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13/04/2015
ARRÊT N°229
N° RG 14/01404
BB/CD
Décision déférée du 18 Février 2014 - Tribunal de Grande Instance d'ALBI - 13/00139
Mme ... ...
Martine Z épouse Z
C/
Laure Y
INFIRMATION
Grosse délivrée
le
à
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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COUR D'APPEL DE TOULOUSE
1ere Chambre Section 1
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ARRÊT DU TREIZE AVRIL DEUX MILLE QUINZE
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APPELANTE
Madame Martine Z épouse Z
SAINT CLOUD
Représentée par Me Mireille SERVIERES de la SCP BONNECARRERE SERVIERES GIL, avocat au barreau d'ALBI
Assistée de Me BANCELIN, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE
Madame Laure Y
RODEZ
Représentée par Me Georges DAUMAS de la SCP SCP DAUMAS, avocat au barreau de TOULOUSE
Assistée de Me Gilles LASRY, avocat au barreau de MONTPELLIER
COMPOSITION DE LA COUR
Après audition du rapport, l'affaire a été débattue le 2 Février 2015 en audience publique, devant la Cour composée de
B. BRUNET, président
M. MOULIS, conseiller
P. CRABOL, conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats J. BARBANCE-DURAND
ARRÊT
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par B. BRUNET, président, et par J. BARBANCE-DURAND, greffier de chambre.
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS DES PARTIES
Mme Josette ... est décédée le 4 octobre 2003 laissant pour lui succéder ses trois filles Mmes ..., ... et Z Z.
Dans le cadre d'un litige concernant le partage successoral et selon jugement du 22 février 2008, le Tribunal de grande instance de Rodez a ordonné la licitation de l'ensemble immobilier dit le château de Laborie situé à Saint Geniez d'Oldt. Cette décision a mis à la charge de Me Y, avocate représentant Mmes ... et ... Z, la rédaction du cahier des charges en vue de la vente de l'ensemble immobilier.
Selon acte d'huissier du 18 janvier 2013, Madame Martine Z épouse Z a fait citer Maître Laure Y sur le fondement de l'article 1382 du code civil.
Dans ses dernières écritures visées au greffe le 26 août 2013 (la date de signification ne figure pas sur le jeu de conclusions) elle formule les demandes suivantes
- condamner Maître Laure Y a lui payer la somme de 200.000 euros a titre de dommages et intérêts,
- condamner Maître Laure Y à rédiger le cahier des charges sous astreinte de 300 euros par jour de retard,
- condamner Maître Laure Y aux dépens distraits. Au soutien de son action elle affirme
- qu'un jugement du 22 février 2008 a ordonné la licitation du Château de LABORIE appartenant à la succession de sa mère,
- que ses droits dans la succession s'élèvent à 1/3,
- que le jugement prévoyait la rédaction par Maître Laure Y du cahier des charges de la vente avec une mise à prix de 700.000 euros
- que Maître Laure Y n'a jamais rédigé le cahier de charges ne permettant pas la vente du bien dans un délai raisonnable et laissant le bien se déprécier pour atteindre au jour de l'assignation la valeur de 300.000 euros.'
Par jugement du 18 février 2014 le tribunal de grande instance d'Albi a considéré
- qu'il appartenait à Me Y dans le cadre de son mandat de solliciter auprès du juge compétent son remplacement ; qu'en omettant d'accomplir une telle formalité elle a manqué à son devoir de diligence ;
- que les ayants droits n'ont à aucun moment procédé à une quelconque diligence ;
- que la valeur de l'ensemble immobilier au jour le plus proche du jugement était comprise entre 280.000 euros et 300.000 euros comme cela résulte de diverses évaluations (agences immobilières, notaire) ;
- que la perte de chance est particulièrement faible ;
En conséquence le tribunal de grande instance d'Albi a statué en ces termes
'Dit que Me Y a commis une faute dans l'exercice de son activité professionnelle, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil,
Dit que la perte de chance de vendre le bien à un prix supérieur à celui auquel il est évalué au jour le plus proche du jugement sera réparée par l'allocation d'une somme de 2.500 euros,
Condamne par conséquent Me Y a payer à Madame Martine Z la somme de 2.500 euros (deux mille cinq cent euros) en réparation du préjudice subi,
Rejette toutes les autres demandes des parties,
Condamne Me Y aux entiers dépens distraits au profit de la SCP BONNECARRERE SERVIERES GIL'.
Le 16 mars 2014, Madame Martine Z épouse Z a relevé appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions Madame Martine Z épouse Z expose
- que la vente n'a pu intervenir par la faute de Me Y dans des délais raisonnables ;
- que Me Y ne pouvait comme elle l'a fait 'sous traiter' sa mission auprès d'un de ses confrères mais se devait de se faire relever de sa mission ;
En conséquence, Madame Martine Z épouse Z sollicite voir notre cour
'Vu l'article 47 du Code de Procédure Civile,
Vu l'article 1382 du Code Civil,
Vu les jugements du 22 février 2008 et 22 juin 2007 ;
Confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a dit que Maître Y a commis une faute dans l'exercice de son activité professionnelle sur le fondement de l'article 1382 du Code Civil ;
Infirmer la décision entreprise pour le surplus ;
Dire et juger que la perte de chance d'avoir obtenu dans le cadre de l'adjudication ordonnée par le jugement du 22 février 2008 à un prix de vente de 700.000 euros, constitue un préjudice indemnisable ;
Vu les évaluations des trois agences immobilières (CBI, FNAIM, MARCILLAC), et du Notaire, Maître ... ..., appréciant la valeur de la propriété à 300.000 euros en fin de l'année 2013 ;
Dire et juger que cette baisse de valeur a été la conséquence de l'inaction totale de Maître Laure Y ;
Constater que le particularisme de cette propriété a été pris en compte dans le cadre des évaluations précitées pour aboutir à une valeur de l'ordre de 300.000 euros ;
Dire et juger en conséquence que le préjudice subi par Madame Martine Z ne saurait être évalué à une somme inférieure à 200.000 euros ; Condamner en conséquence Maître Laure Y à verser à Madame Martine Z la somme de 200.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
Condamner Maître Laure Y à verser à Madame Martine Z la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du CPC ;
Condamner Maître Y en tous les dépens, dont distraction au profit de Maître ..., Avocat.'
Dans ses dernières écritures Me Y expose
- que le 1er octobre 2012 elle avait informé l'avocat plaidant de Madame Martine Z épouse Z de ce qu'elle n'était pas en mesure d'établir le cahier des charges et de ce que le dossier avait été envoyé à Me N'... ; qu'elle en a informé le 16 octobre 2012 Madame Martine Z épouse Z ;
- que pendant 4 ans Madame Martine Z épouse Z n'a pas réagi à l'absence de vente des immeubles ;
- que la perte de la chance n'est pas réelle et certaine dans la mesure où les opérations de licitation n'ont pas été menées à terme ;
- que la vente porte sur 3 immeubles distincts ; que le préjudice invoqué n'est pas justifié ; - que rien ne permet de justifier que le bien se serait vendu en 2008 plus de 700.000 euros ; En conséquence Me Y sollicite voir notre cour
'REFORMANT le jugement du tribunal de grande instance d'ALBI en ce qu'il a retenu la faute de Maître Y et l'a condamnée à payer une somme de 2.500 euros en réparation de la perte de chance
STATUANT à nouveau
TENANT l'absence d'intervention de Maître Y comme avocat de Madame Martine Z Z l'absence d'intervention de Maître Y dans la rédaction du cahier des charges
TENANT l'information donnée par Maître Y concernant le non suivi de la procédure de vente
DIRE ET JUGER que Madame Martine Z ne justifie pas d'une faute de Maître Y
DIRE ET JUGER qu'elle ne justifie pas d'un préjudice en relation directe de causalité ;
EN CONSÉQUENCE
LA DÉBOUTER de ses demandes
LA CONDAMNER à payer à Maître Y la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du CPC
LA CONDAMNER aux entiers dépens.'
MOTIVATION DE LA DÉCISION
En suite du jugement du 22 juin 2007 et par jugement du 22 février 2008 le tribunal de grande instance de RODEZ, préalablement aux opérations de liquidation et de partage des biens indivis dépendants de la succession de Mme Josette Z divorcée Z décédée le 4 octobre 2003, a ordonné la licitation des 4 biens immobiliers faisant partie de la succession et dit que le cahier des charges en vue de la vente serait établi par Me Y, avocat de Mmes ... et ... Z.
La licitation est intervenue sur assignation de Mmes ... et ... Z, ayant comme avocat postulant Me Y et comme avocat plaidant Me ..., délivrée contre Mme Martine Z, ayant comme avocat Me ..., toutes les parties à l'instance s'accordant sur la vente des biens immobiliers.
La présente instance est introduite par Mme Martine Z contre Me Y à qui celle-ci reproche de ne pas avoir procédé à la rédaction du cahier des charges et de ne pas avoir demandé au tribunal de la remplacer.
Toutefois, il ressort du courrier adressé le 21 juillet 2008 par Me Y à Me ..., avocate plaidante de Mmes ... et ... Z, que celle-ci a confirmé à cette dernière qu'elle transmettait le dossier à Me N'... à qui elle avait proposé de prendre directement contact avec son cabinet 'afin de poursuivre la vente'.
Par ailleurs, il ressort du courrier adressé le 12 septembre 2008 par Me ... à Me Y que celui-ci l'a interrogée sur l'état d'avancement des formalités relatives à la licitation de l'immeuble ordonnée par jugement du 22 février 2008 et que Me Y a effectué la réponse rapide suivante 'Me Sophie N'... a pris ma suite dans ce dossier et se charge donc de la vente'.
Il apparaît, ainsi que Me Y avait dès le 21 juillet 2008 (en ce qui concerne ses clients) et dès le 12 septembre 2008 (en ce qui concerne Mme Martine Z) informé l'ensemble des parties de ce qu'elle ne pourrait mener à bien la mission confiée par le tribunal et de ce que Me N'... était physiquement en charge du dossier. Il ressort de la même correspondance (ce fait n'est pas contesté) que la décision du 22 février 2008 avait été signifiée à Mme Martine Z le 3 avril 2008. De sorte que lorsque Me Y a informé les deux parties de ce qu'elle n'intervenait plus pour Mmes ... et ... Z aucun délai anormalement long ne s'était écoulé.
Il apparaît ainsi que Me Y avait informé de son intention de mettre fin à ses fonctions ses mandants et la partie adverse et qu'elle l'avait fait dans un temps suffisamment proche du jugement du 22 février 2008 pour que ne puisse lui être fait aucun reproche. Ce faisant elle a respecté les termes de l'article 13 du décret du 12 juillet 2005.
Il est, par contre, établi que Me Y n'a pas avisé le juge comme l'article 419 du CPC lui en faisait obligation. Ce faisant elle a commis une faute.
Par ailleurs, il ressort de l'ensemble des pièces produites que tant Mmes ... et ... Z que Mme Martine Z parfaitement informées de l'intention de Me Y de mettre fin à ses fonctions n'ont pris aucune initiative procédurale en vue de voir procéder à son remplacement.
En l'état des éléments ci-dessus, il appartenait à Mmes ... et ... Z de désigner un nouvel avocat postulant (puisque la postulation était obligatoire), d'en informer le tribunal et de saisir ce même tribunal par requête afin de voir remplacer Me Y par son successeur. Ce qu'elles n'ont pas fait.
Il était également possible à Mme Martine Z de saisir le juge de la difficulté. Ce qu'elle n'a pas fait.
L'absence de réaction des parties établit sans aucun doute que c'est en connaissance de cause que les parties ont entendu rester inactives durant plus de dix années.
Me Y ne pouvait pas se décharger de son mandat puisqu'elle intervenait dans un cas de représentation obligatoire et se devait de rester constituée jusqu'au moment de son remplacement ; elle ne pouvait saisir le juge d'une requête en désignation de son successeur tant que celui-ci n'avait pas été accepté. Après acceptation de son remplacement elle n'aurait plus eu qualité pour présenter une quelconque requête.
En conséquence des éléments qui précèdent, il est établi que la seule faute commise par Me Y et tenant au défaut d'information du juge est dépourvue de toute relation de cause à effet avec tout préjudice ou perte de chance né du retard apporté à la vente.
Il y a lieu de réformer la décision déférée et de dire que Mme Martine Z doit être déboutée de ses demandes, fins et conclusions.
Mme Martine Z qui succombe supportera les dépens.
Des considérations tirées de l'équité justifient qu'il ne soit pas fait application de l'article 700 du CPC.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant comme il est dit ci dessus,
Infirme la décision déférée ;
Dit que Mme Martine Z ne justifie d'aucun préjudice, d'aucune perte de chance en relation de cause à effet avec la faute commise par Me Y ;
En conséquence, déboute Mme Martine Z de ses demandes, fins et conclusions ;
Condamne Mme Martine Z aux entiers dépens ;
Dit n'y avoir lieu application de l'article 700 du CPC.
Le greffier Le président