Jurisprudence : CEDH, 20-10-2011, Req. 25001/07, STASI c/ FRANCE

CEDH, 20-10-2011, Req. 25001/07, STASI c/ FRANCE

A8471HYE

Référence

CEDH, 20-10-2011, Req. 25001/07, STASI c/ FRANCE. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/5616185-cedh-20102011-req-2500107-stasi-c-france
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Abstract

Dans un arrêt du 20 octobre 2011, la Cour européenne a jugé que le droit français assurait au requérant -détenu homosexuel- une protection effective et suffisante contre les atteintes à son intégrité physique et que les autorités pénitentiaires avaient pris toutes les mesures nécessaires pour le protéger.



CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE STASI c. FRANCE

(Requête n° 25001/07)

ARRÊT

STRASBOURG

20 octobre 2011

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l'affaire Stasi c. France,

La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Dean Spielmann, président,

Jean-Paul Costa,

Karel Jungwiert,

Boštjan M. Zupanèiè,

Mark Villiger,

Isabelle Berro-Lefèvre,

Angelika Nußberger, juges,

et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 27 septembre 2011,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (n° 25001/07) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Vincent Stasi (" le requérant "), a saisi la Cour le 11 juin 2007 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (" la Convention ").

2. Le requérant est représenté par Me M. Geiger, avocat à Carpentras. Le gouvernement français (" le Gouvernement ") a été représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3. Le requérant allégue en particulier avoir été victime en détention de traitements inhumains et dégradants de la part d'autres détenus, et estime que les autorités n'ont pas pris les mesures nécessaires pour l'en protéger.

4. Le 9 décembre 2009, le président de la cinquième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1955 et réside à Lyon. Il a été incarcéré à la maison d'arrêt de Saint-Paul à Lyon, puis à la maison d'arrêt de Villefranche-sur-Saône.

A. Les procédures pénales à l'encontre du requérant

6. Mis en examen des chefs d'abus de confiance, escroquerie, vol et usage de chèque contrefait ou falsifié, le requérant fut placé en détention provisoire à la maison d'arrêt de Saint-Paul le 29 octobre 2003. Le 4 novembre 2003, il fut transféré à la maison d'arrêt de Villefranche sur Saône où il fut détenu jusqu'au 28 février 2004, date de sa remise en liberté sous contrôle judiciaire.

7. Par jugement du 25 janvier 2006 rendu par défaut, le tribunal correctionnel de Lyon le condamna à deux ans d'emprisonnement, ainsi qu'à des dommages-intérêts aux parties civiles. Sur opposition du requérant, le tribunal, par jugement du 27 juin 2006, constata qu'il ne comparaissait pas et déclara son opposition nulle et non avenue. En conséquence, le jugement du 25 janvier 2006, signifié au requérant le 25 janvier 2007, fut mis à exécution à compter du 6 mars 2007.

8. Dans le cadre d'une seconde information judiciaire pour abus de confiance, escroquerie, faux et usage de faux, vols, contrefaçon ou falsification de chèque et usage, le requérant fut mis en examen et placé en détention provisoire le 27 juillet 2006 à la maison d'arrêt de Villefranche sur-Saône. Par jugement du 11 juin 2007, le tribunal correctionnel le condamna à trois ans d'emprisonnement, dont dix-huit mois avec sursis, ainsi qu'à des dommages-intérêts à la partie civile. Il exécuta cette seconde peine à la suite de la première dans le même établissement, et fut libéré le 18 octobre 2008.

B. Les conditions de détention du requérant

1. Première période de détention

9. Dans un entretien au journal Libération après sa libération (voir paragraphe 30 ci-dessous), le requérant a révélé que, lors de son incarcération à la maison d'arrêt de Saint-Paul le 29 octobre 2003, il avait été violé par ses codétenus. Transféré le 4 novembre 2003 à la maison d'arrêt de Villefranche-sur-Saône, il fut ensuite hospitalisé du 13 au 19 janvier 2004, avant d'être mis en liberté sous contrôle judiciaire le 28 février 2004. Il dit ne pas avoir porté plainte par peur de représailles.

2. Seconde période de détention

10. Lors de son arrivée à la maison d'arrêt de Villefranche-sur-Saône, le requérant fit état de son homosexualité et des viols qu'il avait subi lors de sa précédente détention. Le directeur de la prison lui déconseilla le placement à l'isolement, en raison de sa vulnérabilité. Il fut en conséquence placé seul en cellule à un étage de l'établissement accueillant des détenus dit fragiles.

11. Le requérant dit avoir fait l'objet d'insultes de codétenus lorsqu'il se rendait aux douches en raison de son homosexualité, et avoir ensuite décidé de ne plus prendre de douches et de se laver en cellule.

12. Il resta seul en cellule, à l'exception de la période du 26 février 2007 au 18 mars 2007, où il dut la partager avec un autre détenu, P., qui venait d'arriver à la maison d'arrêt. En réponse à une demande d'explications de la juge d'instruction chargée du dossier du requérant, le directeur de l'établissement répondit, par lettre du 22 mars 2007, que cette décision avait été prise en raison de l'augmentation du nombre des détenus. Il joignit le compte-rendu de la responsable du bâtiment, qui exposait que compte-tenu du profil de P., incarcéré pour la première fois, qui ne pouvait être affecté à un autre étage, ne voulait pas partager la cellule de détenus mis en examen dans des affaires de mœurs et était non fumeur, il s'était agi du seul choix possible, comme elle en avait informé le requérant le 7 février 2007. Le directeur précisa :

" Le service médical et les services de détention sont bien au fait de la situation de Stasi, mais aucun argument d'urgence ou de sécurité ne nécessite à ce jour qu'il soit placé hors régime détention classique. "

13. Le requérant expose avoir été victime de mauvais traitements de la part de P. en raison de son homosexualité pendant qu'ils partageaient la cellule du 26 février 2007 au 18 mars 2007 : P. l'aurait frappé, brûlé entre le pouce et l'index, forcé à porter une étoile rose et aurait mangé ses repas. Il l'aurait également forcé à rester dans la cellule pour cacher les traces des coups.

14. Le 6 avril 2007, le médecin de l'unité de consultations et de soins ambulatoires (UCSA) de la prison vit le requérant en consultation et établit un certificat médical qu'il lui remit, faisant état de volumineux hématomes à l'arrière de la cuisse gauche et au-dessus du genou droit, ainsi que d'un hématome plus ancien en haut du bras droit, et d'une perte de poids de six kg. Selon le certificat, l'état du requérant justifiait une incapacité temporaire totale (ITT) de huit jours du fait de son trouble psychologique réactionnel. Le requérant ne transmit pas ce certificat à l'administration pénitentiaire, mais l'adressa au juge d'application des peines en décembre 2007.

15. Le 8 juillet 2007, le surveillant s'inquiéta de voir que le requérant était allongé sur son lit depuis le matin et paraissait faible. Il lui répondit qu'il mangeait peu, qu'il était végétarien et préférait s'acheter à manger. Le 9 juillet 2007, le surveillant demanda à l'infirmière de voir le requérant en consultation. Il indiqua à cette dernière avoir pris une quantité importante de Lexomil (médicament anxiolytique) et vouloir se suicider, mais refusa de voir un psychologue. Vu son état et sa capacité à suivre une conversation, qui ne semblait pas compatible avec la quantité de médicaments qu'il disait avoir prise, l'infirmière décida de ne pas le faire transférer au service médical. Il fut vu le même jour par la responsable du bâtiment, à laquelle il confirma avoir voulu se suicider.

16. Le 9 juillet 2007, la juge d'instruction appela la directrice adjointe de la maison d'arrêt pour l'informer avoir reçu un courrier du requérant contenant son testament. La directrice adjointe décida d'inscrire le requérant sur la liste des détenus présentant des risques de suicide. Son retrait de cette liste fut décidé le 26 juillet 2007, après avis de la commission prévention suicide.

17. Le requérant fut vu en consultation le 10 juillet 2007 par le médecin de l'UCSA, qui lui proposa une prise en charge psychiatrique, qu'il accepta. Il vit le médecin psychiatre de l'USCA les 11 et 18 juillet 2007.

18. Le 31 juillet 2007, en réponse à un soit-transmis du procureur de la République du 23 juillet précédent, le directeur de la maison d'arrêt lui rendit compte de ces événements. Il conclut ainsi :

" Ainsi, (si) les différents éléments permettent d'affirmer que Stasi Vincent présentait une baisse de moral, assimiler (son) état de santé à une tentative de suicide ne paraissait pas opportun. Il était impossible de déterminer si son état de santé était dû à une carence alimentaire ou à une ingestion de médicaments, ingestion qui n'avait, à aucun moment, entraîné une perte de connaissance et qui n'avait pas nécessité une prise en charge médicale. Néanmoins, en raison de la survenance de ces événements, la directrice adjointe décidait l'inscription de Vincent Stasi sur la liste des détenus présentant des risques de suicide. Depuis cet incident, Vincent Stasi ne s'est pas manifesté auprès de l'encadrement. Le détenu refuse toujours la mise en place d'un suivi psychologique. Son retrait de la liste prévention suicide a été décidé le 26 juillet. "

19. Le 6 novembre 2007, alors qu'il se rendait à l'étage des travailleurs sociaux, le requérant fut poussé dans les escaliers par un détenu non identifié et fut blessé à la jambe droite. Le certificat médical établi le 4 décembre 2007 par le médecin de l'UCSA mentionnait des hématomes importants à la jambe droite, dont le requérant gardait encore des traces, et précisait que son état ne nécessitait pas d'ITT.

20. Le requérant indique qu'à cette époque, une rumeur le présentait comme un policier infiltré ou un indicateur, et qu'un codétenu l'aurait menacé. Le 31 janvier 2008, ledit détenu lui écrasa une cigarette sous l'œil gauche. Un certificat médical du 2 février indique une brûlure de cigarette sur le bord externe de l'œil gauche, ainsi qu'un trouble psychologique réactionnel avec quatre jours d'ITT. Le requérant se plaignit à l'administration de la maison d'arrêt.

21. Le lieutenant pénitentiaire D, responsable du bâtiment, reçut le 4 février 2008 le requérant. Elle décida de le changer de cellule et de mettre en place un suivi particulier, en le faisant accompagner par un surveillant dans ses déplacements et en lui permettant d'accéder seul aux douches. L'enquête menée par les autorités pénitentiaires ne permit pas d'identifier le détenu responsable, faute de coopération du requérant.

22. Le 3 mars 2008, le requérant adressa une lettre à la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l'Égalité (HALDE) pour se plaindre des violences et injures subies à la maison d'arrêt en raison de son orientation sexuelle. Par lettre du 7 mai suivant, la HALDE lui répondit que les faits dénoncés relevaient a priori de la compétence du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, dont les services n'étaient pas encore en fonctionnement, et lui proposa, avec son autorisation, de saisir l'inspection des services pénitentiaires. Le requérant ne donna pas suite à cette proposition.

23. Le requérant indique avoir été frappé dans les douches le 5 août 2008 par un codétenu en présence d'un surveillant. Un certificat médical du 9 août 2008 mentionne un hématome sous-orbitaire et une décompensation névrotique, sans ITT. Selon les informations données par le Gouvernement, deux incidents se sont produits dans les douches en août 2008. Le premier, intervenu le 5 août 2008 en présence d'un surveillant, a consisté en un vif échange verbal entre un détenu et le requérant. Lors de l'autre incident, intervenu quelques jours plus tard, un détenu aurait frappé le requérant hors de la vue du surveillant, sans qu'il soit possible de l'identifier.

24. Après la mise en place par l'administration pénitentiaire, dans le bâtiment où le requérant était affecté, d'un régime différencié pour les détenus condamnés à une peine de moins de dix-huit mois de prison, sa situation fut examinée par la commission opérationnelle pluridisciplinaire (COP) en mai 2008. Il fut informé que, pour bénéficier du régime mis en place et rester au 3e étage du bâtiment, il devrait préparer activement sa sortie, mettre en place un bilan d'orientation et d'évaluation avec le service de l'emploi et de la formation, s'inscrire au groupe de parole animé par le service médical, et que sa situation serait examinée de nouveau au bout de deux mois.

25. Compte tenu du bilan effectué début août 2008, faisant état de la passivité du requérant dans sa démarche d'insertion, la COP prit acte de son affectation au rez-de-chaussée du bâtiment.

26. Pour protester contre ce changement, le requérant entama une grève de la faim le 9 août 2008. Une nouvelle affectation lui fut proposée dans une aile dite protégée d'un autre bâtiment, qu'il refusa également. Sa grève de la faim fit l'objet d'un compte-rendu quotidien de l'administration pénitentiaire et d'un suivi médical régulier.

27. Le 15 septembre 2008, le requérant accepta son transfert au 1e étage du bâtiment et cessa sa grève de la faim. Le transfert eut lieu le lendemain ; le requérant resta seul en cellule.

28. Dans le cadre d'une visite de la maison d'arrêt du 23 au 25 septembre 2008, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté rencontra notamment le requérant et fit un signalement au directeur de l'établissement. Le 24 septembre 2008, ce dernier décida d'inscrire à nouveau le requérant sur la liste des détenus présentant des risques de suicide et demanda qu'il soit vu en consultation par le médecin de l'UCSA.

29. Le 26 septembre 2008, le médecin établit un certificat selon lequel l'état de santé du requérant nécessitait sa mise immédiate à l'isolement. Au vu de ce certificat et de la demande du requérant dans le même sens, le directeur décida de le placer au quartier d'isolement à compter du 29 septembre 2008. Le requérant y demeura jusqu'au 18 octobre 2008, date de sa libération. Le jour de sa sortie, il fut pris en charge par le médecin de l'UCSA, qui l'accompagna aux urgences de l'hôpital de Villefranche sur Saône. Il fut admis le jour même à l'hôpital psychiatrique de Saint-Cyr au Mont d'Or, où il resta hospitalisé jusqu'au 14 janvier 2009.

3. Article du journal Libération et ses suites

30. Dans son numéro du 23 octobre 2008, le journal Libération publia un article consacré au requérant, dans lequel il faisait état des viols, agressions et brimades qu'il aurait subis pendant ses deux périodes de détention.

31. Le même jour, après la parution de cet article, le procureur général près la cour d'appel de Lyon ordonna l'ouverture d'une enquête préliminaire sur les faits dénoncés par le requérant.

a) Enquête sur la première période de détention

32. Le procureur de la République de Lyon chargea la brigade de protection de l'enfance et de lutte contre les agressions sexuelles de la sûreté départementale du Rhône d'enquêter sur les faits de viols et violences dont avait fait état le requérant lors de sa première période de détention. Le requérant fut entendu par les enquêteurs au centre hospitalier spécialisé le 24 octobre 2008. Après avoir relaté les violences qu'il aurait subies, il déclara qu'il n'attendait rien de la police et ne souhaitait pas déposer plainte contre ses codétenus.

33. Au vu des résultats de l'enquête préliminaire, le procureur décida le 21 décembre 2009 de requérir l'ouverture d'une information judiciaire des chefs de viols et violences relativement à la première période d'incarcération du requérant. Selon les informations communiquées par le Gouvernement, cette information est actuellement en cours.

b) Enquête sur la seconde période de détention

34. Par soit-transmis du 24 octobre 2008, le procureur de la République de Villefranche-sur-Saône chargea les services de la sûreté départementale du Rhône d'enquêter sur les faits de violences concernant la seconde période d'incarcération du requérant.

35. Les enquêteurs entendirent le 13 novembre 2008 Mme C., directrice adjointe de la maison d'arrêt de Villefranche-sur-Saône, qui leur remit la copie du dossier pénal du requérant, ainsi que la copie du dossier constitué par l'administration pénitentiaire.

36. Les lieutenants pénitentiaires Ci. et D., successivement responsables du bâtiment dans lequel le requérant avait été incarcéré, furent entendues les 27 novembre 2008 et 19 mai 2009. Le lieutenant Ci. reconnut que les insultes de codétenus à l'égard du requérant avaient dû exister, mais dit ne pas avoir été informée de problèmes avec des surveillants. Elle indiqua les raisons pour lesquelles elle avait proposé que P. partage temporairement la cellule du requérant, qui avait un profil similaire. Elle précisa n'avoir jamais eu connaissance de problèmes entre P. et le requérant lorsqu'ils partageaient la cellule ; elle confirma avoir reçu ce dernier après sa tentative de suicide, mais ne pas avoir été informée de violences à caractère physique ou sexuel.

37. Le lieutenant D., qui l'avait remplacée à compter du 24 septembre 2007, indiqua avoir rencontré le 4 février 2008 le requérant, qui lui avait simplement dit que sa cohabitation avec P. s'était " mal passée ", sans précisions. Elle n'avait pas été informée de l'incident qui avait donné lieu au certificat médical du 4 décembre 2007, mais, ayant constaté lors de l'entretien en question la brûlure subie par le requérant, elle avait décidé de mettre en place un suivi particulier en le changeant de cellule et en le faisant toujours accompagner par un surveillant lors de ses déplacements. Au sujet des incidents du mois d'août 2008 dans les douches, elle précisa qu'il n'avait pas été possible d'identifier l'auteur des coups et blessures sur le requérant et qu'elle avait voulu changer ce dernier de cellule, ce qu'il avait refusé.

38. L'ancien codétenu du requérant, P. fut entendu le 24 avril 2009. Il indiqua qu'il ne pouvait dire que du bien du requérant, qui lui avait expliqué beaucoup de choses sur le fonctionnement de la prison et avait permis que son incarcération se passe bien. Informé des déclarations faites par le requérant à son encontre, il les réfuta en bloc et dit ne pas comprendre pourquoi ce dernier portait ces accusations contre lui.

39. Les enquêteurs entendirent le surveillant principal C. le 19 mai 2009. Il précisa ne pas avoir été présent lors des incidents qui avaient donné lieu aux certificats médicaux des 4 décembre 2007 et 2 février 2008. Il indiqua avoir été présent lors de l'incident du 5 août 2008 dans les douches, qui n'avait été qu'un échange virulent de paroles entre le requérant et un autre détenu, sans que des coups aient été portés.

40. A l'issue de l'enquête préliminaire, le capitaine de police adressa le 25 mai 2009 un rapport détaillé au procureur de la République de Villefranche-sur-Saône, dans lequel il rendit compte de l'ensemble des auditions et investigations. Il conclut dans ces termes :

" L'ensemble des éléments précédemment relatés amènent à conclure que, même si la véracité des certificats médicaux de M. Stasi n'est pas à remettre en cause, le peu d'éléments d'identification qui ont été fournis par l'intéressé au moment de son audition ne permettent d'établir ni la réalité des faits, ni l'identification de leurs auteurs. Par ailleurs, les investigations effectuées font apparaître que certaines déclarations de M. Stasi sont mensongères. Ainsi, ce dernier mentionne un coma du 7 au 10 juillet 2007, alors qu'il a été reçu en audience, à la date du 9 juillet 2007, par le lieutenant pénitentiaire Ci., chef du bâtiment où il était incarcéré. De même, M. Stasi mentionne, à la date du 5 août 2008, des coups qui ont été reçus dans les douches (...), alors que les investigations effectuées établissent qu'il a été impliqué dans deux incidents successifs, sans aucun rapport l'un avec l'autre, qui se sont produits dans les douches (...) Enfin, il est troublant que le certificat médical, qui décrit des hématomes sur le corps de M. Stasi et une perte de poids de six kilogrammes et mentionne une incapacité totale de travail de huit jours " du fait de son trouble psychologique réactionnel ", soit daté du 6 avril 2007, ce qui correspond à un délai de presque trois semaines après le départ du nommé P. "

4. Demande d'indemnisation

41. Le 27 novembre 2008, le requérant adressa à la maison d'arrêt une demande d'indemnisation pour la dégradation de sa prothèse capillaire, alors qu'il était incarcéré, par des jets de préservatifs remplis de peinture et de colle de la part de codétenus.

42. Par lettre du 23 janvier 2009, le directeur interrégional des services pénitentiaires de Lyon refusa de faire droit à sa demande, au motif que les éléments que le requérant avait fournis ne permettaient pas d'établir que la dégradation avait eu lieu pendant sa détention, ni qu'elle soit imputable à une faute de l'administration pénitentiaire. Le requérant n'a pas formé de recours contre cette décision.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Le droit pénal

43. L'article 222-23 du code pénal punit le viol de quinze ans de réclusion criminelle, cette peine étant portée à vingt ans lorsqu'il a été commis par plusieurs auteurs ou complices, ou en raison de l'orientation sexuelle de la victime (article 222-24 alinéa 9 du même code).

44. Aux termes de l'article 222-11 du même code, les violences ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours sont punies de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros (EUR) d'amende. La peine est portée à cinq ans d'emprisonnement et 75 0000 EUR d'amende lorsqu'elles ont été commises en raison de l'orientation sexuelle de la victime (article 222-12 alinéa 5 ter du même code). En vertu de l'article 222-13 alinéa 5 ter, dans sa rédaction en vigueur au moment des faits, les violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ou n'ayant entraîné aucune incapacité de travail sont punies de trois ans d'emprisonnement et de 45000 EUR d'amende lorsqu'elles sont commises en raison de l'orientation sexuelle de la victime.

45. Les articles 40 et 40-1 du code de procédure pénale se lisent ainsi :

Article 40

" Le procureur de la République reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner conformément aux dispositions de l'article 40-1 (...) "

Article 40-1

" Lorsqu'il estime que les faits qui ont été portés à sa connaissance en application des dispositions de l'article 40 constituent une infraction commise par une personne dont l'identité et le domicile sont connus (...), le procureur de la République territorialement compétent décide s'il est opportun :

1° Soit d'engager des poursuites ;

(...)

3° Soit de classer sans suite la procédure dès lors que les circonstances particulières liées à la commission des faits le justifient. "

46. Les dispositions relatives à l'enquête préliminaire (articles 75 à 78 du même code, dans leur rédaction en vigueur au moment des faits) sont exposées dans l'affaire Zemzami et Barraux ((déc.), n° 20201/07, 3 mai 2011).

47. L'article 85 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi du 5 mars 2007 (entrée en vigueur le 1er juillet 2007), est ainsi rédigé :

" Toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit peut en portant plainte se constituer partie civile devant le juge d'instruction compétent en application des dispositions des articles 52, 52-1 et 706-42.

Toutefois, la plainte avec constitution de partie civile n'est recevable qu'à condition que la personne justifie soit que le procureur de la République lui a fait connaître, à la suite d'une plainte déposée devant lui ou un service de police judiciaire, qu'il n'engagera pas lui-même des poursuites, soit qu'un délai de trois mois s'est écoulé depuis qu'elle a déposé plainte devant ce magistrat, contre récépissé ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ou depuis qu'elle a adressé, selon les mêmes modalités, copie à ce magistrat de sa plainte déposée devant un service de police judiciaire. Cette condition de recevabilité n'est pas requise s'il s'agit d'un crime (...) La prescription de l'action publique est suspendue, au profit de la victime, du dépôt de la plainte jusqu'à la réponse du procureur de la République ou, au plus tard, une fois écoulé le délai de trois mois. "

48. Le droit et la pratique internes concernant la plainte avec constitution de partie civile sont exposés dans les arrêts Perez c. France ([GC], n° 47287/99, §§ 18 à 25, CEDH 2004 I), et Slimani c. France (n° 57671/00, §§ 39 et 46, CEDH 2004 IX (extraits)).

B. Le droit administratif

49. La jurisprudence administrative a connu ces dernières années une évolution importante en ce qui concerne la matière pénitentiaire. En premier lieu, depuis l'arrêt Marie du 17 février 1995 (Rec. Lebon p. 83), le Conseil d'État a progressivement élargi le champ des mesures faisant grief aux détenus, telles que le placement à l'isolement ou en cellule disciplinaire, antérieurement qualifiées de mesures d'ordre intérieur et non susceptibles de recours, qui peuvent désormais faire l'objet d'un recours en annulation, assorti le cas échéant d'une requête en référé-suspension. La juridiction administrative se reconnaît également compétente pour statuer sur des requêtes en référé-liberté, présentées par des détenus sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, lorsque ces derniers estiment être privés du droit d'exercer une liberté fondamentale.

50. Par ailleurs, si le principe de la responsabilité de l'État en raison des actes des services pénitentiaires, notamment en matière de suicides de détenus, a été affirmé par le Conseil d'État dès 1918, cette responsabilité était traditionnellement subordonnée à l'existence d'une faute lourde. Dans l'arrêt Chabba du 23 mai 2003 (Rec. Lebon p. 240), le Conseil d'État a opéré un revirement de jurisprudence et a reconnu la responsabilité de l'État dans le suicide d'un détenu en détention provisoire, en raison d'une succession de fautes simples imputables au service pénitentiaire. Cette jurisprudence a été confirmée depuis lors. Les juridictions administratives admettent désormais cette responsabilité pour des fautes simples dans divers domaines (tels que notamment suicides ou décès de détenus, agressions, vols ou dégradations de biens, inadéquation des soins médicaux en détention). Enfin, dans une série d'arrêts récents rendus entre avril et décembre 2010, les cours administratives d'appel de Lyon, Nantes et Douai ont estimé l'État responsables des conditions de détention défectueuses dans plusieurs prisons (surpopulation, défaut d'aération et d'hygiène) et l'ont condamné à indemniser plusieurs détenus de leur préjudice moral (CAA Lyon, trois arrêts du 8 avril 2010, CAA Douai, arrêts des 15 juin et 9 décembre 2010 et CAA Nantes, deux arrêts du 28 octobre 2010, non publiés).

C. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté

51. A la suite de ratification du protocole facultatif à la Convention contre la torture et autres peines et traitement cruels, inhumains et dégradants adopté par l'assemblée générale des Nations-Unis le 18 décembre 2002, la loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 a institué le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (ci-après le Contrôleur général) et lui a conféré le statut d'autorité administrative indépendante. Il peut visiter à tout moment, sur l'ensemble du territoire français, tout lieu où des personnes sont privées de liberté (notamment établissements pénitentiaires, établissements de santé, locaux de garde à vue, de rétention administrative ou douanière, dépôts, etc...). Il veille à ce que les personnes privées de liberté soient traitées avec humanité et dans le respect de la dignité inhérente à la personne humaine.

52. Le Contrôleur général adresse aux ministres concernés un rapport de visite, puis des recommandations qu'il peut rendre publiques. Il remet chaque année un rapport d'activité au Président de la République et au Parlement, qui est rendu public.

53. Il choisit librement les établissements qu'il entend visiter ; les visites peuvent être soit programmées, soit inopinées. Les autorités concernées ne peuvent s'opposer à une visite sauf motifs graves et impérieux. Il peut procéder à des investigations auprès des établissements concernés (chef d'établissement, service médical, service d'insertion et de probation, autres intervenants ...) lorsque les faits portés à sa connaissance paraissent porter atteinte aux droits fondamentaux d'une personne privée de liberté. A cette occasion, il peut se faire remettre tout document qu'il juge utile et se déplacer au sein de l'établissement concerné.

54. M. Jean-Marie Delarue, vice-président de la section du contentieux du Conseil d'État, a été nommé Contrôleur général par décret du 13 juin 2008 pour une durée de six ans.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

55. Le requérant allègue avoir été soumis en détention à des traitements inhumains et dégradants de la part de codétenus, et se plaint que les autorités n'ont pas pris les mesures nécessaires pour l'en protéger. Il invoque l'article 3 de la Convention, qui est ainsi libellé :

" Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. "

A. Sur la recevabilité

1. Arguments des parties

a) Le Gouvernement

56. Le Gouvernement soulève à titre principal une exception de non épuisement des voies de recours internes. Il souligne que le requérant n'a pas porté plainte contre quiconque auprès du procureur de la République pour les violences qui se seraient déroulées lors de ses deux périodes d'incarcération. Pour la première, le Gouvernement rappelle qu'une information judiciaire a été ouverte le 21 décembre 2009, à la suite de l'enquête préliminaire, et qu'elle est à ce jour pendante. Lorsque le juge d'instruction aura rendu son ordonnance de règlement, le requérant pourra faire tout recours contre ladite ordonnance, à condition qu'il se soit porté partie civile.

57. S'agissant de la seconde période d'incarcération, et notamment des faits les plus graves qui se seraient déroulés lors de la cohabitation avec P., le Gouvernement fait valoir que le requérant n'en a pas informé l'administration pénitentiaire pendant sa détention et ne s'en est pas plaint, ce qu'il a reconnu lors de son audition. Il a renouvelé son refus de porter plainte lors de cette audition, ainsi qu'il ressort du procès-verbal. Ce faisant, il n'a pas mis l'autorité judiciaire en mesure d'apprécier l'opportunité de poursuites à l'encontre des auteurs présumés des violences qui lui ont été infligées.

58. Le Gouvernement souligne par ailleurs que le requérant avait à tout moment la possibilité d'informer par écrit l'administration pénitentiaire des conditions qu'il estimait lui porter préjudice et de solliciter les mesures susceptibles de les faire cesser immédiatement, notamment en demandant son affectation au quartier d'isolement et, en cas de refus du chef d'établissement, de faire recours devant la juridiction administrative, laquelle aurait pu assortir une décision d'annulation d'une injonction. En cas d'urgence, il aurait pu former, en même temps qu'un recours en annulation, une demande en référé suspension (article L. 521-1 du code de justice administrative). Le Gouvernement souligne à cet égard la progression constante de cette voie de recours en matière de mesures pénitentiaires (voir paragraphe 49 ci-dessus).

59. Enfin, le Gouvernement observe que le requérant n'a pas, comme il en avait la possibilité, intenté d'action indemnitaire devant la juridiction administrative pour obtenir réparation de l'intégralité du préjudice qu'il allègue du fait de ses conditions de détention. Le Gouvernement souligne que, depuis l'arrêt Chabba du Conseil d'État (paragraphe 50 ci-dessus), de nombreuses décisions des juridictions administratives admettent que la responsabilité de l'État du fait des services pénitentiaires est susceptible d'être engagée pour des fautes commises dans différents aspects de l'activité pénitentiaire. Le juge administratif fait peser des obligations plus importantes qu'auparavant sur l'administration en la matière et du fait de cette évolution, favorable aux victimes, l'indemnisation des préjudices résultant de l'activité du service public pénitentiaire est devenue plus fréquente. Le Gouvernement cite notamment les nombreuses décisions intervenues en matière de suicides ou décès de détenus, de dommages aux biens, de défaut de prise en charge médicale appropriée, ou d'agression. Le Gouvernement fait valoir qu'une telle voie de recours, si elle ne permet que l'indemnisation d'un recours, et non sa cessation, a le même effet que celle offerte par la Cour, en ce sens qu'elle permet au justiciable de voir constater éventuellement la violation de ses droits fondamentaux et d'obtenir une indemnisation. Au-delà, elle permet pour l'avenir de remédier à de nouvelles violations similaires, l'État étant contraint de réformer sa pratique afin de ne pas se voir condamner à nouveau. Or, en l'espèce, la seule demande que le requérant a faite concerne la dégradation de sa prothèse capillaire, et il n'a pas formé de recours contre la décision de refus qui lui a été opposée.

b) Le requérant

60. Le requérant rappelle la jurisprudence de la Cour (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, §§ 59 et 69, Recueil des arrêts et décisions 1996 IV, et Cardot c. France, 19 mars 1991, § 34, série A n° 200), selon laquelle l'épuisement des voies de recours internes connaît certains aménagements. Des allégations sérieuses de torture peuvent en dispenser l'intéressé. Il fait valoir que la France s'est déjà vu appliquer cette atténuation dans l'affaire Selmouni c. France ([GC], n° 25803/94, § 75, CEDH 1999 V).

61. Il souligne qu'il ressort de ses courriers qu'il avait peur de dénoncer les auteurs de violences par craintes de représailles. Selon lui, ces représailles pouvaient venir autant de ses codétenus que du personnel carcéral. Il fait valoir que l'atmosphère de tension et de peur qui régnait à la maison d'arrêt de Villefranche-sur-Saône l'a contraint de se taire sur les conditions de sa détention.

2. Appréciation de la Cour

62. La Cour estime que l'exception soulevée par le Gouvernement est étroitement liée à la substance du grief invoqué par le requérant sur le terrain de l'article 3 de la Convention et doit être examinée sous l'angle de l'obligation positive de l'État de prévoir des dispositions internes assurant une protection effective contre les atteintes à l'intégrité physique (A. c. Royaume-Uni, 23 septembre 1998, § 22, Recueil des arrêts et décisions 1998 VI, M.C. c. Bulgarie, n° 39272/98, § 150, CEDH 2003 XII, et Beganoviæ c. Croatie, n° 46423/06, § 71, 25 juin 2009). Il y a donc lieu d'examiner ces arguments au fond.

63. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le bien-fondé

1. Arguments des parties

a) Le requérant

64. Le requérant indique que, lors de son arrivée à la maison d'arrêt de Villefranche-sur-Saône, il a informé oralement le personnel des violences qu'il avait subies lors de sa première incarcération, et a été placé au 2e étage de l'établissement, secteur calme adapté à sa situation, avant de partager sa cellule avec P. A partir du 5 février 2008, il a de nouveau changé de cellule et été affecté à un autre étage, dans la mesure où il était victime de la part de ses codétenus d'insultes, brimades, coups et crachats. Il précise que ses allégations sont corroborées par la production de certificats médicaux. Il indique qu'il s'est plaint à de nombreuses reprises, mais que ses réclamations n'ont pas été prises au sérieux jusqu'à la brûlure de cigarette dont il a fait l'objet, qui a laissé des traces sur son visage.

65. En réponse à l'argument du Gouvernement qui lui reproche sa passivité, ainsi que le fait ne n'avoir déposé aucune plainte ou contestation pour les faits dont il se plaint, il souligne qu'il a été victime de discrimination en raison de son orientation sexuelle et qu'afin d'éviter les insultes homophobes et les coups, il s'est plongé dans le mutisme et la solitude. Il fait valoir par ailleurs qu'il n'a pas été inactif, puisqu'il a saisi la HALDE, ainsi que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Il souligne qu'il ne souhaitait pas quitter l'étage auquel il était affecté, où il se sentait protégé, et qu'il a dû faire une grève de la faim pour faire réagir l'administration pénitentiaire. Il estime que sa prise en charge n'a pu être possible, à la fin de sa détention, qu'en raison de l'intervention du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

66. Il conclut que le personnel de la maison d'arrêt n'a pas pris la mesure de la situation dramatique qu'il vivait.

b) Le Gouvernement

67. Le Gouvernement soutient en premier lieu que le défaut de toute plainte ou contestation concernant les faits que le requérant dénonce porte atteinte à la crédibilité de ses allégations. Il souligne que l'absence complète d'épuisement des voies de recours internes n'a pas mis l'administration en mesure de diligenter plus tôt, ou au moins pendant la détention, une enquête lui permettant de déterminer avec précision les circonstances de ces faits et les éventuelles responsabilités pénales.

68. Le Gouvernement fait valoir que les investigations menées bien après les faits supposés ont fait ressortir le caractère peu crédible et souvent contradictoire de certaines déclarations du requérant. Ainsi, ce dernier a-t-il déclaré avoir été dans le coma du 7 au 10 juillet 2007 après sa tentative de suicide, alors qu'il a été reçu en audience le 9 juillet par la responsable de son bâtiment ; il a déclaré avoir reçu des coups dans les douches le 5 août 2008 en présence d'un surveillant, alors qu'il a été impliqué dans deux incidents successifs sans lien entre eux, le second s'étant produit hors la présence du surveillant. Par ailleurs, il a affirmé avoir fait l'objet de violences de la part de P., son codétenu, alors que le certificat médical a été établi trois semaines après la libération de celui-ci ; il a déclaré que P. " connaissait tout le monde dans la prison ", alors que ce dernier était incarcéré pour la première fois pour conduite sous l'empire d'un état alcoolique ; il s'est plaint que P. l'aurait brûlé à l'aide d'une paire de ciseaux chauffés à blanc, alors qu'il n'en est fait nulle mention dans le certificat médical. Enfin, le Gouvernement conteste fermement l'allégation du requérant selon lequel P. l'aurait obligé à porter une étoile rose " pendant ses déplacements et au vu de tous les surveillants ". Il fait valoir que sur la photo accompagnant l'article paru dans le journal Libération, le requérant porte une étoile rouge ressemblant davantage à un élément décoratif, et qu'en tout état de cause ses déclarations sont en contradiction avec celles qu'il a faites lors de son audition par les policiers, où il a affirmé que P. l'empêchait de sortir de la cellule et le contraignait à rester sur son lit.

69. Le Gouvernement conclut ne pas être en mesure de qualifier la nature des violences dont le requérant prétend avoir été victime.

70. En tout état de cause, le Gouvernement fait valoir que l'administration pénitentiaire a pris toutes les mesures que l'on pouvait raisonnablement attendre d'elle, compte tenu des informations dont elle disposait aux différentes périodes de l'incarcération du requérant, afin de le protéger de ses codétenus. Il souligne que dès son arrivée et compte tenu de ses déclarations quant aux sévices qu'il aurait subis en 2003, le requérant a été placé dans un secteur calme et approprié de la maison d'arrêt, dédié aux détenus dits fragiles.

71. Il est resté seul en cellule jusqu'au 26 février 2007, où il a dû partager sa cellule pour trois semaines pour une raison conjoncturelle liée à l'augmentation de la population carcérale. Il s'est de nouveau retrouvé seul dès le 18 mars 2007 et ne s'est plaint à aucun moment à l'administration pénitentiaire des faits très graves qu'il allègue. Le Gouvernement souligne que l'échange de lettres de mars 2007 entre le juge d'instruction et le directeur de l'établissement (paragraphe 12 ci-dessus), relatif au fait que le requérant partageait sa cellule, montre bien que sa fragilité était toujours à l'esprit de l'administration pénitentiaire, mais que celle-ci n'avait pas alors connaissance de faits qui auraient nécessité des mesures de protection.

72. Le Gouvernement précise qu'après la tentative de suicide du requérant le 9 juillet 2007, il a été inscrit sur la liste des détenus présentant un risque de suicide et qu'une surveillance spéciale a été mise en place, puis levée le 26 juillet suivant sur avis de la commission prévention suicide. Le 31 janvier 2008, le requérant s'est plaint d'avoir été victime de coups et d'une brûlure de cigarette d'un codétenu, mais ni les circonstances ni l'identité de l'agresseur n'ont pu être élucidées par l'administration pénitentiaire, faute de détails et de coopération du requérant. Néanmoins, de nouvelles mesures ont été immédiatement mises en place afin de protéger son intégrité physique : il a été affecté dans une aile plus calme du même bâtiment et les équipes pénitentiaires ont été sensibilisées à sa situation. Il a pu se rendre seul aux douches en dehors des horaires prévus et il a été décidé de le faire accompagner par un surveillant dans ses déplacements pour prévenir toute agression, ce que le requérant a d'ailleurs reconnu lors de son audition par les policiers.

73. En août 2008, face à la grève de la faim qu'il avait entamée pour se plaindre de sa nouvelle affectation au rez-de-chaussée du bâtiment, la direction de l'établissement, dans un souci d'apaisement, lui a proposé une nouvelle affectation dans une aile dite protégée d'un autre bâtiment, ce qu'il a refusé le 25 août 2008. Son affectation le 16 septembre 2008 au 1e étage du bâtiment tenait compte de son refus d'être affecté au rez-de-chaussée, et il a cessé sa grève de la faim. Enfin, après la visite et le signalement du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, le directeur a demandé au médecin de l'UCSA de voir le requérant en consultation, à la suite de quoi il a été placé à l'isolement jusqu'à sa sortie, où le médecin l'a pris en charge pour l'accompagner à l'hôpital de Villefranche-sur-Saône.

74. Le Gouvernement souligne que l'administration pénitentiaire, prenant acte des difficultés que pouvait rencontrer le requérant, lui a proposé plusieurs affectations et qu'il a été vu en audience individuelle une dizaine de fois par un lieutenant pénitentiaire. Il conclut qu'il ne saurait être reproché aux autorités aucun manquement à leur obligation de protection du requérant.

2. Appréciation de la Cour

a) Rappel des principes

75. La Cour rappelle tout d'abord que pour tomber sous le coup de l'article 3, les mauvais traitements doivent atteindre un minimum de gravité. L'appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l'ensemble des circonstances propres à l'affaire, telles que la durée du traitement ou ses effets physiques ou psychologiques et, dans certains cas, du sexe, de l'âge et de l'état de santé de la victime (Ýlhan c. Turquie [GC], n° 22277/93, § 84, CEDH 2000 VII).

76. Les allégations de mauvais traitement doivent être étayées devant la Cour par des éléments de preuve appropriés (voir, mutatis mutandis, Klaas c. Allemagne du 22 septembre 1993, série A n° 269, p. 17, § 30). Pour l'établissement des faits allégués, la Cour se sert du critère de la preuve " au-delà de tout doute raisonnable " ; une telle preuve peut néanmoins résulter d'un faisceau d'indices ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précises et concordantes (Irlande c. Royaume-Uni, arrêt du 18 janvier 1978, série A n° 25, p. 65, § 161 in fine, Selmouni précité, § 88, et Pantea c. Roumanie, n° 33343/96, § 181, CEDH 2003 VI (extraits)).

77. La Cour rappelle par ailleurs que l'article 3 de la Convention consacre l'une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques et, à ce titre, prohibe en termes absolus la torture et les peines et les traitements inhumains et dégradants (Labita c. Italie [GC], n° 26772/95, § 119, CEDH 2000 IV, et Rodiæ et autres c. Bosnie-Herzégovine, n° 22893/05, § 66, 27 mai 2008). Il astreint les autorités des États contractants non seulement à s'abstenir de provoquer de tels traitements, mais à prendre des mesures propres à empêcher que lesdites personnes ne soient soumises à des tortures ou à des traitements inhumains ou dégradants, même administrés par des particuliers (A. c. Royaume-Uni précité, § 22, M.C. c. Bulgarie précité, § 149, et Šeèiæ c. Croatie, n° 40116/02, § 52, 31 mai 2007).

78. S'agissant plus particulièrement des détenus, la Cour a déjà eu l'occasion de souligner qu'ils sont en situation de vulnérabilité et que les autorités ont le devoir de les protéger (Keenan c. Royaume-Uni, n° 27229/95, § 91, CEDH 2001 III, et Renolde c. France, n° 5608/05, § 83, 16 octobre 2008). Cependant, il faut interpréter cette obligation de manière à ne pas imposer aux autorités un fardeau insupportable ou excessif (Pantea précité, § 189).

79. Pour la Cour, et vu la nature du droit protégé par l'article 3, il suffit à un requérant de montrer que les autorités n'ont pas fait tout ce que l'on pouvait raisonnablement attendre d'elles pour empêcher la matérialisation d'un risque certain et immédiat pour son intégrité physique, dont elles avaient ou auraient dû avoir connaissance. Il s'agit là d'une question dont la réponse dépend de l'ensemble des circonstances de l'affaire en question.

80. La Cour rappelle enfin que l'article 3 astreint les États membres à mettre en place une législation efficace de nature pénale qui constitue une dissuasion effective contre les actes portant atteinte à l'intégrité physique et permette de les réprimer (A. c. Royaume-Uni précité, § 22, M.C. c. Bulgarie précité, § 150, et Beganoviæ c. Croatie, n° 46423/06, § 71, 25 juin 2009).

b) Application au cas d'espèce

i. Sur les traitements subis par le requérant

81. Le requérant s'est plaint d'avoir subi à plusieurs reprises des violences de la part de codétenus, et notamment de la part de P. qui a partagé sa cellule, ainsi que du fait que ce dernier l'aurait contraint de porter une étoile rose lors de tous ses déplacements au vu des surveillants.

82. Sur ce dernier point, la Cour observe que l'affirmation du requérant n'est étayée par aucun élément de preuve et qu'elle est en contradiction avec les déclarations faites aux policiers tant par lui-même que par les personnels pénitentiaires. En conséquence, cette allégation ne peut être considérée comme établie.

83. S'agissant des violences qu'aurait subies le requérant, la Cour constate qu'il a produit plusieurs certificats médicaux relatifs aux différents incidents dont il se plaint. Le certificat établi le 6 avril 2007 fait état de volumineux hématomes à l'arrière de la cuisse gauche et au-dessus du genou droit, ainsi que d'un hématome plus ancien en haut du bras droit, et d'une perte de poids de six kg, justifiant une incapacité totale de travail (ITT) de huit jours. Le certificat du 4 décembre 2007 mentionne des hématomes à la jambe droite, sans ITT. Le certificat médical du 2 février 2008 indique une brûlure de cigarette sur le bord externe de l'œil gauche, ainsi qu'un trouble psychologique réactionnel avec quatre jours d'ITT. Enfin, le certificat médical du 9 août 2008 mentionne un hématome sous-orbitaire et une décompensation névrotique, sans ITT.

84. La Cour estime donc établi que le requérant a subi en détention des violences suffisamment sérieuses pour conférer aux faits en cause le caractère de traitement inhumain et dégradant, au sens de l'article 3 (voir Pantea précité, § 185, Georgescu c. Roumanie, n° 25230/03, § 73, 13 mai 2008, et Premininy c. Russie, n° 44973/04, § 81, 10 février 2011). Reste à établir si les autorités ont respecté leurs obligations positives découlant de l'article 3.

i. Sur le respect par l'État de ses obligations

- Sur l'existence d'une législation pénale efficace

85. La Cour observe que le droit pénal français réprime les atteintes à l'intégrité physique de la personne telles que celles dénoncées par le requérant : le viol est puni de quinze ans de réclusion criminelle, cette peine pouvant être portée à vingt ans lorsqu'il est commis en raison de l'orientation sexuelle de la victime ; les violences sont sanctionnées d'une peine de prison pouvant aller de trois à cinq ans, et d'une amende de 45 000 EUR à 75 000 EUR en fonction, d'une part, de la durée de l'incapacité de travail qu'elles ont occasionnées à la victime et, d'autre part, du fait qu'elles ont été commises en raison de son orientation sexuelle (paragraphe 44 ci-dessus).

86. La Cour constate que, s'agissant du viol et des violences subies par le requérant durant sa première période d'incarcération, une enquête préliminaire a été ouverte à la demande du procureur général après la parution de l'article dans le journal Libération, et qu'une information judiciaire des chefs de viol et violences, actuellement pendante, a été ouverte en décembre 2009 et confiée à un juge d'instruction (paragraphe 33 ci-dessus).

87. Pour ce qui est des violences survenues pendant la seconde période d'incarcération du requérant, la Cour observe qu'elles sont de nature à rentrer dans le champ d'application des articles 222-11 à 222-13 du code pénal (paragraphe 44 ci-dessus) et qu'elles ont également fait l'objet d'une enquête préliminaire. A l'issue de celle-ci, le requérant avait la possibilité de porter plainte entre les mains du procureur de la République, comme le lui ont proposé les enquêteurs et, en cas de silence ou de refus du procureur d'engager des poursuites (paragraphe 45 ci-dessus), de porter plainte avec constitution de partie civile, ce qui aurait mis en mouvement l'action publique.

88. La Cour ne voit pas de raisons de s'écarter du constat qu'elle a fait dans l'affaire Slimani c. France (n° 57671/00, § 41, CEDH 2004 IX (extraits)), selon lequel une telle plainte présente des chances raisonnables de succès et est susceptible d'aboutir à la saisine des juridictions répressives, lesquelles sont compétentes non seulement pour trancher les questions de droit pénal qui leur sont soumises, mais aussi pour statuer sur l'action civile et, le cas échéant, réparer le préjudice causé par l'infraction à la partie civile.

89. Dans ces conditions, la Cour considère, à l'instar du Gouvernement (paragraphes 56-59 ci-dessus), que le droit interne assurait au requérant une protection effective et suffisante contre les atteintes à son intégrité physique (a contrario, A c. Royaume-Uni précité, §§ 22 et 24 et avis de la Commission, § 48, M.C. c. Bulgarie précité, §§ 185-187, et Beganoviæ précité, § 87).

- Sur le comportement des autorités pénitentiaires

90. La Cour doit établir si, dans les circonstances de l'espèce, les autorités auraient dû savoir que le requérant risquait d'être soumis à de mauvais traitements de la part des autres détenus et, dans l'affirmative, si elles ont pris, dans le cadre de leurs pouvoirs, les mesures qui, d'un point de vue raisonnable, auraient évité un tel risque (Pantea précité, § 190, et Premininy précité, § 84).

91. La Cour observe que, dès son arrivée à la maison d'arrêt de Villefranche-sur-Saône, le requérant a fait état de son orientation sexuelle et des violences qu'il avait subies lors de sa première incarcération. En conséquence, le directeur de l'établissement a décidé de le placer seul en cellule dans un secteur calme du bâtiment abritant des détenus dits fragiles, ce que le requérant reconnaît comme étant adapté à sa situation. Il est resté seul du 27 juillet 2006 au 27 février 2007. Il a ensuite partagé sa cellule avec P. pendant trois semaines jusqu'au 18 mars 2007, date de la libération de ce dernier.

92. Il ressort des faits que, lorsqu'elle a été informée de ce que le requérant n'était plus seul en cellule, la juge d'instruction chargée de son dossier a demandé des explications au directeur de l'établissement, qui a motivé cette décision par l'augmentation ponctuelle du nombre des détenus et le fait que le profil de P., incarcéré pour la première fois, était compatible avec celui du requérant. Il concluait en indiquant que le service médical et les services de détention étaient bien au fait de la situation du requérant.

93. Le requérant affirme que, pendant leur cohabitation, P. l'aurait notamment frappé et forcé à rester dans la cellule pour cacher les traces des coups.

94. La Cour relève que le requérant ne s'est jamais plaint de ces faits aux autorités pénitentiaires, même après la libération de P. Il ressort du procès-verbal d'audition du lieutenant pénitentiaire Ci. que, lorsqu'elle a reçu le 9 juillet 2007 le requérant après sa tentative de suicide, il ne l'a pas informée qu'il avait subi des violences. En outre, lors d'un entretien du 4 février 2008 avec le lieutenant pénitentiaire D., il a simplement indiqué que la cohabitation avec P. s'était " mal passée ", sans donner de détails. Il ressort également du dossier qu'il n'a pas communiqué à l'administration de la maison d'arrêt le certificat médical établi le 6 avril 2007. Dans ces conditions, et compte tenu de la localisation de ses lésions, la Cour conclut que les autorités pénitentiaires ne pouvaient pas avoir connaissance des violences qu'il avait subies (voir a contrario Premininy précité, § 86).

95. S'agissant de l'incident du 6 novembre 2007, où le requérant dit avoir été poussé dans les escaliers par un codétenu, ce qui lui a occasionné un hématome à la jambe droite, il ne ressort pas davantage du dossier qu'il l'aurait signalé aux autorités pénitentiaires ou leur aurait communiqué le certificat médical.

96. En revanche, le requérant a informé les autorités de la maison d'arrêt de l'incident du 31 janvier 2008, lors duquel un détenu a écrasé une cigarette sous son œil gauche. La Cour relève que la responsable du bâtiment a reçu le requérant le 4 février 2008 et a décidé de le changer de cellule, de lui permettre d'accéder seul aux douches en dehors des horaires prévus, et de le faire accompagner par un surveillant lors de ses déplacements. Des investigations ont été menées pour essayer d'identifier le détenu responsable, mais elles n'ont pas pu aboutir faute de coopération du requérant.

97. Enfin, s'agissant des deux incidents qui se sont produits dans les douches en août 2008, il apparaît que seul le premier – un violent échange verbal s'est produit en présence du surveillant, et que le détenu responsable du coup donné au requérant n'a pu être identifié.

98. Le requérant reproche enfin aux autorités de l'avoir contraint en août 2008 à quitter l'étage du bâtiment où il se sentait " protégé ", ce qui l'a obligé à faire une grève de la faim.

99. La Cour observe que la décision de changer le requérant d'étage a été prise en raison de la mise en place à cet étage d'un régime différencié pour les détenus condamnés à une peine de moins de dix-huit mois de prison, impliquant de leur part une préparation active de leur sortie, et de la passivité du requérant dans sa démarche d'insertion, constatée par la COP lors du bilan effectué début août (paragraphe 25 ci-dessus). La Cour relève en outre que le requérant s'est vu proposer deux affectations successives en cellule individuelle dans deux secteurs calmes de l'établissement, et qu'il a finalement accepté la seconde. Pendant sa grève de la faim, il a fait l'objet d'un suivi médical régulier et d'un compte-rendu quotidien de l'administration pénitentiaire. Enfin, après le signalement du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, il a été vu en consultation par le médecin et placé à l'isolement jusqu'à sa sortie.

100. La Cour note en dernier lieu que les autorités pénitentiaires ont pris les mesures adéquates lors de la tentative de suicide du requérant le 9 juillet 2007 : il a été vu le jour-même par l'infirmière, appelée par un surveillant inquiet de son état, ainsi que par la responsable du bâtiment. Il a également été reçu en consultation par le médecin le lendemain, et par le psychiatre les 11 et 18 juillet 2007. Par ailleurs il a été placé jusqu'au 26 juillet 2007 sur la liste des détenus présentant un risque de suicide. Enfin, il ressort du dossier que, sur demande du procureur de la République, le directeur de l'établissement lui a rendu compte des faits.

101. Dans ces conditions, la Cour considère que, dans les circonstances de l'espèce, et compte tenu des faits qui ont été portés à leur connaissance, les autorités ont pris toutes les mesures que l'on pouvait raisonnablement attendre d'elles pour protéger l'intégrité physique du requérant (voir a contrario Pantea précité, § 195, Rodiæ précité, § 73, et Premininy précité, § 90).

- Conclusion

102. La Cour arrive à la conclusion que le droit interne assurait au requérant une protection effective et suffisante contre les atteintes à son intégrité physique et que les autorités pénitentiaires ont pris toutes les mesures nécessaires pour le protéger. La Cour estime en conséquence qu'il n'y a pas eu violation de l'article 3 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 3 ET 14 DE LA CONVENTION

103. Le requérant estime avoir fait l'objet en détention d'une discrimination en raison de son orientation sexuelle. Il invoque l'article 3 de la Convention combiné avec l'article 14, qui est ainsi rédigé :

" La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur (...) toute autre situation. "

104. Le Gouvernement conteste cette thèse. Il fait valoir qu'il convient de relativiser le lien de causalité entre l'orientation sexuelle du requérant et les violences qu'il a subies, pour certaines liées à d'autres éléments, et conteste fermement certaines des allégations qu'il a faites (notamment quant au port d'une étoile rose). Il conclut qu'il ne saurait être reproché aux autorités d'avoir été inactives pour le protéger.

105. La Cour considère que ce grief, qui est lié au grief du requérant tiré de l'article 3, doit également être déclaré recevable.

106. Eu égard à son constat relatif à l'article 3 (paragraphe 102 ci dessus), la Cour estime qu'il ne se pose pas de question distincte sous l'angle des articles 3 et 14 combinés de la Convention

III. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

107. Le requérant se plaint du fait que, lors de l'audience du tribunal correctionnel du 11 juin 2007, il n'aurait pas bénéficié d'un procès équitable dans la mesure où il aurait eu peu de temps pour s'entretenir avec l'avocat commis d'office. Il se plaint également de n'avoir pas pu faire " appel " du jugement du 25 janvier 2006, rendu par défaut. Il invoque l'article 6 § 3 b) de la Convention, qui dispose :

" Tout accusé a droit notamment à : (...)

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense. "

108. Sur le premier point, la Cour relève que le requérant n'a pas fait appel du jugement du 11 juin 2007. Sur le second point, la Cour note qu'il a fait opposition au jugement du 25 janvier 2006 rendu par défaut, mais que, dans la mesure où il n'a pas comparu, son opposition a été déclarée nulle et non avenue par jugement du 27 juin 2006

109. Il s'ensuit que ces griefs doivent être rejetés pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l'article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1. Déclare, à l'unanimité, la requête recevable quant aux griefs tirés de l'article 3 de la Convention et des articles 3 et 14 combinés de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit, par cinq voix contre deux, qu'il y n'a pas eu violation de l'article 3 de la Convention ;

3. Dit, à l'unanimité, qu'il n'y a pas lieu d'examiner le grief tiré des articles 3 et 14 combinés de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 20 octobre 2011, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Claudia Westerdiek, Greffière

Dean Spielmann, Président


Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé de l'opinion séparée des juges Spielmann et Nußberger.


OPINION DISSIDENTE COMMUNE DES JUGES SPIELMANN ET NUSSBERGER

Nous ne pouvons souscrire à la conclusion selon laquelle les autorités pénitentiaires auraient pris toutes les mesures nécessaires pour protéger le requérant et, partant, il n'y aurait pas eu violation de l'article 3 de la Convention.

Nous voudrions souligner d'emblée qu'il est établi que le requérant a subi en détention des violences suffisamment graves pour conférer aux faits en cause un caractère inhumain et dégradant au sens de l'article 3 de la Convention (paragraphe 84 de l'arrêt).

La question centrale est celle de savoir si les autorités ont pris des mesures adéquates pour empêcher ces violences.

Certes, en l'espèce, les autorités ont pris certaines mesures pour protéger le requérant ; leur réaction a inclus certaines mesures préventives limitées dans le temps (paragraphe 91), des mesures d'investigations (paragraphe 96) et, du moins pendant un certain temps, le suivi médical régulier du requérant et un compte-rendu quotidien à cet égard (paragraphe 99). La tendance suicidaire de l'intéressé n'a pas été ignorée (paragraphe 100).

Il n'en demeure pas moins qu'à notre avis, ces mesures n'ont pas été suffisantes.

En ce qui concerne la gestion du milieu carcéral, l'obligation positive imposée par l'article 3 de la Convention ne dépend pas uniquement des connaissances effectives des autorités : elle recouvre aussi ce que celles-ci " auraient dû savoir " et leur impose d'éviter la mise en danger des détenus et les traitements tels que ceux dont le requérant a fait l'objet.

Or, dans le cas présent, la vulnérabilité du requérant et son angoisse étaient connues. Il avait fait part de ses craintes aux autorités et tout portait à croire que les faits qu'il craignait se réaliseraient. Les certificats en témoignent. Un médecin de l'unité de consultations et de soins ambulatoires de la prison a établi le 6 avril 2007 un certificat faisant état d'éléments extrêmement préoccupants et concluant à un " trouble psychologique réactionnel " (paragraphe 14). Dans deux autres certificats, établis respectivement le 4 décembre 2007 et le 9 août 2008, le médecin a constaté des blessures importantes (paragraphes 19 et 23).

Des rumeurs présentant le requérant comme un policier infiltré ou un indicateur ont circulé dans la prison. Un détenu a blessé le requérant en lui écrasant une cigarette sous l'œil gauche (paragraphe 20).

Dans le milieu carcéral, où règne la " loi du silence ", on ne saurait reprocher au requérant, dans les circonstances particulières de l'espèce, de ne pas avoir transmis lui-même tous les certificats ou de ne pas s'être plaint à chaque fois (paragraphes 94 et 95). Au contraire, les autorités, dont les médecins de l'unité de consultations et de soins ambulatoires font incontestablement partie, auraient dû réagir plus rapidement et plus efficacement. Le certificat du 6 avril 2007 n'a pas alerté les autorités. Ce n'est qu'après une tentative de suicide que le requérant a été inscrit, pendant près de trois semaines, sur la liste des détenus présentant un risque suicidaire (paragraphe 16). Par ailleurs, le certificat du 9 août 2008 n'a pas été suivi d'une prise en charge adaptée.

En un mot, nous sommes d'avis que les autorités ne se sont pas acquittées de leur obligation de protection de manière suffisante. Elles ont appliqué une approche trop " standardisée " en attendant de la part du requérant qu'il se plaigne à chaque fois qu'il subissait des mauvais traitements. La prise de conscience des caractéristiques propres à ce détenu aurait imposé un accompagnement particulier qui, en l'espèce, a fait largement défaut. C'est la raison pour laquelle nous estimons qu'il y a eu violation de l'article 3 de la Convention.

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