Jurisprudence : CE référé, 30-07-2015, n° 392043, publié au recueil Lebon

CE référé, 30-07-2015, n° 392043, publié au recueil Lebon

A0856NNZ

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CE référé, 30-07-2015, n° 392043, publié au recueil Lebon. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/25566733-ce-refere-30072015-n-392043-publie-au-recueil-lebon
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CONSEIL D'ETAT


Statuant au contentieux


N°s 392043, 392044


SECTION FRANCAISE DE L'OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS (OIP-SF) et ORDRE DES AVOCATS AU BARREAU DE NÎMES


Ordonnance du 30 juillet 2015


REPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM A.

LE JUGE DES REFERES


Vu la procédure suivante :


La Section française de l'Observatoire international des prisons a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nîmes, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative d'une part d'enjoindre à l'administration de prendre toutes les mesures nécessaires afin de faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales portées aux libertés fondamentales des personnes détenues à la maison d'arrêt de Nîmes, d'autre part, d'enjoindre à la ministre de la justice, garde des sceaux de prendre toutes les mesures nécessaires et de réaliser les travaux afin de lutter efficacement et durablement contre la sur-occupation de la maison d'arrêt de Nîmes, au besoin après l'établissement d'un plan présentant des objectifs chiffrés et datés relatifs au développement de ces mesures ;


Par une ordonnance n° 1502166 du 17 juillet 2015, le juge des référés du tribunal administratif de Nîmes a admis les interventions du Syndicat de la magistrature, du Syndicat des avocats de France et de l'ordre des avocats près la cour d'appel de Nîmes et a rejeté la demande présentée par la Section française de l'Observatoire international des prisons.


1) Sous le numéro 392043, par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés le 24 et le 29 juillet 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Section française de l'Observatoire international des prisons demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :


1°) d'annuler cette ordonnance en tant qu'elle rejette sa demande ;


2°) de faire droit à sa demande de première instance ;


3°) d'enjoindre à l'administration d'améliorer les conditions d'hébergement matérielles et sanitaires des mères avec enfant et de signer une convention avec la protection maternelle et infantile ;


4°) d'enjoindre à l'administration d'améliorer les conditions de détention au sein du quartier disciplinaire afin de les rendre conformes aux exigences élémentaires du respect de la dignité humaine ;


5°) d'enjoindre à l'administration de conclure une convention de partenariat avec l'autorité préfectorale compétente afin d'instruire les demandes d'établissement ou de renouvellement des titres de séjour des personnes détenues de nationalité étrangère ;


6°) d'enjoindre à l'administration d'adopter les mesures d'organisation du service garantissant aux personnes détenues convoquées aux consultations médicales de s'y rendre ;


7°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Elle soutient que :


- les conditions d'incarcération sont de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale aux droits fondamentaux des personnes détenues ;


- l'ordonnance attaquée est entachée d'une dénaturation des pièces du dossier dès lors que le juge des référés n'a pas pris en compte les pièces produites par la requérante autre que le rapport de 2012 du Contrôleur général des lieux de privation de liberté ;


- l'ordonnance attaquée est entachée d'une erreur d'appréciation des faits, dès lors que le juge des référés n'a pas tenu compte des faits et a considéré que les conditions de détention au sein de la prison étaient conformes aux exigences conventionnelles découlant des articles 2, 3 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales et des droits de l'homme ;


- l'ordonnance attaquée est entachée d'une erreur de droit dès lors que le juge a méconnu l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales et des droits de l'homme qui impose à l'administration la réalisation des prescriptions émises par la sous-commission départementale pour la sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public pour protéger la vie des détenus ;


- le juge des référés a dénaturé les écritures de la requérante dès lors qu'il a considéré qu'elle demandé l'injonction de mesures structurelles de réhabilitation insusceptibles d'être prononcées à brefs délais ;


- le juge des référés était compétent pour prononcer les mesures d'injonction demandées par la requérante.


Le contrôleur général des lieux de privation de liberté a présenté des observations, enregistrées le 27 juillet 2015.


Par une intervention, enregistrée le 28 juillet 2015, le Syndicat de la magistrature demande que le Conseil d'Etat fasse droit aux conclusions de la Section française de l'Observatoire international des prisons.


Par un mémoire en défense, enregistré le 28 juillet 2015, la garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête. Elle soutient que :


- certaines conclusions présentées devant le juge des référés du Conseil d'Etat sont irrecevables dès lors qu'elles sont nouvelles ;


-la condition d'urgence n'est pas remplie dès lors qu'aucun danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes né d'une carence de l'administration n'est démontré, et qu'en outre des travaux de réfection de l'établissement sont en cours ou programmés ;


- aucune atteinte grave et manifestement illégale n'est portée au droit de ne pas subir de traitements inhumains et dégradants, au respect de la dignité humaine.


2) Sous le numéro 392044, par une requête enregistrée le 24 juillet 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'ordre des avocats au barreau près la cour d'appel de Nîmes demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :


1°) d'admettre son appel ;


2°) d'annuler l'ordonnance rendue le 17 juillet 2015 par le juge des référés du tribunal administratif de Nîmes ;


3°) faire droit aux demandes présentées par lui devant le juge des référés du tribunal administratif de Nîmes ;


4°) d'enjoindre à l'administration d'améliorer les conditions d'hébergement matérielles et sanitaires des mères avec enfant et de conclure une convention avec la protection maternelle et infantile ;


5°) d'enjoindre à l'administration d'améliorer les conditions de détention au sein du quartier disciplinaire afin de les rendre conformes aux exigences élémentaires du respect de la dignité humaine ;


6°) d'enjoindre à l'administration de conclure une convention de partenariat avec l'autorité préfectorale compétente afin d'instruire les demandes d'établissement ou de renouvellement des titres de séjour des personnes détenues de nationalité étrangère ;


7°) d'enjoindre à l'administration d'adopter les mesures d'organisation du service garantissant aux personnes détenues convoquées aux consultations médicales de s'y rendre.


Il soutient que :


- il a intérêt à relever appel de l'ordonnance du 17 juillet 2015 du juge des référés du tribunal administratif de Nîmes ;


- la condition d'urgence est remplie dès lors qu'un grand nombre de personnes actuellement détenues de la maison d'arrêt de Nîmes sont confrontées à des conditions de détention méconnaissant les libertés fondamentales consacrées par les articles 2, 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que l'article 22 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;


- l'ordonnance attaquée est entachée d'une erreur d'appréciation des faits et d'une erreur de droit, dès lors que le juge des référés a considéré que les conditions de détention au sein de la prison étaient conformes aux libertés fondamentales consacrées par les articles 2, 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que l'article 22 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;


- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales consacrées par les articles 2, 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que l'article 22 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009.


Le contrôleur général des lieux de privation de liberté a présenté des observations, enregistrées le 27 juillet 2015.


Par un mémoire en défense, enregistré le 28 juillet 2015, la garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête. Elle soutient que :


- certaines conclusions présentées devant le juge des référés du Conseil d'Etat sont irrecevables dès lors qu'elles sont nouvelles ;


- l'appel formé par l'ordre des avocats au barreau de Nîmes est irrecevable dès lors que celui ne justifie d'aucun intérêt particulier à agir ;


- la condition d'urgence n'est pas remplie dès lors qu'aucun danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes né d'une carence de l'administration n'est démontré, et qu'en outre des travaux de réfection de l'établissement sont en cours ou programmés ;


- aucune atteinte grave et manifestement illégale n'est portée au droit de ne pas subir de traitements inhumains et dégradants, au respect de la dignité humaine.


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la Section française de l'Observatoire international des prisons et l'ordre des avocats au barreau près la cour d'appel de Nîmes, d'autre part, le garde des sceaux, ministre de la justice ;


Vu le procès-verbal de l'audience publique du 29 juillet 2015 à 15 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :


- Me Spinosi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation ; avocat de l'Observatoire international des prisons ;


- le représentant de l'Observatoire international des prisons ;


- les représentants de la garde des sceaux, ministre de la justice ; et à l'issue de laquelle le juge des référés a prolongé l'instruction jusqu'au 30 juillet 2015 à 17 heures ;


Vu le mémoire du 30 juillet 2015 présenté par la garde des sceaux, ministre de la justice ;


Vu le mémoire du 30 juillet 2015 présenté par la Section française de l'Observatoire international des prisons ;


Vu les autres pièces du dossier ;


Vu :


- la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;


- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;


- le code de procédure pénale ;


- le code de justice administrative ;




1. Considérant que les requêtes de la Section française de l'observatoire international des prisons et de l'Ordre des avocats près la cour d'appel de Nîmes sont dirigées contre la même ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nîmes ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule ordonnance ;


2. Considérant que la Section française de l'observatoire international des prisons a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Nîmes, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, lui demandant de prendre toutes mesures utiles pour faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales portées aux libertés fondamentales des détenus de la maison d'arrêt de Nîmes ; que, par une ordonnance du 17 juillet 2015, le juge des référés du tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande ; que la Section française de l'observatoire international des prisons et l'Ordre des avocats près la cour d'appel de Nîmes relèvent appel de cette ordonnance devant le juge des référés du Conseil d'Etat ;


Sur la recevabilité de l'appel formé par l'Ordre des avocats près la cour d'appel de Nîmes :


3. Considérant qu'eu égard à l'objet et aux caractéristiques du référé liberté, l'intérêt à saisir le juge des référés sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative est subordonné à des conditions particulières et différentes de celles qui s'appliquent pour le référé suspension ;


4. Considérant que l'Ordre des avocats près la cour d'appel de Nîmes qui regroupe des avocats directement appelés à exercer leur office au sein de la maison d'arrêt de Nîmes aurait eu intérêt à saisir le juge des référés du premier degré des conclusions au soutien desquelles il est intervenu ; que son appel est, par suite, recevable ;


Sur l'intervention du Syndicat de la magistrature :


5. Considérant que le Syndicat de la magistrature a intérêt à l'annulation de l'ordonnance attaquée ; que son intervention est, par suite, recevable ;


Sur le cadre juridique du litige :


6. Considérant qu'aux termes de l'article 22 de la loi du 24 novembre 2009 pénitentiaire : " L'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits L'exercice de ceux-ci ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l'intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l'âge, de l'état de santé, du handicap et de la personnalité de la personne détenue " ;


7. Considérant qu'eu égard à la vulnérabilité des détenus et à leur situation d'entière dépendance vis à vis de l'administration, il appartient à celle-ci, et notamment aux directeurs des établissements pénitentiaires, en leur qualité de chefs de service, de prendre les mesures propres à protéger leur vie ainsi qu'à leur éviter tout traitement inhumain ou dégradant afin de garantir le respect effectif des exigences découlant des principes rappelés notamment par les articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que le droit au respect de la vie ainsi que le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants constituent des libertés fondamentales au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ; que, lorsque la carence de l'autorité publique crée un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes ou les expose à être soumises, de manière caractérisée, à un traitement inhumain ou dégradant, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à ces libertés fondamentales, et que la situation permet de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures, le juge des référés peut, au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2 précité, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de cette carence ;


8. Considérant que le droit au respect de la vie privée et familiale rappelé notamment par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dont bénéficient, compte tenu des contraintes inhérentes à la détention, les personnes détenues, revêt le caractère d'une liberté fondamentale au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ; que, lorsque le fonctionnement d'un établissement pénitentiaire ou des mesures particulières prises à l'égard d'un détenu affectent, de manière caractérisée, son droit au respect de la vie privée et familiale dans des conditions qui excèdent les restrictions inhérentes à la détention, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à cette liberté fondamentale, et que la situation permet de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures, le juge des référés peut, au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2 précité, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser l'atteinte excessive ainsi portée à ce droit ;

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