APRS, lequel faisait suite à un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, ce dont il résulte que loin de constituer la simple mise en oeuvre d'une mobilité contractuelle, cette mesure présentait un caractère disciplinaire; qu'en retenant le contraire, la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation de l'article L.1331-1 du Code du travail;
2o. ALORS QU'en énonçant que Monsieur Z admettait que la clause de mobilité incluse dans son contrat de travail avait été mise en oeuvre dans l'intérêt du service, la Cour d'appel a dénaturé les conclusions du salarié en violation de l'article 1134 du Code civil;
3o. ALORS QUE ne caractérise pas une faute le refus d'une mobilité en raison de faits qui ont déjà été sanctionnés; que l'arrêt constate que la décision de retrait des habilitations A.P.R.S à raison de la faute commise par le salarié le 2 septembre 2005 constituait une sanction disciplinaire; qu'il s'ensuit que la mutation géographique de Bordeaux à Paris, décidée par l'employeur à raison de la même faute, était illicite; qu'en retenant néanmoins que le refus de cette mobilité constituait une faute, au motif que la clause de mobilité incluse dans le contrat de travail interdisait au salarié de la refuser, la Cour d'appel a violé les articles L.1232-1 et L.1331-1 du Code du travail ;
4o. ALORS QUE dans ses conclusions d'appel (p.8 à 10), le salarié faisait valoir que la qualification de technicien avion 4, qui était la sienne, n'imposait pas la détention des habilitations APRS, que des postes correspondants à sa qualification étaient disponibles sur Bordeaux que l'employeur ne lui avait pas proposés, que dès lors, le retrait des habilitations APRS constituait un simple prétexte au prononcé d'une nouvelle sanction; qu'en ne vérifiant pas, comme il lui était demandé, si le retrait des habilitations APRS justifiait objectivement la mutation de Monsieur Serfaty Z Z à Paris, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des mêmes textes et de l'article 1134 du Code civil;
5o. ALORS QUE la décision de mutation sous couvert de la mise en oeuvre d'une clause de mobilité, qui s'analyse en une rétrogradation autorise le salarié à refuser une telle proposition; qu'en l'espèce, la mutation du salarié de Bordeaux à Paris s'accompagnant du retrait de certaines de ses responsabilités, s'analysait en une rétrogradation qui ne pouvait lui être imposée; qu'en décidant le contraire, la Cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil;
6. ALORS QU'en tout état de cause, est nulle la clause de mobilité qui ne définit pas de façon précise sa zone géographique d'application et qui confère à l'employeur le pouvoir d'en étendre unilatéralement la portée; qu'en l'espèce, la clause de mobilité stipulant que l'affectation pourrait concerner les établissements et implantations de la compagnie existants ou qui seraient amenés à être ouverts, conférait à l'employeur la possibilité d'étendre les lieux d'affectation du salarié; qu'en se fondant sur cette clause pour dire que le refus de mobilité du salarié était fautif, la Cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir condamné Monsieur Z à rembourser à la société Air France la somme de 59.192,41 euros à titre d'indu sur l'indemnité de licenciement;
AUX MOTIFS QUE pour justifier sa demande de répétition de l'indu, Air France produit l'article 3.2.2 " sanctions du second degré" de l'annexe personnel au sol du règlement intérieur qui prévoit le licenciement avec préavis et l'article 3.4 de la quatrième partie du règlement du personnel au sol n01, aux termes duquel " dans les cas de licenciement pour faute, prévu au règlement intérieur et dans son annexe 1 applicable au personnel au sol, les salariés perçoivent une indemnité calculée conformément à la législation en vigueur, hormis le cas de faute grave"; qu'il résulte de ces dispositions que le licenciement de Monsieur Z ne lui donne droit qu'à l'indemnité légale de licenciement et non à l'indemnité conventionnelle de licenciement; que dès lors, Air France justifie sa demande en répétition de l'indu fondée sur l'article 1376 du Code civil, pour un montant, non contesté par Monsieur Z, de 59.192,41 euros ;
ALORS QU'en cas de licenciement non fautif, l'article 3.4 de la quatrième partie du règlement no 1 du personnel au sol d'Air France prévoit que le salarié a droit au paiement d'une indemnité conventionnelle de licenciement; qu'il en résulte nécessairement que cette indemnité est due lorsque le licenciement prononcé pour faute est dépourvu de cause réelle et sérieuse; que dès lors, la cassation à intervenir sur le premier moyen de cassation du chef de l'arrêt ayant jugé que le licenciement pour faute de Monsieur Z était fondé sur une cause réelle et sérieuse entraînera, par voie de conséquence, la censure du chef du dispositif de l'arrêt l'ayant condamné à rembourser à la société Air France l'indemnité conventionnelle de licenciement, en application de l'article 625 du Code de procédure civile.