CONSEIL D'ETAT
Statuant au contentieux
N° 380828
ELECTIONS MUNICIPALES DE GUEGON (Morbihan)
M. Cyrille Beaufils, Rapporteur
M. Xavier de Lesquen, Rapporteur public
Séance du 6 mai 2015
Lecture du 22 mai 2015
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 6ème et 1ère sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 6ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la procédure suivante :
Le préfet du Morbihan a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées le 23 mars 2014 dans la commune de Guégon ; M. A.AD.a demandé au tribunal la rectification des résultats de ces opérations électorales. Par un jugement nos 1401343, 1401537 du 22 mai 2014, le tribunal administratif de Rennes, d'une part, a validé l'élection de M.F., de MmeC., de M.D., de Mme AS., de M.AD., de MmeR., de M. J.et de Mme X.comme conseillers municipaux de la commune de Guégon (Morbihan) et celle de M. F.et de M. AD. comme conseillers communautaires et annulé l'élection de M.W., de Mme AL., de M. AA., de MmeV., de M.AR., de MmeO., de M. Y., de MmeAC., de M.AI., de Mme L.et de M. I.comme conseillers municipaux et celle de MmeC., de M.D., de Mme AS.et de M. W. comme conseillers communautaires, et, d'autre part, a proclamés élus comme conseillers municipaux de la commune, M.AG., MmeAP., M.G., Mme T., M.AH., Mme V., M.H., MmeAQ., M.B., Mme U.et M. AN. et proclamés élus comme conseillers communautaires, MmeR., M.J., Mme X.et M. AG.
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 2 juin et 2 juillet 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. AO.F., Mme AT.C., M. P.D., Mme AK.AS., M. AE.W., Mme M.AL., M. Q.AA., Mme N.V., M. AF.AR., Mme AJ.O., M. E.Y., Mme AM.AC., M. AB.AI., Mme K.L.et M. S.I.demandent au Conseil d'Etat d'annuler ce jugement et de rejeter la protestation de M.AD.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code électoral ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Cyrille Beaufils, auditeur,
- les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Delamarre, avocat de M. F.et autres ;
Sur les griefs relatifs aux opérations électorales :
1. Considérant qu'à l'issue des opérations électorales qui se sont déroulées le 23 mars 2014 pour le renouvellement du conseil municipal de Guégon (Morbihan), la liste " Ensemble, agissons pour Guégon ", conduite par M.F., a remporté le scrutin avec 585 voix, contre 571 voix pour la liste " Guégon avec vous ", conduite par M. AD.; que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a modifié les résultats du scrutin en réintégrant dans ces résultats 77 bulletins en faveur de la liste " Guégon avec vous " ; qu'il a, à la suite des rectifications auxquelles il a ainsi procédé, annulé l'élection de onze candidats de la liste " Ensemble, agissons pour Guégon " comme conseillers municipaux et de quatre candidats de cette même liste comme conseillers communautaires, proclamé élus onze candidats de la liste " Guégon avec vous " comme conseillers municipaux et quatre candidats de cette même liste comme conseillers communautaires, et validé l'élection des autres candidats déclarés élus à l'issue du scrutin ;
2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 66 du code électoral, dans sa version alors en vigueur : " Les bulletins blancs, ceux ne contenant pas une désignation suffisante ou dans lesquels les votants se sont fait connaître, les bulletins trouvés dans l'urne sans enveloppe ou dans des enveloppes non réglementaires, les bulletins écrits sur papier de couleur, les bulletins ou enveloppes portant des signes intérieurs ou extérieurs de reconnaissance, les bulletins ou enveloppes portant des mentions injurieuses pour les candidats ou pour des tiers n'entrent pas en compte dans le résultat du dépouillement (.) " ; qu'aux termes de l'article R. 66-2 du même code : " Sont nuls et n'entrent pas en compte dans le résultat du dépouillement : / 1° Les bulletins ne répondant pas aux prescriptions légales ou réglementaires édictées pour chaque catégorie d'élections ; / 2° Les bulletins établis au nom d'un candidat, d'un binôme de candidats ou d'une liste dont la candidature n'a pas été enregistrée ; / 3° Sous réserve de l'article R. 30-1 les bulletins comportant un ou plusieurs noms autres que celui du ou des candidats ou de leurs remplaçants éventuels ; / 4° Les bulletins comportant une modification de l'ordre de présentation des candidats ; / 5° Les bulletins imprimés d'un modèle différent de ceux qui ont été produits par les candidats ou qui comportent une mention manuscrite " ; que ces dispositions n'ont pas pour effet de rendre nuls les suffrages des électeurs qui auraient émis un vote contenant une désignation suffisante de la liste en faveur de laquelle ils ont entendu se prononcer ;
3. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que si, à la suite d'une erreur non intentionnelle, 77 bulletins mentionnaient, pour MmeAP., candidate en 6ème position sur la liste " Guégon avec vous ", le prénom d' " Esméralda " au lieu de celui de " Maria-Esméralda " qui figurait sur l'arrêté préfectoral portant liste des candidats, cette circonstance n'était pas de nature à induire en erreur les électeurs sur l'identité de la candidate ou sur la composition de la liste pour laquelle ils entendaient voter et ne constituait pas une méconnaissance des dispositions précitées de l'article R. 66-2 ; que, dans ces conditions, les électeurs ayant utilisé ces bulletins doivent être regardés comme ayant émis un vote contenant une désignation suffisante des candidats conformément aux prescriptions de l'article L. 66 du code électoral et comme ayant clairement manifesté leur intention de voter pour les candidats de cette liste ;
4. Considérant, en second lieu, qu'aux termes du I de l'article L. 273-9 du code électoral : " I. La liste des candidats aux sièges de conseiller communautaire figure de manière distincte sur le même bulletin que la liste des candidats au conseil municipal dont elle est issue. / Sous réserve du II, la présentation de la liste des candidats au conseil municipal et à l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre est soumise aux règles suivantes : / 1° La liste des candidats aux sièges de conseiller communautaire comporte un nombre de candidats égal au nombre de sièges à pourvoir, augmenté d'un candidat supplémentaire si ce nombre est inférieur à cinq et de deux dans le cas inverse " ; que l'article L. 260 du même code, désormais applicable aux communes de 1 000 habitants et plus, prévoit que : " Les conseillers municipaux sont élus au scrutin de liste à deux tours, avec dépôt de listes comportant autant de candidats que de sièges à pourvoir, sans adjonction ni suppression de noms et sans modification de l'ordre de présentation (.) " ; qu'il résulte de l'instruction que trois bulletins de la liste " Ensemble, agissons pour Guégon " comportaient un nombre insuffisant de noms de candidats au regard du nombre de sièges de conseillers communautaires à pourvoir ; qu'il suit de là que les votes émis au moyen de ces bulletins ne contenaient pas une désignation suffisante des candidats en faveur desquels les électeurs entendaient se prononcer ; que par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a jugé que les suffrages émis au moyen de ces bulletins de vote avaient été à bon droit déclarés nuls lors du dépouillement ;
5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que le tribunal administratif de Rennes, après avoir réintégré les 77 bulletins de vote de la liste " Guégon avec vous " décomptés à tort comme nuls et jugé que les 3 bulletins litigieux de la liste " Ensemble pour Guégon " avaient été à bon droit décomptés comme nuls, a procédé à la rectification des résultats des opérations électorales qui se sont déroulées le 23 mars 2014 pour l'élection des conseillers municipaux et des conseillers communautaires de Guégon, en portant le nombre de suffrages exprimés à 1 233 et le nombre de suffrages obtenus par la liste " Guégon avec vous " à 648 voix, soit 52, 55% des voix ;
Sur les griefs relatifs à la proclamation comme élus de certains candidats de la liste " Guégon avec vous " :
6. Considérant qu'aux termes de l'article L. 262 du code électoral : " Au premier tour de scrutin, il est attribué à la liste qui a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés un nombre de sièges égal à la moitié du nombre des sièges à pourvoir, arrondi, le cas échéant, à l'entier supérieur lorsqu'il y a plus de quatre sièges à pourvoir et à l'entier inférieur lorsqu'il y a moins de quatre sièges à pourvoir. Cette attribution opérée, les autres sièges sont répartis entre toutes les listes à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne (.) " ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 273-8 du même code : " Les sièges de conseiller communautaire sont répartis entre les listes par application aux suffrages exprimés lors de cette élection des règles prévues à l'article L. 262. Pour chacune des listes, les sièges sont attribués dans l'ordre de présentation des candidats. " ; que, par application de ces dispositions, la liste " Guégon avec vous " avait droit à 15 sièges de conseillers municipaux et 5 sièges de conseillers communautaires et la liste " Ensemble agissons pour Guégon " avait droit à 4 sièges de conseillers municipaux et 1 siège de conseiller communautaire ;
7. Considérant qu'aux termes de l'article L. 2121-4 du code général des collectivités territoriales : " Les démissions des membres du conseil municipal sont adressées au maire. / La démission est définitive dès sa réception par le maire, qui en informe immédiatement le représentant de l'Etat dans le département " ; qu'il résulte de l'instruction que M.AD., premier candidat sur la liste " Guégon avec vous ", ainsi que Mmes R.etX., élus à la suite du scrutin du 23 mars 2014, ont démissionné de leurs fonctions de conseillers municipaux ; que M.G., appelé à remplacer Mme X.en tant que suivant de liste, a à son tour démissionné ; que MmeT., qui a remplacé M.G., a démissionné à son tour ; que M. AH., qui a succédé à M.G., a également démissionné par la suite ; que les lettres de démission des intéressés ont été reçues par le maire de la commune, M.F., respectivement les 25 mars et les 2, 4, 10, 18 et 29 avril 2014 ; que M.F., proclamé élu à la suite du scrutin du 24 mars 2014, exerçait valablement à ces dates les fonctions de maire, dès lors qu'aucune décision juridictionnelle définitive rectifiant le résultat des élections n'était alors intervenue ; que ces démissions doivent donc être regardées, en application des dispositions ci-dessus citées de l'article L. 2121-4 du code général des collectivités territoriales, comme définitives à compter de leur réception par le maire ;
8. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit au point 6, la liste " Guégon avec vous " avait droit, en application des dispositions des articles L. 262 et L. 273-8 du code électoral, à 15 sièges de conseillers municipaux et à 5 sièges de conseillers communautaires et la liste " Ensemble agissons pour Guégon " avait droit à 4 sièges de conseillers municipaux et 1 siège de conseiller communautaire ; que, compte tenu du nombre de démissions intervenues, la liste " Guégon avec vous ", qui comprenait initialement 19 candidats à l'élection municipale et 6 candidats à l'élection des conseillers communautaires, n'en comprend plus, respectivement, que 13 et 3, soit, dans les deux cas, un nombre de candidats inférieur au nombre de sièges à pourvoir ;
9. Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article L. 270 du code électoral, applicable aux communes de mille habitants et plus : " Le candidat venant sur une liste immédiatement après le dernier élu est appelé à remplacer le conseiller municipal élu sur cette liste dont le siège devient vacant pour quelque cause que ce soit (.) ; / Lorsque les dispositions des alinéas précédents ne peuvent plus être appliquées, il est procédé au renouvellement du conseil municipal : 1° dans les trois mois de la dernière vacance, si le conseil municipal a perdu le tiers de ses membres (.) ; 2° dans les conditions prévues aux articles L. 2122-8 et L. 2122-14 du code général des collectivités territoriales, s'il est nécessaire de compléter le conseil avant l'élection d'un nouveau maire " ; que le deuxième alinéa de l'article L. 2122-10 du code général des collectivités territoriales prévoit, dans sa version issue de la loi du 17 mai 2013, que " (.) dans les communes de 1 000 habitants et plus, le mandat du maire et des adjoints prend fin de plein droit lorsque la juridiction administrative, par une décision devenue définitive, a rectifié les résultats de l'élection des conseillers municipaux de telle sorte que la majorité des sièges a été attribuée à une liste autre que celle qui avait bénéficié de cette attribution lors de la proclamation des résultats à l'issue du scrutin " ; qu'il ressort de ces dispositions que, si le conseil municipal s'avère incomplet en raison de la vacance, pour quelque cause que ce soit, du siège d'un conseiller municipal et qu'il est en outre impossible de le compléter par appel au candidat venant immédiatement après le dernier élu sur la même liste, il doit être procédé, préalablement à l'élection d'un nouveau maire, au renouvellement intégral du conseil municipal ; qu'en l'espèce, il est nécessaire de compléter le conseil municipal afin de procéder à l'élection d'un nouveau maire, compte tenu de la rectification des résultats des opérations électorales qui résulte des points précédents ; que, toutefois, le nombre des démissions intervenues ne permet pas la proclamation d'un conseil municipal complet ; que, dans ces circonstances et eu égard à l'office du juge de l'élection, c'est à tort que le tribunal administratif de Rennes n'a pas annulé l'ensemble des opérations électorales qui se sont déroulées le 23 mars dans la commune de Guégon ; qu'il y a lieu, par suite, d'annuler le jugement attaqué ainsi que ces opérations électorales ;