Vu la procédure suivante :
I. Sous le n° 1500273, par un déféré, enregistré le 24 mars 2015, le préfet de la Haute-Corse demande au tribunal d'annuler la feuille de proclamation annexée au procès-verbal afférent au scrutin des opérations électorales qui se sont déroulées le 22 mars 2015 à l'occasion des élections départementales du troisième canton de Bastia déclarant élus les binômes A B Aa et C X Ab à l'issue du premier tour de scrutin.
Le préfet de la Haute-Corse soutient qu'il s'agit d'une erreur matérielle dès lors que les deux binômes ne disposaient pas du nombre de voix requis par l'
article L. 193 du code électoral🏛.
Par un mémoire, enregistré le 29 septembre 2015, M. Ac Aa et Mme A Ad, représentés par Me Muscatelli, concluent à l'irrecevabilité du déféré. Ils soutiennent que si c'est bien évidemment à tort que la feuille de proclamation des résultats établie le 23 mars 2015 a déclaré les deux binômes élus à l'issue du premier tour de scrutin, ce document n'a produit aucun effet de droit puisque le second tour de scrutin a été régulièrement organisé.
II. Sous le n° 1500303, par une protestation et un mémoire complémentaire, enregistrés les 3 avril et 7 octobre 2015, Mme C X et M. Ac Ab demandent au tribunal :
1°) d'ordonner la communication :
- des bulletins nuls ou blancs annexés au procès-verbal,
- des rapports des délégués désignés sur le fondement de l'
article L. 85-1 du code électoral🏛,
- des procurations,
- le document d'enregistrement du service courrier de la commune de Bastia faisant apparaître les procurations parvenues par lettre recommandée ;
2°) d'annuler les élections départementales du troisième canton de Bastia 3 qui se sont déroulées les 22 et 29 mars 2015 à l'issue desquelles a été déclaré élu le binôme constitué de A Ad et Ac Aa ;
Les protestataires soutiennent :
- que les bureaux de vote ont été présidés en violation de l'
article R. 43 du code électoral🏛,
- qu'en dépit d'un climat hostile, ni les présidents ni les membres de la commission ne sont intervenus ainsi qu'ils auraient dû le faire en application de l'alinéa 5 de l'article R. 43 du code électoral,
- que le tract distribué le vendredi 27 mars en fin de soirée constitue une manoeuvre au sens de l'
article L. 49 du code électoral🏛,
- que la distribution par le binôme élu d'un tract de soutien émanant du conseiller général sortant, M. EC, mais non signé et non reconnu par celui-ci, a altéré considérablement la sincérité du scrutin compte tenu du faible écart de voix entre les candidats,
- que les 917 cartes électorales mises à disposition dans les bureaux de vote lors du premier tour de scrutin, ajoutées aux cartes retirées directement par les électeurs en mairie, démontrent le nombre très élevé d'adresses erronées ayant entraîné la non distribution massives des propagandes électorales,
- qu'il y a une différence de onze entre le nombre d'émargement et le nombre de votants ;
- que 174 disparités de signature entre les premier et second tours violent les dispositions de l'
article L. 62-1 du code électoral🏛,
- que les approximations lors des opérations de refonte des listes, notamment le fait que 3 000 électeurs ont changé soit de bureau de vote soit de canton sans qu'ils en soient avisés précisément et individuellement, a perturbé le scrutin,
- qu'ils ont été victimes d'une agression à arme à feu le soir même de la proclamation des résultats du second tour.
Des observations du préfet de la Haute-Corse ont enregistrées les 11 mai et 10 septembre 2015.
Par des mémoires, enregistrés les 26 septembre et 9 octobre 2015, M. Ac Aa et Mme A Ad, représentés par Me Muscatelli, concluent au rejet de la protestation et à la condamnation des requérants à leur verser la somme de 2 500 euros au titre de l'
article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Ils soutiennent que :
- le grief tiré de l'erreur matérielle affectant la feuille de proclamation du premier tour de scrutin est inopérant dès lors que le second tour s'est régulièrement déroulé ;
- le grief tiré des bulletins blancs ou nuls est irrecevable car non assorti des précisions suffisantes ;
- le grief tiré de la violation de l'article R. 43 du code électoral n'est pas fondé en l'absence de manoeuvre ;
- le grief tiré du refus de communication des rapports de la commission de contrôle est inopérant ;
- le grief tiré de l'absence de neutralité aux abords des bureaux de vote manque en fait ;
- le grief tiré de l'irrégularité des certaines procurations est irrecevable car dénué de précision permettant d'en apprécier le bien-fondé ;
- le grief tiré du défaut d'acheminement en mairie de treize procurations manque en fait ;
- le grief tiré de la distribution d'un tract le vendredi 27 mars doit être écarté car non seulement le caractère massif de la diffusion de ce tract n'est pas établi mais ce document n'apporte aucun élément nouveau dans la polémique électorale, outre le fait qu'il ne comporte aucune accusation personnelle à l'encontre des candidats battus ;
- le grief tiré du tract de ralliement de M. Y manque en fait ;
- le grief tiré de la diffusion de la propagande électorale et les adresses erronées sur les cartes d'électeur est irrecevable faute de précision et, au demeurant, infondé ;
- le grief tiré de la différence entre le nombre d'émargements et le nombre de votants est tardif et donc irrecevable ;
- le grief tiré des signatures apposées sur la liste d'émargement n'est fondé tout au plus que dans 29 cas, et ne saurait donc être regardé comme ayant altéré la sincérité du scrutin ;
- le grief tiré du périmètre géographique du 3ème canton n'est pas fondé.
Vu :
- les procès verbaux des opérations électorales en date des 22 et 29 mars 2015 ;
- les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code électoral ;
- le code justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pierre Monnier, président,
- les conclusions de M. Hugues Alladio, rapporteur public,
- et les observations de Me Caporossi-Poletti, représentant M. Ac Ab et Mme C X, et de Me Muscatelli, représentant M. Ac Aa et Mme A Ad.
1. Considérant que le préfet de la Haute-Corse défère au tribunal les opérations électorales qui ont eu lieu le 22 mars 2015 en vue de la désignation des conseillers départementaux du canton de Bastia 3 et demande que le tribunal annule la feuille annexée au procès-verbal afférent au scrutin des opérations électorales qui se sont déroulées le 22 mars 2015 proclamant élus à l'issue du premier tour les deux binômes A Ad - Ac Aa et C X - Ac Ab ; que ces deux derniers protestent contre l'élection du binôme A Ad - Ac Aa à l'issue du second tour de scrutin qui s'est déroulé le 29 mars 2015 ; que le déféré du préfet de la Haute-Corse et la protestation de Mme C X et M. Ac Ab sont relatives aux mêmes élections ; qu'il y a lieu de les joindre pour qu'il en soit statué par un même jugement ;
Sur le déféré du préfet de la Haute-Corse :
2. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'
article R. 112 du code électoral🏛, dans sa rédaction alors en vigueur : " Immédiatement après le dépouillement du scrutin, un exemplaire des procès-verbaux des opérations électorales de chaque commune, accompagné des pièces qui y sont réglementairement annexées, est scellé et transmis par porteur au bureau centralisateur du canton qui procède au recensement général des votes. Le résultat est proclamé par son président, qui adresse tous les procès-verbaux et les pièces au sous-préfet ou, dans l'arrondissement chef-lieu du département, au préfet " ; qu'il résulte de la combinaison des
articles R. 67 et R. 112 du code électoral🏛 qu'il appartient à la seule juridiction administrative saisie d'une protestation, de rectifier les résultats proclamés d'une élection départementale dès qu'ils ont été transcrits au procès-verbal signé des membres du bureau de vote ; que, contrairement à ce que soutiennent M. Ac Aa et Mme A Ad, la circonstance que le second tour de scrutin se soit quand même déroulé ne rend pas irrecevable le déféré du préfet de la Haute-Corse tendant à ce que le résultat du premier tour soit rectifié ;
3. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 193 du code électoral : " Nul binôme de candidats n'est élu au conseil départemental au premier tour de scrutin s'il n'a réuni : 1° La majorité absolue des suffrages exprimés ; 2° Un nombre de suffrages égal au quart de celui des électeurs inscrits ( ) " ; qu'il résulte de l'instruction que, lors des opérations électorales du 22 mars 2015 afférent au premier tour des élections départementales du canton de Bastia 3, 3018 des 6611 électeurs inscrits se sont exprimés ; que, dès lors, il résulte des dispositions précitées de l'article L. 193 qu'un binôme ne pouvait être élu dès le premier tour qu'à la condition d'obtenir au moins 1 653 suffrages ; que les deux binômes A Ad - Ac Aa et C X - Ac Ab ont été proclamés élus alors qu'ils n'avaient obtenu, respectivement, que 1099 et 1033 voix ; qu'il s'ensuit que c'est à bon droit que le préfet de la Haute-Corse soutient que l'annexe au procès-verbal proclamant élus dès le premier tour ces deux binômes doit être annulée ;
4. Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'a été proclamée à tort, à l'issue du scrutin du 22 mars 2015, l'élection des deux binômes A Ad - Ac Aa et C X - Ac Ab ; qu'il y a lieu de rectifier cette erreur et d'annuler l'élection des candidats proclamés à tort à l'issue du premier tour par la feuille annexée au procès-verbal ;
Sur la protestation de Mme C X et M. Ac Ab et sans qu'il soit besoin d'examiner leurs autres griefs ;
5. Considérant en premier lieu qu'aux termes du troisième alinéa de l'article L. 62-1 du code électoral : " Le vote de chaque électeur est constaté par sa signature apposée à l'encre en face de son nom sur la liste d'émargement " ; qu'il résulte de ces dispositions, destinées à assurer la sincérité des opérations électorales, que seule la signature personnelle, à l'encre, d'un électeur est de nature à apporter la preuve de sa participation au scrutin, sauf cas d'impossibilité dûment reportée sur la liste d'émargement ; qu'ainsi, la constatation d'un vote par l'apposition d'une signature qui présente des différences manifestes entre les deux tours de scrutin sans qu'il soit fait mention d'un vote par procuration, ne peut être regardée comme garantissant l'authenticité de ce vote sauf s'il est démontré, par exemple par la production d'une carte d'identité comportant la même signature ainsi que d'une attestation signée de l'électeur certifiant que la signature apposée est bien la sienne ; que la seule similitude entre la signature figurant sur un document d'identité et celle apposée sur les listes d'émargement ne saurait apporter la preuve requise en l'absence de l'attestation de l'électeur ;
6. Considérant qu'il résulte de l'examen des listes d'émargement que les signatures figurant aux n° 76, 136, 180, 190, 198, 243, 275, 349, 457, 486, 618, 623, 669, 738, 741, 780, 796 et 824 dans le bureau de vote n° 15, aux n° 49, 69, 98, 171, 225, 246, 269, 295, 475, 480, 529, 555, 567, 572, 592, 611, 642, 646, 654, 671, 675, 732, 755, 765, 766, 780 et 787 dans le bureau de vote n° 16, aux n° 4, 34, 52, 60, 155, 166, 210, 225, 236, 260, 268, 274, 283, 284, 322, 341, 357, 367, 368, 400, 402, 444, 453, 479, 501, 590, 593, 595, 610, 650, 653, 675, 717, 749 et 774 dans le bureau de vote n° 17, aux n° 107, 198, 347, 365, 372, 373, 458, 519, 734, 780 et 821 dans le bureau de vote n° 18, aux n° 12, 82, 130, 132, 173, 184, 194, 241, 272, 391 394, 413, 418, 458, 584, 623, 628, 719 et 769 dans le bureau de vote 20, aux n° 30, 111, 117, 144, 145, 151, 239, 262, 269, 302, 303, 475, 476, 537, 542, 547, 593, 689, 779, 790, 868, 881, et 1 017 dans le bureau de vote 21, aux n° 2, 6, 73, 84, 116, 179, 202, 234, 323, 350, 378, 383, 386, 405, 469, 509, 518, 546, 555, 631, 850, 861, 959, 1 017, 1 023 et 1 053 dans le bureau de vote n° 22 présentent, sans explication, des différences significatives entre les deux tours de scrutin ; que, dans ces conditions, ces émargements ne peuvent être regardés comme attestant le vote des électeurs en cause dans les conditions fixées par les dispositions précitées de l'article L. 62-1 du code électoral ; que ces 159 suffrages irrégulièrement exprimés doivent être hypothétiquement déduits du nombre de voix obtenues par le binôme constitué de A Ad et Ac Aa ; que, compte tenu de l'écart de 135 voix séparant les deux binômes, les irrégularités commises ont été de nature à altérer la sincérité du scrutin ; que, par suite, sans qu'il soit besoin d'ordonner la communication des documents demandés, Mme C X et M. Ac Ab sont fondés à demander l'annulation des élections départementales du troisième canton de Bastia 3 qui se sont déroulées les 22 et 29 mars 2015 à l'issue desquelles a été déclaré élu le binôme constitué de A Ad et Ac Aa ;
Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que Mme C X et M. Ac Ab , qui ne succombent pas à l'instance, soient condamnés à verser à M. Ac Aa et Mme A Ad une quelconque somme au titre des frais que ces derniers ont exposés et non compris dans les dépens ;