CONSEIL D'ETAT
Statuant au contentieux
N°
250153
SOCIETE USINES CLAAS FRANCE
M. Yohann Bénard, Rapporteur
M. Laurent Olléon, Commissaire du gouvernement
Séance du 20 septembre 2004
Lecture du
11 octobre 2004
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 8ème et 3ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 8ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 9 septembre 2002 et 8 janvier 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE USINES CLAAS FRANCE, dont le siège est Saint-Rémy B.P. 830 à Woippy (57141), représentée par son président-directeur général en exercice ; la SOCIETE USINES CLAAS FRANCE demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 4 juillet 2002 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy, sur appel du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, a, d'une part, annulé le jugement du 8 décembre 1998 du tribunal administratif de Strasbourg lui accordant la décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 1986, et d'autre part, rétabli la société requérante au rôle de l'impôt sur les sociétés à raison de l'intégralité des droits et pénalités qui lui ont été assignés ;
2°) statuant au fond, de lui accorder la décharge des droits et pénalités en litige ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement d'une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Yohann Bénard, Auditeur,
- les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la SOCIETE USINES CLAAS FRANCE,
- les conclusions de M. Laurent Olléon, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SOCIETE USINES CLAAS FRANCE, qui a pour objet la fabrication de machines agricoles, a consenti à l'une de ses sociétés-surs, la société Claas France, qui commercialise les machines qu'elle produit et se trouvait en difficulté, des abandons de créances à hauteur d'un montant total de douze millions de francs ; que les deux sociétés ont conclu, le 13 mars 1986, une convention qui prévoyait le remboursement intégral de cette somme en cas de retour à meilleure fortune ; que les abandons de créances ainsi consentis ont été remboursés, à raison de trois millions de francs au titre de chacun des exercices clos entre 1987 et 1990, à la SOCIETE USINES CLAAS FRANCE, qui a enregistré les profits correspondants au fur et à mesure du remboursement ; qu'à l'issue d'une vérification de comptabilité de cette société ayant porté, en matière d'impôt sur les sociétés, sur les exercices clos en 1986, 1987 et 1988, l'administration a, d'une part, constatant que les résultats déclarés par la société Claas France étaient bénéficiaires à hauteur de 6 981 897 F au titre de l'exercice clos en 1985 et de 10 463 703 F au titre de l'exercice clos en 1986, estimé que la condition de "retour à meilleure fortune" était remplie dès 1986, et a réintégré dans le résultat de la SOCIETE USINES CLAAS France, au titre de l'exercice clos en 1986, la somme de douze millions de francs, et d'autre part, par voie de conséquence, a assimilé l'échelonnement du remboursement prévu par la convention à une avance sans intérêt constitutive, en l'absence de contrepartie, d'un acte étranger à une gestion normale, puis réintégré pour ce motif les intérêts correspondants dans la base imposable de cette société ; que la SOCIETE USINES CLAAS FRANCE se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 4 juillet 2002 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy, faisant droit à l'appel interjeté par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie contre le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 8 décembre 1998, a remis à sa charge les suppléments d'impôt sur les sociétés correspondant à ces redressements ;
Sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête :
Considérant que selon les stipulations de l'article 2 de la convention du 13 mars 1986 : "La société Class France s'oblige, sans restriction ni réserve, à rembourser le montant total des subventions accordées sous condition résolutoire de retour à meilleure fortune dès constatation d'un résultat courant positif (.). / Le remboursement devra être effectué dans les 15 jours suivant la tenue de l'assemblée générale ordinaire statuant sur les comptes de l'exercice écoulé, le premier exercice étant celui clos le 30 septembre 1986" ; que selon les stipulations de l'article 3 de cette convention : "la fraction annuelle remboursable ne pourra, en aucune façon, excéder d'une part, le quart du montant des subventions, et d'autre part, le quart du résultat courant tel que défini à l'article 2, de telle manière qu'il ne soit pas porté atteinte au redressement de la société Class France. / Toute somme, due au titre du remboursement, portera intérêt de plein droit au taux de base bancaire, à défaut de règlement dans le délai imparti" ;
Considérant que la cour administrative d'appel a déduit de ces stipulations que l'abandon de créance consenti par la SOCIETE USINES CLAAS FRANCE serait entièrement résolu aussitôt que la société Claas France enregistrerait son premier résultat courant positif après la convention ; qu'il résulte au contraire des stipulations précitées que le fait générateur de la clause résolutoire ne s'appliquait chaque année qu'à une fraction de la somme abandonnée, définie par la double limite énoncée à l'article 3 de la convention, afin que la renaissance de sa dette n'obère pas le redressement de la société Claas France ; qu'ainsi la cour a dénaturé la portée de cette convention ; que la SOCIETE USINES CLAAS FRANCE est donc fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, par application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au fond ;
Sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Strasbourg :
Considérant qu'ainsi qu'il a été dit précédemment, la créance détenue par la SOCIETE USINES CLAAS FRANCE n'est devenue certaine, dans son principe et dans son montant, qu'à la date et dans la mesure de la réalisation des conditions posées par les stipulations combinées des articles 2 et 3 précités de la convention du 13 mars 1986, comme elle l'a constaté dans ses comptes ; qu'il suit de là que, contrairement à ce que soutient le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, la créance détenue par la SOCIETE USINES CLAAS FRANCE sur la SA Claas France est devenue certaine à hauteur de trois millions de francs au titre de chacun des exercices clos entre 1987 et 1990 ; que, par voie de conséquence, le moyen tiré par le ministre de ce que l'étalement des remboursements devrait être regardé comme une avance sans intérêt, constitutive d'un acte anormal de gestion ne peut qu'être écarté ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par son jugement du 8 décembre 1998, le tribunal administratif de Strasbourg a accordé à la SOCIETE USINES CLAAS FRANCE la décharge des suppléments de cotisations à l'impôt sur les sociétés en litige ;
Sur les conclusions reconventionnelles présentées par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie :
Considérant que le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie conclut, à titre subsidiaire, au rétablissement, au titre des exercices clos en 1987, 1988 et 1989, des impositions dégrevées, corrélativement au redressement notifié à la société, par deux décisions des 18 novembre 1991 et 11 décembre 1995 ;
Considérant qu'aux termes de l'article R. 200-15 du livre des procédures fiscales : "L'administration peut, au cours de l'instance, présenter des conclusions reconventionnelles tendant à l'annulation ou à la réformation de la décision prise sur la réclamation primitive (.)" ; que ces dispositions permettent à l'administration de demander au juge de l'impôt, saisi par un contribuable, de rétablir une imposition ayant fait l'objet d'un dégrèvement antérieurement à la saisine du juge et ceci bien que l'administration ait elle-même la faculté de remettre la somme dégrevée à la charge du contribuable ; que, toutefois, ni ces dispositions, ni aucun autre texte, n'ont légalement pour effet d'autoriser la présentation de telles conclusions après l'expiration du délai dans lequel l'administration peut, compte tenu des dispositions législatives en vigueur et des divers actes interruptifs de prescription, exercer son droit de reprise ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les conclusions reconventionnelles présentées le 17 mai 2004 par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sont en tout état de cause irrecevables et ne sauraient, dès lors, être accueillies ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de ces dispositions, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 500 euros au titre des frais exposés par la SOCIETE USINES CLAAS FRANCE et non compris dans les dépens, et de rejeter le surplus des conclusions présentées à ce titre devant la cour administrative d'appel de Nancy et le Conseil d'Etat ;
D E C I D E :
Article 1er : L'arrêt du 4 juillet 2002 de la cour administrative d'appel de Nancy est annulé.
Article 2 : Le recours interjeté par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie devant la cour administrative d'appel de Nancy est rejeté.
Article 3 : L'Etat versera à la SOCIETE USINES CLAAS FRANCE une somme de 4 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la SOCIETE USINES CLAAS FRANCE tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE USINES CLAAS FRANCE et au ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Délibéré dans la séance du 20 septembre 2004 où siégeaient : M. Bruno Genevois, Président de la Section du Contentieux, présidant ; M. Bruno Martin Laprade, M. Thierry Le Roy, Présidents de sous-section ; Mme Gisèle Forray, M. Alain Richard, M. Patrick Stefanini, M. Thierry Tuot, M. Rémi Bouchez, Conseillers d'Etat et M. Yohann Bénard, Auditeur-rapporteur.