Vu la requête, enregistrée le 24 novembre 2010, présentée par Mme Aa Ab, demeurant … … … … … … (…) ; Mme Ab demande au tribunal d'annuler la disposition du règlement intérieur de l’école élémentaire Paul Lafargue à Montreuil, selon laquelle « les parents volontaires pour accompagner les sorties scolaires doivent respecter dans leur tenue et leurs propos la neutralité de l’école laïque » ;
Elle soutient que cette disposition est discriminatoire, dès lors qu’elle fonde un traitement différencié entre les parents d'élèves portant un voile et les autres ; qu’elle méconnaît la
loi n° 2008-496 du 27 mai 2008🏛 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations ; qu’elle porte atteinte au principe de liberté religieuse ; qu’elle est dépourvue de base légale, dès lors que ni la
loi du 15 mars 2004🏛 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, ni la circulaire d'application 1° 2004-084 ne concernent les parents d'élèves ; que les parents d’élèves accompagnateurs sont des collaborateurs bénévoles ; que, selon la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, cette qualité n’emporte pas reconnaissance du statut d’agent public qui seul impose une obligation de neutralité au regard du port d'une tenue manifestant une appartenance religieuse ;
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Vu le règlement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 1” août 2011, présenté par le recteur de l’académie de Créteil, qui conclut au rejet de la requête ;
Il soutient que l’accompagnement des élèves lors des sorties scolaires par des parents d'élèves volontaires portant une tenue manifestant une appartenance religieuse contrevient au principe de laïcité ; que la Cour européenne des droits de l’homme a reconnu que le port d’un foulard a un effet de prosélytisme et que l’interdiction de porter un foulard faite à une enseignante intervenant auprès de jeunes enfants ne contrevient pas à l’
article 9 de la convention européenne des droits de l’homme🏛 et de sauvegarde des libertés fondamentales ; qu’en qualité d’accompagnateurs, les parents d'élèves se placent vis-à-vis des enfants dans une situation comparable à celle des agents publics ; que le rôle des parents accompagnateurs est assimilable à celui des agents publics en charge de l’organisation et de l’accompagnement des sorties scolaires; que les délibérations de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité ne sont pas revêtues de l’autorité de Ia chose jugée ; qu’en outre, la participation des parents d'élèves aux sorties scolaires ne constitue pas un droit ; qu’il appartient au directeur d'établissement d'accepter cette participation ; que le contexte particulier de l’école Paul Lafargue, dans lequel l’adoption de la loi du 15 mars 2004 avait fait l’objet de nombreuses contestations, justifiait ce règlement ;
Vu le mémoire, enregistré le 17 août 2011, présenté par Mme Ab, qui conclut aux mêmes fins que la requête ;
Elle ajoute que l’article 18 du pacte international relatif aux droits civils et politiques et l'article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et de libertés fondamentales stipulent que les restrictions à la liberté de pensée, de conscience et de religion ne peuvent qu’être prévues par la loi ; que le règlement intérieur attaqué a méconnu l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que le rôle de parent accompagnateur volontaire n’est pas assimilable à celui d’enseignant, dès lors que les activités de sortie s’exercent sous la responsabilité pédagogique des enseignants ; que tout parent est en droit de proposer sa candidature à l’accompagnement des sorties scolaires et d’être retenu ; que la délibération n° 2007-117 du 14 mai 2007 de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité a très clairement conclu que « le refus de principe opposé aux mères d'élèves portant le foulard d'accompagner ces derniers en sorties scolaires {..) en l'absence de toute circonstance susceptible de lui conférer le caractère d’un acte de pression ou de prosélytisme, apparaît comme contraire aux dispositions interdisant les discriminations fondées sur les religions » ; que la loi a conféré à cette autorité le pouvoir de recommander toute modification législative ou réglementaire ; que le recteur n’établit nullement les raisons pour lesqueltes le contexte local aurait justifié la disposition contestée, laquelle porte atteinte à la cohésion sociale et à l’intérêt supérieur de l'enfant, dès lors que des parents d’élèves se voient écartés de l'accompagnement des sorties ; qu’aucune des écoles de Montreuil n’a adopté une disposition restreignant l'accès à l’accompagnement scolaire des mères voilées ;
Vu les autres pièces du dossier :
Vu la Constitution du 4 octobre 1958 ;
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Vu la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
Vu la convention internationale relative aux droits de l’enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 ;
Vu le code de l’éducation ;
Vu la
loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004🏛 portant création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité ;
Vu la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de J’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 8 novembre 201! :
- le rapport de M. Ac ;
les conclusions de Mme Ad ;
- et les observations de Mme Ab ;
Considérant, en premier lieu, que Mme Ab soutient que l’article du règlement intérieur contesté disposant que « Les parents volontaires pour accompagner les sorties scolaires doivent respecter dans leur tenue et leurs propos le principe de neutralité de l'école laïque » est dépourvue de base légale ;
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Considérant qu'aux termes de l'article 10 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 : "Nul ne doit être inquiété pour ses opinions même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi" ; qu'aux termes de l'asticle 2 de la Constitution du 4 octobre 1958 : "La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances” ;
Considérant qu’il résulte des textes constitutionnels et législatifs que le principe de liberté de conscience ainsi que celui de la laïoité de l'Etat et de neutralité des services publics s'appliquent à l'ensemble de ceux-ci ; que les parents d’élèves volontaires pour accompagner les sorties scolaires participent, dans ce cadre, au service public de l’éducation ; que le principe de la laïcité de l'enseignement public, qui est l'un des éléments de la laïcité de l'Etat et de la neutralité de l'ensemble des services publics, impose que l’enseignement soit dispensé, dans le respect, d'une part, de cette neutralité par les programmes, les enseignants et les personnels qui interviennent auprès des élèves et, d'autre part, de la liberté de conscience des élèves ; que si les parents d’élèves participant au service public d’éducation bénéficient de la liberté de conscience qui interdit toute discrimination fondée sur leur religion ou sur leurs opinions, le principe de neutralité de l'école laïque fait obstacle à ce qu'ils manifestent, dans le cadre de l’accompagnement d’une sortie scolaire, par leur tenue ou par leurs propos, leurs convictions religieuses, politiques ou philosophiques ;
Considérant que la disposition contestée constitue, indépendamment du contexte local, une application du principe constitutionnel de neutralité du service public à l’accompagnement des sorties scolaires par les parents d'élèves, qui participent en tant qu’accompagnateurs au service public de l’école élémentaire ; que, par suite, Mme Ab n’est pas fondée à soutenir que la disposition attaquée ne repose sur aucun fondement légal ou méconnaîtrait le domaine de la loi défini par l’article 34 de la Constitution ; que, dans ces conditions, le moyen tiré de ce que les règlements intérieurs des autres écoles de la commune ne prévoiraient pas une 1elle disposition et que les mères portant un voile y seraient admises pour accompagner les sorties scolaires ne peut qu'être écarté ;
Considérant, en deuxième lieu, que, compte tenu de l’intérêt qui s'attache aux principes de laïcité et de neutralité du service public dans les établissements scolaires publics, la disposition attaquée ne porte pas une atteinte excessive à la liberté de pensée, de conscience et de religion garantie par l’article 9 de le convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et par l’article 18 du pacte international des droits civils et politiques ; qu’en outre, une telle disposition, qui est prise sans distinction entre les confessions des parents d’élèves, ne méconnaît pas, comme il a été dit précédemment, le principe de non discrimination édicté par les stipulations de l’article 14 de cette convention ; qu’ainsi, les moyens tirés de la méconnaissance des articles 9 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de celles de l'article 18 du pacte international des droits civils et politiques doivent être écartés ;
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Considérant, en troisième lieu, que la requérante ne peut utilement invoquer l’article 2 de la loi n° 2008496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, qui ne conceme que les activités salariées ;
Considérant, en quatrième lieu, que l’accompagnement des sorties scolaires par les patents d'élèves ne constitue pas un droit ; que, par suite, Mme Ab n’est pas fondée à soutenir que la disposition attaquée du règlement intérieur aurait mécomnu le droit des parents d'élèves à accompagner les sorties scolaires auxquelles participent leurs enfants ;
Considérant, en cinquième lieu, qu'aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : "Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale" ;
Considérant que la disposition attaquée qui, ainsi qu’il a été dit, tend à protéger la liberté de conscience des élèves, ne porte pas atteinte à l'intérêt supérieur de l'enfant garanti par les stipulations susvisées ;
Considérant, en sixième lieu, que la recommandation n° 2007-117 du 14 mai 2007 de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité ne porte pas sur la disposition du règlement intérieur de l’école Paul Lafargue ; que Mme Ab n’est donc pas fondée, en tout état de cause, à en demander l’application au présent litige ;
Considérant, enfin, qu’il ne résulte d'aucune disposition législative ou réglementaire que le règlement intérieur d’un établissement scolaire, lequel en l'espèce a pour objet, par ja disposition contestée, de rappeler le principe de neutralité de l’école laïque, soit tenu de respecter ou de contribuer à la cohésion sociale ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que Mme Ab n’est pas fondée à solliciter l’annulation de la disposition du règlement intérieur de l’école élémentaire Paul Lafargue à Montreuil, selon laquelle « les parents volontaires pour accompagner los sorties scolaires doivent respecter dans leur tenue et leurs propos la neutralité de l’école laïque » ;
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