Jurisprudence : CE Contentieux, 30-07-2014, n° 349789, publié au recueil Lebon

CE Contentieux, 30-07-2014, n° 349789, publié au recueil Lebon

A7885MUL

Référence

CE Contentieux, 30-07-2014, n° 349789, publié au recueil Lebon. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/19145612-ce-contentieux-30072014-n-349789-publie-au-recueil-lebon
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Abstract

Dans un arrêt rendu le 30 juillet 2014, l'Assemblée du Conseil d'Etat précise les conditions de légalité du recours pour excès de pouvoir dirigé contre un refus de restitution d'une oeuvre d'art soupçonnée d'avoir été spoliée en France pendant la Seconde Guerre mondiale (CE, Sect., 30 juillet 2014, n° 349789, publié au recueil Lebon).



CONSEIL D'ETAT


Statuant au contentieux


349789


Mmes D. et B.


M. Thierry Carriol, Rapporteur

Mme Delphine Hedary, Rapporteur public


Séance du 16 juillet 2014


Lecture du 30 juillet 2014


REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Assemblée du contentieux)

Sur le rapport de la 10ème sous-section de la section du contentieux




Vu la procédure suivante :


Procédure contentieuse antérieure


Mme G.D.et Mme A. B.ont demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 8 octobre 2004 du ministre des affaires étrangères rejetant leur demande tendant à la restitution de trois œuvres d'art inscrites au répertoire Musées Nationaux Récupération (MNR). Par un jugement n° 0508189/7-1 du 6 décembre 2007, le tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande.


Par un arrêt n° 08PA00661 du 21 mars 2011, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par Mme D. et Mme B. contre ce jugement n° 0508189/7-1 du 6 décembre 2007 et leurs conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au ministre des affaires étrangères de restituer les œuvres d'art litigieuses ou, à titre subsidiaire, de procéder à une nouvelle instruction de la demande de restitution.


Procédure devant le Conseil d'Etat


Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 1er juin 2011, 1er septembre 2011, 7 février 2014 et 30 juin 2014, Mme D. et Mme B. demandent au Conseil d'Etat :


1°) d'annuler l'arrêt n° 08PA00661 du 21 mars 2011 de la cour administrative d'appel de Paris ;


2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;


3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;


Vu la note en délibéré, enregistrée le 16 juillet 2014, présentée pour Mme D. et MmeB. ;


Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;


Vu l'ordonnance du 12 novembre 1943 sur la nullité des actes de spoliation accomplis par l'ennemi ou sous son contrôle ;


Vu l'ordonnance du 14 novembre 1944 portant première application de l'ordonnance du 12 novembre 1943 sur la nullité des actes de spoliation accomplis par l'ennemi et sous son contrôle ;


Vu l'ordonnance n° 45-624 du 11 avril 1945 relative à la dévolution de certains biens meubles récupérés par l'Etat à la suite d'actes de pillage commis par l'occupant ;


Vu l'ordonnance n° 45-770 du 21 avril 1945 portant deuxième application de l'ordonnance du 12 novembre 1943 sur la nullité des actes de spoliation accomplis par l'ennemi ou sous son contrôle et édictant la restitution aux victimes de ces actes de leurs biens qui ont fait l'objet d'actes de disposition ;


Vu l'ordonnance n° 45-1224 du 9 juin 1945 portant troisième application de l'ordonnance du 12 novembre 1943 sur la nullité des actes de spoliation et édictant la nullité des actes de spoliation accomplis par l'ennemi à son profit ;


Vu le décret n° 46-1542 du 22 juin 1946 relatif à la restitution des biens spoliés en France et transférés hors du territoire national par l'ennemi ;


Vu le décret n° 47-2105 du 29 octobre 1947 relatif à la restitution des biens spoliés par l'ennemi ;


Vu le décret n° 49-1344 du 30 septembre 1949 relatif à la fin des opérations de la commission de récupération artistique ;


Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :


- le rapport de M. Thierry Carriol, maître des requêtes en service extraordinaire,


- les conclusions de Mme Delphine Hedary, rapporteur public ;


La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Meier-Bourdeau, Lecuyer, avocat de Mmes D.etB. ;




1. Considérant qu'il résulte des pièces du dossier soumis au juge du fond que trois œuvres, un dessin intitulé " Etudes de têtes, peut-être des avocats ? " attribué à Daumier, un dessin intitulé " Paysan derrière une palissade" de Van Ostade, un dessin " Vieille femme en prière " de Goya , ont été achetées à Paris, en 1940 et 1941, à M.E., galeriste de double nationalité américaine et allemande, par M.C., galeriste autrichien, mandaté à cette fin par le gauleiter de Salzbourg en vue de constituer un musée régional ; que M. C.a cédé ces œuvres en juillet 1944 à M. F. ; que l'intéressé en a cédé au moins une à la galerie publique de l'Albertina et faussement déclaré les deux autres comme ayant été détruites par des bombardements ; que les trois œuvres, soupçonnées d'être issues de spoliations des autorités allemandes d'occupation en France, ont été saisies par les forces américaines d'occupation en Autriche et remises aux autorités françaises d'occupation dans ce pays ; que ces œuvres ont été rapatriées en France et répertoriées " Musées Nationaux récupération " (MNR) et, à ce titre, attribuées au musée du Louvre ; que Mme D. et Mme B., ayants droit de M. F., ont demandé en 1998 au ministre des affaires étrangères la restitution de ces œuvres, qui leur a été refusée par une décision du 8 octobre 2004 ; qu'elles demandent au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté leur demande d'annulation du jugement du tribunal administratif de Paris ayant refusé d'annuler cette décision du ministre ;


Sur la motivation de l'arrêt attaqué :


2. Considérant que la cour a expressément énoncé dans son arrêt qu'elle ne regardait pas les requérantes comme de légitimes propriétaires et exposé les motifs pour lesquels, au vu des pièces du dossier, elle jugeait fondée la décision de refus de restitution des oeuvres revendiquées au regard des conditions de transaction initiales ; qu'elle a, se faisant, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, suffisamment motivé son arrêt ;


Sur le refus de la cour de procéder à une expertise :


3. Considérant qu'il appartient au juge du fond de compléter son information en procédant le cas échéant aux mesures d'instruction qu'il estime utiles et nécessaires ; que l'appréciation qu'il porte sur cette nécessité et cette utilité n'est pas, en l'absence de dénaturation, susceptible d'être discutée devant le juge de cassation ; qu'en l'espèce, le dossier soumis au juge du fond ne comportait aucun élément relatif à la propriété des œuvres revendiquées, antérieurement à leur cession par M. E.à M. C.; qu' au regard des éléments soumis à son examen, la cour, en s'abstenant d'ordonner une expertise, n'a pas porté, sur l'utilité et la nécessité d'une telle mesure d'instruction, une appréciation entachée de dénaturation ; que les requérantes ne sont donc pas fondées à soutenir que la cour aurait statué irrégulièrement en s'abstenant d'ordonner au préalable une expertise ;


Sur l'erreur de droit entachant l'appréciation de la légalité de la décision du ministre :


4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 2112-1 du code général des propriétés publiques : " Sans préjudice des dispositions applicables en matière de protection des biens culturels, font partie du domaine public mobilier de la personne publique propriétaire les biens présentant un intérêt public du point de vue de l'histoire, de l'art, de l'archéologie, de la science ou de la technique, notamment : (les propriétaires légitimes) / 8° Les collections des musées (les propriétaires légitimes) " ; qu'il résulte de ces dispositions que, à moins que le législateur n'en dispose autrement, les oeuvres détenues par une personne morale de droit public, y compris lorsqu'elle les a acquises dans le cadre ou à l'issue d'opérations de guerre ou dans des circonstances relevant de l'exercice de la souveraineté nationale à l'occasion desquelles elle se les est appropriées, appartiennent au domaine public et sont, de ce fait, inaliénables ; que si les actes qui ont conduit à l'incorporation de ces biens au domaine peuvent être discutés devant le juge de l'excès de pouvoir, toute demande de restitution par une personne se prévalant d'en avoir été le propriétaire ou de venir aux droits de celui-ci est, après expiration des délais de recours pour contester les modalités de cette incorporation, tardive et, par suite, irrecevable ;


5. Considérant, toutefois, qu'aux termes de l'article 1er de l'ordonnance du 12 novembre 1943 sur la nullité des actes de spoliation accomplis par l'ennemi ou sous son contrôle : " Recevra sa pleine et entière exécution la déclaration solennelle signée le 5 janvier 1943 à Londres par le Comité national français et par dix-sept gouvernements alliés, déclaration dont le texte est annexé à la présente ordonnance " ; qu'aux termes de la déclaration interalliée du 5 janvier 1943 : " (les propriétaires légitimes) les Gouvernements signataires de cette déclaration et le Comité National Français se réservent tous droits de déclarer non valables tous transferts ou transactions relatifs à la propriété, aux droits et aux intérêts de quelque nature qu'ils soient, qui sont ou étaient dans les territoires sous l'occupation ou le contrôle, direct ou indirect des gouvernements avec lesquels ils sont en guerre, ou qui appartiennent ou ont appartenu aux personnes (y compris les personnes juridiques) résidant dans ces territoires. Cet avertissement s'applique tant aux transferts ou transactions se manifestant sous forme de pillage avoué ou de mise à sac, qu'aux transactions d'apparence légale, même lorsqu'elles se présentent comme ayant été effectuées avec le consentement des victimes. " ; qu'aux termes de l'article 1er de l'ordonnance du 14 novembre 1944 : " Sous réserve des autres dispositions qui seront prises ultérieurement pour l'application de l'ordonnance du 12 novembre 1943 (.) et de l'ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental, toutes les personnes physiques ou morales ou leurs ayants cause dont les biens ont été l'objet de mesures de séquestre, d'administration provisoire, de gestion, de liquidation exorbitantes du droit commun, en vertu soit des actes dits " lois, décrets ou règlements " du prétendu gouvernement de Vichy, soit du fait des autorités occupantes, rentrent de plein droit en possession de leurs biens, droits et intérêts qui n'ont pas fait l'objet de mesures de liquidation ou d'actes de disposition à la date de la mise en vigueur de l'ordonnance du 9 août 1944 susvisée " ; qu'aux termes de l'article 1er de l'ordonnance du 21 avril 1945 susvisée : " Les personnes physiques ou morales ou leurs ayants cause dont les biens, droits ou intérêts ont été l'objet, même avec leur concours matériel, d'actes de disposition accomplis en conséquence de mesure de séquestre, d'administration provisoire, de gestion, de liquidation, de confiscation ou de toutes autres mesures exorbitantes du droit commun en vigueur au 16 juin 1940 et accomplis, soit en vertu des prétendus lois, décrets et arrêtés, règlements ou décisions de l'autorité de fait se disant gouvernement de l'Etat français, soit par l'ennemi, sur son ordre ou sous son inspiration, pourront, sur le fondement, tant de l'ordonnance du 12 novembre 1943 relative à la nullité des actes de spoliation accomplis par l'ennemi ou sous son contrôle, que de l'ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental, en faire constater la nullité. / Cette nullité est de droit. " ;


6. Considérant que par son article 1er, le décret du 30 septembre 1949 a mis fin à l'activité de la commission de récupération artistique, qui avait été créée pour procéder aux saisies d'œuvres présumées spoliées, en France et dans les zones d'occupation françaises en Allemagne et en Autriche, ou pour se les voir remettre, par les services alliés analogues, après les saisies opérées dans leur propre zone de combat ou d'occupation ; que le même décret a prévu, dans son article 5, à compter du 31 décembre 1949, que : " Sous réserve de la législation relative aux biens spoliés, une commission présidée par le directeur général des arts et lettres procèdera à un choix des oeuvres d'art retrouvées hors de France, qui n'auront pas été restituées à leur propriétaire. Les oeuvres d'art choisies par la commission seront attribuées par l'office des biens et intérêts privés à la direction des musées de France, à charge pour elle de procéder dans un délai de trois mois à leur affectation ou à leur mise en dépôt dans les musées nationaux ou musées de province. / Ces oeuvres d'art seront exposées dès leur entrée dans ces musées et inscrites sur un inventaire provisoire qui sera mis à la disposition des collectionneurs pillés ou spoliés jusqu'à l'expiration du délai légal de revendication. " ;


7. Considérant qu'il résulte de l'ensemble des dispositions concernant les œuvres répertoriées MNR que l'Etat n'a pas entendu s'en attribuer la propriété, ni par suite les incorporer au domaine public ; qu'il s'en est seulement institué le gardien à fin de restitution aux propriétaires spoliés par les actes de la puissance occupante, et à leurs ayants droit en mettant en place un service public de la conservation et de la restitution de ces oeuvres ; que les autorités compétentes sont tenues de restituer les œuvres aux propriétaires légitimes, puis à leurs ayants droit, sur leur demande, soit qu'ils aient été victimes d'une telle spoliation, soit qu'aucune spoliation n'ayant eu lieu, ils en étaient et demeurent. ; qu'en l'absence de dispositions législatives contraires, et dans la mesure où une restitution demeure en principe envisageable et s'avère d'ailleurs effectivement possible, aucune prescription particulière ou de droit commun ne peut être opposée à cette demande ; qu'un refus, décision administrative prise dans l'exercice de la mission du service public de conservation et de restitution des œuvres MNR, peut être contesté par la voie du recours pour excès de pouvoir ;


8. Considérant que les œuvres répertoriées MNR ont été saisies par les forces alliées de la France, dans les zones de combat ou d'occupation, ou par les administrations françaises placées sous l'autorité du commandement militaire pendant les opérations de guerre ou d'occupation ; que les actes de saisie de ces oeuvres sont dès lors inséparables de la conduite des opérations de guerre et des relations internationales et ne sont par suite pas susceptibles d'être discutés devant le juge de l'excès de pouvoir ; qu'en revanche, les motifs du refus de procéder à une restitution peuvent être critiqués à l'occasion d'un recours pour excès de pouvoir, les difficultés sérieuses pouvant s'élever à cette occasion en matière de propriété ou de régularité des transactions devant être portées, par la voie d'une question préjudicielle, devant le juge judiciaire ;

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