SOC. IK
COUR DE CASSATION
Audience publique du 25 novembre 2015
Cassation partielle
M. FROUIN, président
Arrêt n 2045 FS D Pourvoi n B 14-17.468 RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant
Statuant sur le pourvoi formé par le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de l'Unité de traction (CHSCT) de Marseille Blancarde, dont le siège est Marseille,
contre l'arrêt rendu le 17 avril 2014 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (1re chambre C), dans le litige l'opposant à la Société nationale des chemins de fer français (SNCF), dont le siège est Marseille cedex 3,
défenderesse à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, composée conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 28 octobre 2015, où étaient présents M. Frouin, président, Mme Lambremon, conseiller rapporteur, MM. Béraud, Huglo, Mmes Reygner, Farthouat-Danon, Slove, conseillers, Mmes Sabotier, Salomon, conseillers référendaires, M. Boyer, avocat général, Mme Ferré, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Lambremon, conseiller, les observations de la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat du CHSCT de l'Unité de traction de Marseille Blancarde, de la SCP Odent et Poulet, avocat de la Société nationale des chemins de fer français, l'avis de M. Boyer, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique
Vu l'article L. 4614-12 du code du travail ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le 29 juin 2012, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de l'Unité de traction Marseille Blancarde de la SNCF a décidé, dans le cadre des dispositions de l'article L. 4614-12 1 du code du travail, de recourir à un expert pour évaluer le risque lié à la présence d'amiante dans les locomotives conduites par les agents ; que la SNCF a saisi le président du tribunal de grande instance en la forme des référés pour que cette délibération soit annulée, en l'absence de tout risque grave dans l'établissement ;
Attendu que pour faire droit à la demande d'annulation, et après avoir relevé que toutes les locomotives en service sur les sites concernés n'ont pas été désamiantées, l'arrêt retient que la SNCF a sensibilisé l'ensemble des conducteurs au risque amiante lors de journées de formation dispensées en 2011, que le risque amiante se révèle à l'occasion de deux événements accidentels, d'une part en cas de panne avec nécessité d'intervention sur l'armoire haute tension, mais, que depuis mars 2010, les agents de conduite ont interdiction d'effectuer une quelconque intervention sur cet équipement qui est amianté, la consigne étant de faire une demande de secours afin que cette opération soit effectuée par une équipe habilitée à ce type de dépannage, d'autre part en cas de " défrettage de niveau 2 " (moteur sorti de son compartiment), que dans ce cas, il est procédé à une analyse du moteur pour déterminer la présence ou non de l'amiante, et dans l'affirmative le conducteur est orienté vers le médecin du travail, que toutes les expertises effectuées depuis 1996 sur la présence de fibres d'amiante dans des conditions de conduite extrêmes ont révélé, dans la cabine conducteur, des concentrations inexistantes ou très inférieures aux normes autorisées, la dernière campagne nationale datant de 2010, que, surtout, en juillet 2012, la société ITGA a effectué des mesures sur des locomotives , BB 67580, qui a conclu qu'aucune fibre d'amiante n'avait été décelée sur ces engins moteurs, confirmant ainsi les précédentes analyses, et qu'en septembre 2012, d'autres mesures ont été effectuées par les services de la SNCF qui ont établi l'absence totale de fibres d'amiante dans l'air dans les machines concernées ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que toutes les locomotives en service sur les sites concernés n'avaient pas été désamiantées, et que le risque d'exposition à l'amiante était reconnu à l'occasion de deux événements accidentels, ce qui caractérisait l'existence d'un risque grave, peu important que les agents y aient été sensibilisés à l'occasion de journées de formation, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il annule la délibération du CHSCT de l'Unité de traction Marseille Blancarde et Veynes, l'arrêt rendu le 17 avril 2014, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;
Condamne la Société nationale des chemins de fer français aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer au CHSCT de l'Unité de traction de Marseille Blancarde la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq novembre deux mille quinze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat aux Conseils, pour le CHSCT de l'Unité de traction de Marseille Blancarde
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR annulé la délibération du CHSCT du 29 juin 2012 par laquelle le CHSCT avait désigné un expert dans le cadre des dispositions de l'article L.4614-12 1 du Code du travail. AUX MOTIFS QU'aux termes de l'article L.4614-12 du Code du travail, le CHSCT peut faire appel à un expert agréé 1 ) lorsqu'un risque grave, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel, est constaté dans l'établissement, 2 ) en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité où les conditions de travail prévu à l'article L.4612-8 ; qu'au cours de sa réunion extraordinaire du 29 juin 2012 qui avait pour objet le risque amiante sur les locomotives pour les agents de conduite (ADC), le CHSCT de l'Unité de Traction Marseille Blancarde et Veynes a confié à l'expert la mission ainsi libellée " Analyser les activités de travail pour les ADC ; ; Analyser l'empoussièrement en fonction des contraintes liées au métier ; Aider le CHSCT à avancer des propositions de prévention des risques professionnels et d'amélioration des conditions de travail ; L'expertise fera l'objet d'un écrit qui sera présenté devant le CHSCT ; Mandat est donné à M. ... sociétaire du CHSCT pour prendre toutes dispositions utiles d'assurer l'exécution de cette décision ; Les membres nomment Me ... ... pour représenter le CHSCT en justice " ; que c'est donc sur le fondement des dispositions du 1 ) de l'article L.4614-12 du Code du travail
que cette expertise a été ordonnée par le CHSCT ; qu'il n'est pas contesté que toutes les locomotives en service sur les sites de Blancarde et de Veynes n'ont pas été désaimantées ; mais que, outre que la SNCF a sensibilisé l'ensemble des conducteurs au risque amiante lors de journées de formation dispensées en 2011, le risque amiante se révèle pour les ADC à l'occasion de deux événements accidentels - en cas de panne avec nécessité d'intervention sur l'armoire haute tension, mais, depuis mars 2010, les ADC ont interdiction d'effectuer une quelconque intervention sur cet équipement qui est amianté, la consigne étant de faire une demande de secours afin que cette opération soit effectuée par une équipe du Matériel habilitée à ce type de dépannage ; - en cas de défrettage de niveau 2 (moteur sorti de son compartiment), il est procédé à une analyse du moteur pour déterminer la présence ou non de l'amiante, et dans l'affirmative le conducteur est orienté vers le médecin du travail ; qu'en revanche, toutes les expertises effectuées depuis 1996 sur la présence de fibres d'amiante dans des conditions de conduite extrêmes ont révélé, dans la cabine conducteur, des concentrations inexistantes ou très inférieures aux normes autorisées ; que la dernière campagne nationale est en date de 2010 ; mais que surtout, en juillet 2012, la société ITGA a effectué des mesures sur des locomotives , BB 67580, qui a conclu qu'aucune fibre d'amiante n'avait été décelée sur ces engins moteurs, confirmant ainsi les précédentes analyses ; qu'en septembre 2012, d'autres mesures ont été effectuées par les services de la SNCF qui ont établi l'absence totale de fibres d'amiante dans l'air dans les machines concernées ; qu'en conséquence, l'existence d'un risque grave constaté au sein de l'Unité de Traction de Marseille Blancarde et Veynes n'est pas démontré ; que la décision du CHSCT du 29 juin 2012 ayant décidé une expertise relative au risque amiante sera annulée.
ALORS QUE le CHSCT peut faire appel à un expert agréé lorsqu'un risque grave, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l'établissement ; que le recours à l'expertise par des CHSCT est justifié, dès lors qu'il existe pour le salarié un risque sérieux de contamination accidentelle par exposition au produit, que le produit est potentiellement toxique et inscrit au tableau des maladies professionnelles et que les dommages prévisibles sont importants ; qu'il n'est pas nécessaire que la probabilité de sa survenance soit importante, mais seulement qu'elle existe ; qu'il importe peu à cet égard que l'exposition des salariés au produit dangereux ne soit plus réitérée ;
1 ) QU'en écartant le risque grave, alors même qu'elle avait relevé que toutes les locomotives en service sur les sites de BLANCARDE et de VEYNE n'avaient pas été désamiantées et que le risque d'amiante était reconnu à l'occasion de deux événements accidentels, lors d'une intervention de dépannage dans l'armoire haute tension ou dans le cas de défrettage du niveau 2 (moteur sorti de son compartiment), ce qui suffisait à caractériser la situation de risque grave justifiant le recours à une expertise, la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et, partant, a violé l'article L.4614-12 du Code du travail.
2 ) ALORS QUE le risque grave s'entend d'un événement dommageable dont la survenance est incertaine ; qu'il n'est pas nécessaire que la probabilité de sa survenance soit importante, mais seulement qu'elle existe ; qu'en décidant qu'il n'y avait pas lieu à désignation d'un expert au motif qu'en juillet et septembre 2012, les mesures effectuées sur trois locomotives avaient révélé qu'aucune fibre d'amiante n'avait été décelée, quand le contrôle de trois engins sur la totalité du parc de l'Unité n'était pas relevant et qu'il importait de connaître les mesures effectuées sur l'ensemble des engins de conduite utilisés par les conducteurs de l'Unité MARSEILLE BLANCARDE, la Cour d'appel a statué par un motif erroné, en violation de l'article L 4614-12 du Code du travail.
3 ) QU'en écartant le risque grave, au motif que la réalisation du risque n'apparaît que dans deux situations accidentelles, auxquelles la SNCF a sensibilisé l'ensemble des conducteurs lors de journée de formation dispensées en 2011, alors que la seule probabilité de la survenance du risque suffit à caractériser l'existence d'un risque grave et que la
sensibilisation des salariés concernés ne garantit pas l'absence de réalisation de l'événement dommageable, la Cour d'appel a statué par des motifs inopérants, en violation de l'article L.4614-12 du Code du travail.