Jurisprudence : CEDH, 10-11-2011, Req. 48337/09, PLATHEY c/ FRANCE

CEDH, 10-11-2011, Req. 48337/09, PLATHEY c/ FRANCE

A9120HZS

Référence

CEDH, 10-11-2011, Req. 48337/09, PLATHEY c/ FRANCE. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/5630606-cedh-10112011-req-4833709-plathey-c-france
Copier

Abstract

Le placement d'un détenu dans une cellule disciplinaire où il règne une odeur particulièrement nauséabonde constitue un traitement dégradant.



CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE PLATHEY c. FRANCE

(Requête n° 48337/09)

ARRÊT

STRASBOURG

10 novembre 2011

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l'affaire Plathey c. France,

La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Dean Spielmann, président,

Jean-Paul Costa,

Boštjan M. Zupanèiè,

Isabelle Berro-Lefèvre,

Ann Power-Forde,

Ganna Yudkivska,

Angelika Nußberger, juges,

et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 octobre 2011,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (n° 48337/09) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Kacy Plathey (" le requérant "), a saisi la Cour le 10 août 2009 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (" la Convention ").

2. Le requérant est représenté par Me P. Spinosi, avocat à Paris. Le gouvernement français (" le Gouvernement ") est représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3. Le 2 juin 2010, le président de la cinquième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

4. Le requérant est né en 1987 et était détenu, lors de l'introduction de la requête, à la prison de Saint-Quentin-Fallavier.

5. Il a été emprisonné en juillet 2005 en exécution de plusieurs peines de prison et a été libéré le 7 décembre 2009.

6. Le 8 janvier 2009 à 16 h 15, le requérant fut placé en cellule disciplinaire de prévention au centre pénitentiaire de Saint Quentin Fallavier. Il lui était reproché " d'avoir asséné un coup de poing à la mâchoire de l'agent car il avait remarqué que vous cachiez quelque chose. De plus lors de la fouille, il a été découvert derrière votre téléviseur un téléphone portable LG et une carte Sim dans la poche de votre survêtement ".

Il était indiqué sur le formulaire qu'aux termes des articles D249-1-1o et D249-1-3o du code de procédure pénale, constituaient des fautes disciplinaires les violences sur le personnel et la détention d'objets dangereux. Il était également prévu sur ce formulaire que le requérant séjournerait dans cette cellule pour une durée n'excédant pas deux jours.

7. Le requérant expose que son placement au quartier disciplinaire s'est déroulé dans un contexte particulier de violence.

8. Le lendemain, soit le 9 janvier 2009, un médecin de l'unité de consultations et de soins ambulatoires (UCSA) de la prison examina le requérant. Il rédigea, le 13 janvier 2009, un certificat dans les termes suivants :

" Je soussigné Dr E., praticien hospitalier au centre hospitalier Lyon-Sud, certifie avoir examiné le 9/01/2009 M. Plathey (...). Ce patient déclare avoir été agressé le 08/01/09.

A l'examen, il présente :

- 1 hématome de 3 cm, face latérale externe, genou droit,

- 1 hématome de 4 cm face latérale mollet droit, 1/3 supérieur,

- 1 hématome de la face postérieure de la cuisse gauche de 7 cm de diamètre,

- des dermabrasions linéaires circonférentielles des 2 poignets avec douleur sans signe clinique objectif,

- 1 dermabrasion de 1 cm x 0,3 cm en avant de l'ATM [articulation temporo-maxillaire] gauche,

- 1 dermabrasion de 0, 5 sous arcade externe gauche.

L'ITT à prévoir est de 1 jour sous réserve de complications. "

9. Le requérant comparut devant la commission de discipline du centre pénitentiaire le 12 janvier 2009. Il lui était reproché d'avoir exercé des violences physiques à l'encontre d'un membre du personnel et de détenir des objets dangereux pour la sécurité des personnes de l'établissement, faits constitutifs d'une faute disciplinaire du premier degré.

Le requérant nia avoir agressé le surveillant et lui avoir donné un coup de poing, mais reconnut avoir caché un téléphone et une puce.

La commission de discipline prit note de la position du requérant mais releva que le surveillant avait bien reçu un coup de poing au niveau du visage et se référa également aux antécédents disciplinaires du requérant.

10. Celui-ci se vit infliger une sanction disciplinaire de quarante-cinq jours de cellule disciplinaire, soit jusqu'au 22 février 2009, compte tenu des quatre jours effectués en prévention.

11. Le requérant expose qu'il a été placé dans une cellule totalement sinistre et insalubre dans une atmosphère hautement viciée. En effet, cette cellule avait été incendiée récemment par un autre détenu et il y régnait une odeur particulièrement nauséabonde due à la combustion de tout ce qui se trouvait dans la cellule. Il y demeura du 8 janvier au 5 février 2009, date à laquelle il fut placé dans une autre cellule disciplinaire.

12. Le 21 janvier 2009, le requérant adressa au Directeur interrégional des services pénitentiaires de Lyon un recours hiérarchique contre la décision de la commission de discipline du 12 janvier 2009.

Il se plaignait du fait que cette décision avait été prise par une instance ne satisfaisant pas aux exigences de l'article 6 § 1 de la Convention, qu'il n'avait pas pu utilement exercer les droits de la défense et que les conditions de détention qui lui étaient imposées au quartier disciplinaire caractérisaient un traitement contraire à l'article 3 de la Convention. Il exposait ainsi que l'autorité disciplinaire est un agent de l'État qui cumule les fonctions de poursuite et de jugement et n'est pas indépendante, qu'il avait été détenu en placement préventif au quartier disciplinaire quatre jours au lieu des deux maximum prévus par l'article D250-3 du code de procédure pénale. Il ajoutait que les conditions dans lesquelles il était détenu étaient contraires aux articles D349 et D350 du code de procédure pénale et à l'article 3 de la Convention dans la mesure où sa cellule n'était pas isolée du froid (la fenêtre ne fermant pas) et où il y régnait une odeur nauséabonde suite à un incendie récent. Il soulignait encore que les faits allégués n'avaient pas été prouvés, qu'il n'aurait pu donner un coup de poing alors qu'il était menotté et qu'aucun certificat médical n'avait d'ailleurs été produit. Il demandait en conclusion l'annulation de la décision.

13. La sénatrice Annie David, qui visita la prison le 26 janvier 2009, mentionna notamment :

" Au cours de cette visite, je n'ai pas constaté de dysfonctionnement flagrant, hormis dans le quartier disciplinaire. La cellule que j'ai pu visiter a subi un incendie récemment et il subsistait à l'intérieur une odeur très forte, à la limite de la suffocation. M'étant étonnée de l'état très délabré de cette cellule, le directeur m'a dit que des travaux étaient envisagés très prochainement pour remettre cette cellule en état acceptable. "

14. Le 2 février 2009, le requérant saisit la présidente du tribunal administratif de Lyon d'une demande en référé en application de l'article L521-1 du code de justice administrative. Il demandait la suspension de l'exécution de la sanction disciplinaire qui lui avait été infligée et la condamnation de l'État à lui verser 3 000 euros. Il exposait que ses conditions de détention en cellule disciplinaire étaient contraires à l'article 3 de la Convention et contestait la légalité de la décision.

15. Le 4 février 2009, l'Observatoire international des prisons (OIP) publia un communiqué concernant la situation du requérant dans lequel il était indiqué notamment :

" Depuis le 8 janvier 2009, un homme incarcéré au centre pénitentiaire de Saint-Quentin Fallavier est maintenu dans une cellule insalubre du quartier disciplinaire, du fait d'un incendie causé précédemment par un autre détenu. Sanctionné à quarante-cinq jours quatre jours plus tard, il doit pourtant y rester jusqu'au 22 février. (...)

L'hôpital Jules Courmont, en charge des soins dans la prison, a également confirmé à l'OIP par téléphone le 13 janvier 2009, qu'il y régnait une odeur " nauséabonde " depuis l'incendie causé par un détenu qui y avait été placé. Il précise qu'à l'issue d'une visite médicale, le changement de cellule de l'actuel occupant avait été immédiatement demandé. Cependant, les cinq cellules disciplinaires de la prison étant occupées en permanence, le déplacement demandé n'a pas été réalisé. "

16. Le tribunal administratif rendit une ordonnance le 10 février 2009. Il rejeta les demandes en considérant qu'aucun des moyens invoqués n'était de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée et que, dès lors, il n'était pas besoin de rechercher si la condition d'urgence était remplie.

17. Le 17 février 2009, le directeur du centre pénitentiaire de Saint Quentin-Fallavier adressa un courrier au Sénateur de l'Isère. Il se référait à la visite de la sénatrice David en date du 26 janvier 2009. Il indiquait que celle-ci avait été conduite au quartier disciplinaire où la cellule occupée par le requérant lui avait été présentée. Il précisait que cette cellule avait fait l'objet d'un incendie volontaire, le 1er janvier 2009 par le détenu qui l'occupait précédemment. Cette lettre se poursuivait comme suit :

" Madame David faisait état de son étonnement sur la cellule, dont les murs étaient noircis par le sinistre. Il est à noter que l'odeur nauséabonde qu'elle évoquait était nettement plus présente dans les coursives qu'au sein même de la cellule. Le détenu Plathey n'a par ailleurs à aucun moment manifesté son mécontentement ou sa gêne, ni par écrit, ni par voie orale.

Les services médicaux ont régulièrement visité le détenu, d'une manière quotidienne par du personnel infirmier à l'occasion de la distribution des traitements médicaux, et deux fois par semaine par le médecin de l'UCSA [l'unité de consultations et de soins ambulatoires]. A aucun moment, ces services ne relevaient une incompatibilité au maintien du détenu Plathey dans cette cellule disciplinaire.

Lors de l'incendie de la cellule, occasionné volontairement par le détenu S. le 1er janvier 2009, il était bien évidemment hors de question de placer un détenu dans cette cellule dans le cadre de la commission de discipline. Néanmoins, celle-ci avait été nettoyée en profondeur et les éléments de sécurité étaient tous en état de fonctionnement. (...) Seule la peinture était à revoir.

Cependant, le 8 janvier 2009, le détenu Plathey était découvert par le surveillant de son secteur en possession d'un téléphone portable. Refusant de le remettre au personnel, il portait un violent coup au personnel, lui occasionnant un arrêt de travail de quinze jours sans ITT. Sa mise en prévention avait été le seul moyen de mettre un terme à l'incident.

Au moment de cette mise en prévention, l'ensemble des autres cellules était occupé par des détenus dont le comportement au quotidien rendait leur sortie anticipée impossible au regard de la durée de la sanction leur restant à accomplir.

Dès que l'opportunité s'est présentée, le détenu Plathey était changé de cellule. (...) "

18. Un courrier rédigé dans les mêmes termes fut adressé le 19 mars 2009 par le Directeur de l'administration pénitentiaire au même sénateur.

19. Le 28 avril 2009, le requérant fut condamné par le tribunal de grande instance de Vienne à trois mois d'emprisonnement et cent euros de dommages et intérêts pour violences volontaires sur un fonctionnaire de l'administration pénitentiaire dans l'exercice de ses fonctions et détention d'un objet (téléphone portable) provenant d'un délit (remise illicite d'un objet non autorisé à un détenu).

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

20. Les principales dispositions applicables à la procédure disciplinaire en prison et les autres sources pertinentes en la matière sont mentionnées dans l'arrêt Payet c. France (n° 19606/08, §§ 29 à 37, 20 janvier 2011)

21. Le code de procédure pénale dispose en outre :

Article D250-3

" Le chef d'établissement ou un membre du personnel ayant reçu délégation écrite à cet effet peut, à titre préventif et sans attendre la réunion de la commission de discipline, décider le placement du détenu dans une cellule disciplinaire si les faits constituent une faute du premier ou du deuxième degré et si la mesure est l'unique moyen de mettre fin à la faute ou de préserver l'ordre à l'intérieur de l'établissement.

(...). Sa durée est limitée au strict nécessaire et ne peut excéder deux jours à compter de la date à laquelle les faits ont été portés à la connaissance du chef d'établissement. Le calcul de ce délai s'effectue conformément aux dispositions de l'article 801 du présent code.

La durée du placement s'impute sur celle de la sanction à subir lorsqu'est prononcée à l'encontre du détenu l'une des sanctions de cellule prévues aux 4o et 5o de l'article D. 251. "

Article D349

" L'incarcération doit être subie dans des conditions satisfaisantes d'hygiène et de salubrité, tant en ce qui concerne l'aménagement et l'entretien des bâtiments, le fonctionnement des services économiques et l'organisation du travail, que l'application des règles de propreté individuelle et la pratique des exercices physiques. "

Article 726 (tel qu'en vigueur jusqu'au 26 novembre 2009)

" Si quelque détenu use de menaces, injures ou violences ou commet une infraction à la discipline, il peut être enfermé seul dans une cellule aménagée à cet effet ou même être soumis à des moyens de coercition en cas de fureur ou de violence grave, sans préjudice des poursuites auxquelles il peut y avoir lieu. "

Article 726 (tel qu'en vigueur à compter du 26 novembre 2009)

" Le régime disciplinaire des personnes détenues placées en détention provisoire ou exécutant une peine privative de liberté est déterminé par un décret en Conseil d'État.

Ce décret précise notamment :

(...)

Lorsqu'une personne détenue est placée en quartier disciplinaire, ou en confinement, elle peut saisir le juge des référés en application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. "

22. Le code de justice administrative stipule notamment :

Article L521-1

" Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision.

Lorsque la suspension est prononcée, il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision dans les meilleurs délais. La suspension prend fin au plus tard lorsqu'il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision. "

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

23. Le requérant allègue que les conditions dans lesquelles il a été détenu en cellule disciplinaire étaient contraires aux dispositions des articles 3 et 8 de la Convention. Il se plaint plus particulièrement de l'odeur qui régnait dans la cellule dans laquelle il a été placé au quartier disciplinaire. La Cour examinera son grief sous l'angle de l'article 3 qui dispose :

" Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. "

A. Sur l'exception de non épuisement des voies de recours internes

24. Le Gouvernement soulève tout d'abord une exception tirée du non épuisement des voies de recours internes.

25. Il expose que le requérant n'a pas formé de référé-liberté, voie de recours qui permet de mettre un terme dans un délai extrêmement bref à toute atteinte de l'administration à une liberté fondamentale d'un détenu et qui lui aurait permis de contester la décision de sanction disciplinaire et les conditions d'exécution de cet acte.

26. Il ajoute que le requérant a saisi le tribunal administratif tardivement d'un recours pour excès de pouvoir et d'un référé-suspension. En effet, ces recours ont été introduits le 4 février 2009, alors que la décision était intervenue le 12 janvier 2009. Il souligne en outre qu'un grief tiré des conditions d'exécution d'une décision administrative ne peut prospérer à l'appui d'un recours se prononçant sur la légalité d'un tel acte. Par ailleurs, il fait observer que le requérant n'a pas saisi le Conseil d'État d'un recours contre l'ordonnance du 10 février 2009 par laquelle le juge du tribunal administratif a rejeté sa requête. Il fournit plusieurs décisions rendues par des juridictions administratives et statuant sur des demandes de référé-suspension, dont deux ont accueilli les demandes de détenus, l'une visant à suspendre des fouilles (Conseil d'État, 20 mai 2010, ministre d'État, garde des Sceaux, ministre de la Justice et des Libertés c/ M. Gutknecht), et l'autre à suspendre l'exécution d'une sanction disciplinaire infligée à un détenu psychologiquement fragile (Tribunal administratif de Grenoble, 16 décembre 2009, M. Hadji).

27. Le Gouvernement fait enfin valoir que le requérant n'a intenté devant les tribunaux administratifs aucune action indemnitaire pour le préjudice allégué.

28. Le requérant estime qu'il a épuisé toutes les voies de recours internes.

29. Il fait observer que la seule décision produite par le Gouvernement et qui a accueilli la demande d'un détenu placé en cellule disciplinaire est intervenue après la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 et qu'à la date à laquelle lui-même était détenu, aucune demande de référé-liberté n'avait été favorablement accueillie par le juge administratif.

30. Il ajoute que, compte tenu des délais dans lesquels le Conseil d'État statue, il n'aurait pu le faire avant l'expiration de la mesure contestée et précise que, compte tenu de ses conditions de détention et du fait qu'il n'avait pas d'avocat, il n'a pu déposer son référé-suspension plus rapidement.

31. La Cour rappelle que la finalité de l'article 35 § 1 de la Convention est de ménager aux États contractants l'occasion de prévenir ou de redresser les violations alléguées contre eux avant que ces allégations ne soient soumises à la Cour. Les États n'ont donc pas à répondre de leurs actes devant un organisme international avant d'avoir eu la possibilité de redresser la situation dans leur ordre juridique interne (voir, par exemple, Remli c. France, 23 avril 1996, § 33, Recueil 1996-II, et Selmouni c. France [GC], n° 25803/94, § 74, CEDH 1999-V). Dans le cadre de l'article 35 § 1 de la Convention, un requérant doit se prévaloir des recours normalement disponibles et suffisants pour lui permettre d'obtenir réparation des violations qu'il allègue. Ces recours doivent exister aÌ un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l'effectivité et l'accessibilité (voir (Tãnase c. Moldova [GC], n° 7/08, § 20, CEDH 2010 ...).

32. En l'espèce, la Cour doit déterminer si les moyens dont le requérant disposait en droit français pour se plaindre de ses conditions de détention en cellule disciplinaire étaient " effectifs " en ce sens qu'ils auraient pu empêcher la survenance ou la continuation de la violation alléguée ou auraient pu fournir à l'intéressé un redressement approprié pour toute violation s'étant déjà produite (mutatis mutandis, Kud³a c. Pologne [GC], n° 30210/96, § 158, CEDH 2000 XI, Stegarescu et Bahrin c. Portugal, n° 46194/06, §§ 46 et 49, 6 avril 2010 et Payet, précité, § 10.).

33. Elle note que le requérant a été détenu en cellule disciplinaire du 8 janvier au 22 février 2009.

34. La Cour constate que le référé-liberté pour les personnes placées en cellule disciplinaire auquel le Gouvernement se réfère a été introduit par la loi du 26 novembre 2009, qui a modifié l'article 726 du code de procédure pénale, postérieurement à la période pendant laquelle le requérant était placé en cellule disciplinaire.

35. Elle relève par ailleurs que le requérant déposa le 2 février 2009 un recours en référé-suspension devant le juge administratif, recours qui fut rejeté par le tribunal administratif de Lyon le 10 février suivant.

Quant à l'argument du Gouvernement tiré du fait que le requérant n'a pas exercé de recours devant le Conseil d'État contre cette ordonnance, la Cour relève que, parmi les décisions fournies par le Gouvernement, seules deux ont donné gain de cause aux appelants et une seulement concernant un placement en cellule disciplinaire d'un détenu psychologiquement fragile. Dès lors, elle estime que ce recours ne peut être considéré comme efficace et devant être utilisé.

36. Quant à la procédure indemnitaire à laquelle se réfère le Gouvernement, la Cour note qu'elle n'était pas susceptible de prospérer avant l'exécution de la sanction disciplinaire infligée au requérant, immédiatement exécutable.

37. Dans ces conditions, la Cour estime que le requérant a épuisé les voies de recours internes à sa disposition et rejette l'exception soulevée par le Gouvernement.

38. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

39. Le requérant expose que la dureté du traitement auquel il a été soumis, au regard des conditions matérielles affectant la cellule où il a été placé, notamment du fait de l'incendie qui l'avait touchée peu de temps auparavant, constitue un traitement inhumain et dégradant au sens de l'article 3 de la Convention. Il expose que le détenu qui est placé en cellule disciplinaire est privé de toute activité, confiné 23 heures sur 24 dans sa cellule et privé de télévision et de radio.

40. Il ajoute qu'au vu de ces conditions, le médecin de la prison demanda en vain à l'administration pénitentiaire qu'il soit procédé à un changement de cellule et se réfère sur ce point à un communiqué de l'OIP du 4 février 2009. Il souligne qu'il n'était pas nécessaire que l'administration soit informée par les soignants, puisque l'ensemble des personnels pénitentiaires se trouvant à proximité de sa cellule pouvaient constater que les conditions dans lesquelles il était incarcéré étaient impropres à l'habitation, surtout sans possibilité d'en sortir plus d'une heure par jour.

41. Il estime par ailleurs que le Gouvernement a conditionné le respect des stipulations de l'article 3 aux nécessités du maintien de la discipline et de l'ordre.

42. Le Gouvernement souligne que, dès que cela a été possible, le requérant a été placé dans une cellule différente de celle qui avait été incendiée. Les conditions de détention dans cette nouvelle cellule étaient celles qui prévalent en général au quartier disciplinaire et rien, selon lui, ne permet de croire qu'un traitement contraire à l'article 3 pourrait être constaté concernant cette période.

43. Il ne conteste toutefois pas que pendant vingt-huit jours, du 8 janvier au 5 février 2009, le requérant a été détenu dans une cellule qui avait été incendiée le 1er janvier 2009. Il expose que le placement du requérant dans une autre cellule était impossible, compte tenu du fait que toutes les autres cellules du quartier disciplinaire étaient occupées par des détenus qui ne pouvaient être déplacés.

Le Gouvernement indique que la cellule avait été intégralement nettoyée le 7 janvier 2009 et que le personnel s'était assuré du bon fonctionnement des éléments de sécurité. Il ajoute qu'il restait à repeindre les murs et le plafond.

Quant à l'odeur " nauséabonde " évoquée par la sénatrice David lors de sa visite (voir § 13 ci-dessus), le Gouvernement souligne que dans un courrier du 6 février 2009, le directeur de la prison précisa au sénateur de l'Isère que celle-ci était nettement plus présente dans les coursives que dans la cellule elle-même (voir § 17 ci-dessus).

44. Pour ce qui est du communiqué de l'OIP produit par le requérant et mentionnant " qu'à l'issue d'une visite médicale, le changement de cellule de l'actuel occupant avait été préconisé ", le Gouvernement précise qu'aucune demande écrite de cette nature formulée par l'équipe médicale n'a été enregistrée. Il ajoute que les occasions de constater la supposée insalubrité de la cellule ont été nombreuses puisqu'entre le 9 janvier et le 3 février 2009, le médecin a effectué huit visites au quartier disciplinaire.

45. Le Gouvernement fait encore observer que le requérant lui-même n'a à aucun moment demandé au personnel de l'établissement à changer de cellule en raison des odeurs. Il souligne que le requérant n'a mentionné ce fait qu'à deux reprises, dans son recours hiérarchique du 21 janvier 2009 dirigé contre la décision de sanction et le 2 février suivant dans son référé-suspension devant le tribunal administratif.

46. Le Gouvernement en conclut que, s'il est manifeste que le requérant a subi un désagrément pendant vingt-huit jours du fait des conditions de sa détention, le seuil de l'article 3 de la Convention n'a pas été franchi en l'espèce.

47. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante, pour tomber dans le champ d'application de l'article 3, un traitement doit atteindre un minimum de gravité. L'appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l'ensemble des données de la cause et notamment de la nature et du contexte du traitement, de ses modalités d'exécution, de sa durée, de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l'âge et de l'état de santé de la personne concernée (Peers c. Grèce, n° 28524/95, § 67, CEDH 2001-III ; Kud³a c. Pologne [GC], n° 30210/96, § 91, CEDH 2000 XI).

48. En ce qui concerne les personnes privées de liberté, l'article 3 impose à l'État l'obligation de s'assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui respectent la dignité humaine et que les modalités d'exécution de la peine d'emprisonnement ne soumettent pas l'intéressé à une détresse ou une épreuve d'une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention que, eu égard aux exigences pratiques de l'emprisonnement, sa santé et son bien-être sont assurés de manière adéquate (Kud³a c. Pologne [GC], précité, §§ 92-94 ; Ramirez Sanchez c. France [GC], n° 59450/00, § 119, CEDH 2006 IX ; Kalachnikov c. Russie, n° 47095/99, § 95, CEDH 2002 VI et Rahimi, n° 8687/08, §§ 60, 5 avril 2011). Lorsque la Cour examine la conformité des conditions de détention aux exigences de l'article 3 de la Convention, elle doit prendre en compte leurs effets cumulatifs ainsi que les allégations spécifiques du requérant (Dougoz c. Grèce, n° 40907/98, § 46, CEDH 2001 II).

49. La Cour rappelle que les allégations de traitements contraires à l'article 3 doivent être prouvées " au-delà de tout doute raisonnable " et que la preuve de ces traitements peut également résulter d'un faisceau d'indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants (Farbtuhs c. Lettonie, n° 4672/02, § 54, 2 décembre 2004). Dans l'établissement des faits pertinents, la Cour doit s'appuyer sur l'ensemble des éléments de preuve fournis par les parties ou qu'elle s'est, au besoin, procurés d'office (ibidem).

50. La Cour note que le requérant se plaint de la forte odeur de brûlé qui régnait dans la cellule disciplinaire dans laquelle il a été incarcéré.

51. Elle rappelle qu'elle a déjà été amenée à se prononcer sur des griefs relatifs aux mauvaises odeurs régnant dans des cellules.

Ainsi, dans l'affaire Poltoratski c. Ukraine (n° 38812/97, § 145, CEDH 2003 V), le requérant fut enfermé, pendant un mois, dans une cellule ne comportant ni robinet ni évier, mais seulement un petit tuyau fixé au mur, près des toilettes, qui ne pouvait être actionné que depuis le couloir, les murs de cette cellule étant couverts d'excréments et le seau destiné à la vidange des toilettes ayant été enlevé.

Dans l'affaire Gagiu c. Roumanie (n° 63258/00, §§ 25 et 78, 24 février 2009), le requérant était obligé d'utiliser des toilettes " non protégées " et compte tenu de la taille de la cellule, il devait le faire à proximité d'autres détenus et était présent lorsque ses compagnons de cellule les utilisaient à leur tour.

Dans l'affaire Rahimi c. Grèce (précité, §§ 82 et 83), le requérant était détenu dans un centre où plus de cent personnes utilisaient deux toilettes, les sanitaires fuyaient et où le bureau d'Athènes du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés avait constaté l'odeur nauséabonde qui régnait dans les locaux et l'écoulement d'eau sur le sol.

52. Elle constate que dans la présente affaire, il n'est pas contesté que le requérant a été détenu pendant vingt-huit jours, vingt-trois heures sur vingt quatre, au quartier disciplinaire dans une cellule qui avait été entièrement incendiée une semaine auparavant. Elle note également qu'une sénatrice qui a visité cette cellule le 26 janvier 2009, soit vingt-cinq jours après l'incendie et dix-sept jours après que le requérant y eut été placé, a constaté qu'il y régnait une " odeur très forte, à la limite de la suffocation ". La présence de cette forte odeur n'a pas été contestée par les autorités, puisque dans son courrier du 17 février 2009, le directeur du centre pénitentiaire indiquait que lors de l'incendie de la cellule le 1er janvier 2009, " il était bien évidemment hors de question de placer un détenu dans cette cellule dans le cadre de la commission de discipline ". Il ajoutait que " l'odeur nauséabonde " mentionnée par la sénatrice était nettement plus présente dans les coursives que dans la cellule ".

Pourtant, le requérant y fut placé une semaine plus tard, en raison du manque allégué de cellules disciplinaires disponibles. Le directeur du centre pénitentiaire précisait encore dans son courrier que " dès que l'opportunité s'est présentée ", le requérant a été changé de cellule, ce qui ne saurait avoir été fait sans raison.

53. En revanche, les parties ne s'accordent pas sur le fait de savoir si un médecin a demandé que le requérant soit changé de cellule. La Cour relève sur ce point que le requérant se réfère à un communiqué de l'OIP indiquant qu'à l'issue d'une visite médicale, le changement de cellule a été immédiatement demandé, alors que le Gouvernement indique qu'aucune demande de ce genre n'a été enregistrée (voir §§ 41 et 45 ci-dessus).

La Cour constate que, d'après les documents produits par le Gouvernement, huit visites du médecin ont eu lieu pendant la période où le requérant était dans cette cellule. Or, aucune demande de changement de cellule émanant d'un médecin ne figure au dossier.

54. Elle observe toutefois que, s'il ne ressort pas non plus du dossier que le requérant ait demandé aux autorités de la prison à changer de cellule en invoquant le fait qu'il souffrait de la mauvaise qualité de l'air dans sa cellule, l'odeur nauséabonde de celle-ci figurait bien parmi ses arguments dans le recours hiérarchique adressé au directeur de la prison contre la décision de la commission de discipline (voir § 12 ci-dessus), de même que dans son référé-suspension (voir § 14 ci-dessus).

55. Par ailleurs, il ressort des termes mêmes du courrier du directeur du centre de détention du 17 janvier 2009 que les autorités administratives étaient parfaitement conscientes de la situation.

56. Or, il n'est pas contestable que le requérant a subi de fortes nuisances en raison du fait que sa cellule avait été incendiée peu de temps avant qu'il y soit placé et qu'une forte odeur de brûlé persistait plusieurs semaines après l'incendie.

57. Dès lors, la Cour estime que les conditions dans lesquelles le requérant a été détenu dans cette cellule vingt-trois heures sur vingt-quatre portent atteinte à la dignité humaine et constituent un traitement dégradant.

Partant, il y a eu violation de l'article 3 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

58. Le requérant expose que la décision de la commission de discipline est intervenue en violation des règles du procès équitable posées par l'article 6 § 1 de la Convention et que cet organe n'est ni indépendant ni impartial.

L'article 6 § 1 dispose notamment :

" Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. "

A. Arguments des parties

59. Le Gouvernement estime que la procédure disciplinaire ne relève pas du domaine pénal et se réfère à la jurisprudence de la Cour en la matière. Il expose que les faits du 8 janvier 2010 revêtaient deux qualifications distinctes et que le requérant a fait l'objet de deux procédures, l'une disciplinaire et l'autre pénale, qui a abouti à sa condamnation du 28 avril 2009.

Il ajoute que les sanctions disciplinaires prévues par le code de procédure pénale français n'entraînent pas automatiquement d'allongement de la peine prononcée par la juridiction.

60. Le Gouvernement en conclut que les sanctions disciplinaires prononcées dans le cadre d'un établissement pénitentiaire ne relèvent pas de la sanction pénale mais sont des actes de gestion administrative et que ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention.

61. Le requérant expose que, contrairement à ce que soutient le Gouvernement, le prononcé d'une sanction de placement au quartier disciplinaire entraîne le retrait de réduction de peine sur le fondement de l'article 721 du code de procédure pénale.

Il ajoute que l'administration pénitentiaire française reconnaît elle-même, dans certaines publications, que la mise en conformité du régime disciplinaire avec les exigences de l'article 6 § 1 est inéluctable et nécessaire.

B. Appréciation de la Cour

62. Pour déterminer si l'article 6 § 1 s'applique sous son volet pénal, la Cour doit tenir compte des trois critères alternatifs énoncés dans l'affaire Engel et autres c. Pays-Bas (arrêt du 8 juin 1976, §§ 82-83, série A n° 22), tels qu'appliqués au contexte carcéral dans l'affaire Campbell et Fell c. Royaume-Uni (28 juin 1984, §§ 68-69, série A n° 80) : la qualification interne de l'infraction, la nature de l'accusation et enfin la nature et le degré de sévérité de la sanction.

63. Dans la présente affaire, la Cour relève en premier lieu que l'infraction en question concernait un détenu. Ce n'est toutefois qu'une indication parmi d'autres pour apprécier la nature de l'infraction (Campbell et Fell, précité, § 71).

64. Elle note ensuite qu'il ne prête pas à controverse que les faits reprochés au requérant, notamment les violences volontaires sur un fonctionnaire de l'administration pénitentiaire dans l'exercice de ses fonctions et la détention d'un objet provenant d'un délit (voir § 19 ci dessus), correspondent à une infraction réprimée par le droit pénal général, le requérant ayant d'ailleurs été condamné pour ces faits par le tribunal de grande instance de Vienne.

65. Dans l'affaire Campbell et Fell (arrêt précité, § 71), la Cour a suggéré que la possibilité, même " en théorie ", que les actes litigieux fassent l'objet de poursuites tant au pénal que sur le terrain disciplinaire pouvait constituer un facteur pertinent pour apprécier la nature d'une infraction, indépendamment de la gravité de celle-ci. En conséquence, même en tenant compte du contexte carcéral dans lequel les accusations ont été portées, la possibilité théorique d'une responsabilité à la fois pénale et disciplinaire est pour le moins un élément pertinent militant en faveur d'une qualification " mixte " desdites infractions.

La Cour estime donc qu'il s'impose de passer au troisième critère : la nature et le degré de sévérité de la sanction imposée au requérant (Engel et autres, § 82, et Campbell et Fell, § 72, précités).

66. Dans la présente affaire, la base légale de la privation de liberté du requérant était constituée de ses différentes condamnations initiales par les juridictions judiciaires. Bien que la sanction disciplinaire ait ajouté un élément nouveau, la détention en cellule disciplinaire, il n'a pas été démontré qu'elle ait en aucune manière allongé la durée de la détention du requérant. Dès lors, la Cour considère que la sanction imposée au requérant n'était pas d'une nature et d'une gravité qui la fassent ressortir à la sphère pénale (voir, a contrario, Campbell et Fell, précité, § 72 ; Ezeh et Connors, précité, §§ 128-129, Štitiæ c. Croatie, n° 29660/03, § 56, 8 novembre 2007 et Payet, précité, § 98).

67. Dans les circonstances de la cause, la Cour estime donc que la nature des charges à l'encontre du requérant ainsi que la nature et le degré de gravité de la sanction ne permettent pas de conclure que celui-ci a fait l'objet d'accusations en matière pénale au sens de l'article 6 de la Convention. Dès lors, ce dernier n'est pas applicable à la procédure disciplinaire en cause.

68. Il s'ensuit que ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l'article 35 § 3 a) et doit être rejeté en application de l'article 35 § 4.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 13 COMBINE AVEC L'ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

69. Le requérant se plaint également de n'avoir pas pu, avant l'expiration de l'exécution de la sanction de placement au quartier disciplinaire, faire examiner le bien-fondé du moyen tiré de la violation de l'article 3 de la Convention. Il invoque sur ce point une violation de l'article 13 de la Convention qui dispose :

" Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. "

A. Sur la recevabilité

La Cour constate que cette partie de la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu'elle ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

70. Le requérant expose qu'il n'a pu former de recours effectif avant la fin de l'exécution de la sanction disciplinaire prise à son encontre.

71. Le Gouvernement ne se prononce pas sur ce point.

72. La Cour rappelle que l'article 13 de la Convention garantit l'existence en droit interne d'un recours permettant de se prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu'ils peuvent s'y trouver consacrés ; cette disposition a donc pour conséquence d'exiger un recours interne habilitant à examiner le contenu d'un " grief défendable " fondé sur la Convention et à en offrir le redressement. La portée de l'obligation que l'article 13 fait peser sur les États contractants varie en fonction de la nature du grief du requérant ; toutefois, le recours exigé par l'article 13 doit toujours être " effectif " en pratique comme en droit. L' " effectivité " d'un " recours " au sens de l'article 13 ne dépend pas de la certitude d'une issue favorable pour le requérant. En outre, l'ensemble des recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences de l'article 13, même si aucun d'eux n'y répond en entier à lui seul (voir, parmi de nombreux autres, Èonka c. Belgique, 5 février 2002, n° 51564/99, CEDH 2002-I, §§ 75-76; Ramirez Sanchez précité, §§ 157-159; Gebremedhin [Gaberamadhien] c. France, n° 25389/05, § 53, CEDH 2007 V et Khider, précité, § 138). Par ailleurs, le fait que la Cour ait estimé que l'article 3 n'avait pas été violé concernant les certaines mesures de sécurité imposées à un détenu ne signifie pas que son grief n'était pas défendable (voir mutatis mutandis Schemkamper c. France, n° 75833/01, §§ 41-42, 18 octobre 2005).

73. La Cour considère que l'effectivité des recours exigés par l'article 13 suppose qu'ils puissent empêcher l'exécution des mesures contraires à la Convention et dont les conséquences sont potentiellement irréversibles (voir, mutatis mutandis, Jabari c. Turquie, n° 40035/98, § 50, CEDH 2000 VIII, § 50). En conséquence, l'article 13 s'oppose à ce que pareilles mesures soient exécutées avant même l'issue de l'examen par les autorités nationales de leur compatibilité avec la Convention. Toutefois, les États contractants jouissent d'une certaine marge d'appréciation quant à la manière de se conformer aux obligations que leur fait l'article 13 (Èonka, précité § 79 et Payet, précité, § 129).

74. Il reste à la Cour à déterminer si les moyens dont le requérant disposait en droit français pour se plaindre de ses conditions de détention en cellule disciplinaire étaient " effectifs " en ce sens qu'ils auraient pu empêcher la survenance ou la continuation de la violation alléguée ou auraient pu fournir à l'intéressé un redressement approprié pour toute violation s'étant déjà produite (mutatis mutandis, Kud³a c. Pologne [GC], n° 30210/96, § 158, CEDH 2000 XI, et Stegarescu et Bahrin c. Portugal, n° 46194/06, §§ 46 et 49, 6 avril 2010).

75. La Cour rappelle que le requérant fut détenu en cellule disciplinaire pendant une période de quarante-cinq jours ; pour être effectif au sens de l'article 13 de la Convention, un recours interne devait donc présenter des garanties minimales de célérité.

76. Or, elle constate que si un recours est prévu par l'article D 250-5 du code de procédure pénale, celui-ci n'est pas suspensif, alors que la sanction de mise en cellule disciplinaire est généralement immédiatement mise à exécution, ce qui a été le cas dans la présente affaire puisque le requérant avait été placé en cellule disciplinaire quatre jours avant le prononcé de la sanction (voir §§ 6 et 9 ci-dessus). Elle note encore que le directeur interrégional des services pénitentiaires doit être saisi préalablement à tout autre recours et qu'il dispose d'un délai d'un mois pour statuer. Ce n'est qu'après ce recours préalable que le tribunal administratif peut être saisi.

En l'espèce, le requérant n'obtint pas qu'un juge se prononce sur les conditions dans lesquelles il était détenu en cellule disciplinaire avant la fin de l'exécution de la sanction, puisque le juge administratif statua le 10 février 2009 uniquement sur la légalité de la décision de placement (voir § 16).

77. Elle relève encore que le recours de référé-liberté pour les détenus placés en cellule disciplinaire a été introduit dans le code de procédure pénale par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, soit après que le requérant ait exécuté sa sanction disciplinaire.

78. A cet égard, la Cour rappelle qu'un recours inapte à prospérer en temps utile n'est ni adéquat ni effectif (voir, mutatis mutandis, Pine Valley Developments Ltd. et autres c. Irlande, 29 novembre 1991, série A n° 222, § 47 ; Podkolzina c. Lettonie (déc.), n° 46726/99, 8 février 2001, Kadiíis c. Lettonie (n° 2), n° 62393/00, § 62, 4 mai 2006 et Payet, précité, § 133). Partant, elle est d'avis que, compte tenu de l'importance des répercussions d'une détention en cellule disciplinaire, un recours effectif permettant au détenu de contester aussi bien la forme que le fond, et donc les motifs et les modalités d'exécution, d'une telle mesure devant une instance juridictionnelle est indispensable.

79. Eu égard à ce qui précède, la Cour considère qu'en tout état de cause, le requérant n'a pas eu à sa disposition, un recours effectif lui permettant d'obtenir qu'un juge statue sur les conditions de sa détention en cellule disciplinaire avant la fin de l'exécution de sa sanction.

Partant, il y a lieu de conclure à la violation de l'article 13 combiné à l'article 3 de la Convention.

IV. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

80. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

" Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. "

A. Dommage

81. Le requérant réclame 30 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu'il aurait subi pendant sa détention en cellule disciplinaire. Il ajoute que cette situation n'a perduré qu'en raison de l'absence d'examen de sa situation par un juge.

82. Le Gouvernement estime que cette demande est excessive. Se référant à la jurisprudence de la Cour, il expose qu'une somme de 500 euros pourrait, le cas échéant, réparer les préjudices subis par le requérant.

83. La Cour considère que les circonstances qui l'ont conduite à conclure en l'espèce à la violation des articles 3 et 13 de la Convention sont de nature à avoir causé un inconfort certain chez le requérant. Dès lors, il y a lieu d'octroyer au requérant 9 000 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

84. Le requérant ne demandant pas le remboursement des frais et dépens exposés, il n'y a pas lieu de lui allouer de somme à ce titre

C. Intérêts moratoires

85. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l'article 3 et de l'article 13 combiné à l'article 3 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 3 de la Convention concernant les conditions de détention en cellule disciplinaire;

3. Dit qu'il y a eu violation de l'article 13 combiné à l'article 3 de la Convention ;

4. Dit :

a) que l'État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 9 000 EUR (neuf mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;

b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 novembre 2011, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Claudia Westerdiek, Greffière

Dean Spielmann, Président

Agir sur cette sélection :

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus