COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac 78F
16e chambre
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
DU 05 MARS 2015
R.G. N° 13/08992
AFFAIRE
Charles Z
C/
Société BANQUE DES ÉTATS D'AFRIQUE CENTRALE (BEAC)
Décision déférée à la cour Arrêt rendu le 06 Novembre 2013 par le Cour de Cassation de PARIS
N° Chambre 1
N° Section
N° RG 1309 FS-D
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le
à
l'AARPI INTER-BARREAUX JRF AVOCATS, avocat au barreau de VERSAILLES -
SELARL MINAULT PATRICIA, avocat au barreau de VERSAILLES -
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE CINQ MARS DEUX MILLE QUINZE, après prorogation,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre
DEMANDEUR devant la cour d'appel de Versailles saisie comme cour de renvoi, en exécution d'un arrêt de la Cour de cassation - 1èrechambre civile) du 6 novembre 2013, cassant et annulant l'arrêt rendu par la cour d'appel de PARIS - Pôle 4 -chambre 8- le 16 mai 2012 et ordonnance du 17 janvier 2012
Monsieur Charles Z
né le ..... à ALGER (ALGÉRIE)
BARENTIN
assisté de Me Emmanuel JULLIEN de l'AARPI INTER-BARREAUX JRF AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire 628 - N° du dossier 20130848, Me Sébastien ..., Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire D1473
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DÉFENDERESSE DEVANT LA COUR DE RENVOI
Société BANQUE DES ÉTATS D'AFRIQUE CENTRALE (BEAC) Société de droit étranger, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège Rue Monseigneur Vogt BP 1917 YAOUNDE (CAMEROUN) Qui dispose d'un bureau extérieur
PARIS
assistée de Me Patricia MINAULT de la SELARL MINAULT PATRICIA, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire 619 - N° du dossier 20140006, Me Paul-albert ... de la SELAS SELAS VALSAMIDIS AMSALLEM JONATH FLAICHER et ASSOCIÉS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire J010
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Composition de la cour
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 19 Novembre 2014, Madame Marie-Christine MASSUET, conseiller, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de
Monsieur Jean-Baptiste AVEL, Président,
Madame Marie-Christine MASSUET, Conseiller,
Madame Anne LELIEVRE, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats Madame Bernadette RUIZ DE CONEJO ;
FAITS ET PROCÉDURE,
Par jugement du 21 octobre 2009, le Conseil des prud'hommes de PARIS, reconnaissant à M. Z, cadre français travaillant à l'étranger, le bénéfice du privilège de juridiction de l'article 14 du code civil par lui invoqué, a condamné la BANQUE DES ÉTATS D'AFRIQUE CENTRALE
(ci-après BEAC), son précédent employeur ayant mis fin en mars 2004 à leurs relations contractuelles, à payer à M. Charles Z les sommes de 76.633,92euros avec exécution provisoire pour le tout et de 48.000 euros avec exécution provisoire pour moitié.
Suivant autorisation du juge de l'exécution du 9 avril 2010, M. Charles Z a fait pratiquer le 20 avril 2010 une saisie-attribution sur le compte BNP PARIBAS de la BEAC aux fins de recouvrement de la somme de 109.046,10 euros. Cette saisie-attribution a été dénoncée à la BEAC le 22 avril 2010.
Par jugement rendu le 17 juin 2011, le juge de l'exécution du Tribunal de grande instance de PARIS a notamment constaté l'immunité d'exécution dont bénéficient les biens et avoirs de la BEAC tant en son siège social à Yaoundé (Cameroun) qu'en son bureau extérieur à Paris, et a ordonné la mainlevée immédiate de la saisie-attribution pratiquée le 20 avril 2010 sur les comptes ouverts par la BEAC à la BNP PARIBAS.
Le 5 juillet 2011, M. Charles Z a interjeté appel de cette décision et a saisi la Cour d'appel de PARIS aux fins de sursis à exécution du jugement rendu par le Tribunal de grande instance de PARIS. Par ordonnance du 17 janvier 2012, le premier Président de la Cour de PARIS a accueilli sa demande et ordonné le sursis à exécution du jugement précité.
Puis par arrêt du 16 mai 2012, ladite cour a infirmé le jugement précité, déboutant la BEAC de sa demande de mainlevée de la saisie-attribution pratiquée par M. Z.
La BEAC a formé un pourvoi à l'encontre de l'ordonnance du 17 janvier 2012 et de l'arrêt du 16 mai 2012 rendu par la cour d'appel de PARIS.
Vu la déclaration de saisine de la Cour d'appel de VERSAILLES faite par Monsieur Charles Z le 6 décembre 2013 après renvoi devant cette cour par la Cour de cassation, qui a par arrêt du 6 novembre 2013
- cassé et annulé, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 16 mai 2012 par la cour d'appel de PARIS,
- cassé et annulé, dans toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 17 janvier 2012, par le premier président de la Cour d'appel de PARIS,
- remis la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et ladite ordonnance,
- renvoyé les parties devant la Cour d'appel de VERSAILLES,
- condamné M. Charles Z aux dépens ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 6 novembre 2014 par lesquelles M. Charles Z, appelant, demande à la cour de renvoi de
A titre principal,
- dire que l'immunité d'exécution alléguée par la BEAC selon laquelle ses biens et avoirs seraient exempts de façon absolue, permanente et définitive de toute exécution, se révèle contraire à l'article 6§1 de la Convention européenne des droits de l'Homme qui garantit le droit à un procès équitable,
-dire que l'immunité édictée par les dispositions de l'article L 153-1 du Code monétaire et financier est contraire à l'article 6§1 de la Convention européenne des droits de l'Homme en ce qu'elles portent une atteinte grave et disproportionnée à son droit à un procès équitable,
A titre subsidiaire,
- dire que les fonds saisis ne constituaient pas des biens et notamment des avoirs de réserves de change détenues ou gérées par la BEAC pour son compte ou celui des États étrangers dont elle relève mais qu'ils étaient affectés à une activité relevant du droit privé,
- réformer le jugement entrepris,
- débouter la BEAC de sa demande tendant à voir ordonner la mainlevée de la saisie entreprise,
- condamner la BEAC à lui payer la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 3 novembre 2014 par lesquelles la BEAC, intimée, demande à la cour de renvoi de
- confirmer le jugement entrepris,
- condamner M. Charles Z à lui payer la somme de 8.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
SUR CE, LA COUR
L'arrêt de la Cour de cassation du 6 novembre 2013, a cassé l'arrêt de la cour d'appel de Paris en ce qu'il a, pour rejeter la demande de mainlevée de la saisie-attribution diligentée par M. Z entre les mains de la BEAC, retenu que les fonds saisis étaient affectés à une activité de la BEAC relevant du droit privé, au motif que l'arrêt déféré ne répondait pas aux conclusions de la BEAC invoquant le bénéfice de l'immunité d'exécution sur le territoire français reconnu par l'accord du 20 avril 1988 entre elle-même et le gouvernement de la République française relatif à l'établissement d'un bureau parisien de la BEAC et à ses privilèges et immunités sur le territoire français.
Tirant aujourd'hui les conséquences de cet arrêt, M. Z n'invoque plus au premier chef l'exception légale à l'immunité d'exécution visée à l'article 153-1 du code monétaire et financier, tenant à la possibilité pour le créancier des banques centrales ou des autorités monétaires étrangères de poursuive l'exécution forcée de son titre exécutoire, s'il établit que les avoirs saisis 'font partie d'un patrimoine que la banque centrale ou l'autorité monétaire étrangère affecte à une activité principale relevant du droit privé.' Relevant que la cour d'appel de Paris a implicitement considéré en fin de sa motivation que l'accord du 20 avril 1988, dans l'hypothèse où il édicterait une immunité absolue d'exécution, se révèlerait contraire au principe du droit à un procès équitable et priverait M. Z du recours effectif que lui garantissent les dispositions de l'article 6 §1 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, l'appelant se prévaut aujourd'hui directement et en premier lieu de l'atteinte portée à ces dispositions.
Aux termes l'article 6 § 1 de la convention Européenne des droits de l'homme,
'Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.'
La Cour de cassation a eu l'occasion d'affirmer dans un arrêt du 25 janvier 2005 concernant l'immunité de juridiction, que le droit à un procès équitable relevait de l'ordre public international.
L'exécution d'un jugement ou arrêt de quelque nature qu'il soit, doit être considérée comme faisant partie intégrante du procès au sens de l'article 6 de la convention européenne ( CEDH 25.02.1997 Hornsby c. Grèce). Le principe du droit à un procès équitable édicté par l'article 6 par.1 de la C.E.D.H. doit recevoir la même application et la même interprétation quelle que soit l'immunité revendiquée, de juridiction ou d'exécution.
Quant aux immunités d'exécution reconnues aux organisations internationales, elles sont issues de conventions ou traités particuliers qui doivent nécessairement s'insérer dans la hiérarchie des normes juridiques internationales et ne peuvent permettre aux organisations internationales telles que la BEAC de se soustraire au respect des normes supérieures, telles que celle du principe du respect du droit à un procès équitable édicté par la Convention européenne des droits de l'Homme.
La question de la proportionnalité de la restriction apportée par ces immunités au droit d'accès à un tribunal tel que consacré par l'article 6 §1 de la Convention européenne doit être appréciée in concreto en fonction des circonstances particulières de l'espèce. Il convient d'examiner si la personne à l'encontre de laquelle est invoquée l'immunité d'exécution, dispose d'autres voies raisonnables pour la protection des droits que lui garantit la convention. La juridiction saisie est appelée à vérifier que les limitations mises en oeuvre ne restreignent pas l'accès offert au justiciable d'une manière ou à un point tels que son droit s'en trouve atteint dans sa substance même.
Devant la Cour d'appel de Paris, la BEAC avait soutenu que 'si l'immunité d'exécution est absolue en France, l'exécution de la décision par d'autre voies reste possible et M. Charles Z ne démontre pas le contraire'.
Interpellé par la cour d'appel sur la nature de ces 'autres voies'alléguées, le conseil de la BEAC n'avait pas apporté d'autres réponses que l'existence d'une procédure amiable de règlement des litiges au sein de la BEAC.
Devant la cour de renvoi, la BEAC se réfère à nouveau à la juridiction spéciale de nature arbitrale prévue à l'article 6-3 de ses statuts en vigueur, ainsi qu'à l'article 16 de l'accord de siège conclu avec la République du Cameroun le 30 mars 2004.
Tout d'abord il est rappelé que M. Z avait dans un premier temps et avant tout procès saisi le ministère d'Etat chargé des Relations extérieures du Cameroun pour un avis ainsi que prévu par l'accord de siège, ainsi que l'Inspection du Travail camerounaise - qui s'est déclarée incompétente en faveur du ministre. La décision de ce dernier n'apparaît pas être encore intervenue après plusieurs années et son défaut de caractère obligatoire joint à son caractère purement administratif explique qu'il n'y ait pas lieu de l'attendre.
Le parquet Général de la Cour d'appel de Paris a présenté le 14 mars 2013 des conclusions civiles en vue de l'audience de la cour d'appel saisie du recours à l'encontre du conseil des prud'hommes au fond, tendant à la confirmation de la compétence de la juridiction sociale française pour connaître des demandes de M. Z, au motif qu'usant de son pouvoir de contrôle quant au caractère effectif du recours arbitral après une étude détaillée de la procédure prévue par l'article 16 de l'accord de siège précité, il était amené à constater que cette formation arbitrale n'était évoquée qu'en termes généraux et théoriques, - composition de trois arbitres, dont deux choisis par la BEAC et le gouvernement, définition de la procédure par les arbitres eux-mêmes - sans que les dispositions la concernant ne fournissent de garanties quant l'effectivité du recours offert à défaut de précisions sur l'impartialité du ou des arbitres, sur la procédure à suivre, sur la motivation de la décision et le délai dans lequel elle-ci doit être rendue. Le parquet général précisait que la BEAC devait en outre, pour permettre la mise en oeuvre de l'arbitrage prévu par elle, renoncer à son immunité de juridiction, ce qu'elle n'a pas encore fait à ce jour.
Ainsi il ne peut qu' être constaté par la cour, statuant en appel de la décision du juge de l'exécution, qu'aucune 'autre voie', à la supposer au surplus applicable à la seule exécution de la décision déjà obtenue à l'encontre de la BEAC, et après exclusion de l'exécution volontaire par la banque centrale intimée de ses obligations du fait du litige pendant, ne se présente à M. Z, pour l'exécution de la décision du conseil de prud'hommes de Paris du 21 octobre 2009, que la mesure d'exécution aujourd'hui contestée.
M. Z justifie de ce que le caractère absolu de l'immunité d'exécution revendiquée par la BEAC restreindrait l'accès à justice à lui offert d'une manière ou à un point tel que son droit à un procès équitable s'en trouverait atteint dans sa substance même (cf. arrêt CEDH 18/02/1999, Aff. ... Kennedy c. Allemagne)
L'atteinte grave, rédhibitoire et définitive portée au droit de M. Z à un procès équitable instauré par l'article 6 §1 de la Convention européenne des droits de l'homme, au niveau de l'exécution d'une décision juridictionnelle exécutoire, alors qu'aucun recours effectif ne lui est par ailleurs offert, justifie que l'immunité d'exécution opposée par la BEAC soit écartée.
En tant que de besoin, il est rappelé que les fonds saisis par M. Z entre les mains de la société BNP PARIBAS ne constituent aucunement des réserves de change des États membres de la banque centrale ou de cette dernière, logiquement protégés par une immunité d'exécution rigoureuse, mais des fonds affectés au budget de fonctionnement du bureau parisien de la BEAC.
La saisie-attribution contestée devra en conséquence produire ses effets. La BEAC verra rejeter sa demande de mainlevée de cette mesure, tandis que le jugement entrepris est infirmé en toutes ses dispositions.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
Il y a lieu d'allouer à M. Z au titre des frais irrépétibles de procédure que l'obstination de la BEAC l'a contraint à exposer pour faire valoir ses droits, une somme de 5.000euros. La BEAC verra rejeter sa prétention du même chef.
Sur les dépens
Succombant en son argumentation et ses demandes incidentes, la BEAC supportera les dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort
INFIRME le jugement rendu le 17 juin 2011 par le juge de l'exécution du Tribunal de grande instance de PARIS en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté la BEAC de sa demande de dommages-intérêts ;
Statuant à nouveau
Déboute la BANQUE DES ÉTATS D'AFRIQUE CENTRALE de sa demande de mainlevée de la saisie-attribution diligentée le 20 avril 2010 à la requête de M. Charles Z entre les mains de la SA BNP PARIBAS ; dit que cette mesure d'exécution produira tous ses effets ;
Condamne la B.E.A.C. à verser à M. Charles Z une somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; rejette la prétention de la BEAC du même chef ;
Condamne la B.E.A.C. aux entiers dépens, ceux d'appel pouvant être directement recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Jean-Baptiste ..., Président et par Madame ... ... ..., greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GREFFIER, Le PRÉSIDENT,