CIV. 1 CB
COUR DE CASSATION
Audience publique du 15 janvier 2015
Rejet
Mme BATUT, président
Arrêt no 29 FS-P+B
Pourvoi no S 14-11.019
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant
Statuant sur le pourvoi formé par
1o/ Mme Z Z,
2o/ M. Y Y,
tous deux domiciliés Montbrehain,
contre l'arrêt rendu le 21 novembre 2013 par la cour d'appel d'Amiens (1re chambre civile), dans le litige les opposant
1o/ à M. X X, domicilié Bohain-en-Vermandois,
2o/ à Mme W W, épouse W, domiciliée Aisonville-et-Bernoville,
défendeurs à la cassation ;
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, composée conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 9 décembre 2014, où étaient présents Mme Batut, président, Mme Verdun, conseiller rapporteur, M. Gridel, conseiller doyen, Mme Crédeville, M. Delmas-Goyon, Mmes Kamara, Dreifuss-Netter, Wallon, M. Truchot, conseillers, Mmes Fouchard-Tessier, Canas, M. Vitse, Mme Le Gall, conseillers référendaires, M. Ingall-Montagnier, premier avocat général, Mme Laumône, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Verdun, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de Mme Z et de M. Y, de la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat de M. X, l'avis de M. Ingall-Montagnier, premier avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Donne acte à Mme Z et M. Y de ce qu'ils se désistent de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre Mme ... ;
Sur le moyen unique
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Amiens, 21 novembre 2013), que, négociateur d'une promesse synallagmatique de vente d'immeuble consentie à Mme Z et M. Y (les consorts ...) à un prix plus avantageux que celui notifié dans le congé pour vendre, préalablement délivré à Mme ..., alors locataire des lieux, M. X, notaire, a notifié à celle-ci une nouvelle offre qu'elle a acceptée, le 31 juillet 2009, en annonçant son intention de recourir à un prêt ; que le 3 décembre suivant, alors que le délai de réalisation de la vente prescrit par l'article 15, II, alinéa 5, de la loi no 89-462 du 6 juillet 1989 était expiré, le notaire a instrumenté la vente au profit de Mme ... qui a revendu l'immeuble immédiatement ; qu'invoquant une fraude à leurs droits, les consorts ... ont assigné M. X, notamment, en dommages-intérêts ;
Attendu que les consorts ... font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes, alors, selon le moyen
1o/ que le notaire est tenu de refuser d'instrumenter lorsqu'il est requis de recevoir un acte illicite ; que le locataire qui accepte l'offre de vente du bailleur dispose d'un délai de quatre mois pour régulariser la vente faute de quoi son acceptation est nulle de plein droit ; qu'en l'espèce, les juges du fond ont constaté que Mme ... avait, le 31 juillet 2009, adressé à M. ... une lettre recommandée avec demande d'avis de réception l'informant de son acceptation de l'offre de vente qui lui avait été notifiée, ce qui faisait courir un délai de quatre mois pour régulariser la vente, soit jusqu'au 30 novembre 2009 ; qu'en affirmant que M. X n'a pas manqué à ses obligations professionnelles en prêtant son ministère pour conférer un caractère authentique à la vente conclue entre les consorts ... et ... ... le 3 décembre 2009, c'est-à-dire à une date où l'acceptation de Mme ... était devenue nulle de plein droit, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil, ensemble l'article 15, II, de la loi du 6 juillet 1989 ;
2o/ que le notaire doit refuser de prêter son ministère pour conférer le caractère authentique à une convention dont il sait qu'elle méconnaît les droits des tiers ; qu'en l'espèce, M. X avait été informé des termes de la promesse synallagmatique conclue, le 10 juin 2009, entre les consorts Z et Y, d'une part, et les consorts ..., d'autre part, qui prévoyait que la vente était conclue sous différentes conditions suspensives et notamment celle stipulée au profit des vendeurs " du non-exercice du droit de préemption de Mme ... actuellement occupante sans titre du logement susvisé " ; qu'en affirmant que M. X n'a pas manqué à ses obligations professionnelles en prêtant son ministère pour conférer le caractère authentique à la vente conclue entre les consorts ... et ... ... le 3 décembre 2009 dont il savait qu'elle méconnaissait les droits que les consorts ... tiraient de la promesse synallagmatique de vente conclue le 10 juin 2009 avec les consorts ... sous la condition suspensive " du non-exercice du droit de préemption de Mme ... ", laquelle était accomplie depuis le 30 novembre 2009, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil, ensemble l'article 15, II, de la loi du 6 juillet 1989 ;
Mais attendu qu'ayant retenu, à bon droit, que seul le bailleur pouvait se prévaloir de la nullité de l'acceptation de l'offre de vente qu'édicte l'article 15, II, alinéa 5, de la loi du 6 juillet 1989, la cour d'appel en a exactement déduit que le notaire n'avait, en instrumentant l'acte de vente requis par le bailleur après l'expiration du délai que sanctionne cette nullité relative, manqué à aucune de ses obligations professionnelles envers les consorts ..., évincés de la vente par l'exercice du droit de préemption du locataire ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme Z et M. Y aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze janvier deux mille quinze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour Mme Z et M. Y
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR débouté les consorts ... de leur demande de dommages-intérêts ;
AUX MOTIFS QUE par acte sous seing privé du 10 juin 2009 conclu sous l'égide de Me X X, M. ... ..., usufruitier, et Mme ... épouse ..., nue-propriétaire, ont vendu pour le prix de 158.000 euros aux consorts ... un corps de ferme, une grange, des dépendances et un jardin situés à Aisonville et Bernoville (02), la vente étant conclue sous différentes conditions suspensives et notamment, celle stipulée au profit des vendeurs " du non exercice du droit de préemption de Mme W W actuellement occupante sans dite du logement susvisé ", l'acte précisant que cette dernière avait " reçu congé par lettre recommandée avec avis de réception du 8 août 2008 ". Il était également stipulé que " si le bénéficiaire du droit de préemption déclarait exercer son droit aux prix et conditions fixés au présent acte, vendeur et acquéreur reconnaissent que le présent acte serait caduc ", et, dans le cas contraire, que l'acte de vente serait régularisé au plus tard le 30 septembre 2009 par Me X X. Conformément aux dispositions de l'article 15 II alinéa 4 de la loi du 6 juillet 1989, Me X X, a fait signifier le 1er juillet 2009 par huissier de justice à Mme W W les conditions et le prix plus avantageux de la vente, cette notification valent offre de vente valable pendant un mois à compter de sa réception au profit de la locataire. Contrairement à ce que prétendent les appelants, Mme W W justifie avoir adressé le 31 juillet 2009 à ... ... une lettre recommandée avec avis de réception l'informant de son acceptation de l'offre de vente et de son intention de recourir à un prêt pour financer son acquisition, peu important que cette acceptation n'ait pas été adressée à Mme ..., nue-propriétaire de l'immeuble, dès lors que seuls les vendeurs seraient fondées à se prévaloir de cette irrégularité ; par ailleurs, même si, comme le soulignent les consorts ..., la seule mention manuscrite anonyme " remis en main propre " (sic) sur une copie de cette lettre, interroge en effet sur l'identité du scripteur, force est de constater que Me X X et Mme W W affirment ensemble que celle-ci avait remis au premier une copie de sa lettre, étant relevé encore que seuls les vendeurs seraient fondés à invoquer cette irrégularité ; contrairement encore à ce que soutiennent les appelants, l'acceptation par M. ... ... le 2 septembre 2009 de la prorogation du compromis de vente jusqu'au 30 novembre 2009, et l'attestation établie le même jour par le notaire ne démontrent nullement que la locataire n'avait pas, à cette date, accepté l'offre de vente ; ayant informé le 31 juillet 2009 l'un des vendeurs et le notaire en charge de la vente de son intention de recourir à un prêt pour financer son acquisition, Mme W W disposait alors d'un délai de quatre mois pour régulariser l'acte de vente, conformément aux dispositions du texte précité, qui dispose que si, à l'expiration de ce délai, la vente n'a pas été réalisée, l'acceptation de la vente est nulle ; dès lors que la nullité de l'acceptation de l'offre a vocation à protéger les atermoiements du locataire acquéreur le vendeur qui retrouve à l'expiration du délai sa liberté de vendre à un tiers, et qu'en conséquence, seul le vendeur peut s'en prévaloir, c'est à tort que le premier juge a estimé que l'acceptation de l'offre de vente par Mme W W serait devenue nulle, et qu'en conséquence la vente ne pouvait être conclue qu'au profit des consorts ... ; c'est donc à tort que le premier juge a considéré qu'en régularisant la vente le 3 décembre 2009 au lieu au 30 novembre précédent, Mme W W et Me X X avaient agi avec une légèreté blâmable constitutive d'une faute engageant leur responsabilité ; il résulte de ce qui précède qu'aucune faute susceptible d'engager sa responsabilité ne peut être imputée à Mme W W qui a exercé son droit de préemption, aucune disposition légale ne lui interdisant de renoncer à recourir à un prêt, ni de revendre le bien acquis, ce dont les appelants lui font grief ; contrairement à ce que les consorts ... prétendent, Me X X les avait informés de ce que la locataire avait accepté l'offre de vente, ainsi qu'en témoigne l'attestation rédigée par lui le 2 septembre 2009, date à laquelle le vendeur a accepté de proroger la promesse de vente ; par ailleurs, dans la mesure où ils avaient sollicité la prorogation de la validité du compromis de vente jusqu'au 30 novembre 2009, les consorts ... ne peuvent reprocher à Me X X de ne les avoir informés que le 16 décembre suivant de la vente conclue au profit de Mme W W, étant précisé que Me X X n'était pas tenu de les informer de la revente de l'immeuble qui ne les concernait pas ; que même les appelants ne sont pas fondés à reprocher au notaire de ne pas les avoir conseillés sur les risques d'un compromis de vente conclu sous la condition suspensive que le locataire n'achète pas ; dès lors que les manquements de Me X X à ses obligations professionnelles ne sont pas établis, les consorts ... ne sont pas fondés à rechercher sa responsabilité sur le fondement de l'article 1382 du code civil ;
1) ALORS QUE le notaire est tenu de refuser d'instrumenter lorsqu'il est requis de recevoir un acte illicite ; que le locataire qui accepte l'offre de vente du bailleur dispose d'un délai de quatre mois pour régulariser la vente faute de quoi son acceptation est nulle de plein droit ; qu'en l'espèce, les juges du fond ont constaté que Mme ... avait, le 31 juillet 2009, adressé à M. ... une lettre recommandée avec avis de réception l'informant de son acceptation de l'offre de vente qui lui avait été notifiée, ce qui faisait courir un délai de quatre mois pour régulariser la vente, soit jusqu'au 30 novembre 2009 ; qu'en affirmant que M. X n'a pas manqué à ses obligations professionnelles en prêtant son ministère pour conférer un caractère authentique à la vente conclue entre les consorts ... et ... ... le 3 décembre 2009, c'est-à-dire à une date où l'acceptation de Mme ... était devenue nulle de plein droit, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil, ensemble l'article 15, II, de la loi du 6 juillet 1989 ;
2) ALORS QUE le notaire doit refuser de prêter son ministère pour conférer le caractère authentique à une convention dont il sait qu'elle méconnaît les droits des tiers ; qu'en l'espèce, M. X avait été informée des termes de la promesse synallagmatique conclue, le 10 juin 2009, entre les consorts Z et Y, d'une part, et les consorts ..., d'autre part, qui prévoyait que la vente était conclue sous différentes conditions suspensives et notamment celle stipulée au profit des vendeurs " du non exercice du droit de préemption de Mme W W actuellement occupante sans titre du logement susvisé " ; qu'en affirmant que M. X n'a pas manqué à ses obligations professionnelles en prêtant son ministère pour conférer le caractère authentique à la vente conclue entre les consorts ... et ... ... le 3 décembre 2009 dont il savait qu'elle méconnaissait les droits que les consorts ... tiraient de la promesse synallagmatique de vente conclue le 10 juin 2009 avec les consorts ... sous la condition suspensive " du non-exercice du droit de préemption de Mme ... ", laquelle était accomplie depuis le 30 novembre 2009, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil, ensemble l'article 15, II, de la loi du 6 juillet 1989.