Jurisprudence : Cass. crim., 22-09-2015, n° 14-83.787, F-P+B, Cassation partielle



N° N 14-83.787 F P+B N° 3584
ND 22 SEPTEMBRE 2015
CASSATION PARTIELLE
M. GUÉRIN président,
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant

Statuant sur le pourvoi formé par - Mme Z Z,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 4-10, en date du 6 mai 2014, qui, pour retrait de la provision d'un chèque avec l'intention de porter atteinte aux droits d'autrui, l'a condamnée à 3 000 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 23 juin 2015 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale M. Guérin, président, Mme Durin-Karsenty, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre Mme Guichard ;
Sur le rapport de Mme le conseiller DURIN-KARSENTY, les observations de la société civile professionnelle SPINOSI et SUREAU, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DESPORTES ;
Vu le mémoire produit ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme, qu'en règlement d'une cession de parts sociales de la société Le Jamin, représentée par M. ..., à la société Sorelise, cette dernière a émis un chèque de 54 000 euros, sous la signature de Mme Z, sa gérante ; qu'à la suite de l'opposition qu'elle a formée, le chèque a été présenté à l'encaissement le 2 mai 2006 et est revenu impayé ; qu'après que le président du tribunal de commerce, saisi en référé, eut ordonné la mainlevée de l'opposition, le chèque, présenté une seconde fois à l'encaissement, est à nouveau revenu impayé, Mme Z en ayant bloqué la provision, placée sur un compte CARPA ; que Mme Z a été citée par M. ..., partie civile, sur le fondement de l'article L. 163-2 du code monétaire et financier, la société Sorelise ayant été citée en qualité de civilement responsable ; que le tribunal, après avoir retenu la culpabilité de Mme Z, l'a condamnée solidairement avec la société Sorelise au paiement de la somme de 54 000 euros en réparation du préjudice matériel, outre celle de 5 000 euros, pour le préjudice moral ; que la prévenue, la société civilement responsable et le ministère public ont relevé appel ;
En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 111-3, 111-4 du code pénal, L. 163-2 et L. 163-6 du code monétaire et financier, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que la cour d'appel a déclaré la demanderesse coupable de retrait de la provision d'un chèque dans l'intention de porter atteinte aux droits d'autrui ;
"aux motifs que la société Sorelise n'a pas été citée directement par la partie civile devant le tribunal de grande instance en qualité de prévenue, mais seulement de civilement responsable ; que la citation visait en qualité de prévenue Mme Z en son nom personnel et non en tant que gérante de la société Sorelise le 25 mai
2010, ne pouvait avoir pour conséquence qu'elle ne pouvait plus être poursuivie ; que c'est par des motifs pertinents que la cour fait siens et par une juste appréciation des faits et des circonstances particulières de la cause, exactement rapportés dans la décision référée, que les premiers juges ont à bon droit retenu la prévenue dans les liens de la prévention ; qu'il suffit de rappeler que l'opposition litigieuse puis le retrait de provision ont été effectuées par la prévenue dans l'intention de porter atteinte aux droits de la partie civile et de ne pas régler en connaissance de cause, le montant du chèque qu'elle avait établi, d'autant que le dépôt de la somme équivalente sur le compte Carpa a été utilisée à d'autres fins ; qu'il le sera également en répression ; que la peine d'amende délictuelle d'un montant de 3 000 euros constitue une juste application de la loi pénale tenant compte de la nature et de la gravité des faits, des antécédents judiciaires de la prévenue déjà condamnée à deux reprises et des éléments connus de sa personnalité ;
"et aux motifs adoptés que, dans le cadre de la cession des parts sociales de la société Le Jamin par M. ... à la société Sorelise, cette dernière remettait à M. ... le 11 avril 2006 un chèque tiré sur la banque Delubac d'un montant de 54 000 euros ; que ce chèque, émis à Paris et signé par la gérante de la société Sorelise était présenté à l'encaissement le 2 mai 2006 et revenait impayé, la société Sorelise ayant formé opposition, prétendant que le chèque avait été perdu ;qu'en réalité, ce chèque ne pouvait être perdu dans la mesure où il avait été émis en paiement partiel de cessions de parts et avait été adressé par l'avocat ayant rédigé l'acte Me ... par voie recommandée le 18 avril 2006 ; que M. ... saisissait alors en référé le président du tribunal de commerce de Pontoise aux fins de voir ordonnée la mainlevée de l'opposition ; que suivant ordonnance en date du 4 janvier 2007, le président du tribunal de commerce de Pontoise constatait que l'opposition n'était pas fondée et en ordonnait la mainlevée ; que M. ... présentait une nouvelle fois le chèque à l'encaissement mais celui-ci revenait impayé ; qu'il faisait alors délivrer à Mme Z et à la société Sorelise prise en sa qualité de civilement responsable une citation directe devant le tribunal correctionnel de Paris aux fins de voir condamner Mme Z du chef de délit d'émission de chèque sans provision avec intention de porter atteinte aux droits d'autrui et au paiement de dommages et intérêts ; que suivant jugement en date du 22 octobre 2007, le tribunal de céans ordonnait un sursis à statuer dans l'attente de l'issue d'une information judiciaire ; que l'affaire faisait l'objet de renvois successifs et suivant jugement, en date du 12 mai 2010, le tribunal ne faisait pas droit à une demande de renvoi de la partie civile et en son absence constatait son désistement ; que cette décision était frappée d'appel le
25 mai 2010, entre-temps le juge d'instruction rendait une ordonnance de non-lieu confirmé par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris le 5 mai 2011 ; que M. ... formait alors opposition à l'encontre du jugement du 12 mai 2010 ; que Mme Z, représentée par son conseil, plaide la relaxe, aux motifs que si le chèque litigieux a effectivement été frappé d'opposition, elle n'a jamais entendu porter atteinte aux droits de M. ... ; qu'en effet, dans l'exercice de la gestion de la société Sorelise elle a estimé devoir bloquer le chèque émis à l'ordre de M. ... le temps que les irrégularités comptables découvertes soient réglées et a pris soin de consigner la même somme entre les mains de son conseil en lui remettant un chèque libellé à l'ordre de la Carpa ; que Mme Z considère qu'ayant agi en qualité de gérante de la société Sorelise, sa responsabilité pénale personnelle ne peut être retenue ; qu'en outre, M. ... qui dispose déjà d'un titre exécutoire suite à l'ordonnance de référé du président du tribunal de commerce de Pontoise est mal fondé à réclamer à nouveau le montant du chèque litigieux ; que la partie civile peut indifféremment engager des poursuites à l'encontre du gérant personne physique ou de la société personne morale ; que l'article L163-2 du code monétaire et financier dispose qu'"est puni d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 375 000 euros, le fait pour toute personne d'effectuer après l'émission d'un chèque, dans l'intention de porter atteinte aux droits d'autrui, le retrait de tout ou partie de la provision, par transfert, virement ou quelque moyen que ce soit, ou de faire dans les mêmes conditions défense au tiré de payer" ; que l'intention de nuire est avérée lorsque le tireur fait défense au tiré de payer, tout en ayant conscience que le chèque sera impayé lors de sa présentation et le restera par la suite ; qu'en l'espèce, tant la cour d'appel de Paris que le magistrat instructeur et la chambre de l'instruction ont constaté que contrairement à ce qu'affirmait Mme Z, la société Le Jamin n'était pas en cessation des paiements et n'a retenu aucune faute de gestion ni de dissimulation de la part de M. ... ; que la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris aux termes de son arrêt du 5 mai 2011 a considéré que la plainte avec constitution de partie civile de Mme Z déposée après avoir été citée par M. ... à comparaître devant le tribunal correctionnel, paraissait abusive et dilatoire ; que Mme Z ne pouvait de son propre chef bloquer des fonds dont la société Sorelise était redevable, dans l'attente d'un éventuel accord entre les parties suite à de prétendues créances dont la réalité n'a pas été avérée ; qu'un compte Carpa n'est en aucun cas un compte séquestre et qu'il convient d'observer que les 54 000 euros déposés n'ont jamais été à la disposition de M. ..., la Carpa l'ayant avisé que la somme n'était plus au crédit du compte ; qu'il y a lieu, en outre, de rappeler que les fonds ne peuvent être retirés qu'avec l'autorisation du client, ce qui permet de conclure que Mme Z n'entendait pas les séquestrer ; qu'il y a lieu de déclarer recevable l'opposition formée par M. ... au jugement en date du 12 mai 2010 rendu par le tribunal correctionnel de Paris 13e chambre ; qu'en conséquence ce jugement doit être mis à néant ; qu'attendu qu'il résulte des éléments du dossier et des débats qu'il convient de déclarer Mme Z coupable pour les faits qualifiés de retrait de la provision d'un chèque avec l'intention de porter attente aux droits d'autrui, faits commis le 11 avril 2006 depuis temps non prescrit à Paris sur le territoire national, et qu'il y a lieu d'entrer en voie de condamnation, la prévenue ayant déjà été condamnée à trois reprises notamment le 26 mars 2011 par la chambre des appels correctionnel de la cour d'appel de Paris pour des faits de même nature, il convient de prononcer à son encontre une peine d'amende délictuelle ;
"1o) alors que la cour d'appel ne pouvait s'abstenir de répondre à l'articulation essentielle du mémoire qui faisait valoir que le tribunal correctionnel n'avait pu statuer sans qu'ait été cité le liquidateur de la société Sorelise, civilement responsable, placée en liquidation judiciaire par un jugement du tribunal de commerce de Pontoise du 25 mai 2010 ;
"2o) alors que le délit de retrait de la provision d'un chèque n'est constitué que si se trouve caractérisée la volonté de porter atteinte aux droits d'autrui ; que tel n'est pas le cas lorsque le retrait de provision intervient en relation avec une contestation du bien-fondé de la créance fondamentale ; qu'en l'espèce, en sa qualité de gérante de la société Sorelise, Mme Z a fait opposition au paiement du chèque émis le 11 avril 2006 d'un montant de 54 000 euros, après avoir découvert que la société Le Jamin dont des parts étaient cédées en contrepartie de cette somme était grevée d'un important passif ; qu'en conséquence, la cour d'appel se devait de prendre en considération le motif tiré de la préservation des intérêts de la société pour en déduire l'absence de dol spécial" ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt et du jugement qu'il confirme mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions régulièrement déposées devant elle et caractérisé, en tous ses éléments, tant matériel qu'intentionnel, le délit dont elle a déclaré la prévenue coupable ;
D'où il suit que le moyen, qui revient à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être accueilli ;

Mais sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 163-2, L. 163-6 et L. 163-9 du code monétaire et financier, 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale.;
"en ce que la cour d'appel a confirmé le jugement en ses dispositions civiles à l'encontre de la demanderesse seule, la condamnant à verser à M. ... les sommes de 54 000 euros en remboursement du chèque et 5 000 euros au titre du préjudice moral ;
"aux motifs que c'est à bon droit que le tribunal a reçu M. ... en sa constitution de partie civile ; que les premiers juges ont fait une exacte appréciation des préjudices matériel et moral ayant directement résulté de l'infraction pour la partie civile ainsi que de l'évaluation équitable des frais irrépétibles engagés par celle-ci en première instance ; que les dispositions civiles du jugement seront en conséquence confirmées à l'encontre de Mme Z seule, la société Sorelise n'ayant plus d'existence légale et ne pouvant dès lors faire l'objet d'une condamnation en tant que civilement responsable ;
"alors que l'action en paiement du montant d'un chèque sans provision ne peut être dirigée que contre le débiteur de l'obligation que ce chèque prétendait éteindre ; que les juges du fond ne peuvent donc condamner l'auteur du délit de retrait de la provision qu'à réparer le dommage causé par l'infraction mais non à rembourser le montant d'une créance dont il n'était pas personnellement débiteur ; qu'en condamnant Mme Z au remboursement du chèque d'un montant de 54 000 euros dont seule la société Sorelise était redevable, la cour d'appel a violé la loi" ;

Vu les articles L.163-9 du code monétaire et financier, 2 et 3 du code de procédure pénale ;
Attendu que l'action civile, en remboursement de la créance que la remise du chèque était destinée à éteindre, ne peut être dirigée que contre le débiteur lui-même ;
Attendu que, pour condamner Mme Z à payer à M. ... la somme de 54 000 euros, l'arrêt énonce, par motifs propres et adoptés, que les dispositions civiles du jugement seront confirmées à l'encontre de Mme Z seule, la société Sorelise n'ayant plus d'existence légale depuis la clôture de la liquidation judiciaire et ne pouvant faire l'objet d'une condamnation en tant que civilement responsable ;
Mais attendu qu'en condamnant Mme Z au paiement d'une somme égale au montant du chèque litigieux en remboursement de la créance contractuelle résultant de la convention initialement conclue entre les sociétés ... ... et Sorelise, ce dont il résultait que cette dernière, placée postérieurement en liquidation judiciaire, était la seule débitrice de ladite créance, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 6 mai 2014, mais en ses seules dispositions ayant condamné Mme Z à payer la somme de 54 000 euros à M. ... ..., toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée, RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-deux septembre deux mille quinze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

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