Références
Cour Administrative d'Appel de NantesN° 13NT03326Inédit au recueil Lebon
1ère Chambre lecture du jeudi 26 mars 2015REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégral
Vu la requête, enregistrée le 10 décembre 2013, présentée pour la Société Technique Minérale Culture et Elevage (TMCE), dont le siège est Parc d'activités Gogal Sud à Saint-Gonnery (56920), par Me Lebas, avocat ;
la société TMCE demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1102277 du 18 octobre 2013 par lequel le tribunal administratif de Rennes a annulé la décision implicite par laquelle le ministre du travail, de l'emploi et de la santé a rejeté le recours hiérarchique formé par M. B...contre la décision du 10 novembre 2010 de l'inspecteur du travail de Lorient autorisant son licenciement, ainsi que la décision de l'inspecteur du travail ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser des dommages et intérêts résultant du préjudice lié à la réintégration de M. B...en exécution du jugement, à hauteur du montant des salaires bruts de toutes charges et frais professionnels ;
3°) de mettre à la charge de M. A...B...une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
elle soutient que :
- les dispositions de l'article R. 2421-1 du code du travail prévoient seulement que le salarié peut se faire assister par un représentant de son syndicat ; le refus d'admettre la présence de son avocat lors de son audition au cours de l'enquête contradictoire n'a créé aucune rupture d'égalité dès lors que l'employeur n'était pas davantage représenté ; le pouvoir de l'inspecteur du travail de l'entendre seul ne pouvait être tenu en échec ; en tout état de cause M. B...a bénéficié de la présence de son avocat lors de la procédure de recours hiérarchique ;
- l'inspecteur du travail a reçu et entendu, le 10 novembre 2010, le représentant de l'employeur, puis celui-ci en présence de M.B..., avant d'entendre ensuite le salarié seul ;
- M. B...avait pleinement connaissance des éléments sur lesquels sa demande d'autorisation de licenciement se fondait, consistant d'ailleurs pour l'essentiel sur ses propres courriers et fax adressés à l'employeur, ainsi a-t-il pu faire valoir ses observations en défense devant les membres du comité d'entreprise ;
- la demande de licenciement est fondée sur une cause réelle et sérieuse, constituée par l'attitude d'opposition systématique de M. B...au fonctionnement de l'entreprise et étrangère au mandat syndical de l'intéressé ; c'est à tort que le tribunal administratif a considéré que la motivation de la décision de l'inspecteur du travail autorisant le licenciement du salarié était imprécise et que la matérialité des faits était insuffisamment établie ; les juridictions judiciaires ont d'ailleurs confirmé le bien-fondé des sanctions disciplinaires frappant M. B...pour obstruction et l'absence de discrimination syndicale et de harcèlement moral à son endroit ;
- l'exécution du jugement attaqué a conduit la société TMCE à inviter M. B...à réintégrer ses fonctions et à maintenir sa rémunération ;
Vu le jugement et les décisions attaquées ;
Vu l'ordonnance en date du 30 octobre 2014 fixant la clôture d'instruction au 18 décembre 2014, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative ;
Vu les mémoires, enregistrés les 28 novembre 2014 et 10 décembre 2014, présentés pour la société TMCE qui persiste dans ses conclusions par les mêmes moyens ;
elle soutient en outre que :
- la cour d'appel de Reims a débouté M. B...de l'ensemble de ses demandes relatives aux sanctions disciplinaires, à la discrimination syndicale et au harcèlement moral allégués ;
- alors que la société TMCE a fait droit à la demande de réintégration du requérant en exécution du jugement du tribunal administratif de Rennes, celui-ci n'a pas repris son poste ; toutefois elle persiste dans sa demande indemnitaire à hauteur des salaires éventuellement versés en cas de réintégration ;
Vu le mémoire, enregistré le 11 décembre 2014, présenté pour M. B...domicilié ... par la SCP ACG, avocat ; M. B...conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de la société TMCE une somme de 3 000 euros par application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
il soutient que :
A titre principal :
- la convention n° 81 de l'Organisation internationale du travail n'est pas applicable à la procédure contradictoire préalable au licenciement et ne pouvait, en tout état de cause, faire obstacle au droit du salarié d'être assisté par son conseil ; l'assistance d'un avocat dans le cadre de l'enquête menée suite au recours hiérarchique n'a pas eu pour effet de régulariser la procédure suivie devant l'inspecteur du travail ;
- l'enquête préalable n'a pas satisfait à l'exigence du contradictoire compte tenu de la communication tardive du compte-rendu de la consultation du comité d'entreprise sur le projet de procéder à son licenciement et de la demande d'autorisation de licenciement formulée par l'employeur ;
- le licenciement n'est pas justifié dès lors que, d'une part, l'inspecteur du travail n'a pas vérifié que la faute invoquée présentait un degré de gravité suffisant et, d'autre part, la matérialité de plusieurs des griefs n'est pas établie ; les circonstances postérieures et notamment les conditions de réintégration de M. B...dans l'entreprise ne peuvent être prises en compte ;
- subsidiairement, la procédure préalable au licenciement est irrégulière dès lors, d'une part, que l'avis du comité d'entreprise a été irrégulièrement émis (convocations irrégulières et absence de temps nécessaire pour préparer sa défense, scrutin irrégulier et procès-verbal incomplet) et, d'autre part, qu'il n'y a pas eu d'enquête contradictoire régulière, l'inspecteur du travail ne l'ayant pas entendu individuellement ;
- le juge administratif n'est pas lié par les décisions des juridictions judiciaires ; au demeurant, la société TMCE a été condamnée à lui verser une somme de 50 874 euros au titre des heures de délégation non payées depuis 2004 et une somme de 6 306, 92 euros au titre du maintien de son salaire pendant un arrêt-maladie ;
- son licenciement n'est pas fondé sur des faits présentant un degré de gravité suffisant et présente un lien avec son mandat de délégué syndical : depuis l'acquisition de ce mandat, obtenu en 2004, il subit une discrimination importante et constante dans l'exercice de son activité de technico-commercial ;
- son licenciement porte atteinte à l'intérêt général en supprimant toute représentation syndicale dans l'entreprise ;
A titre subsidiaire :
- la procédure préalable à son licenciement est irrégulière dès lors d'une part que l'avis du comité d'entreprise a été irrégulièrement émis et d'autre part que l'enquête contradictoire menée par l'inspecteur du travail est irrégulière ;
- les motifs de l'autorisation de procéder à son licenciement sont irréguliers faute pour l'administration d'avoir vérifié le degré suffisant de la faute alléguée ;
- les faits reprochés présentent un lien avec son mandat
- son licenciement porte atteinte à un intérêt général ;
Vu le mémoire complémentaire enregistré le 20 février 2015 présenté pour la société TMCE qui persiste dans ses conclusions par les mêmes moyens ;
elle soutient en outre que les pièces produites en appel par M. B...ne sont pas des éléments nouveaux, elles ont trait pour certaines d'entre elles aux allégations de discrimination syndicale et harcèlement moral alors que le pourvoi en cassation formé par l'intéressé contre les décisions des juridictions judiciaires l'ayant débouté vient de faire l'objet d'une décision de non-admission ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques ;
Vu le code du travail ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 26 février 2015 :
- le rapport de Mme Loirat, président-assesseur ;
- les conclusions de Mlle Wunderlich, rapporteur public ;
- les observations de Me Tomine, avocat de la société TMCE et les observations de Me Thiébaut, avocat de M.B... ;
1. Considérant que M. A...B..., employé comme agent technico-commercial au sein de la société Technique Minérale Culture et Elevage (TMCE) depuis le 24 janvier 1995, avait la qualité de salarié protégé en raison de son mandat de délégué syndical et de représentant syndical au comité d'entreprise de cette société ; que le ministre chargé du travail a implicitement rejeté le recours hiérarchique formé par M. B...à l'encontre de la décision de l'inspecteur du travail de Lorient du 10 novembre 2010 autorisant son licenciement ; que, par jugement en date du 18 octobre 2013, le tribunal administratif de Rennes a annulé tant la décision implicite du ministre du travail, de l'emploi et de la santé rejetant le recours hiérarchique de M. B...que la décision de l'inspecteur du travail de Lorient autorisant son licenciement ; que la société TMCE relève appel de ce jugement ;
Sur les conclusions en annulation :
2. Considérant qu'en vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle ; que, lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé ; que, dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi ; qu'à l'effet de concourir à la mise en oeuvre de la protection ainsi instituée, l'article R. 2421-4, dispose que l'inspecteur du travail saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé " procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat. " ;
3. Considérant que l'article 6 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques dispose que : " Les avocats peuvent assister et représenter autrui devant les administrations publiques, sous réserve des dispositions législatives et réglementaires " ;
4. Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 6 de la loi du 31 décembre 1971 que le salarié protégé en raison de son mandat, soumis à une procédure d'autorisation de licenciement, peut bénéficier de l'assistance d'un avocat, à moins que cette assistance ne soit expressément exclue par les textes régissant cette procédure ou ne soit pas compatible avec le fonctionnement de l'autorité administrative saisie de la demande ; que les dispositions précitées de l'article R. 2421-4 du code du travail, qui impliquent, pour le salarié dont le licenciement est envisagé, le droit d'être entendu personnellement et individuellement par l'inspecteur du travail, n'édictent aucune règle excluant de manière expresse qu'un salarié protégé soit assisté par un avocat au cours de l'enquête contradictoire ; que l'assistance d'un avocat n'est pas non plus incompatible avec le caractère contradictoire de l'enquête conduite par l'inspecteur du travail ;
5. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que l'inspecteur du travail de Lorient a refusé la présence de l'avocat de M. B...lors des entretiens réalisés le 14 octobre 2010 au motif que son employeur s'y opposait ; qu'il a dès lors, ce faisant, privé l'intéressé d'une garantie ;
6. Considérant que, lorsqu'il est saisi d'un recours hiérarchique contre une décision d'un inspecteur du travail statuant sur une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, le ministre compétent doit, soit confirmer cette décision, soit, si celle-ci est illégale, l'annuler, puis se prononcer de nouveau sur la demande d'autorisation de licenciement compte tenu des circonstances de droit et de fait à la date à laquelle il prend sa propre décision ; qu'ainsi, s'il est constant que le ministre chargé du travail a, dans le cadre de l'instruction du recours hiérarchique dont il était saisi, procédé, alors qu'il n'y était pas tenu, à une nouvelle enquête contradictoire au cours de laquelle M. B...a pu être entendu en la présence de son conseil, cette circonstance n'a pu avoir pour effet de régulariser la décision initiale d'autorisation de licenciement que le ministre s'est borné à confirmer implicitement ;
7. Considérant qu'il suit de là que la société TMCE n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a annulé la décision de l'inspecteur du travail autorisant le licenciement de M. B...ainsi que la décision du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social confirmant implicitement cette décision ;
Sur les conclusions indemnitaires :
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les conclusions de la société TMCE tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser des dommages-intérêts en réparation des salaires bruts de toutes charges et frais professionnels qu'elles a dû verser à M. B...par suite de sa réintégration dans l'entreprise en exécution du jugement annulé, doivent être, en tout état de cause, rejetées ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de M.B..., qui n'a pas la qualité de partie perdante à la présente instance, la somme que la société TMCE demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
10. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de ces mêmes dispositions, de mettre à la charge de la société TMCE le versement à M. B...d'une somme de 1 500 euros au même titre ;
DECIDE :